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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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1.1.2. La compagnie d'investissement mutuel96(*)

Tous les médecins ne conçoivent pas que la relation thanatologique puisse se construire sans reposer sur le rapport de confiance d'une longue relation thérapeutique, comme l'illustre l'extrait suivant tiré du témoignage d'un spécialiste pratiquant exclusivement en cabinet et offrant la possibilité d'une euthanasie active à ses patients pour autant qu'une demande claire ait été formulée.

« Et je trouve dommage que le médecin de proximité, les médecins traitants, avec lesquels les patients sont aussi censés avoir une relation de confiance durable, dans le fond se défilent, et alors que le patient doive recourir à quelqu'un aussi honnête et empathique qu'il soit, comme Léon Schwarzenberg, mais qu'il ne connaît pas97(*). »

L'idée sous-jacente à cette prise de position est que le médecin traitant ou de famille entretiennent avec le temps un rapport privilégié avec le patient, qui non seulement rend plus facile la confidence, mais permet aussi un accompagnement plus personnalisé, en respect de l'individualité du mourant et de celle de ses proches.

L'investissement médical ne se limite pas uniquement au suivi de la santé, mais la qualité de la relation est telle que le praticien et le patient nouent une relation très intime. Leur engagement dépasse de loin les seules considérations thérapeutiques. Le statut social, la vie familiale, la biographie de l'un et de l'autre se confrontent au fil des années.

Chacun d'eux y investit donc son capital social de façon différenciée de manière à en tirer un bénéfice propre qui n'est pas identique, mais non moins indispensable. Pour le patient, il s'agit en premier d'obtenir le soutien de son médecin tout au long de sa trajectoire biographique, afin que la maladie n'altère pas son insertion sociale. Pour le médecin, il s'agit de pouvoir faire la preuve de la justesse et de l'excellence de son expertise. L'échange symbolique dans ce cas engendre une réciprocité immédiate.

« Ce sont des relations intensives qui durent des années (...) . Il y a une forme d'amitié qui s'installe avec certains patients dont la perte n'est alors pas facile. Sur le moment, j'ai un sentiment de soulagement pour la personne qui part après des années de souffrance, de maladie, car dans le temps écoulé jusqu'alors était difficile. C'est le sentiment des proches d'ailleurs. C'est plus difficile si le patient est jeune.98(*) »

L'intensité et la durée de la relation créent en somme une complicité, tel que le médecin n'arrive pas à se résoudre à provoquer la mort des personnes qui en définitive lui sont devenues proches. L'investissement dans la lutte pour la survie du patient le mène donc à accepter la mort du patient, mais sans pour autant vouloir la provoquer, d'où le choix de ce médecin généraliste de suivre une formation continue en soins palliatifs.

La compagnie d'investissement mutuel diffère de la communauté d'expérience en cela qu'elle n'est pas exclusive, mais bien au contraire inclusive. En effet la dyade initiale que forment le médecin et le patient s'élargit à la prise en considération de la famille, du contexte socioprofessionnel du patient. Le médecin traitant ou de famille, en tant que praticien de proximité, est en effet plus impliqué dans la vie quotidienne de son patient, que ne peut l'être un spécialiste ou un médecin hospitalier qui ne voient leur patient que dans un laps de temps très court.

« Et puis, ils ont eu de très bons contacts, ils ont discuté et puis j'avais aussi l'impression que c'était important autant pour le père que le fils qu'ils aient pu vivre encore ça. Tu vois. Donc quand je sais des choses au niveau familial, comme ça, je les encourage, à ce qu'ils puissent se voir et discuter des problèmes. Ça me paraît important, mais j'ai plus, je ne porte plus le souci médical à ce moment-là. Je porte encore le souci relationnel99(*) »

Ce qui importe ici est le rapport de confiance. Il n'implique ni réciprocité, ni égalité, mais avant tout une reconnaissance mutuelle des appartenances respectives, des rôles différents. Il y a une dimension contractuelle à la compagnie d'investissement mutuel, car les deux protagonistes n'y engagent pas seulement leur personnalité, mais aussi leur identité sociale.

L'enjeu de cet investissement différencié du capital social et relationnel du médecin est la construction d'un « rapport d'humanité ». Il s'agit en effet de poser de façon intersubjective la reconnaissance immédiate du statut de pair, d'humain à part entière, sans aucune autre forme de procès ou de légitimation institutionnelle. La dimension intersubjective de la relation thanatologique sert avant tout à rétablir autour du mourant et du futur défunt le lien social et familial, l'appartenance en somme.

Mais pour que le médecin puisse faire ce travail symbolique une certaine distance est tout de même requise comme le signale le médecin précité ayant contribué au rapprochement d'un père et de son fils. Pour lui, en effet, l'implication totale dans la problématique du mourant empêche d'agir. À la question de la façon dont il peut préserver une certaine distance, il répond comme suit. « En tant que professionnel, tu dois garder une certaine distance, parce que si tu te laisses prendre par la problématique du patient et que tu te perds dedans, tu ne peux plus agir, tu es paralysé, donc tu dois toujours, tout en étant proche du patient, tu dois toujours garder une certaine distance qui te permet après d'analyser et puis de prendre des décisions.100(*) »

La signification de l'expérience morbide tient à la fois compte des intérêts du patient et de ceux du médecin. Dans le cas de la compagnie d'investissement mutuel, le bénéfice recherché n'implique pas uniquement le mourant, à la différence de la communauté d'expérience où la position du patient face à son expérience prime.

* 96 Le concept de « compagnie d'investissement mutuel » est empruntée au Dr. Michael Balint qui s'en sert pour décrire les modalités de l'engagement mutuel du médecin et du patient durant la relation thérapeutique.

Cf. BALINT M., Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Editions Payot, 1968, p. 265-267.

* 97 P4 249192 (146 : 157)

* 98 P8 090802 (707 :716)

* 99 P7 267418 (437 :449)

* 100 P7 267418 (378 : 392)

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