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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.1.2.2 Un engagement plus parcellaire

Les partis politiques et les syndicats sont décrits comme des organisations ne permettant pas à l'individu de s'exprimer librement. En revanche, les enquêtés différencient nettement le mode de fonctionnement d'Attac. Selon Cécile, le fonctionnement d'une association est plus « souple » que celui d'un parti politique. Selon elle, les prises de position des individus sont déterminées dans un parti, par « leur vision globale des choses et leur vision de la stratégie du parti ». L'absence de « projet de société » dans Attac permet aux adhérents de « se positionner plus ou moins en retrait par apport à un thème ». Pour Laurent, tandis que l'engagement politique traduit un « phénomène de croyance », l'adhésion à Attac s'apparente plus à une similitude de « perspectives ». L'idée de perspective est plus singulière et moins contraignante que celle de croyance qui suppose une adhésion totale. Soutenir une perspective, selon Laurent, n'empêche pas d' « être conscient que la vérité n'est pas absolue ».

Cécile : C'est très différent d'une forme de parti. Tu as un programme alors que dans Attac tu as des revendications. Tu as un programme général avec une vision générale de la société, il est élaboré par les militants du parti et puis il y a une structuration en tendances. Les prises de position des gens sont déterminées par leur vision globale des choses et leur vision de la stratégie du parti et tu as une organisation par rapport aux prises de position sur la société. Attac c'est un ensemble de revendications structurées autour de la taxe Tobin et de ce qui va avec, il y a un lien entre ses revendications, mais tu n'as pas quelque chose de programmatif avec un projet de société à établir. Ça permet quelque chose de beaucoup plus souple contrairement à des partis où la vision de la société détermine l'organisation. Dans Attac chaque individu peut se positionner plus ou moins en retrait par apport à un thème. Puis tu n'as pas l'élaboration de la ligne Attac par un congrès qui rassemblerait tous les adhérents qui auraient été élus sur la base de tendances. Ce n'est pas vraiment centralisé parce que le centralisme c'est le fait que la base soit représentée au sommet et donne sa confiance au sommet pour faire agir tout le monde. Attac ça n'est pas ça. C'est quelque chose de nouveau et c'est difficile à caractériser [...] Ça n'est pas un fonctionnement de parti parce que dans un parti il n'y a de légitimité que parce qu'il y a une élection par la base du parti.

Laurent : Même dans un mouvement comme Attac ce sont des gens qui portent des idées et il y a un phénomène de croyance. Mais je vois ça moins en termes de croyance mais de perspectives, on a différentes perceptions des choses, la réalité on peut la voir de plusieurs manières. On peut être conscient que la vérité n'est pas absolue tout en ayant une perspective de la société, lui donner une orientation. Le mouvement Attac est en cohérence avec ma perception et c'est pour ça que j'ai adhéré. Je vois une perception du monde, déjà le fait que ce soit international, ensuite qu'il ne soit pas radical dans son approche des choses, il s'agit plus d'orienter et de maîtriser la réalité dans un sens qui soit plus social, plus humain et plus axé vers le développement et c'est ça la direction qui m'intéresse. Il me semble que la direction d'Attac c'est celle-ci et la mienne c'est la même.

Attac est également représenté comme une organisation « ouverte » dans laquelle il est possible de rencontrer une grande diversité d'appartenances politiques ou syndicales. Par exemple, Isabelle, pour qui il s'agit du premier engagement, ne souhaitait pas adhérer à une organisations qui ait « des idées vraiment limitées »; ce qu'elle assimile au fait de « renter dans une case ». Attac lui est apparu comme un mouvement doté d'une « ouverture sur plein de choses », permettant une « confrontation d'idées [qui soit] beaucoup plus large ». De même, Laurent explique qu'il a adhéré à Attac parce qu'il est rentré en accord avec la « perspective » et les revendications que propose l'association. Il s'agit, pour lui, d'un « mouvement d'idées [...] qui est assez large ». Enfin, l'engagement de Fabien semble révélateur de l'ouverture dont les enquêtés accréditent Attac. Fabien, explique pourquoi il a préféré s'engager dans Attac plutôt que dans le groupe contre la pensée unique184(*). Ce groupe reste, selon lui, très « intellectuel » et il représente un « fonds de commerce très universitaire ». A l'inverse, Attac lui semblait être un groupe de réflexion « qui n'est pas trop fermé [...] trop spécialisé [...] trop confiné ». Il apparaît, au cours des entretiens, que cette représentation de l'association a beaucoup contribué à l'engagement des enquêtés. Toutefois, cela n'est observable que pour ceux qui n'étaient pas inscrits dans des réseaux militants (Isabelle, Laurent, Fabien, Julie), tandis que ceux qui peuvent être décrits comme étant des militants « professionnels » attachent peu d'importance dans leur engagement au fait qu'Attac soit une association. Ceci est cohérent avec le fait que l'engagement des moins militants s'accompagne d'un rejet des organisations politiques et syndicales.

Isabelle : Et du coup on s'y est intéressé, on avait eu un peu la même démarche, c'est-à-dire qu'on avait pas envie de rentrer dans un parti, parce qu'on n'est pas déterminé forcément, on a des idées mais on ne se sentait pas de rentrer dans une case, un parti qui a des idées vraiment limitées. Et là, Attac ça nous semblait un peu différent, une ouverture sur plein de choses avec des gens différents et, étant donné qu'il y a des gens qui adhèrent à la fois à des syndicats, des partis... Ça nous permettait d'avoir une confrontation d'idées beaucoup plus large.

Laurent : Et là le mouvement Attac, c'est cela avec quoi je suis rentré le plus en accord pour m'engager dans une action. C'est un mouvement citoyen qui est porteur d'une perspective sur la société et qui a des revendications pratiques, il ne cherche pas non plus à prendre le pouvoir. C'est un mouvement d'influence, ce n'est pas un lobby, c'est un mouvement d'idées et d'influence qui est assez large.

F.E: Vous connaissez le groupe de réflexions contre la pensée unique ?

Fabien : Oui, mais c'est un groupe d'économistes qui reste très intellectuel [...] Mais je préfère Attac parce que c'est plus large comme approche. Du fait que ce ne sont pas que des économistes, ce n'est peut-être pas plus mal. Ce qui m'intéresse chez Attac, c'est que c'est à la fois un groupe de réflexion, mais un groupe de réflexion qui n'est pas trop fermé, qui n'est pas trop spécialisé, qui n'est pas trop confiné. Le support du Monde Diplomatique, à mon avis, c'est quelque chose d'important. Et puis Attac, est lié à des milieux différents. Alors que le groupe contre la pensée unique, je suis d'accord avec eux, c'est bien, mais ils sont combien ? Ils sont peut-être 200, même pas. C'est resté un fonds de commerce universitaire et à ma connaissance ils ne cherchent pas à susciter des adhésions. Ils n'ont pas envoyé aux groupes d'économistes et aux professeurs d'université un courrier en leur disant « Voilà ce qu'on fait et si vous êtes d'accord, rejoignez-nous ! » [...] Peut-être que les gens de l'appel contre la pensée unique, on envie de rester un peu entre eux car c'est leur originalité et leur idée et ils ne veulent pas qu'elle soit trop partagée et diluée. Peut-être qu'ils estiment que ça n'est pas leur vocation.

Tandis que les partis politiques et les syndicats représentent des organisations « rigides » qui supposent un engagement total de l'individu, l'association est perçue comme étant plus ouverte à une multiplicité d'opinions. Cette diversité s'explique par le fait que l'adhésion à une association puisse se faire à partir d'un accord parcellaire et ne présuppose pas un engagement global185(*). Tout ce qui relève du global, comme le note Emmanuelle Reynaud, est assimilé à un engagement flou et éparpillé et est renvoyé aux partis politiques186(*). Le regroupement d'individus distincts, et parfois opposés, au sein d'une même association est d'autant plus possible, que cette agrégation est perçue comme étant éphémère. Les individus ne semblent pas être contraints par leur engagement. C'est ce dont témoignent les Attacants isérois. Beaucoup d'enquêtés, aussi bien ceux qui sont membres d'autres organisations (François, Cécile), que ceux qui n'ont pas d'autres adhésions, sont d'accords pour reconnaître que si les divergences étaient trop importantes le mouvement se séparerait. Ils se représentent Attac comme un regroupement hétérogène provisoire dans le but de soutenir un certain nombre de revendications particulières. L'adhésion ne semble donc pas être perçue comme un acte contraignant.

F.E: Il y a certaines différences entre les adhérents d'Attac [...] est-ce que ça ne risque pas de poser des problèmes de défendre la même chose pour des raisons différentes ?

Fabien : Pour l'instant ces différences ne sont pas trop affirmées, je ne le vois pas comme ça [...] Il y aura toujours moyen de se dissocier et de se dégager, le jour où on peut se sentir embrigader dans une voix qui n'a pas été celle qui était initialement privilégiée.

Laurent : Par contre au niveau des opinions politiques c'est quand même très large, il y a une gauche assez ouverte... Enfin disons modérée et une gauche assez extrême comme la LCR. Il y a une bonne partie des militants qui sont des gauchistes et il y a aussi des gens qui sont plus modérés dans leur approche et leurs perspectives. Après je sais aussi qu'il y a un groupe Attac à l'assemblée nationale, et il y a des centristes qui sont adhérents et donc Attac c'est un mouvement qui est assez hétéroclite. Je ne pense pas qu'il y ait des gens de droite vraiment. Au niveau du petit groupe Isère le discours que j'entends est assez extrémiste. Moi je ne suis pas du tour en accord avec ça.

F.E : Est-ce que ces différences ça n'empêche pas de porter un projet commun ?

Laurent : Non, bien sûr que non. Déjà ils sont d'accord pour instaurer la taxe Tobin et ils ont déjà ça en commun. Je pense qu'ils mettent le même sens derrière que moi, et en tous cas peu importe, c'est plus la manière de porter le projet qui est différente. À mon avis dans l'historique d'un mouvement, il y a un moment où les idées sont tellement minoritaires qu'on ne se pose pas trop la question, c'est peut-être après que ça peut poser problème. Il y a des moments où les mouvements se scindent en plusieurs courants.

François : Ca c'est sur tout le monde est pour la taxe Tobin, tout le monde est pour l'annulation de la dette du tiers-monde, tout le monde... Tout le monde n'est pas obligé d'être d'accord. Par exemple, je sais que sur l'OTAN on n'aura pas débats parce que je sais que si on a un débat [...] on aura des différenciations et c'est normal. On sera pas d'accord et on mènera pas d'actions ensemble sur l'OTAN. On peut avoir le débat, ça empêche pas... Mais pour déboucher sur une pratique militante... Mais tu vois je pense qu'on y est pour faire des choix ensemble, pas pour se cliver. Donc... Donc bien oui. Sur l'OTAN, entre ceux qui pensent que c'est le bras armé de l'Amérique et ceux qui disent que c'est le garant de l'ordre mondial et la stabilité et des droits des peuples, il y a quelque chose qui fait qu'on ait pas sur le même pied, qu'on est pas d'accord. Mais c'est pas grave. On ne se battra pas sur ce terrain-là ensemble. On fera le reste ensemble on fait le bout de chemin qu'on peut faire. On est en désaccord là-dessus et quand on n'est pas d'accord chacun retourne à son organisation, à ces activités, à son syndicat.

* 184 Il s'agit d'un groupe d'économistes qui a été fondé suite à l' « Appel contre la pensée unique ».

* 185 « L'engagement ne suppose plus une démarche globale d'adhésion, mais un « accord parcellaire » ». Reynaud (Emmanuelle), in Mendras (Henri), La sagesse et le désordre, Paris, Ed Gallimard, 1980, pp. 271-286.

* 186 Ibid., p. 279.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius