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Activités bancaires et responsabilité sociétale : enjeux et paradoxes

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par Joseph Herman TIONA WAMBA
Laboratoire de Recherche en Marketing Management -  2014
  

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CHAPITRE 2

RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE ET ACTIVITÉ BANCAIRE AU COEUR DE LA RECHERCHE

Le présent chapitre, purement théorique, a pour but essentiel d'effectuer une revue de la littérature sur le concept clé de la recherche qu'est la responsabilité sociétale. Dans une première analyse, nous allons présenter ce concept de manière globale, ses origines, ses domaines d'applications, ses contours, et les concepts qui lui sont rattachés. Puis, dans une seconde analyse, nous allons présenter les enjeux de la responsabilité sociétale pour les entreprises en générale et pour la banque en particulier.

SECTION 1 : APPROCHE NOTIONNELLE DE LA RSE

Dans cette section, nous allons premièrement retracer l'historique de la RSE, définir le concept, et présenter la théorie des parties prenantes. Par la suite, nous allons deuxièmement présenter les domaines d'application et les instruments de mesure de ce concept..

I-1- La responsabilité sociétale : historique, definition et principes

Nous retraçons d'abord l'histoire de la RSE, puis nous définissons ce concept aux contours multiples que nous abordons par la suite selon l'approche des parties prenantes.

I-1-1- Aperçu historique de la Responsabilité Sociale de l'Entreprise

On associe souvent la RSE au développement durable ou encore à la mondialisation, alors que cette notion a vu le jour bien avant ces phénomènes. En réalité, la RSE est apparue dès les années 1950' aux États-Unis, mais sa diffusion vers d'autres contextes s'est faite de manière décalée dans le temps. Nous allons dans ce qui suit nous intéresser à l'historique de ce concept et aux diverses acceptions auxquelles il a donné lieu.

Le thème de la Responsabilité Sociale des Entreprises n'est pas véritablement nouveau. À partir des années 1920, plusieurs dirigeants s'expriment publiquement sur leur responsabilité à l'égard de la société. Si aucune doctrine clairement formulée de la responsabilité sociale n'avait émergé à la fin de la décennie, les discours de l'époque sont très marqués par les concepts de « public service » et de « trusteeship » qui stipulent l'idée d'un contrat implicite, caractérisant la relation entre l'entreprise et la société (Heald, 1961, 1971).

Ces débats, bien que controversés, ont été mis en application par Henri Ford, surtout sur le plan interner avec l'instauration du salaire journalier minimum (principe du five dollars per day). Des discours et pratiques relatifs à la responsabilité sociale se développent ainsi de manière précoce dans le milieu des affaires. Au début des années 1930, notamment en 1932 le débat entre Berle et Dodd sur la question de la gouvernance d'entreprise (stakeholders versus shareholders) conduit aux premières réflexions sur la RSE. Mais ce n'est que dans les années 1950 que des efforts significatifs en matière de RSE voient le jour.

Dans son expression et dans son sens actuel, la RSE est essentiellement liée au contexte nord américain de l'après Deuxième Guerre mondiale (Charles et Hill, 2004). C'est l'ouvrage de Bowen en 1953 qui marque l'avènement du concept et le début de la recherche autour de lui (Carroll, 1999 ; Acquier et Gond, 2005 ; Locket et coll., 2006 ; Windsor, 2006). En effet, Bowen y pose les fondements de la responsabilité sociale de l'entreprise, même s'il y relève plus tard (en 1978), un caractère idéaliste et normatif faisant prévaloir deux principes. Le premier renvoie au fait que les hommes d'affaires ne doivent prendre que des décisions qui vont dans le sens des orientations et des valeurs souhaitées par la société. Le deuxième stipule que la prise en compte de préoccupations sociales par la firme doit se faire d'une manière volontaire. C'est donc H. BOWEN qui a fait passer ce concept dans l'ère moderne du management.

Si Bowen est reconnu dans la littérature comme étant le père de la RSE, Caroll (1999) signale que les idées qu'il a exprimées dans son ouvrage ne sont pas nées ex nihilo et qu'on en trouve la trace dans certains essais de la littérature managériale, notamment dans les années 1930' et 1940'. Notons tout de même qu'il est possible que la RSE, telle que formulée à l'époque par Bowen, repose sur les valeurs culturelles et managériales qui prévalaient à son époque. Le contexte ayant évolué, l'acception de la RSE a progressivement changé.

La RSE est devenue un thème de recherche à l'origine de l'émergence d'un nouvel espace académique, à savoir le courant « Business and Society » s'intéressant aux relations entre l'entreprise et son environnement sociétal (Acquier et Gond, 2005). Son influence s'est progressivement renforcée à travers le monde pendant les années 1960. Depuis lors, la responsabilité sociale de l'entreprise fait l'objet de nombreux débats entre chercheurs, praticiens, État, organisations non gouvernementales et autres acteurs de la société moderne.

Après avoir occupé les chercheurs américains et suscité quelques controverses émanant d'académiciens libéraux, la recherche sur la RSE diminuera d'intensité à partir du milieu des années 1980 et muera vers d'autres concepts comme la citoyenneté de l'entreprise ou l'approche par les parties prenantes (Caroll, 1999). Toutefois, cette pensée de Carroll, bien que séduisante, ne s'applique qu'au contexte américain. Elle va alors se heurter au nouvel ordre économique mondial établi, qui prône le libéralisme économique.

L'émergence de la grande entreprise au delà des frontières nord-américaines est à l'origine du regain d'intérêt que connait la RSE en ce début de siècle, en redevenant un phénomène de plus en plus présent sur la scène politique et économique.

En Europe, on a commencé à s'intéresser à la RSE dès le milieu des années 1990 suite aux actions des organismes de la société civile à l'encontre des entreprises ayant causé un tort environnemental (Shell, Total ...), social (Danone, Renault...) ou sociétaire (Parmalat, Vivendi...). D'un autre côté, le regain d'intérêt pour la question s'est accentué à partir du début des années 2000 aux États-Unis avec les faillites touchant de grands groupes américains (Enron, Arthur Andersen, Worldcom, Xerox...). C'est sans doute la raison pour laquelle Doh et Guay (2006) attribuent le regain d'intérêt pour la RSE à deux éléments : la montée de la société civile d'un côté, et les scandales financiers des grandes entreprises de l'autre.

I-1-2- Construction d'une définition du concept de responsabilité sociétale de l'entreprise

Rappelons tout d'abord que l'appellation RSE telle que dérivée de la littérature anglo-saxonne, ne se limite pas qu'à la simple responsabilité sociale, c'est-à-dire, qu'à la société. Elle va au delà de celle-ci pour intégrer l'environnement, les ONG et tous les autres partenaires directs et indirects de l'entreprise. C'est pourquoi on lui préfère de plus en plus l'appellation de responsabilité sociétale de l'entreprise.

Les définitions attribuées à la RSE sont variables selon les approches (volontariat ou légale) et les auteurs. Selon l'approche, la Commission Européenne (2001) a adopté une définition qui ménage les deux aspects fondamentaux de la RSE (contrainte et volontarisme) : « Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables mais aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes, cela suppose l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». En effet, dans son livre vert publié en 2001, la Commission Européenne, qui est devenue une référence dans les organismes internationaux et qui est évoquée dans la majorité des travaux sur la RSE, la définit comme : « l'intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec toutes leurs parties prenantes internes et externes (actionnaires, personnels, clients, fournisseurs et partenaires, collectivités humaines,...), et ce, afin de satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables et investir dans le capital humain et l'environnement ».

Selon des auteurs comme Friedman M. (1962), cité par D'Arcimoles Ch-H. et Trébucq St. (2003), la responsabilité sociale de l'entreprise est d'accroitre ses profits. Cette proposition de Friedman repose sur les postulats de la « main invisible de Adam Smith », car pour lui, seules les forces du marché génèrent la richesse collective, ce qui n'est pas totalement acceptable dans le contexte actuel. Par exemple, dans des cas de fraudes comme Enron et bien d'autres, cette responsabilité envers les actionnaires n'a pas été respectée. Autrement dit, la RSE ne se limiterait pas à cela.

En effet, nombreux sont les auteurs qui s'opposent à cette vision étroite de la responsabilité sociétale de l'entreprise. Au contraire de la vision de Friedman, selon la théorie des stakeholders, il existe un contrat implicite entre l'entreprise et la société. Si ce contrat est rompu, l'entreprise perd sa légitimité et ne peut bientôt plus fonctionner. Ainsi, selon Freeman R. (1984), l'entreprise est responsable devant toutes ses parties prenantes.

Certaines définitions sont fondées sur des études de cas particuliers d'entreprises pratiquant la RSE. C'est le cas de la définition de Mc Williams A. et Siegel D. (2001) selon laquelle la RSE est l'ensemble des actions visant le bien social au-delà des intérêts de la firme et de ce qui est demandé par la loi. Mc Guire J. (1963) et Davis K. (1973) soutenus plus tard par Jones M. T. (1980), perçoivent la RSE comme la prise en compte par l'entreprise, de problèmes qui vont au delà de ses obligations économiques, techniques et légales et la reconnaissance par celle-ci, de ses responsabilités envers la société. Ces définitions semblent ne pas tenir compte des entreprises qui ne se conforment qu'au stricte minimum requis par la loi, parce que ne faisant face à aucune compétition sur le marché.

Carroll A. B. (1979) ne se contente pas seulement de limiter les champs d'action possibles de l'entreprise responsable car pour elle, « la CSR2(*) intègre l'ensemble des attentes économiques, légales, éthiques et philanthropiques que peut avoir la société à l'égard d'une entreprise à un moment donné ». Suivant le même ordre d'idées que Carroll, Wood D.J. (1991) souligne que: « La signification de la responsabilité sociétale ne peut être appréhendée qu'à travers l'interaction de trois principes : la légitimité, la responsabilité publique et la discrétion managériale, ces principes résultant de la distinction de trois niveaux d'analyse, institutionnel, organisationnel et individuel ». Les définitions proposées par Carroll et Wood vont plus loin que les approches précédentes en spécifiant les catégories d'analyse de la CSR et en systématisant les acquis des recherches antérieures.

Ainsi, nous pouvons résumer les définitions ci-dessus dans un tableau tiré des « fondements théoriques de la responsabilité sociale des entreprises », de Jean-Pascal Gond.

. Tableau 2.1 : Définitions et théorisations du concept de RSE

Types d'approches

Sources

Définitions

Agir au delà d'une responsabilité économique, contractuelle ou légale.

Jones (1980)

La responsabilité sociétale est « [l'idée] selon laquelle les entreprises, au delà des prescriptions légales ou contractuelles, ont une obligation envers les acteurs sociétaux »

Maximiser le profit pour les actionnaires

Friedman (1962)

« Rien n'est plus dangereux pour les fondements de notre société que l'idée d'une responsabilité sociale des entreprises autre que de générer un profit maximum pour leurs actionnaires »

Répondre aux attentes de la société de manière volontaire

Carroll (1979)

La responsabilité sociétale est « ce que la société attend des organisations en matière économique, légale, éthique et volontaire, à un moment donné »

Respecter des principes se déclinant au niveau institutionnel, organisationnel et managérial

Wood (1991)

« La signification de la responsabilité sociétale ne peut être appréhendée qu'à travers l'interaction de trois principes : la légitimité, la responsabilité publique et la discrétion managériale, ces principes résultant de trois niveaux d'analyse, institutionnel, organisationnel et individuel »

La performance sociétale comme intégration des approches de la RSE

Wartick & Cochran (1985)

La PSE est « l'interaction sous-jacente entre les principes de responsabilité sociale, le processus de sensibilité sociale et les politiques mises en oeuvre pour faire face aux problèmes sociaux »

La performance sociétale comme capacité à satisfaire les stakeholders

Clarkson (1995)

La PSE peut se définir comme la capacité à gérer et à satisfaire les différentes parties prenantes de l'entreprise (définition construite)

Source : Gond, J.-P. et Mullenbach A. (2004)

De toutes les définitions et approches développées ci-dessus, nous pouvons définir la responsabilité sociale de l'entreprise comme la prise en compte par l'entreprise des variables extra économiques dans la réalisation de ses objectifs à long et moyen terme. C'est un processus d'amélioration, dans le cadre duquel, les organisations, les entreprises, les pouvoirs publics et les collectivités locales intègrent de manière volontaire, systématique et cohérente des préoccupations d'ordre social, environnemental et économique dans leur gestion au quotidien. En d'autres termes, une entreprise socialement responsable est celle dont l'atteinte des objectifs économiques est conjointe à l'intérêt collectif de toutes les parties prenantes et dans le respect des contraintes légales naturelles.

Après avoir défini la RSE, il importe de présenter ses principes théoriques.

I-1-3- Principes théoriques de la RSE

La notion de la responsabilité sociale de l'entreprise est fondée sur l'idée que les entreprises doivent assumer des responsabilités qui vont au-delà de leur sphère d'activités directe. Du point de vue de l'entreprise, la RSE se traduit par « l'intégration volontaire de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »3(*). La théorie de la RSE se veut une réponse aux thèses défendues par plusieurs auteurs sur le pouvoir disproportionné dont disposent les entreprises et leurs managers dans nos sociétés modernes (Bearle et Means, 1932) cités par Bowen (1953) et Mills (1956). En effet, la RSE renvoie à une vision de l'entreprise dont la finalité n'est pas d'enrichir les shareholders (actionnaires), mais de concilier les intérêts opposés de tous les stakeholders (parties prenantes). Une entreprise socialement responsable adopte ainsi nécessairement une approche à long terme de ses objectifs, de sa stratégie et de ses bénéfices.

Le principe théorique de la RSE postule par ailleurs qu'un comportement socialement responsable n'est pas incompatible avec une meilleure performance financière. Cette attitude permet de créer un environnement institutionnel favorable à l'exercice des activités économiques de l'entreprise et contribue à l'acceptation volontaire des principes de RS. Notons aussi, qu'un comportement responsable de l'entreprise se traduit par une plus grande stabilité économique, sociale, et politique, et d'une diminution des critiques faites par la société civile aux entreprises privées.

Plusieurs tendances lourdes confirment la portée de la notion de RSE pour les entreprises. Le développement des filières de commerce équitable atteste par exemple de la sensibilité des citoyens-consommateurs à des facteurs non économiques mais plutôt d'ordre sociétal (Jacquot et Attarça 2006). Dans une certaine mesure, le succès grandissant des filières de produits biologiques relève de la même logique : besoins de sécurité er de transparence entre autres. Le développement des agences de notation sociale souligne également la prise en compte du comportement sociétale de l'entreprise dans les choix des actionnaires

La performance de l'entreprise n'est pas seulement jugée selon des critères financiers ou économiques, mais aussi selon des critères relatifs à son comportement sociétal. Les relations avec l'ensemble de ses parties prenantes deviennent alors une donnée objective dans l'appréciation de la performance. Différentes initiatives publiques donnent à la RSE un caractère stratégique pour les entreprises. A l'échelle internationale, le programme Global Compact, lancé par les Nations Unies en 2000 a pour objectif de promouvoir au sein des entreprises des pratiques respectueuses de l'environnement et des droits de l'homme. En 2001, la Commission européenne a publié un Livre vert visant à promouvoir la RSE.

Ces initiatives visent à faire prendre conscience aux dirigeants d'entreprises, de la présence d'acteurs autres que les actionnaires (shareholders), pouvant affecter et être affectés par les activités de l'entreprise. Il s'agit des stakeholders ou parties prenantes.

I-1-4- Comprendre la RSE par la théorie des parties prenantes

C'est dans le sillage des approches managériales de la Corporate Social Responsiveness (CSR) que le terme de stakeholders va se développer, à partir de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Ces approches ont ceci d'original qu'elles rapprochent et font cohabiter des groupes aux intérêts contradictoires. A ce titre, on peut définir un stakeholders comme « n'importe quel groupe dont le comportement collectif peut affecter de manière directe le futur de l'organisation, mais qui n'est pas sous son contrôle direct » (Emshoff et Freeman, 1978)4(*).

Le concept cosmopolite de stakeholders constitue une deuxième occasion de synthèse théorique majeure. Ce concept est doublement intéressant. Premièrement, il bénéficie d'une large diffusion au sein des milieux académiques. De plus, le concept de stakeholders apparaît aujourd'hui comme le concept fédérateur pour mener à bien une unification voire une refondation théorique du champ Business and Society (Freeman, 1994). Deuxièmement, le concept de stakeholders se distingue par son appropriation massive et inédite dans le champ des pratiques managériales (A. Acquier et F. Aggeri, 2008). Ainsi, le management des parties prenantes occupe une place centrale dans la conceptualisation et la mise en oeuvre de la RSE au sein des entreprises. Les stakeholders constituent alors un outil stratégique de management, car la prise en compte de leurs intérêts n'a d'importance que lorsqu'elle est associée aux objectifs de l'entreprise.

La question des parties prenantes pose la question de leur recensement. F. Lépineux (2003) propose ainsi de distinguer entre les parties prenantes sur la base d'une classification en catégories d'acteurs :

· les parties prenantes internes (actionnaires, salariés, syndicats) ;

· les partenaires opérationnels (clients, fournisseurs avec, parmi ceux-ci, les sous-traitants, les banques dans la position de prêteur mais aussi en attente d'une stabilité et d'une solvabilité, les compagnies d'assurance dans les termes d'une confrontation au risque dont la substance se renouvelle profondément aujourd'hui) ;

· la communauté sociale (pouvoirs publics, organisations spécialisées de type syndicat professionnel, organisations non gouvernementales, société civile).

Le tableau ci-dessous recense et reprend de manière synthétique, l'énumération faite ci-dessus.

Tableau 2.2 : Tableau synthétique des parties prenantes et leurs attentes ou intérêts principaux

Parties Prenantes

Exemples de leurs objectifs, intérêts

Équipe de direction / Décideurs

Gouvernance, Culture d'entreprise, ventes à l' exportation, risque juridique, risque de réputation, stratégie (court et moyen terme), responsabilité civile, risque de perte de compétence, performance, rémunération, lien de subordination

Propriétaires / actionnaires

Profit, valeur de l' action en bourse, information, stratégie (long et moyen terme)

Clients

Qualité et absence de défaut des produits/Coût et délai de livraison des produits/qualité de service, relation de confiance et partenariat

État, Mission économique

Souveraineté, sécurité collective ( défense), indépendance énergétique, sécurité des approvisionnements ( énergie, matières premières), exportations, respect des principes du droit ( sécurité juridique), respect des règles ( comptabilité publique, loi), monnaie, impôts

Citoyens des communautés locales

Information sur les impacts environnementaux et sociaux ( emplois), taxes et contributions financières, risque juridique

Employés

Rémunération, sécurité de l' emploi, intérêt du travail, conditions de travail, hygiène et sécurité au travail ( CHSCT)

Syndicats

Négociation d'accords, rémunération, conditions de travail, hygiène et sécurité au travail ( CHSCT)

Fournisseurs / sous-traitants

Prix et volume d'achat, continuité, retombées technologiques, partenariat

Banques

Fiabilité des systèmes de paiement

Investisseurs

Informations sur la solvabilité, la liquidité,

Compagnie d'assurance

Informations sur la gestion des risques et la solvabilité, sur la sécurité informatique ( profil de protection)

Source: 1. Post, Preston, Sachs (2002),

2. Freeman R. E. (1984), « Strategic Management : A Stakeholder Approach », éd. Pitman.

Cependant l'équivocité de la notion de RSE aboutit parfois à des situations paradoxales d'entreprises autoproclamées responsables, se félicitant de respecter les droits de l'homme, tout en interdisant les syndicats et toute forme d'expression collective. Il est en effet difficile, vu l'étendue de la notion de se prétendre socialement responsable ou labellisé RSE par quelque organisme que ce soit et prétendre satisfaire simultanément les attentes de chaque partie prenante.

De ce qui précède, on est enclin de penser que les débats et divergences d'approche, de compréhension, de contextualisation et de théorisation ne manquent pas. Il existe en sciences de gestion, une multitude de théories permettant d'appréhender les démarches et politiques RSE.

Dans cette sous-section, il était question de retracer la généalogie de la RSE depuis sa première formulation académique jusqu'à nos jours, afin d'en ressortir une définition consensuelle. Il en ressort que c'est l'américain Howard Richard BOWEN en est le père fondateur et que la RSE devrait revêtir plus un aspect volontaire que réglementaire. Ainsi, la prochaine sous-section va nous édifier d'avantage sur les domaines d'application et les outils qui permettent d'apprécier la RSE.

I-2- Domaines d'application et instruments de mesure de la RSE

Si le problème de la mesurabilité des activités extra économiques des entreprises s'est généralement posé, celui de leur champ d'application se pose moins.

I-2-1- Champ d'application des activités extra économiques de l'entreprise

Les domaines d'application de la RSE sont multiples, mais par rapport à l'entreprise qui là réalise, on peut regrouper les activités de RSE en interne et en externe. Nous allons d'abord présenter les types ou niveau de RSE avant d'aborder les domaines de la RSE proprement dits.

a. Les niveaux de responsabilité sociale de l'entreprise

D'une manière générale, il est accepté que la notion de RSE intègre globalement les deux critères normatifs suivants :

· Les firmes doivent honorer des obligations à l'égard d'une pluralité de groupes sociaux ;

· Les firmes doivent savoir réagir aux demandes sociales qui émanent de leur environnement.

Dans les deux cas, il s'agit de qualifier des actions de l'entreprise qui traduisent une forme d'engagement de celle-ci envers ses parties prenantes, et cela au-delà de ses obligations purement légales ou économiques.

La responsabilité sociale des entreprises a été abordée sous plusieurs dimensions et par plusieurs auteurs. Il convient tout de même de noter que ces dimensions de RSE présentent des similitudes et des complémentarités fortes d'un auteur à l'autre.

Dans une étude sur la pratique de la RSE, Johnson et Scholes (2000) identifient quatre types de positions responsables :

- Les entreprises qui considèrent que leur seule responsabilité est de garantir l'intérêt à court terme des actionnaires. Pour cette catégorie d'organisations, seul l'État est garant de l'encadrement juridique de la politique sociale de l'entreprise ;

- Les entreprises dont les dirigeants pensent qu'une position intelligente avec les autres parties prenantes sert à long terme les intérêts des actionnaires ;

- Les entreprises qui intègrent dans les buts et les stratégies, de façon explicite, les intérêts et les attentes des parties prenantes. Elles dépassent souvent les obligations légales. Pour les dirigeants de ces entreprises, la performance va au-delà des considérations financières ;

- Enfin, les entreprises qui ont pour ambition de transformer la société. Les considérations financières y sont reléguées au second plan et sont plutôt perçues comme une contrainte et non comme un objectif.

Cette approche bien qu'intéressante, ne nous permet pas de ranger une entreprise dans l'un ou l'autre niveau de RSE de façon explicite. A. B. Carroll rend cette classification plausible en définissant

A. B. CARROLL (1979) souligne que les activités de RSE englobent quatre grandes catégories d'obligations : économiques (être profitable, fabriquer des produits respectant des normes de qualité et de sécurité), légales (respecter les lois et les réglementations), éthiques (agir conformément à des principes moraux partagés au sein de la société), philanthropiques (agir avec bienfaisance et charité). La définition d'A. B. Carroll, considérée comme fondatrice des approches théoriques de la RSE, a été affinée par WOOD (1991) qui précise trois niveaux de responsabilité pour l'entreprise.

En effet selon Wood (1991), la responsabilité sociétale de l'entreprise présente trois niveaux. D'une part, la responsabilité de l'entreprise en tant qu'institution sociale : l'entreprise dispose d'une légitimité accordée par la société, elle doit utiliser son pouvoir économique qui découle de cette légitimité, dans un sens favorable aux attentes de la société, au risque de perdre ce pouvoir. D'autre part, la responsabilité en termes de conséquences (outcomes) de ses activités : ce sont les conséquences au niveau de ses parties prenantes primaires (acteurs concernés directement et profondément par les décisions de l'entreprise) ou de ses parties prenants secondaires (acteurs concernés indirectement par les décisions de l'entreprise). Enfin, la responsabilité individuelle et morale des dirigeants et des managers : ceux-ci doivent utiliser leur pouvoir discrétionnaire au service de la responsabilité sociétale de l'entreprise (dans le choix des stratégies de l'entreprise et dans les moyens de mettre en oeuvre ces stratégies).

L'approche de Wood est complémentaire à celle de Carroll. Chacune des formes de RSE proposées par Carroll (économique, légale, éthique et discrétionnaire) peut être déclinée selon les trois niveaux définis par Wood.

Capron et Quairel-Lanoizelée (2000) proposent de distinguer deux catégories de comportements ou de logiques stratégiques en matière de RSE5(*). D'une part, les stratégies substantielles : l'entreprise modifie réellement ses objectifs, adapte ses méthodes de travail et son organisation de manière à répondre aux valeurs de la société et à la demande sociale. L'intégration entre les préoccupations sociales de l'entreprise et ses choix stratégiques économiques est forte6(*). Elle peut découler d'une attitude proactive d'anticipation des demandes sociales ou d'une attitude réactive d'adaptation face à une pression sociale. D'autre part, les stratégies symboliques : l'entreprise s'approprie opportunément la notion de RSE mais sans les fondements de cette approche. Ce type de stratégie est centré sur l'image et sur la réputation. Cela passe par la politique de communication institutionnelle de l'entreprise, sa politique de communication commerciale ou encore les stratégies de discours de leurs dirigeants envers les parties prenantes. Leur objet est alors moins de prendre en compte certains enjeux sociétaux que de servir de support à une politique de communication externe ou de motivation du personnel.

Les niveaux de RSE tels que décrits par Capron et Quairel-Lanoizelée peuvent être qualifiés de génériques parce qu'elles englobent toutes les dimensions proposées par les auteurs précédents. Toutes les approches de la RSE proposées ci-dessus ont ceci de commun qu'elles débouchent toutes sur les deux grandes orientations de la RSE à savoir les dimensions obligatoires et volontaires de la RSE.

b. Mise en oeuvre de la RSE

La Responsabilité Sociale de l'Entreprise peut être mise en oeuvre de plusieurs façons et ce dans plusieurs domaines. En ce qui concerne les pratiques de RSE proprement dites, la littérature distingue l'approche sociétale française de l'approche d'inspiration anglo-saxonne. Dans l'une ou l'autre approche de la RSE, les domaines d'application de la RSE ont deux grandes orientations ou dimensions à savoir : la responsabilité sociale interne et la responsabilité sociétale externe.

Bien qu'ils ne constituent pas les destinataires de référence, les parties prenantes internes sont les acteurs dominants du discours managérial (devant les actionnaires et les clients). Depuis une quinzaine d'année, le personnel est davantage présenté comme un partenaire, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on lui attribue une place notoire dans les études portant sur la performance partenariale des entreprises de l'ère contemporaine. L'intégration des membres de l'entreprise a fortement progressé à la fin des années 1990 (M. Attarça & T. Jacquot, 2006). En effet, ces évolutions confirment l'importance accordée à l'Homme au sein de l'organisation. Par exemple dans les grandes entreprises et dans certaines PME, on emploi désormais des termes plus valorisant, comme les notions d'Equipe et de Collaborateurs, pour substituer les notions de Personnel, employés ou de Salariés.

Ainsi, le « collaborateur » ne représente plus un simple potentiel à gérer, mais est plutôt perçu comme un acteur interne à former, bâtir, édifier et animer. En bref, la responsabilité sociale en interne a trait à plusieurs composantes de la GRH, notamment les conditions de travail, la politique de rémunération, le dialogue social dans l'entreprise, le climat social dans l'entreprise, la gestion des emplois et des compétences, le temps de travail, l'intégration des catégories fragiles, le principe de non discrimination selon l'âge, le sexe, voire l'appartenance tribale.

En externe, la responsabilité sociale a trait aux dimensions sociétales et environnementales. Les parties prenantes externes prennent également une importance grandissante dans le discours managérial. La progression significative des références aux partenaires économiques puis à la population et à la préoccupation environnementale illustre la volonté par les dirigeants d'entreprise, d'affirmer une légitimité sociale. Elle manifeste également la volonté de démontrer l'étendue du champ de la réflexion stratégique (la RSE s'inscrit dans une perspective de développement durable). Enfin, cette présence met en évidence la volonté de valoriser les acteurs dans le but de rechercher leur confiance, leur adhésion et d'orienter leurs comportements à l'égard de l'entreprise.

Ainsi la mise en de la RSE en externe, peut caractériser une dépendance ou bien une volonté d'associer certains acteurs à la réflexion stratégique. Deux grandes composantes auxquelles on peut associer les décisions stratégiques de l'entreprise vis-à-vis des parties prenantes externes sont la société civile et l'environnement. La responsabilité environnementale s'inscrivant dans la volonté de préserver l'environnement naturel (le souci du maintien des écosystèmes) voire de participer activement à l'écologie (lutte contre la pollution par exemple).

En bref, les domaines de la RSE en externe concernent essentiellement la consultation et la prise en compte des attentes des parties prenantes externes (État, société civile, banques et autres compagnies), la prise en compte de l'impact écologique des produits et services fabriqués et commercialisés, la limitation de la consommation d'énergie et des matières premières, la lutte contre la pollution, le recyclage des fournitures et des produits usés, la réduction des rejets et émissions dans l'eau, la contribution à la protection de la biodiversité et des écosystèmes, application du principe de précaution en matière de recherche scientifique et technologique.

Les domaines d'application de la RSE en interne et en externe, et selon le modèle (anglo-saxon et français) sont résumés en annexe. Il convient toutefois de noter que la maitrise des différents domaines vers lesquels les dirigeants d'entreprise peuvent orienter leurs démarches RSE n'est pas un acquis, encore faut-il qu'ils sachent comment instrumenter la RSE et avec quelle efficacité.

I-2-2- Instruments de mesures de la RSE

A la question « comment instrumenter la RSE ? », on trouvera difficilement une réponse immédiate qui soit acceptée de tous. Car les contextes de mise en oeuvre de RSE sont différents malgré la conjoncture actuelle de mondialisation (déphasage persistant entre les conceptions européenne et anglo-saxonne de la RSE). Les instruments dont dispose l'entreprise dans sa politique de responsabilité sociale, ont été regroupés en cinq catégories par Capron M. et Quairel L. (2004) et dans un rapport de la CNUCED7(*). Par instruments de la RSE il faut entendre l'ensemble des dispositifs que mettent en oeuvre les différents acteurs (internes ou externes à l'entreprise) pour peser sur les décisions. Ces dispositifs sont présentés sommairement dans le tableau suivant :

Tableau 2.3 : Les Instruments de la Responsabilité Sociétale de l'Entreprise

Dispositif

Utilité

Exemple

Mise en oeuvre

Assister le manager à la mise en oeuvre des stratégies RSE au sein de l'entreprise. Autoévaluation et évaluation croisée avec d'autres PP.

- Système de management de qualité (ISO 9001 et 9004),

- Système de management environnemental (ISO 14004),

- Système de management de la sécurité (OHSAS 180001),

- Guide méthodologique (AA 1000-SD 21000).

Prévention

Construire la crédibilité des représentations de l'entreprise et donner confiance aux parties prenantes.

- Codes de conduite

- Certification sociale (SA 8000)

- Labellisation

Communication

Communiquer sur l'impact social de son activité et sur la performance environnementale.

- Reporting social

- Rapport de DD

- Rapport Annuel

- Bilan Sociétal / Bilan Social

Contrôle

Contrôler l'application des critères sociaux internationalement reconnus.

- Normes de performance (SA 8000)

- Normes de certification (AA 1000)

- Normes de gouvernance (OCDE)

- Tableaux de bord

Évaluation

Aider au diagnostic des performances sociétales.

- Bilan sociétal

- Notation sociétale

- Indice social danois

- SME key

Source : CAPRON M. et QUAIREL L.(2004) et le CNUCED

Le tableau ci-dessus comprend au total cinq (05) catégories de dispositifs auxquels les entreprises peuvent recourir dans leurs démarches responsables. De manière sommaire, ces dispositifs sont universellement applicables, mais pris dans les détails, chaque société s'inscrit dans un exemple bien précis. Ce tableau aurait donc été construit sur la base de l'exemplarité8(*), ce qui ferait de toutes ses rubriques (dispositif, utilité et exemples), et particulièrement celles sur l'utilité et les exemples des rubriques non exhaustives et sujettes à des critiques. Par exemple, les instruments d'évaluation, telles que définies, restent un mythe dans le contexte subsaharien en général, et camerounais en particulier.

Ce qui nous amène à nous interroger sur l'évaluation de la RSE au Cameroun en général et dans les établissements financiers en particulier.

SECTION 2 : ANALYSE THÉORIQUE DES ENJEUX DE LA RSE POUR LE SECTEUR BANCAIRE

Reprenant le point de vue partagé par T. Levitt (1958) et M. Friedman (1962), on est enclin de se demander pourquoi une entreprise dont l'objectif principal est de maximiser ses profits, engagerait des dépenses supplémentaires pour mettre en oeuvre une politique RSE. En effet, la mise en oeuvre d'une politique de responsabilité au sein de l'entreprise comporte des enjeux déterminants pour celle-ci, surtout dans le contexte actuel de mondialisation. Ces enjeux constituent une source majeure de motivation des dirigeants à s'engager dans des activités socialement responsables. Nous allons donc, dans une première sous-section, présenter les enjeux de la RSE pour l'ensemble des entreprises ; puis, dans une seconde sous-section, analyser les enjeux de la RSE pour la firme bancaire.

II-1- Enjeux de la RSE pour les entreprises

Les enjeux de la RSE pour l`entreprise sont multiples et relatives au milieu dans lequel elle opère, à son domaine d'activité et aux attentes de ses différentes parties prenantes entre autres. Dans leurs pratiques de RSE, les dirigeants d'entreprises sont généralement en phase avec le respect et la protection de l'environnement, le développement durable et la bonne santé de l'entreprise.

Selon J. IGALENS (2005) « l'enjeu premier est de pouvoir bien aligner l'ensemble des dimensions et donc ne pas les traiter de façon séparée. Il faut aussi se situer dans un contexte sectoriel. Car il ne faut pas que la RSE devienne un moyen de fausser la concurrence ». C'est-à-dire qu'il ne faut pas qu'une entreprise très en avance sur ces aspects sociaux et environnementaux soit pénalisée parce que ses concurrents n'en feraient pas autant. Prenons l'exemple de Nike qui, après des difficultés, est allé très loin dans la transparence. Les conditions de travail de certains de ses sous-traitants n'étaient pas conformes aux principes de sa Charte et cela apparaissait dans un rapport d'audit. Un consommateur a attaqué Nike pour publicité mensongère et a obtenu le bénéfice d'une transaction financière avantageuse. Du coup, Nike ne veut plus aller aussi loin dans la transparence. Aujourd'hui la responsabilité sociale est devenue un vaste sujet, très complexe, qui sollicite beaucoup de précautions de la part des entreprises. Une stratégie de RSE doit être mûrement réfléchie en amont comme le préconise à juste titre le MEDEF9(*), mais aussi dotée des capacités requises en prévision de l'entrée en vigueur de la nouvelle norme ISO 2600010(*).

Comme nous l'avons énoncé ci-dessus, les enjeux de mise en oeuvre de la RSE sont multiples et variés, les plus connus sont les enjeux managériaux, économiques, sociétaux et environnementaux. Locket et coll., (2006) distinguent aussi les enjeux théoriques et les enjeux idéologiques. P. Crifo et J-P Ponssard (2008) quant à eux, examinent les enjeux que prend la RSE sur quelques leviers classiques : décisions stratégiques, décisions opérationnelles, communication.

Nous allons tour à tour examiner les décisions ou enjeux stratégiques, les enjeux ou décisions opérationnelles, les enjeux managériaux et les enjeux économiques et sociétaux et leurs implications dans les pratiques de RSE.

II-1-1- Les enjeux stratégiques : préserver les intérêts à moyen et long terme

Le problème qui se pose ici est celui de la détermination de la stratégie à adopter vis-à-vis des exigences de responsabilité sociale. Cette stratégie peut se développer au niveau de la communication d'informations à caractère sociétal et l'entreprise pourra alors s'appuyer sur des outils existant à cet effet (les médias, internet, ou le reporting social). Il est notoire que les perspectives de croissance de marché jouent un rôle prépondérant pour justifier les choix d'investissement (P. Crifo et J-P. Ponssard, 2008)11(*). Il est clair que la RSE s'inscrit tout naturellement dans un tel schéma : par exemple les questions relatives à l'énergie renouvelable, à l'obésité et à la nutrition ouvrent de nouveaux marchés et précipitent le déclin d'autres marchés.

Ainsi, l'innovation, perçue ici comme la capacité à anticiper les besoins futurs du marché, offre des opportunités de croissance en termes de revenus et d'emplois pour les firmes et les pays. C'est le cas, certes inversé, de quelques firmes de l'industrie automobile. En effet, le constructeur automobile Krysler envisage fermer une de ses branches en France. Le fait d'annoncer la nouvelle quelques mois à l'avance permet non seulement à l'entreprise de revoir ses stratégies en terme de coût (performance économique), mais aussi, de préparer psychologiquement ses employés afin d'éviter les effets néfastes d'un licenciement soudain (aspect sociétal).

Après les enjeux stratégiques qui concernent les intérêts de long et moyen terme de l'entreprise dans ses pratiques de RSE, viennent les enjeux opérationnels, qui sont d'un horizon plus rapproché et par conséquent, concernent les décisions tactiques et courantes prises par les dirigeants.

II-1-2- Les enjeux opérationnels : Responsabilité sociale et profit à cour terme

Selon M. Kramer et M. E. Porter (2006) c'est à ce niveau que se font les arbitrages en matière de conditions de travail, de sécurité, de sous-traitance... Ces arbitrages sont pris par le management intermédiaire : responsables d'unités, responsables logistique, directeurs d'usine, .... On peut penser que c'est à ce niveau qu'est ressentie de manière la plus forte la contradiction entre la RSE et le profit à court terme, profit mesuré et analysé dans toutes ses dimensions par les multiples outils du contrôle de gestion. C'est aussi à ce niveau que les objectifs opérationnels se retrouvent le plus directement dans les critères d'évaluation servant de base à l'établissement des parts variables de rémunération.

Les procédures et outils auxquels les entreprises peuvent avoir recours pour infléchir les décisions correspondantes sont encore peu analysés. Epstein et Cornelius (2003) proposent de s'appuyer sur des sustainable balanced scorecards12(*) permettant d'inscrire les nouveaux enjeux dans les outils modernes de contrôle de gestion tels que les tableaux de bord. Une autre démarche consiste à recourir à l'exemplarité. L'exemplarité fait appel à la motivation intrinsèque des managers, satisfaction personnelle associée au fait de mettre en oeuvre des actes cohérents avec son propre système de valeur. On a, à cet effet, pu montrer que le fait d'être identifié par la collectivité pouvait favoriser l'engagement personnel.

En bref, la mise en oeuvre de la RSE engendre des coûts élevés à court terme, c'est-à-dire sur le plan opérationnel, mais constitue une source d'avantage concurrentiel sur le plan stratégique. Toutefois, les enjeux peuvent être analysés par rapport aux attentes et intérêts des parties prenantes de l'entreprise.

II-1-3 Les enjeux managériaux comme arbitrage entre critères économiques et extra économiques

Les enjeux managériaux de la RSE expriment les valeurs et le comportement des dirigeants concernant le style de management et l'esprit d'entreprise. Ils traduisent la perception que les managers se font de la RSE et sont fondés sur les motivations individuelles de ces derniers plutôt que sur des réflexions de groupe.

La tâche du manager n'est donc pas simple, car il doit piloter l'entreprise dans l'intérêt de toutes les parties prenantes. Cela suppose aussi d'arbitrer entre des critères économiques et d'autres critères qui ne sont pas toujours en « coalition » et qui ne sont généralement pas pris en compte dans les modèles traditionnels de management (croissance et profits par exemple). Le secteur de la construction en est un exemple récurrent. En effet, comment concilier les politiques de GRH actuelles des grands constructeurs automobile (contraction du personnel) à celles de protection de la couche atmosphérique (fabrication des véhicules à faible émission de CO2).

L'enjeu de la mise en oeuvre de la RSE apparait donc assez compliqué et complexe au niveau des dirigeants pris individuellement. En effet, comment rechercher des profits en menant des activités extra économiques dans un marché intérieur sans frontières ?

Il semble que l'existence d'un lien positif entre la performance sociétale et la performance financière n'est pas remise en question par les praticiens, le problème étant celui de l'échéance ou de la date à laquelle la rentabilité commence à se matérialiser. A cet effet, F. DEJEAN & J-P. GOND ont collecté en 2003, les avis de quelques organismes internationaux et de quelques gérants de fons éthiques, sur le lien entre RSE et performance économique (voir tableau ci-dessous). Il en résulte que les actions socialement responsables constituent un enjeu économique important pour l'entreprise.

Les effets de la RSE sur la performance ont été analysés à plusieurs niveaux et par plusieurs organismes. Les plus importants ont été résumés dans e tableau ci-dessous :

Tableau 2.4 : Relation entre CSR et performance économique

Organismes

Citations

CSR Europe

« Pourquoi la CSR ? Les récompenses sont énormes. Il a été démontré que la CSR est une stratégie qui fonctionne. » Un encadré liste ensuite l'ensemble des bénéfices que la CSR est susceptible de procurer : performance financière accrue, des coûts de gestion réduits, un renforcement de la valeur de l'entreprise et de sa réputation, etc..

Business for Social Responsibility

Le document disponible sur le site Internet de l'organisme et intitulé « Introduction à la CSR » commence par détailler l'ensemble des impacts positifs susceptibles d'être générés par la CSR, au premier rang desquels figure l'idée d'un renforcement de la performance financière. A l'appui de chacun des impacts, un grand nombre d'études empiriques montrant l'existence d'un impact positif de la CSR sont citées.

Gérants de fonds éthique A

« une société qui est bien avec ses salariés, avec son actionnariat, avec ses clients, ses fournisseurs et puis avec tous les gens qui travaillent avec elle, doit normalement assurer des bases solides pour croître durablement et avoir des performances financières élevées ».

Gérants de fonds éthique B

« Je pense qu'une société qui gère de manière intelligente des problèmes sociaux et environnementaux est une société dans la quelle il y a une dynamique beaucoup plus forte, où les gens sont plus productifs, et cela a une influence énorme sur la rentabilité des sociétés. Pour le social c'est une évidence, une société qui est bien gérée sur le plan social ne peut pas faire autrement que d'avoir des bonnes performances, enfin on va dire des performances économiques au moins supérieures à ses concurrentes mal gérées, ça ne veut pas dire que ce sera extraordinaire mais ça sera supérieur, ça c'est tout à fait évident. ».

Gérants de fonds éthique C

« c'est un jugement sur des sociétés qui allonge leur durée de visibilité, c'est-à-dire qu'on pense que ce sont des sociétés qui se projettent non pas sur les résultats financiers des six mois prochains mais qui se projettent à long terme. Et comme nous on est des investisseurs très fondamentaux, comme ce qui nous intéresse c'est d'investir dans des sociétés qui ont des fondamentaux très solides, on pense que ça nous donne une vision plus complète de la société »

Source : Inspiré des travaux de Frederique Dejean et Gond Jean-Pascal (2003).

Au-delà des avantages économiques potentiels que les dirigeants reconnaissent à la RSE on assiste à un renforcement d'un ensemble de pressions qui contraignent ces derniers et convergent pour leur faire adopter un comportement socialement responsable. Ces transformations de l'univers des entreprises confèrent à la gestion stratégique de l'entreprise, des dimensions sociétales. C'est ce qui fera l'objet du sous-paragraphe suivant.

II-2- Enjeux de la RSE pour la Banque

Les banques sont en général de grandes entreprises qui ont un fort impact sur le tissu économique. Leur métier les place au coeur des conséquences sociales et environnementales des activités des entreprises qui bénéficient de leurs concours. Il leur confère de ce fait une responsabilité particulière. Elles intègrent progressivement cette préoccupation à leurs pratiques depuis quelques années, pour répondre notamment à la demande de la société civile et des bailleurs de fonds. Nous montrons d'abord comment la RSE trouve son application dans le domaine bancaire avant de prêter une attention particulière à son apport au secteur de la finance.

II-2-1- Déclinaison des activités RSE dans le domaine bancaire

L'engagement des banques se décline sous différentes formes : amélioration des conditions de travail en interne, réduction de l'empreinte écologique de l'entreprise, mécénat, philanthropie et/ou financement d'oeuvres sociales, partenariats avec des ONG, clients, institutions de microfinance..., offre de produits et services responsables : prêts verts, investissement socialement responsable (ISR), épargne solidaire..., maîtrise des risques environnementaux et sociaux des investissements. Un tel engagement serait bénéfique tant pour les actionnaires que pour l'ensemble des autres parties prenantes internes et externes.

Pour Allemand I et Brullebeaut B (2007), une politique de RSE visant à satisfaire les actionnaires, en tant que parties prenantes, comporterait trois axes : la transparence, la responsabilité financière et la gouvernance. Poussées par l'évolution du cadre règlementaire, comme les accords de Bâle II, toutes les banques aujourd'hui se sont structurées par rapport au risque, avec un département spécialisé dans la gestion des risques, des instances de maîtrise des risques, des comités de contrôle interne, une direction des risques. Comme le soulignent Marsiglia et Falautano (2005), les banquiers et les assureurs, à l'intérieur de leur rôle fondamental de gestionnaires des risques, peuvent choisir d'utiliser des modèles offrant une vision globale de l'articulation du système entre les différentes parties prenantes impliquées et ainsi prendre en compte les conséquences qui découleront de leurs actions. Se soucier des impacts économiques, sociaux et environnementaux de ses activités est une manière pour une entreprise de prévenir des risques qui peuvent à tout moment venir mettre en péril sa rentabilité ou son avenir.

Au niveau du management, le respect de la diversité dans l'équipe de direction s'inscrit dans le cadre d'une politique de responsabilité sociétale. La composition de la direction générale et celle du conseil d'administration peuvent ainsi être définies de manière à respecter la proportion entre les hommes et les femmes, ou tout autre indicateur de diversité.

Au niveau des salariés, l'entreprise doit reconnaitre aux termes de Novethic, que ses collaborateurs représentent sa première source de richesse. Ils garantissent non seulement la production d'un bien ou d'un service, mais peuvent également, placés dans des conditions favorables, améliorer la qualité des produits et des services, imaginer de nouvelles façons de travailler. "L'entreprise socialement responsable a pour objectif de prendre en compte les souhaits et valorise les intérêts de ses ressources humaines en tant que condition fondamentale de son acceptabilité sa cohésion et sa croissance "13(*). Il en est de même pour les syndicats en leur qualité de représentants et de défenseurs des droits des salariés. En France, le pouvoir syndical et les revendications salariales sont importants, ils sont susceptibles d'influencer les stratégies de responsabilité sociale des sociétés françaises (Grand et al. 2005). La plupart des banques font état dans leur rapport annuel de développement durable d'accords syndicaux et soulignent leur souci d'établir un dialogue social.

Au niveau de la clientèle, la RSE évolue progressivement d'une variante philanthropique du capitalisme à des approches stratégiques pour gagner la confiance de leurs clients et celle de la société en général (Marsiglia et Falautano, 2005). Les auteurs mettent en évidence dans leurs travaux l'enjeu représenté par la RSE dans le contexte très compétitif des services financiers et d'assurance, la RSE pouvant être considérée comme un élément clé de création de valeur. La communauté financière est historiquement reconnue pour placer les considérations morales au-delà des obligations légales et opportunistes. La notion de confiance est extrêmement importante, les clients attendant des banques qu'elles soient vigilantes vis-à-vis des fonds qu'ils leur confient et de leur utilisation, notamment en les transformant en prêts (Green, 1989). Les banques ayant la meilleure visibilité sur leurs clients seraient celles qui développeraient et extérioriseraient le plus une image de développement durable (Branco, 2006).

Vis-à-vis des fournisseurs, il s'agit d'établir un nouveau type de contrat en établissant des relations à long terme. L'idée n'est plus d'obtenir le meilleur prix, en écrasant les marges de ses fournisseurs et en les changeant régulièrement, mais de bénéficier de produits ou de services de qualité constante, dans un bénéfice mutuel pour les deux parties. Le respect des engagements est une autre composante fortement mise en avant.

Pour les autres parties prenantes, s'inscrivant dans une démarche citoyenne, la politique RSE d'une entreprise vis-à-vis de la communauté (communauté locale, minorités) s'analyse par exemple à travers les politiques de mécénat ou les politiques de réduction des impacts sociétaux et de sponsoring. C'est le cas de la Barclays qui sponsorise officiellement le championnat de première division anglaise.

Cet engagement des établissements financiers en général, et des banques en particulier, est d'un apport substantiel pour les parties prenantes certes, mais également pour les banques.

II-2-2- Apport de la RSE à l'activité bancaire

Il importe avant tout, de souligner que la RSE revêt un coté non moins obligatoire à l'endroit des entreprises qui exercent en société. Le respect des normes anti pollution, le respect des droits de l'homme et des chartes de bonne conduite sont autant de facteurs qui révèlent que la RSE est mise en oeuvre avant tout, par respect de la réglementation en vigueur.

En interne, se joue la crédibilité d'un système de valeurs mises en avant comme ciment du collectif de travail. Ces valeurs ont longtemps été formalisées dans des « projets d'entreprises » (. Epstein et Cornelius ; 2003). Ceux-ci ont été complétés ou remplacés par des codes éthiques ou des recueils de principes de développement durable, nettement plus impératifs. Les salariés en souscrivant à ces textes marquent un engagement quasi contractuel à l'égard des valeurs de l'entreprise ou du groupe.

En externe, l'entreprise est dorénavant exposée à un véritable « risque de réputation ». Les résultats financiers sont oblitérés s'ils sont obtenus dans des conditions qui contreviennent aux règles déontologiques et environnementales considérées comme socialement exigibles. Et la crise, largement d'origine bancaire, rend encore plus aigue pour les établissements financiers la question de leur image.

Les banques accordent un grand soin à la publication des rapports annuels sur le Développement durable, qui sont de plus en plus fournis. En Europe, des labels récompensent les rapports jugés les meilleurs. Les rapports des grandes banques y sont d'ailleurs audités.

La RSE, en effet, est sortie d'une sphère d'ordre essentiellement éthique (Cheynel H., 2010). Pour l'auteur, on s'est avisé que l'harmonie sociale, la qualité de la relation clients et de la relation fournisseurs, la bonne acceptation par le tissu social environnant sont autant de valeurs à portée économique. Tel est le cas jusqu'au respect des normes environnementales qui témoigne d'une gestion prudente des ressources. De plus, se soucier du développement durable, c'est s'éclairer auprès des parties prenantes sur les risques et les opportunités de long terme, en matière autant économique qu'environnementale.

En bref, l'apport de la RSE est considérable tant pour les entreprises en général que pour les établissements financiers en particulier notamment les banques. La RSE permet surtout aux banques de légitimer leurs actions aussi bien en interne auprès des actionnaires et salariés qu'en externe auprès des clients, fournisseurs et autres membres de la collectivité civile.

Parvenu au terme de ce chapitre, il était question pour nous, de présenter les enjeux de la RSE pour les entreprises en général et le secteur bancaire en particulier. Pour ce faire, nous avons d'abord présenté l'éclosion du concept de sa genèse à nos jours. Puis, après avoir présenté ses instruments de mise en oeuvre et après avoir mobilisé les éléments de compréhension de la théorie des parties prenantes, nous avons mis en exergue, l'apport théorique de la RSE au domaine bancaire. Dans le prochain chapitre, nous allons, de manière empirique, vérifier les fondements et enjeux théoriques de la RSE dans le domaine de la banque.

* 2 CSR : de l'anglais Corporate Social Responsibility

* 3 Livre vert de la Commission européenne sur la responsabilité sociale des entreprise (2001).

* 4 Freeman (1984) accorde la paternité de la notion de stakeholder à une note interne du Stanford Research Institute (SRI, organisme de recherche et de conseil) de 1963.

* 5Les auteurs font référence pour cette typologie à A. Savage et A. J. Cataldo : « a multicase investigation of environmental legitimation in annual reports », research paper, 1993

* 6 Capron et Quairel-Lanoizelée (2004) illustrent ce type d'intégration par les politiques de développement d'éco-conception (pneus par Michelin par exemple).

* 7 Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement

* 8 L'exemplarité consiste à partir des cas d'entreprises précis qui ont fait preuve de succès en matière de rentabilité dans leurs démarches RSE et d'inciter leur généralisation pour en ressortir des modèles et des grilles applicables à toute entreprise.

* 9 Mouvement des Entreprises de France

* 10 La norme ISO 26000 est une norme ISO en cours d'élaboration. Elle portera sur la responsabilité sociétale des organisations et devrait être publiée en 2010.

* 11 Patricia Crifo et Jean-Pierre Ponssard (2008), RSE et/ou performance financière : points de repères et pistes de recherche, Laboratoire d'économétrie, Ecole Polytechnique.

* 12 Le Balanced Scorecard (Kaplan et Norton, 1996) répond au double objectif de gérer les demandes des différentes parties prenantes de l'entreprise et traduire les stratégies en actions opérationnelles. La notion de sustainable balanced scorecard est une extension `naturelle' du Balanced Scorecard dans la mesure où ce concept reste ouvert à l'intégration de toutes les perspectives ou parties prenantes pertinentes, notamment la perspective environnementale et sociale. La référence à la RSE (ou à la citoyenneté d'entreprise) y est d'ailleurs explicite mais il faut attendre le début des années 2000 pour qu'une attention plus importante lui soit réellement consacrée (Zingales, O'Rourke et Hockerts, 2002).

* 13 http://www.novethic.fr/novethic/site/article

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus