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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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Conclusion générale

Dans Les Années d'Hiver, le psychanalyste et penseur de l'écologie politique Felix Guattari lançait un appel à l'invention face au libéralisme triomphant des années quatre-vingt. Il fondait notamment la notion de « territoire de référence » c'est-à-dire « l'ensemble des projets ou des représentations sur lesquels vont déboucher pragmatiquement toute une série de comportements, d'investissements, dans le temps et dans les espaces sociaux, culturels, esthétiques, cognitifs »309(*). Par la déconstruction des mythes qu'elle opère, la décroissance peut s'envisager sous l'angle d'un nouveau « territoire de référence ». Sa nature provocante et radicale suscite les controverses, l'incompréhension ou l'indignation. Il est vrai que les objecteurs de croissance ne font pas les choses à moitié. Porteurs d'une vision alternative de la société face à la gabegie du productivisme, les objecteurs de décroissance remettent en cause une grande partie des soubassements culturels de la société occidentale. Certes l'impératif écologique est au coeur de la pensée décroissante mais c'est toute la logique sociale de la société de croissance qui est dénoncée. Ainsi le consumérisme et la technique conduisent à l'aliénation de l'esprit libre tandis que le travail conditionne l'individu au rôle primaire de consommateur.

La « décolonisation de l'imaginaire collectif » conduit immanquablement à remettre en cause le système dominant, c'est-à-dire le « capitalisme néolibéral ». Evidemment les militants de la décroissance ne sont pas les seuls à soutenir un tel projet. C'est la marotte de la plupart des mouvements radiaux de désigner ainsi l'ennemi pour mieux justifier ses thèses. Toutefois dans le landernau des mouvements alternatifs, la décroissance a quelque chose de particulier. D'abord sa remise en cause du capitalisme se fonde sur un antiproductivisme qui tranche avec la rhétorique classique de l'extrême gauche. Mais surtout la décroissance mène une stratégie de minorité active telle que définie par Serge Moscovici. Elle entend proposer un contre modèle empiriquement incarné par le mouvement de la simplicité volontaire avec pour but de renverser par l'exemple le système dominant. Cette stratégie est controversée au sein même du mouvement pour la décroissance, certains considérant que l'intégration au jeu partisan est la seule manière de faire avancer leurs idées. Pourtant, la stratégie de minorité active commence à produire ses effets. Non pas que la décroissance soit devenue en quelques années le leitmotiv des partis majoritaires, mais ses idées ont fait l'effet d'un pavé lancé dans la marre du parti Vert.

La montée en puissance de la décroissance a en effet mis à vif les tensions identitaires qui parcourent le parti écologiste. Pour en comprendre les raisons nous avons montré, à l'aide du paradigme des clivages, que les Verts s'inscrivaient dans une logique de long terme caractérisé par l'antiproductivisme. Cette notion constitue pour les écologistes un invariant politique. Un socle sur lequel repose l'ensemble des croyances communes des adhérents et qui les fait exister en tant que communauté politique. L'antiproductivisme qui préside à la logique du projet des Verts et des objecteurs de croissance les conduit à partager le même versant du clivage rural/urbain objectivé en clivage productivistes/antiproductivistes. Dans ce cadre, la décroissance apparait comme la manifestation « extrémiste » de ce clivage face à un parti Vert plus modéré. Il est donc possible, comme nous l'a indiqué Yves Cochet, que décroissance et écologie politique se confondent. Pour autant il importe de noter que la différenciation de la décroissance vis-à-vis des Verts se joue, en outre, sur le plan du rapport au libéralisme. Le mouvement de la décroissance n'est en effet pas avare de diatribes à l'égard du libéralisme qu'il considère comme la matrice philosophique de la société de croissance. Les Verts ont eux une position plus mesurée, reconnaissant les limites du libéralisme économique sans toutefois vouloir sortir de l'économie de marché.

La situation des Verts sur le même clivage que les décroissants se traduit par une influence de la décroissance sur le parti écologiste. Pour la comprendre, il importe de prendre en compte les spécificités de l'identité des Verts français. Le parti Vert s'est fondé sur une identité plurielle qu'illustrent les nombreux soubresauts internes que connut l'organisation depuis sa création en 1984. En l'absence d'une doctrine écologiste bien établie, le parti Vert est plus un espace où coexistent différentes cultures politiques que le creuset d'une véritable identité Verte. Ce déficit de structuration est exacerbé par le type d'organisation partisane qui fait la part belle à la démocratie interne pour satisfaire l'ambition d'une politique faite autrement. Dans ce contexte, l'antiproductivisme constitue un des rares segments identitaires communs à l'ensemble des adhérents. En proposant une écologie radicale, la décroissance conduit donc à réactiver le débat identitaire au sein du parti écologiste autour de la place de l'antiproductivisme.

Toutefois le parti Vert est traversé de tensions contradictoires. Depuis l'adoption à partir de 1993 d'une stratégie d'alliance avec les partenaires de gauche, les Verts ont entamé un processus d'institutionnalisation qui doit se conclure par la transformation en parti de pouvoir. La récente transmutation des Verts en Europe Ecologie - Les Verts se veut d'ailleurs une étape décisive en ce sens. Dans cette perspective, se réclamer ouvertement de la décroissance est contradictoire. Cela conduirait à braquer l'électorat quand l'objectif du parti est justement d'accéder à une base électorale plus large. La décroissance est alors réappropriée par les Verts à grands renforts d'euphémismes et de périphrases pour conserver la stabilité de son assise identitaire sans compromettre la logique électorale.

Ce compromis délicat entre défense des postulats idéologiques et maintien dans le jeu pour l'exercice du pouvoir illustre la conversion majoritaire inachevée des Verts français. L'influence qu'exerce un mouvement aussi radical que la décroissance sur les Verts est signe d'un certain manque de maturité politique. En définitive, bientôt trente ans après la création du parti, les écologistes ne semblent toujours pas avoir tranché la logique de leur engagement. Entre revendication du pouvoir et volonté de mettre en oeuvre ses propres principes, le coeur écolo balance toujours. Exemple flagrant de ces atermoiements, le nouveau nom du parti « Europe Ecologie - Les Verts » représente lui-même ces deux logiques accolées l'une à l'autre, comme en 1984 lorsque naquirent « Les Verts, Confédération écologiste - Parti écologiste ». Notre propos n'est cependant pas de dire que rien n'a changé. Au contraire l'orientation organisationnelle, idéologique et stratégique du parti est clairement dans le sens d'une institutionnalisation en parti généraliste de gouvernement. La primaire écologiste de juin-juillet 2011 a d'ailleurs confirmé cette tendance en valorisant l'image d'une écologie gestionnaire incarnée par Eva Joly.

Pour transformer l'essai majoritaire, il s'agira certainement pour les écologistes de savoir affirmer leur ambition électorale tout en forgeant une culture partisane commune. Sans être exclusif, l'exemple du grand frère belge Ecolo et son travail de synthèse autour du concept de « prospérité sans croissance » peut être une piste prometteuse.

* 309 GUATTARI, Felix, Les Années d'Hiver, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009 (1ère ed. 1985), p. 133

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