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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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2.1.b Les insuffisances du relevé épidémiologique des maladies infectieuses en prison

Dénombrer les cas prévalant et incident d'une maladie permet de la rendre visible. Tandis que les premiers cas de Sida ont été identifiés au sein des prisons d'Ile de France en 1984 et que des publications scientifiques soulignent, dès 1987, la place du VIH en milieu carcéral727(*), ce n'est qu'à partir de 1988 que l'enquête menée à un jour donné en milieu hospitalier sur l'infection par le VIH a été réalisée en milieu pénitentiaire. Depuis cette date, elle permet de suivre les évolutions des cas d'infection connus par les services médicaux au sein de la population pénale728(*). Les résultats de l'enquête « un jour donné » établissent une première augmentation de la prévalence de l'infection à VIH qui passe de 3,64% en 1988 à 5,79% en 1990, suivie d'une nette diminution de la prévalence de l'infection à VIH qui serait passée de 2,32% en 1995 à 1,2 % en 2000729(*). En revanche, tandis que le relevé épidémiologique de la séroprévalence en prison est pris en charge en France par le système sanitaire, il relève en Italie de l'administration pénitentiaire. Les prisons italiennes ont par ailleurs été beaucoup plus touchées par l'épidémie de VIH qui atteint un pic maximal en valeur relative au 31/12/1991 avec 9,73% des détenus730(*). Cette prévalence diminue progressivement au cours des années quatre-vingt-dix pour se stabiliser autour de 3% en 2000. Les données épidémiologiques révèlent aussi bien en France qu'en Italie, un lien important entre la toxicomanie par voie intraveineuse et l'épidémie de VIH. En Italie, la prévalence de la séropositivité chez les toxicomanes incarcérés a toujours été supérieure à 80%731(*). En France, le rapport IGAS-IGSJ établi en 2001 remarque qu'il ressort clairement que les usagers de drogues par voie intraveineuse représentent la grande majorité des personnes infectées parmi les personnes incarcérées732(*). L'incidence du VIH, c'est à dire le nombre de nouveaux cas, serait assez faible actuellement sur les prisons de Lyon où un seul cas séropositif a été identifié durant le second semestre 2002733(*).

Il est important de prendre en compte les conditions dans lesquelles sont réalisées ces enquêtes épidémiologiques. Comme le signale le docteur M.Rotily, la mesure de séroprévalence de l'infection à VIH soulève un certain nombre de questions méthodologiques de recueil d'information en milieu carcéral734(*). Le test de dépistage du VIH est proposé soit de manière systématique, soit de manière ciblée sur certains facteurs de risque, au premier titre desquels la toxicomanie. Chaque établissement a ainsi une manière propre de procéder en matière de dépistage. En conséquence, les statistiques prennent comme homogène des données dont les conditions de recueil sont en fait hétérogènes : le dépistage peut être proposé dans tel établissement à tous les entrants alors qu'il ne l'est dans un autre qu'aux seuls toxicomanes. Plusieurs conséquences découlent de cette absence d'homogénéité. En premier lieu, les taux de dépistage sont très variables d'un établissement à un autre. C'est par exemple le cas en Italie où la part des détenus dépistés peut varier de 0 à 100% selon la propension des médecins pénitentiaires à proposer le test aux arrivants : « La moyenne nationale de dépistage est de 25 % mais ce chiffre est très variable d'une prison à une autre puisque par exemple je connais une prison située vers Turin où le taux est de 100 % tandis qu'il y a d'autres instituts où ce taux approche 0 %. Il est de 18 % à Rebbibia [...] parce que certains médecins sont encore réticents à le proposer »735(*). On peut supposer que les taux de séropositivité sont très certainement sous-estimés736(*). Ils le sont d'ailleurs de plus en plus, selon Welzer Lang, en raison de l'extension de l'épidémie chez les hétérosexuels non toxicomanes qui ne sont pas encore considérés comme une population ayant des pratiques à risque. Ces détenus peuvent donc échapper au dépistage lorsque celui-ci n'est proposé qu'aux seuls toxicomanes. D'autre part, Michel Rotily indique qu'il existe un second biais dans le recueil des données épidémiologiques. En effet, la plupart des études réalisées à l'échelon national sont menées par des Antennes toxicomanies pour l'INSERM. Celles-ci concluent le plus souvent que 95 % des séropositifs incarcérés sont dits toxicomanes. Ainsi, « les toxicomanes apparaîtront comme le groupe de quasi exclusifs concernés par le Sida dans les prisons françaises tant qu'ils seront les seules dans certains établissements à se voir proposer un dépistage. Ces biais [...] constituent des indicateurs de la représentation (au sens d'image mentale) du Sida et de la sexualité dans l'univers carcéral. La toxicomanie constitue une forme de phénomène écran permettant de limiter le domaine de validité de la question du Sida en se dispensant un regard et d'une réflexion trop attentive sur la sexualité »737(*).

Tandis que l'épidémie de VIH semble sous contrôle au sein des prisons françaises et italiennes, un second fléau longtemps sous-estimé s'abat en milieu carcéral : les hépatites. Cette infection, très présente chez les toxicomanes par voie-intraveineuse, a longtemps été considérée comme un « incident de parcours » de la toxicomanie dont elle serait un stigmate logique738(*). Cette « maladie qui n'en est pas une » est pourtant sur-représentée en milieu carcéral depuis les années quatre-vingts739(*). Le rapport Gentilini mettait en garde les pouvoirs publics en 1996 contre l'hépatite B qui atteignait parfois 80 % des détenus toxicomanes par voie intraveineuse incarcérés740(*). Malgré les circulaires établies en 1997 et 1999, le rapport IGAS-IGSJ de 2001 relève que le dépistage des hépatites est insuffisamment développé741(*) et estime qu'au regard des estimations de prévalence de l'hépatite C dans la population pénale, une stratégie plus offensive de dépistage constitue un « enjeu de santé publique majeur ».

Les contraintes du milieu carcéral rendent la mise en place d'un réseau de surveillance épidémiologique du Sida très difficilement réalisable. Ce sont peut-être ces difficultés qui expliquent le retard de l'administration pénitentiaire face à l'épidémie. Celle-ci a pourtant rapidement rendu nécessaire l'établissement d'un dispositif de prise en charge médico-social équivalent à celui du milieu libre.

* 727 Benezech M., Rager P., Beylot J., « Sida et hépatite B dans la population carcérale : une réalité épidémiologique incontournable », Bulletin Académie National de Médecine, 1987, n°171, pp.215-218.

* 728 Dhérot Jean, Stankoff Sylvie, Rapport de la mission santé-justice sur la réduction des risques, op.cit., p.19.v

* 729 Source : Enquête un jour donné - DREES., Dr. Lalande, Froment, Valdes-Boulouque, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.25.

* 730 Marchisio Marina, «Aids e tossicodipendenza nelle statistiche sulla popolazione detenuta in Italia (anni 1990-99)», in Faccioli Franca, Giordano Valeria, Claudio Sarzotti, L'Aids nel Carcere e nella società, op.cit., pp.139-160.

* 731 Osmani Ibrahim, « Aids e tossicodipendenza nelle statistiche penitenziarie », in Faretto Anna Rosa, Sarzotti Claudio, Le carceri dell'Aids. Indagine su tre realtà italiane, Torino, L'Harmattan Italia, 1999, p.216.

* 732 Dhérot Jean, Stankoff Sylvie, Rapport de la mission santé-justice sur la réduction des risques, op.cit., p.25.

* 733 Entretien n°12, Patrick Caillon, médecin effectuant une Consultation de dépistage aux prisons de Lyon.

* 734 Rotily M., « Prévalence des pratiques risquant milieu carcéral : une enquête à la maison d'arrêt des beaux mette», Communication à la journée d'animation de l'ANRS, Sida, le système judiciaire et milieu carcéral, 30 mars 1995.

* 735 Entretien n°18, Sandro Libianchi, directeur du Sert de l'institut de Rome-Rebbibia.

* 736 C'est probablement le cas des prisons de Lyon où le nombre de tests effectués sur la maison d'arrêt Saint Paul n'était que de 90 durant le second semestre de l'année 2002.

* 737 Welzer Lang D., Mathieu L., Faure M., Sexualités et violences en prison, op.cit., p.204-205.

* 738 Ingold F-R., « L'hépatite du toxicomane, une épidémie de seconde zone », Esprit, 01/2001, n°271, pp.114-123.

* 739 Déjà en 1986, des études indiquaient un taux de détenus porteurs d'un marqueur biologique du virus de l'hépatite B supérieur à 50 %. Benezech et al. « Sida hépatite B dans la population carcérale : une réalité épidémiologique incontournable », art.cit.

* 740 Gentilini Marc, Problèmes sanitaires dans les prisons, op.cit., p.10.

* 741 D'après une enquête réalisée en 2000 sur près de la moitié des établissements pénitentiaires (Réseaux Hépatites, Hépatite C - Prisons 2000. Une enquête nationale de pratiques, septembre 2000), le dépistage ne serait pas proposé dans 29 % des établissements, ce qui apparaît considérable et en totale contradiction avec la politique préconisée. IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.66.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote