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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.1.3.3 L'inscription dans un réseau de sociabilité

La constitution de groupements humains, comme le rappelle Georges Simmel, s'explique par une communauté d'intérêts, en revanche les individus en retirent un bénéfice par la socialisation dont ils bénéficient438(*). Cette rétribution est d'autant plus importante que les intérêts des militants sont moindres. Les partis politiques, où les mobilisations s'effectuent principalement en faveur d'une minorité de professionnels, ont d'ailleurs toujours constitué des cadres de sociabilité importants439(*). Les clubs politiques, comme le note Loïc Blondiaux, ont exercé ce rôle au début du 20éme siècle. Ils constituaient des lieux de « sociabilités organisées » où la rencontre constituait une valeur en soi.440(*) Toutefois, les partis politiques remplissent cette fonction de façon moindre depuis le début des années quatre-vingts441(*). Les associations se sont ainsi substituées à eux.

Le comité local isérois constitue, comme tout groupement humain, un cadre de sociabilité. Pour Laurent, la possibilité de rencontrer de nouvelles personnes a participé à son engagement. Il voit les échanges qu'il entretient avec les autres militants comme des expériences enrichissantes. Il évoque, par exemple, la journée du 1er mai au cours de laquelle les militants d'Attac avaient tenu un stand. L'ambiance lui avait paru conviviale, ce qui l'a motivé dans son engagement442(*). Le même phénomène a également lieu dans le groupe « campus ». Isabelle reconnaît que beaucoup de jeunes assistent aux réunions afin de faire connaissance avec d'autres étudiants.

Toutefois cette sociabilité n'est pas seulement « spontanée ». Elle se déroule également à l'occasion de manifestations organisées par le comité. Par exemple, un week-end « d'éducation populaire » avait eu lieu à l'Heure Bleue en septembre 2000. En sus des conférences, des moments de convivialité avaient été organisés, tels qu'un repas ou encore des représentations théâtrales et musicales. La buvette avait également été le lieu de nombreuses discussions. Cette manifestation, comme l'explique Lionel, a connu un succès inespéré auprès des militants qui ont décidé de reconduire l'événement en 2001. De même, à l'occasion de l'Assemblée plénière qui aura lieu le 6octobre 2001, le C.A a décidé d'organiser une soirée en montagne (Gresses en Vercors, Isère). Ces moments de convivialité s'effectuent également lors des mobilisations militantes. Ce fut le cas par exemple, comme le décrit Lionel, à l'occasion du sommet de Genève en juin 2000. Les mobilisations de Nice ou Gênes ont également permis aux militants de partager certaines expériences communes. Chacun de ces événements, même les plus infimes, participe à l'élaboration d'une mémoire associative commune. Celle ci constitue le socle des mobilisations futures. Comme le note Daniel Gaxie, la participation à l'association croit avec le sentiment d'intégration au groupement militant. A l'inverse l'exclusion de ce réseau de sociabilité permet de rendre compte du retrait de l'association. La défection correspondrait alors à un manque de gratifications symboliques.

Laurent : Ce n'est pas l'efficacité qu'on prend en compte mais c'est le besoin d'essayer de diffuser sa perception et conception, et puis il y a le plaisir de la rencontre du dialogue, de la convivialité, de la sociabilité et tout ce qui fait que dans un mouvement les gens se retrouvent [...] Le militantisme c'est vraiment de la rigolade, moi quand j'y vais ça m'amuse beaucoup, c'est marrant. Moi j'ai une perspective très romanesque car je n'ai jamais vu ça et je ne connais pas et je découvre et c'est très marrant de voir ces gens qui s'organisent, quand on a fait des tracts, on était une dizaine. C'était très convivial, c'était sympathique. Ça rigole, ça dit des blagues. Quand on vendait des gâteaux, c'était marrant aussi [...] Je rencontre des gens qui sont intéressants et que je n'aurais pas rencontrer ailleurs. Donc déjà c'est le fait de la rencontre. Il y a toujours un enrichissement et un échange. C'est ça qui me plaît. Et quand ça ne m'apportera plus rien, je partirais [...]ça me plaît de croiser des gens, de discuter avec eux, il y ait une ambiance contrairement à ce qu'on pourrait penser beaucoup moins centrée sur Attac et pour l'instant ça me plaît en termes de rapports humains.

Isabelle : Et le fait qu'il y ait une antenne campus, ça permet d'être plus attractif pour d'autres jeunes. Parce qu'il y en a qui viennent pour les idées et puis il y en a qui sont là pour rencontrer des gens, comme dans tout mouvement, pour rencontrer des gens différents, qui font d'autres études... C'est toujours intéressant !

F.E : Vous pouvez me parler de L'Heure Bleue...

