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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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1.2 Les nouvelles formes de mobilisation

Les mobilisations contemporaines s'effectuent à travers le regroupement ponctuel d'un ensemble d'acteurs hétérogènes. Les manifestations donnaient, précédemment, l'opportunité à chaque organisation (associative, politique ou syndicale) de faire état de ses « forces »286(*). Il s'agissait d'« une succession de cortège syndicaux et politiques [où] chacun défilait avec les siens pour telle ou telle cause »287(*). Désormais, la participation aux mobilisations s'effectue sur un mode plus personnalisé, au cours duquel « les manifestants se retrouvent avec le mouvement ou l'association qui reflète le mieux le combat du moment »288(*). Le mode de participation à une manifestation s'effectue sur un mode plus souple et moins contraignant que précédemment289(*).

Toutefois, il existe une très forte homogénéité entre ces acteurs. Ceux-ci sont regroupés au sein d'un « réseau » qui se présente comme l'agrégation informelle d'un ensemble d'organisations et qui se constitue à travers la participation d'individus hétérogènes à un même mouvement de protestation. C'est pourquoi Aguiton définit le réseau comme étant « un système souple, où l'on travaille ensemble tout en gardant son identité »290(*). C'est au cours des quatre-vingt dix, qu'un réseau de mobilisation s'est progressivement mis en place291(*). Les événements de 1995 ont permis, par exemple, de déterminer certains points d'accords autour desquels des organisations diverses ont pu se réunir de façon éphémère. Parallèlement à cette dynamique, un autre phénomène a accentué cette mise en réseau des acteurs. Le développement des conflits sociaux à l'échelle internationale a débouché sur la mise en place d'un réseau anti-mondialiste plus large.

1.2.1 L'internationalisation des conflits sociaux

1.2.1.1 La naissance des « contre-sommets »

Depuis 1999 les conflits sociaux ont pris une dimension internationale à l'occasion des « contre-sommets ». Ce terme désigne des mobilisations qui ont lieu à l'occasion des sommets internationaux réunissant les pays les plus industrialisés de la planète (qui ont lieu dans le cadre de réunions institutionnelles292(*) ou de regroupements informels293(*)) afin de manifester un désaccord avec les décisions qui y sont prises. Les premiers contre-sommets ne sont pas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ceux de la fin des années quatre-vingt-dix. Déjà en 1989 à Paris avait eu lieu le « Sommet des sept peuples les plus pauvres » en réponse au déroulement du sommet du G7294(*). Les conférences organisées par l'ONU durant les années quatre-vingt-dix furent également le lieu de mouvements de protestation. Un forum global des alternatives eut lieu en 1992 à Rio de Janeiro lors du Sommet de la terre, une rencontre internationale consacrée à l'environnement. Pour chaque réunion organisée par l'ONU, des contre-sommets furent organisés : à Vienne en 1993 sur le thème des droits de l'homme, au Caire en 1994 sur les problèmes de population, à Pékin en 1995 sur les femmes, en 1996 à Istanbul sur sujet de l'habitat. Les contre-sommets qui ont eu lieu récemment ont la particularité de rassembler les militants déjà présents lors des précédentes mobilisations et de nouveaux mouvements295(*).

C'est à l'occasion des négociations de l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement) que la contestation « anti-mondialiste » apparu sur le devant de la scène publique296(*). Les opposants à cet accord y voyaient « sous couverts de dispositions techniques, une totale liberté de circulation des capitaux permettant aux multinationales de dicter leur loi aux gouvernements, mettant en danger la démocratie, la protection sociale et l'environnement »297(*). Les négociations de l'AMI ont commencé en 1995 au sein de l'OMC puis ont été poursuivies par l'OCDE. Au printemps 1997, des ONG Nord américaines de défense des droits de l'homme et de l'environnement ont diffusé le texte du projet afin d'alerter les réseaux associatifs qui s'organisèrent. En France, durant l'automne 1997, une campagne d'information fut menée par un collectif (la Coordination contre l'AMI) de soixante-dix organisations aux domaines d'interventions divers (Société des réalisateurs de film, Droits devant ! !, Confédération paysanne). Le Monde diplomatique fut très virulent vis-à-vis du projet d'accord, qui fut publié sur son site internet. Lors de la réunion du Groupe de négociation de l'AMI à l'OCDE (situé au château de la Muette à Paris), un collectif fut constitué et une manifestation eue lieu devant l'OCDE le 18 février 1998. Un autre mouvement de protestation se déroula le 28 avril 1998; il fut très médiatisé. En réponse à ces mobilisations, le gouvernement décida en octobre 1998 de reporter ces négociations au cadre de l'OMC jugée plus « démocratique » que l'OCDE (137 pays représentés à l'OMC contre 29 à l'OCDE). Le front de protestation s'amplifia aussitôt puisqu'en octobre 1998, un nouveau collectif fut mis en place (la Coordination pour le contrôle citoyen de l'OMC, CCOMC). C'est ce collectif qui prépara, dès février 1999, les mobilisations qui eurent lieu à Seattle.

Les mouvements de protestation qui ont eu lieu à l'occasion de l'AMI, en 1998, semblent avoir eu des répercussions assez fortes sur l'engagement des militants. Plusieurs adhérents lient directement leur engagement à Attac à la découverte de ces négociations commerciales et à la polémique qu'il y a eue alors. Par exemple Julie, pour qui décembre 1995 avait représenté une « reprise de l'action active », a été très marquée par la révélation des accords de l'AMI. Luc explique que l'AMI a été pour lui une « prise de conscience ». Toutefois ceux qui étaient précédemment les plus impliqués dans les conflits sociaux traditionnels (conflits du travail, luttes pour les chômeurs, lutte contre l'antifascisme) ont été très peu concernés par la polémique qui a eu lieu au sujet de l'AMI. Par exemple, Cécile s'est intéressée au mouvement mais elle explique qu'étant impliquée dans Ras l'Front, elle était peu informée des problèmes liés à la mondialisation. François qui militait également à Ras l'Front et à la LCR s'est peu intéressé au mouvement par manque d' « enjeux évidents » qui auraient permis une mobilisation militante. Beaucoup d'enquêtés ont été interpellé par le mouvement de l'AMI. En raison de l'absence de manifestation, cela c'est plus apparenté à une prise de conscience qu'à un acte de militantisme. En revanche, ceux qui furent les plus interpellés par cet événement (Julie, Luc, Fabien) ont adhéré à Attac dès son lancement, c'est-à-dire quelques mois après l'AMI. Il semblerait donc que leur engagement soit directement lié à cet événement298(*).

Julie : Je suis venu à Attac car un jour dans Marianne j'ai vu un petit entrefilet sur l'accord de l'AMI. Cet article analysait cet accord et là je me suis dit : « Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible qu'on laisse faire un truc pareil ! » Je crois que ça été mon déclic. Un mois après il y avait la création d'Attac et je me suis dit Attac c'est ce qu'il me faut [...] Je me suis dit ce n'est pas possible que les gouvernements laissent faire ça. Mais ce petit entrefilet ne me suffisait pas quand même pour aller manifester dans la rue et je n'ai pas participé aux mouvements de 1998 contre l'AMI. Pour que je descende dans la rue il a fallu que j'adhère à Attac [...]

Luc : Le mouvement contre l'AMI a fait partie de la prise de conscience à la même période. Il était fin 97 et quand j'en ai entendu parler, il y ait une découverte qui était faite par pas mal de gens à cette époque là. Je pense que c'était par Le Monde diplomatique que j'en ai entendu parler.

F.E : Il y avait eu des mouvements en 1998 contre l'AMI, vous étiez au courant ?

Fabien : Oui, mais je crois qu'il n'y avait pas eu de manifestations. C'était l'OCDE qui avait manigancé et tout ça en cachette et après, sous la pression de l'opinion publique, ça a été retiré. J'avais vu ça de l'extérieur. J'étais bien content qu'on en arrive là mais je n'y étais pour rien. Je suis l'intellectuel qui réfléchit dans sa tour d'ivoire et qui laisse le bas peuple se mettre les mains dans le cambouis ! [Rires]

Cécile : il y avait eu aussi un mouvement contre l'AMI que j'ai suivi de loin car j'étais pas dans Attac et j'étais plus impliqué dans Ras l'Front. Pour moi la mondialisation ça n'était pas crucial. C'est lorsque je suis arrivé à Sciences-Po que je me suis intéressé à Attac parce que c'est une thématique qu'on étudie plus la mondialisation.

François : Pour le mouvement de l'AMI, j'étais passé à côté parce qu'il n'y avait pas de mouvement populaire, il y avait des campagnes de presse et dans les réseaux intellectuels mais sur Grenoble il n'y a pas eu de traduction militante de cela donc je suis passé à côté comme beaucoup de militants. Dans mon travail quotidien de militant, il n'y avait pas matière à distribuer des tracts. Quand tu veux donner une traduction militante assez large à quelque chose, il faut qu'il y est d'autres gens qui soient disponibles et je pense que personne n'était disponible pour travailler là-dessus. Les enjeux n'étaient pas évidents.

* 286 Malgré la structure binaire de la démonstration, qui oppose l' « ancien » mode de mobilisation, aux « nouvelles » formes, qui a été adoptée afin de rendre plus explicite le propos, la coupure visible n'est pas aussi nette.

* 287 Ibid., p. 199.

* 288 Ibid., p. 199.

* 289 « Des adhérents de Sud préféreront alors pendre leur bannière syndical s'ils marchent contre le chômage, ou celle des pétitionnaires s'ils manifestent contre la loi Debré ». Ibid., p. 200.

* 290 Ibid., p. 200.

* 291 Ainsi Michel Vakaloulis observe qu'au cours des conflits sociaux des années quatre-vingt dix, « des réseaux se sont bien constitués autour de la défense des « sans », constellation effervescentes qui réunissent diverses associations aux pratiques radicales (DAL, Droits Devant ! ! Comité des sans logis) des groupes politiques d'extrême gauche et des syndicats engagés de par leur opposition combative, leur situation d'opposition, leur nécessité de sortir d'un isolement catégoriel ou bien de par une réflexion sur les implications liées à leur positionnement professionnel ». Béroud (Sophie), Mouriaux (René), Vakaloulis (Michel), op.cit, p. 183.

* 292 On peut citer les sommets de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de la Banque Mondiale (BM), du Fonds Monétaire International (FMI) et de l'Organisme pour la Coopération et le Développement en Europe (OCDE).

* 293 On peut citer par exemple le G-8 qui regroupe chaque année les huit pays les plus industrialisés de la planète ou encore le sommet de Davos qui rassemble les personnalités économiques et les décideurs.

* 294 Cf., « Porto Allegre-Davos : la guerre des mondes », Politis, 18/01/2001.

* 295Gus Masiah, président de l'Association internationale de techniciens experts et chercheurs (Aitec), déclarait que « [les manifestations organisées à l'occasion des contre-sommets] ont marqué l'entrée en scène des mouvements sociaux ; une alliance qui a trouvé un point d'orgue lors des manifestations d'opposition à la conférence de l'OMC à Seattle, fin 1999 : on a assisté à une coalition de fait rassemblant des ONG, des mouvements consuméristes écologistes, paysans, de défense des droits des « sans », etc. On a vu la naissance d'un mouvement social mondial ». Ibid.

* 296 Cf., Observatoire de la mondialisation, Lumière sur l'AMI. Le test de Dracula, Paris, L'Esprit frappeur, 1998, p. 83.

* 297 L'Observatoire de la mondialisation précise que le projet de l'AMI comporte trois volets : « Le premier consiste à accorder à l'accord en négociation le statut juridique de traité, le plus élevé dans la hiérarchie des sources de droit. Le second crée, à côté des moyens de recours nationaux offerts aux « investisseurs », un système juridictionnel autonome interne à l'AMI, qui permet aux groupes industriels et financiers effectuant des opérations transnationales de citer les Etats devant les tribunaux d'arbitrage qui ne sont ni plus ni moins que des tribunaux de commerce internationaux. Enfin, le projet de traité met en place un dispositif très savant destiné à donner aux mesures de déréglementation un caractère d'irréversibilité et à faire évoluer le texte de l'AMI dans le sens d'une libéralisation toujours plus complète ». Ibid., p. 45.

* 298 On peut supposer que la constitution de l'association ne serait pas sans rapports avec cet événement. Le lancement de l'association qui était peut-être en préparation aurait été décidé en raison de l'actualité qui était favorable au mouvement.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand