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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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3. Une critique de la richesse et du travail

A l'inverse de ce qu'elle pourrait laisser entendre au premier abord, la décroissance ne plaide pas pour une croissance négative du P.I.B. Elle analyse en profondeur les soubassements des sociétés dites développées en contestant la notion de richesse et celle de travail. Il s'agit de mettre à l'examen des préconstruits économiques identifiés improprement comme synonymes de bien-être. Serge Latouche évoque d'ailleurs sans ambages l'impérieuse nécessité de « sortir de l'économie »62(*). Cette charge contre « l'économisme », c'est-à-dire la prédominance de l'économie dans toutes les dimensions sociales et humaines, s'illustre à travers la controverse sur la mesure de la richesse et la remise en cause du travail.

Redéfinir la richesse pour jouir de sa vie

La croissance économique se mesure à l'aide d'un agrégat de données, le Produit Intérieur Brut. Ce type de mesure a depuis longtemps été critiqué par les économistes à cause des nombreux biais qu'il comporte. L'économiste John Kenneth Galbraith disait lui-même que « le niveau, la composition et l'extrême importance du P.I.B sont à l'origine d'une des formes de mensonge social les plus répandues »63(*). En effet le P.I.B est un indicateur composite qui calcule toutes les richesses produites par du travail rémunéré y compris les plus absurdes (armement, pollution, antidépresseurs,...). Toute activité qui conduit à un flux de richesse accroit le P.I.B. Un accident ou une marée noire augmentent le P.I.B alors que, pour paraphraser Cécil Pigou, un homme épousant sa cuisinière le fait baisser.

Le P.I.B ne reflète donc pas, loin s'en faut, le bonheur d'une société. Pour autant l'hégémonie de cet indicateur de richesse a conduit les politiques, les économistes et l'opinion publique à confondre bien être et P.I.B, donnant lieu à ce que Latouche appelle volontiers « une obsession ». Au-delà des questions techniques, la décroissance souhaite requalifier la notion de richesse dont le P.I.B n'est qu'une interprétation. Pour les objecteurs de croissance, le P.I.B ne mesure pas les « vraies richesses », c'est-à-dire celles non quantifiables monétairement (liens sociaux, épanouissement personnel, spiritualité, culture, ...). Il y aurait même une dichotomie croissante entre P.I.B et bien être que remarquait déjà Emile Durkheim dans son étude de l'anomie : « le nombre de ces phénomènes morbides [suicides et crimes] semble s'accroitre à mesure que les arts, la science et l'industrie progressent »64(*). Ivan Illich reprend lui aussi cette critique de la richesse à travers son concept de « disvaleur » qui désigne « la perte [...] qui ne [saurait] s'estimer en termes économiques »65(*). Il prend l'exemple d'une personne qui perd l'usage de ses pieds mais la disvaleur peut aussi s'illustrer par les dégâts irréversibles causés à l'environnement et notamment la disparition de certaines espèces. Ces pertes ne sont pas quantifiables économiquement mais induisent pourtant une dégradation substantielle du bien-être de l'homme et de la richesse de l'humanité.

Sans entrer plus avant dans les dysfonctionnements du P.I.B, les nombreuses zones d'ombres et externalités négatives afférentes à ce type de calcul de la richesse économique pose la question d'indicateurs alternatifs. De nombreux économistes ont cherché à redéfinir la richesse en promouvant des mesures alternatives. Il en va ainsi du Genuine Progress Indicator (GPI), de l'indicateur de santé sociale (ISS), de l'indice de bien être durable (IBED) ou encore du Happy Planet Index. Pour ne prendre en exemple que ce dernier, cher à Yves Cochet, il classe les pays en fonction de l'empreinte écologique, de l'espérance de vie et du bien-être des populations. Un mode de calcul bien différent du P.I.B qui aboutit à des résultats surprenants puisque le Costa Rica arrivait en en tête du classement en 2009. La multiplication des indicateurs alternatifs témoignent d'une certaine évolution des mentalités. La prise de conscience des imperfections du P.I.B et notamment de son incapacité à prendre en compte l'impératif écologique entraine une réflexion sur la mesure de la richesse jusque dans les hautes sphères. A la demande du Secrétaire d'Etat écologiste Guy Hascoët, Patrick Viveret a ainsi rendu un rapport sur les nouveaux facteurs de richesse en Janvier 200266(*). Plus récemment, le Président Nicolas Sarkozy a confié une mission similaire à Joseph Stiglitz et Amartya Sen dans le cadre de la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social. Les nouveaux indicateurs ont donc pour objectif de découpler le bien être de la croissance au sens de l'augmentation de la production matérielle.

Pourtant, si l'initiative est saluée par une partie des écologistes (ATTAC, les Verts, ...), elle est refusée par les objecteurs de croissance. Au nom de leur critique relativiste, ils condamnent une entreprise proprement ethnocentriste qui ne vise qu'à parfaire la suprématie de l'économie sur la société. Selon eux, les nouveaux indicateurs visent à prendre en compte le bien être humain en attribuant une valeur économique à ce qui n'en a pas encore. Non seulement, cette redéfinition de la richesse conduit à un problème méthodologique (Jean Gadrey se demande où s'arrêter une fois que l'on commence à prendre en compte la production domestique, le bénévolat, etc67(*)) mais elle engendre aussi un processus d'« omnimarchandisation ». Alors que Serge Latouche insiste sur la nécessité de prendre avant tout en compte la valeur d'usage, les indicateurs alternatifs se concentrent sur la valeur d'échange. La figure altermondialiste et féministe Vandana Shiva résume la pensée des objecteurs de croissance : « La proposition de prescrire une valeur marchande à toutes les valeurs naturelles au titre de la solution à la crise écologique revient à administrer la maladie comme le remède »68(*). La décroissance s'inscrit donc en faux contre ce changement à minima et contreproductif. Toutefois ils transcendent par ce refus la question des indicateurs alternatifs pour mieux mettre en avant leur définition de la richesse.

Les objecteurs de croissance ne veulent pas d'un accompagnement de la croissance vers une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et écologiques. Dans leur radicalité ils expriment le souhait de « sortir de l'économie » c'est à dire rompre avec l'hégémonie de l'économie qui s'immisce dans l'ensemble des rapports sociaux. L'enrichissement matériel qui la sous-tend est considéré comme néfaste au bien être des individus. Poussant leur logique jusqu'au bout, Bruno Clémentin et Vincent Cheney n'hésitent pas à lâcher dans l'éditorial d'une édition du mensuel La Décroissance « vive la pauvreté ! ». Cette exclamation pour le moins provocatrice se comprend à l'aune des externalités négatives que produit l'accumulation de richesse. Non seulement la société de consommation pousserait l'individu à consommer des biens dont il n'a pas l'utilité ex ante, mais le détournerait également du bonheur réel qui se trouve dans l'autonomie et la convivialité. A ce titre, André Gorz explique que « la richesse rend pauvre »69(*) puisque qu'être pauvre consiste d'abord à ne pas posséder de nouveaux biens que les plus riches ont déjà. Mais l'éloge de la pauvreté ne peut néanmoins se comprendre sans le remettre dans la perspective de lutte contre la société travailliste.

* 62 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, op.cit, p. 87

* 63 GALBRAITH, John Kenneth, Les Mensonges de l'économie. Vérité pour notre temps, Grasset, Paris, 2004

* 64 DURKHEIM, Emile, De la division du travail social, Alcan, Paris, 1926, p. 13

* 65 ILLICH, Ivan, Dans le miroir du passé, dans OEuvres complètes, Paris, Fayard, 2005, p. 744

* 66 Repris dans un ouvrage : VIVERET, Patrick, Reconsidérer la Richesse, Paris, Editions de l'Aube, 2004, 217 p.

* 67 GADREY, Jean et JANY-CATRICE, Florence, Les Nouveaux indicateurs de richesse, Paris, La Découverte, 2005

* 68 SHIVA, Vandana, « The world on the edge », dans Will Hutton et Anthony Giddens (dir.), On the Edge : Living with Global Capitalism, New York, New Press, 2000, p. 128

* 69 GORZ, André, Ecologie et politique, Paris, Seuil, 1975, p. 36

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