Lionel : Oui, c'était un moment de convivialité très réussie ! Pendant deux jours non-stop ça a tourné à plein régime avec des chants, du théâtre, un orgue de barbarie afin d'exprimer notre contestation sur un autre registre. Il y avait un repas le soir également qui était organisé. Comme beaucoup de gens ne viennent pas souvent à l'association, c'est un moment très chaleureux et très fédérateur. D'ailleurs ils ont décidé d'en organiser un autre en 2001 alors que ce n'était pas prévu au départ [...] Je me suis rendu en juin dernier à Genève, c'était à l'occasion du forum social de l'Organisation mondiale du commerce après Seattle. Il y en a un tous les dix ans. Ça durait une journée et ce n'était pas trop loin. Il y a deux bus qui avaient été loués avec la Confédération paysanne et d'autres associations. J'avais trouvé ça c'est sympathique, il y en avait même qui avaient amené le vin et le saucisson. Ça m'avait beaucoup touché !

Le comité Attac Isère témoignerait donc d'une importante sociabilité interne. Pourtant ce constat semble aller à l'inverse de l'évolution des rapports entre la vie privée et la vie militante qu'observe Jacques Ion443(*). Le « nous » auquel se réfèrent les militants et qui constituent leur identité serait de plus en plus affaibli suite aux changements de modalité de la participation associative. L'autonomisation de l'individu entraînerait le redéfinition de l'engagement. L'appartenance communautaire à l'association tendrait à se réduire tandis que l'engagement serait de plus en plus « distancié »444(*). Les observations faites par Jacques Ion rendent compte de plusieurs caractéristiques du comité local. Tout d'abord, la valorisation de l'individu, concomitante de l'affaiblissement du « nous » implique une valorisation des ressources (capital social, professionnel) personnelles. On peut observer qu'au sein du comité les compétences de chaque militant sont mises à profit445(*). Par exemple, Alda, qui est professeur d'économie se charge de la formation des militants, Odette, qui est comptable, gère la trésorerie de l'association. Enfin, Christelle qui est semi-professionnelle de théâtre s'est occupée des animations de l'Heure Bleue. Les relations de chaque individu sont également mises à profit pour la location de salle ou le tirage de tracts. De plus, la plupart des enquêtés (Fabien, Julie, Laurent, Lionel, Isabelle) se situent dans un engagement distancié grâce auquel ils conservent leur liberté d'action. Par exemple, il semblerait que Lionel refuse de s'impliquer dans son engagement afin de pouvoir s'en dégager lorsqu'il le souhaite. Alors que le mode d'engagement au sein du comité semble correspondre aux hypothèses de Jacques Ion (une valorisation de l'individu qui adopte un engagement distancié), le « nous » reste une entité forte dans l'association. Comment expliquer ce paradoxe ?

Jacques Ion explique que la présence d'un « nous » fortement structuré au sein d'une association dans laquelle l'engagement apparaît plus souple et moins contraignant traduit la résurgence de « niches identitaires »446(*). Ces niches sont des petits groupements dotés d'une forte cohésion où une partie des membres tentent de perpétuer un fonctionnement traditionnel. Les militants y préserveraient une sociabilité interne forte (un « nous privé ») dont seraient exclus les adhérents les moins impliqués. Il semblerait, qu'un tel groupement existe au sein du comité isérois. Un petit nombre de militants formeraient une « niche identitaire »447(*). Ces militants entretiennent des relations personnelles qui dépassent le cadre de l'association. De plus, ils occupent l'essentiel des fonctions de représentation et de direction au sein du comité. Enfin, ils présentent de fortes similitudes générationnelles. Ce « nous privé » exclue bien évidemment le reste des adhérents du comité. Cela explique, selon l'idée de Daniel Gaxie, la défection de certains adhérents. La participation au comité est rendue d'autant plus malaisée pour ceux situés à l'extérieur du groupement448(*). Par exemple, Cécile explique qu'il difficile de militer au sein du comité sans participer à un des groupes de réflexion.

Lionel : Je suis prudent dans mon engagement. Avant il y avait quatre groupes essentiels, un groupe sur les questions économiques, un groupe d'interpellation des élus, un groupe d'animation des activités et un groupe d'information et de diffusion. Même le groupe économie était souvent orienté vers l'action. C'est vrai que maintenant, c'est plus séduisant la façon dont c'est organisé. Ça ne me demande pas une implication sur le long terme. Faire partie d'un groupe ça voulait dire devoir participer au moins pendant une année. Parce que pour moi l'engagement c'est un risque et si moi je m'engage c'est quelque chose d'important. C'est pour ça que je ne donne que ce que je me sens de pouvoir donner [...] Nous parlons peu de notre vie personnelle ou professionnelle entre nous. Très peu. À part avec quelques personnes à la longue. Mais ce n'est pas ce qui nous rassemble, ce qui nous rassemble c'est tout à fait autre chose et donc il n'y a pas lieu de se demander ça [...] je connais peu les gens et je ne les fréquente pas en dehors des réunions. Il y a parfois des pots qui sont organisés après les réunions mais je ne reste pas longtemps et je m'éclipse souvent, une fois que le boulot est terminé... Mais il y en a qui se voient en dehors des réunions. Je ne laisse pas d'opportunités à cela et si on me le proposait, je dirais non !

Lionel : Il y a ceux qui se connaissent mieux, ceux qui font partie du groupe, par exemple dans le groupe économie de temps en temps ils se rencontrent chez l'un ou chez l'autre. Donc il y a une connaissance plus personnelle.

Cécile : C'est très difficile de militer quand tu n'es pas affilié à un groupe ou que tu n'as pas un moyen d'avoir une activité un peu régulière, c'est très difficile d'être simple adhérent, de venir aux réunions et d'arriver à faire des choses concrètes. Dans les réunions, il y a énormément de personnes, alors les débats de fond ne peuvent pas avoir lieu et l'activité est menée par les membres du C.A. et par les gens qui sont dans les groupes (exemple : le groupe info, le groupe économie). Les groupes sont intégrés à l'activité d'Attac.

La compréhension de l'engagement des militants isérois est complexe. D'une part, il s'apparente à un engagement traditionnel dont les formes sont connues (une sur-représentation des classes moyennes et des salariés de la fonction publique, une forte homogénéité générationnelle, la défense d'intérêts matériels et catégoriels et enfin une forte sociabilité interne). D'autre part, il présente de nombreux points communs avec les mouvements sociaux qui ont eu lieu récemment (référence à la citoyenneté, défense de valeurs post-matérialistes, valorisation des individus au sein de l'engagement). L'engagement des militants d'Attac Isère semble donc se situer entre deux âges. Cette contradiction apparaît d'autant plus forte chez les militants (ils reproduisent par exemple des processus d'organisation qui relèvent des anciennes structures syndicales et politiques) que chez les adhérents. Doit-on en conclure pour autant que le militantisme au sein du comité isérois relève du passé ? A quel militantisme se rattachent les formes de mobilisation qui sont à l'oeuvre au sein d'Attac ?

* 438 « Si des êtres humains se réunissent en groupements économiques ou en clans familiaux, en association ou en confraternité de sang, il faut y voir là sûrement la conséquence de nécessités et d'intérêts spéciaux. Pourtant, par delà ces contenus particuliers, toutes ces socialisations s'accompagnent du sentiment propre et de la satisfaction qu'il procure du fait que l'on est justement socialisé, eu égard à la valeur de la formation d'une société comme telle ». Simmel (Georges), Sociologie et épistémologie, PUF, 1981, p. 124. Cité dans Blondiaux (Loïc), « Les clubs politiques », Politix, 02/1988, p. 42

* 439 Par exemple, Mosci Ostrogorski qui a analysé l'évolution des organisations politique anglaises durant le 19éme siècle, observe que suite à l'élargissement du suffrage, le Caucus a étendu la propagande politique aux classes populaires par le moyen de soirées et de divertissements destinés à « créer une association de sentiments entre ceux qui sont conviés à les partager et les partis politiques ». Ostrogorski (Mosci), La démocratie et les partis politiques , Ed Fayard, 1993, 2éme éd, 1912, p. 239.

* 440 Op.cit, Blondiaux (Loïc), p. 39.

* 441 Mehl (Dominique), « Culture et action associative » », Sociologie du travail, n°1, 01/1982, p. 26.

* 442 L'entretien avec Laurent a eu lieu le 2/05/2001, soit le lendemain de la mobilisation à laquelle il se réfère. Par ailleurs, il s'agissait de la première action du comité à laquelle il participait.

* 443 Ion (Jacques), op.cit, pp. 60-64.

* 444 « Dans l'engagement distancié, c'est la personne singulière qui se trouve impliquée, voire exhaussée. La mobilisation n'y signifie pas renoncement à soi, bien au contraire. Mais cette implication personnelle est toujours circonstanciée, et suppose donc constamment sa suspension potentielle. Engagement de soi va toujours alors avec engagement réversible ». Ibid, p. 83.

* 445 Le compte rendu de la commission « Formation interne et externe » du comité isérois notait parmi les propositions qui ont été formulées à l'occasion de l'AG : « Recenser toutes les compétences des adhérents et faire appel à eux sur des thèmes précis ».Attac Isère, Rapport d'activité 2001, p. 8.

* 446 « L'évolution n'est pas rectiligne et il n'y a pas substitution d'un modèle à un autre. La figure du militant traditionnel peut ainsi se retrouver au sein même de nouvelles formes [...]C'est dire que le large mouvement d'affaiblissement du nous repéré précédemment doit aussi être mesuré à l'aune de ces résurgences fortes [...] C'est dire également qu'on ne saurait lire l'évolution selon sur un axe unique, définitivement orienté. Si nous sommes convaincus que la perspective sociétaire est bien en train de prendre le pas sur la perspective communautaire, on ne saurait pour autant éliminer de l'analyse du fait associatif contemporain toute dimension de sociabilité ». Ibid, p. 92.

* 447 Bien qu'il soit délicat de déterminer précisément la taille de ce groupement, il semblerait qu'il se compose d'une vingtaine d'individus. Toutefois, il est possible de distinguer au sein de celui ci une seconde niche dans laquelle la sociabilité interne serait encore plus marquée. Ce second groupement serait constitué de cinq ou six individus.

* 448 Une adhérente nous a expliqué les difficultés qu'elle rencontrait pour s'intégrer au comité isérois.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote