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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.2.3.2.2 Le risque de confusion

La seconde limite aux prises de position de l'association serait le risque de confusion avec les autres organisations qui soutiennent Attac. Plusieurs enquêtées craignent qu'Attac n'empiète sur le rôle d'autres associations, notamment dans le domaine des femmes, du racisme ou de l'écologie240(*). Ce risque est, selon plusieurs interviewés résolu du fait qu'ils participent sur Grenoble aux actions lancées par d'autres associations, qu'ils y apportent leur soutien (signature unitaire, présence de stands et participation aux manifestations), même s'ils n'y jouent pas un rôle « moteur ». Le second risque possible est le risque de confusion avec les partis politiques. La distinction qu'opèrent certains enquêtés, entre les partis politique et Attac, s'effectue en raison du degré d'ouverture, plus ou moins grand, des revendications soutenues par l'organisation. Un parti est contraint de tenir un discours « global » et de porter des revendications sur tous les sujets. Pour eux, si Attac venait à trop élargir son discours, il risquerait d'être amalgamé à un parti. Isabelle évoque l'identité d'Attac, qui n'est pas de « toucher à tout ».

Le problème des revendications et de leurs limites implique de penser l'identité du mouvement, c'est-à-dire la représentation que les adhérents ont de l'association malgré les évolutions qu'elle connaît. C'est tout d'abord, selon eux, la lutte contre la spéculation et les marchés financiers qui fondent, malgré la diversité des revendications, l'unité d'Attac. Chaque revendication porterait le même objectif. Ainsi, il serait possible de rendre compte de problèmes sexuels, écologiques et culturels241(*) sous l'angle du néolibéralisme et de la «financiarisation ». Mais plus essentiellement, c'est le projet « démocratique » et l'appel à se « réapproprier le monde » que formule Attac, qui a interpellé certains adhérents et qui constituent, selon eux, son identité. Enfin, l'identité de l'association n'est représentée dans le discours des interviewés que par rapport aux autres acteurs associatifs et politiques dont il s'agit de se distinguer. Un élargissement excessif du champ de revendications, altérerait l'identité du mouvement.

François : On se retrouve les uns les autres, sans savoir dans les mêmes associations d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée. Il y a des choses comme ça et je pense qu'Attac mène des combats de solidarité avec d'autres associations [...] Sur la dette du tiers-monde par exemple, il y a des campagnes qui sont faites avec d'autres associations bien sûres [...] Chacun sa spécificité, sa notoriété, son implantation et on se met en commun et on essaie d'avancer. Et puis, bien sûr, il y a des choses auxquelles Attac ne touche pas, et c'est très bien parce que bon... Il en faut pour d'autres et on ne peut pas tout faire.

Laurent : Je ne sais pas si le but du jeu c'est d'avoir un discours global et d'avoir quelque chose à dire sur tout ou s'il faut rester vraiment spécifique sur certains thèmes. Peut-être qu'on s'égare. Les partis politiques ont nécessairement besoin d'avoir un discours cohérent et global donc un discours sur les droits de la femme. C'est leur rôle. Pour moi dans un parti politique c'est normal et inévitable qu'il y ait des groupes de réflexion sur tous les domaines. Mais pour un mouvement d'action comme Attac ce n'est certainement pas une nécessité. Le but d'un parti politique c'est de gouverner et donc ça nécessite avoir une position sur chaque problème, ça nécessite d'avoir une perspective globale. Mais le but du jeu pour Attac ce n'est pas de gouverner donc ça n'est pas nécessaire.

François : C'est ça aussi, qui est marrant, les gens quand ils sont dans les associations et qu'ils n'ont aucun autre engagement ne le voient pas et quand on a un engagement syndical ou quand tu appartiens à d'autres, on voit qu'il y a un lien entre les deux parce que c'est le propre du parti de toucher à toutes les luttes. En tous cas, c'est ma conception du parti politique. C'est d'être présent dans toutes les luttes, les appuyer, les soutenir. D'apporter ce qu'on peut, afin de faire progresser ces luttes, et puis voilà... Et on arrive à faire des liens [...] Et c'est cette organisation-là, le parti, qui fait le lien entre toutes ces différentes luttes et qui a la prétention, peut-être un peu forte, d'en faire un moment la synthèse et de donner une vue politique directe. Il y a un sens à donner à notre engagement sur des terrains complètement différents [...] C'est pas plus que ça un parti politique, c'est pas... C'est la synthèse des luttes en quelque part.

Isabelle : Je pense que le fait de toucher à tout, il y a quand même risque. Tout simplement, parce qu'il en a d'autres qui le font, il y en a qui sont spécialisés dans l'écologie, il y en a qui sont spécialisés sur autre chose, il y a d'autres gens qui sont là pour ça. Je pense qu'Attac, s'il veut continuer à garder une certaine identité il ne faut pas qu'il touche à tout. Pour un parti politique c'est normal, c'est un peu le propre de la politique d'avoir un avis sur tous les domaines alors que ce n'est pas le propre d'un mouvement. C'est là une des grandes différences, alors après s'ils commencent à toucher à tout, ça n'est plus un mouvement mais ça devient un parti..

L'engagement des militants d'Attac apparaît indissociable de la forme associative du mouvement. Les enquêtés semblent y être attachés pour deux motifs. Tout d'abord, ils confèrent à l'association un ensemble de vertus « démocratiques ». L'association serait perçue pour la plupart comme un domaine de liberté. A l'inverse des organisations fortement centralisées et hiérarchisées, elle permettrait à chaque membre de s'exprimer. L'association rendrait possible l'expression des différences. L'adhésion n'est d'ailleurs pas perçue par les militants comme étant un processus contraignant. L'adhésion, serait un accord parcellaire que l'adhérent se réserve le droit de révoquer à chaque instant. Dès lors, les mobilisations deviennent ponctuelles. Certains enquêtés n'hésitent d'ailleurs pas à remettre en cause leur engagement au sein d'Attac.

L'adhésion des militants s'est fondée sur une revendication spécifique qui est très ciblée. Pourtant, et c'est là le second atout de la forme associative, cet engagement précis aboutit à un ensemble global de revendications. Ceux qui avaient adhéré auparavant à Attac à partir de la taxe Tobin, militent désormais contre la ratification du traité européen de Nice, contre le Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE), contre la « marchandisation de la culture »...mais ils militent également en faveur du revenu d'existence, du respect de la nature ou encore de la parité hommes/ femmes. Ces élargissements ont le plus souvent été perçus par les militants isérois comme étant en continuité avec le point de départ de l'association, c'est-à-dire, la lutte contre les marchés financiers. L'engagement à Attac constitue t-il un engagement associatif nouveau ?

Il reste ancré dans une tradition républicaine (forme associative, mouvement d'éducation populaire) mais semble inscrit vers la « modernité ». Il renouvellerait les formes classiques de la participation en rendant possible de concilier les vertus associatives avec un engagement global qui était précédemment l'apanage (avant d'en devenir le défaut) des organisations partisanes.

Toutefois, ce renouveau ne semble pas être doté de la spontanéité qu'on lui attribuait précédemment. Attac s'apparente tout autant à une entreprise de mobilisation qu'à une association de citoyens. Le lancement de l'association révèle un ensemble de préparations et de stratégies (l'éditorial de Ramonet, le gonflement des effectifs, la sur-médiatisation du mouvement) qui ont rendu possible le rapide succès d'Attac. Ce qui auparavant été perçu comme spontané devient le signe d'une mise en scène dans laquelle le hasard ne semble pas avoir sa place. L'organisation de l'association n'est alors peut-être pas aussi « originale » que les dirigeants d'Attac le proclament. Elle semble dotée d'une forte hiérarchie qui ne laisse que peu de place au local. Les vertus qui lui étaient attribuées restent de « belles paroles ». Le comité isérois semble pris dans des contradictions similaires à celles des dirigeants. Il s'avère que la structuration d'Attac se rapproche davantage d'une organisation centralisée et hiérarchisée que d'une association « souple ». Les précédentes représentations que nous avions prises comme points de départ étaient avant tous des constructions. Elles traduisent la manière dont les dirigeants présentent Attac au sein de l'espace publique.

Il s'avère que le lancement d'Attac serait une illusion. Son organisation, malgré la forme associative, serait proche du fonctionnement des « appareils » traditionnels. En revanche, qu'en est-il de la participation des militants ? En dépit de son origine et de son organisation les militants d'Attac témoignent d'un renouvellement des formes du militantisme. Il s'agirait d'un militantisme s'inscrivant aussi bien dans la réflexion que dans l'action. Cela ne témoigne t-il pas de l'émergence d'un nouveau mode de participation ? De plus, Attac s'inscrit dans une triple « terriorialité » de la protestation. A l'articulation du local et du national, se surajoute la dimension internationale dont est né Attac242(*). Cet élargissement de l'action collective ne peut pas être sans conséquences sur les modes de protestation des militants. Quelles en sont les répercussions ?

Partie 2 Participer autrement ?

* 240 Le comité local isérois entretient des relations avec de nombreuses associations, le MRAP pour la question du racisme, la confédération paysanne pour le problème de l'écologie, le Centre d'Annulation de la Dette du Tiers Monde (C.ADTM). Nous préciserons ces relations dans la suite de notre travail.

* 241 Un des enquêtés (Thomas) a spontanément abordé le problème de la « marchandisation de la culture » en cours d'entretien afin de monter en quoi il s'agit d'un problème sur lequel Attac a un droit de parole : « Il y a un groupe culture à Attac qui s'est mis en place et ça bouge [...] On veut une culture pour tout monde et on refuse la marchandisation des oeuvres d'art que ce soient les peintures, sculptures, oeuvres musicales. Je pense que cela peut avoir son importance dans la périphérie des problèmes économiques, c'est-à-dire que l'individu est aussi, c'est un individu qui a des besoins vitaux, des besoins fondamentaux [et]des besoins de création. C'est un créateur et à tous les niveaux [...] Il faut passer à ce moment-là par des écoles, même s'il faut un apprentissage à un certain niveau, aujourd'hui cet apprentissage est destiné à des élites et pour qu'elle soit rentable. Je pense qu'Attac à quelque chose à dire parce que ça fait partie des droits fondamentaux ».

* 242 Attac avait été conçu initialement par Ramonet comme une ONG.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard