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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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1.2. Les multiples acceptions de la dignité

Consacrer un chapitre à la signification de l'expérience morbide sans aborder la question de la dignité est tout simplement impensable, à partir du moment où il est question de l'assistance médicale au décès. En effet si l'on considère les discours militants, la dignité du mourant est très souvent citée comme objectif du recours à l'une ou l'autre forme d'euthanasie.

Il semble important d'y revenir pour deux raisons. D'abord dans un souci de clarification de la notion, car malgré leur position parfois tranchée, les médecins interrogés semblent manier avec parcimonie ce mot dont le sens devient de plus en plus imprécis car trop connoté. Et ensuite, parce qu'étant plus nuancé que les prises de positions politiques et militantes, les propos révèlent la coexistence au quotidien de multiples acceptions de la dignité. Leurs préoccupations et leurs discours montrent qu'au-delà des débats éthiques, dans sa dimension opératoire, la notion de dignité mobilise des valeurs et des attentes divergentes.

1.2.1. Une dignité multiforme

À la question de ce que représente pour lui une mort digne, un médecin généraliste pratiquant les soins palliatifs met en évidence deux aspects de la dignité. « C'est le sentiment que quelqu'un a pu préserver son autonomie, même dans un contexte aussi réduit et contraint, et ne perde pas le contrôle sur elle-même. Par exemple qu'elle doive pleurer continuellement, qu'elle ne peut plus contrôler les agressions, bref qu'elle n'arrive plus à contrôler les émotions, les sentiments. L'autre aspect est que quelqu'un puisse accepter à quelque part la maladie, le décès et la mort, ainsi que ses proches par la suite. En fait que les choses sont bien ainsi. Il me semble difficile de définir ce qu'est une mort digne.106(*) »

D'un côté, la dignité se traduit par la maîtrise de soi qu'a pu conserver le mourant. De l'autre, elle renvoie plutôt au fait que ce dernier, ainsi que ces proches, arrivent à accepter la rupture qu'implique la mort. Comme si l'acceptation de l'inéluctable, passant par la reconnaissance de la condition humaine du mourant, permettait finalement l'installation du rapport d'humanité, reproduisant le lien social au-delà de la mort.

Ce témoignage montre que la dignité est étroitement liée à la préservation de la capacité d'agir du mourant et de ses proches, malgré le pouvoir annihilant de la souffrance. Pour reprendre le propos de Hans Joas, la dignité nous renvoie donc au maintien de l'intentionnalité de la personne. Ainsi la notion de dignité ramène le propos au départ de la réflexion menée sur la nécessité pour le mourant de rétablir son intentionnalité par le biais du projet thanatologique. En ce sens, il peut être admis que la dignité soit en somme la raison et l'objet du projet. Cependant, la dignité se rapporte aussi au lien social, à l'appartenance générée par le travail de deuil des proches et de l'agonisant. De ce point de vue, elle peut être considérée comme l'aboutissement du projet thanatologique.

Il est particulièrement intéressant de relever que les médecins qui pratiquent l'assistance au suicide, perçoivent la dignité dans sa dimension subjective. Ils sont particulièrement préoccupés par le fait qu'une personne puisse perdre son autonomie, la maîtrise de son corps. « Je ne vois pas où est la dignité quand l'on doit être mobilisé, tourné, quand on ne peut pas aller soi-même à selle. Je trouve en tant que personne, et non pas en tant que médecin, que ce serait plus digne de pouvoir choisir si l'on veut mourir ainsi ou non. Personnellement je ne le veux pas, j'aimerais partir avant. Je préfère choisir, c'est de ma propre responsabilité, de mon propre choix.107(*) » Ainsi ils justifient leur soutien au projet du patient par le fait que ce dernier puisse garder la maîtrise de sa vie.

La maîtrise de soi ne suppose pas seulement que la personne agisse d'elle-même, mais aussi qu'elle puisse accéder à son voeu de mourir en ayant la maîtrise de son environnement par le biais d'un lien particulier à son médecin par exemple. C'est le cas de figure qui se présente dans les situations d'euthanasie active, où le médecin et le patient, par l'intermédiaire de la communauté d'expérience conviennent ensemble que le premier agisse selon l'intention du second. C'est en somme ce que met en lumière la critique émise par un médecin à la pratique de l'assistance au suicide. « Moi, je pense qu'Exit, ça me fait le même effet, la même réserve que j'avais exprimé par rapport à Léon Schwarzenberg. Pourquoi on doit tellement prendre sur soi ? Pourquoi la vieille dame ne pouvait pas être gentiment entourée par son médecin de confiance, dans son milieu de vie habituel.108(*) » Il se réfère à une situation rapportée par le journal le Temps, où une dame âgée avait pu accédé à son voeu, mais à condition de le faire hors de l'établissement où elle résidait. Finalement l'assistance au suicide avait eu lieu en présence de ses filles, dans un minibus sur un parking. Il privilégie l'euthanasie active, car selon lui cela permet au patient d'une part de vivre plus longtemps, mais aussi d'autre part à ne pas être seul responsable de son choix.

De façon assez singulière, dans le cadre de la communauté d'expérience, le maintien de l'intentionnalité passe une maîtrise médiatisée de soi (le médecin agit au nom du patient) et par une reconnaissance interpersonnelle des aspirations individuelles, ainsi que par le maintien dans le cadre de vie habituel, le domicile. Ainsi quelle que soit la forme d'assistance au décès ou d'accompagnement médical du mourant, les deux dimensions de la dignité subjective et collective sont toujours présentes. Elles sont cependant articulées et mises en oeuvre de façon sensiblement différente. La mise en évidence de la dualité109(*) inhérente à la notion de dignité montre aussi pourquoi la dignité peut désigner à la fois l'objectif (le maintien de l'intentionnalité de l'individu) et le produit (le rétablissement du lien social) du projet thanatologique, sans que pour autant les deux aspects ne soient finalement de la même nature.

Si la définition de la dignité que donnent Luc Boltanski et Laurent Thévenot vient corroborer notre conclusion, ils apportent un autre éclairage important. En effet, dans leur ouvrage consacré au thème de la justification et des économies de la grandeur, ils expliquent la construction et la dynamique de chacun des univers symboliques qui structurent la réalité sociale. C'est ainsi qu'ils distinguent six mondes (marchand, domestique, civique, industriel, de l'opinion et de l'inspiration), chacun orientant les interactions entre les personnes et se caractérisant entre autre par une interprétation propre de la dignité. Par conséquent, il est tout à fait imaginable que la dignité ne soit pas seulement de nature duale, mais de plus qu'en fonction du monde social considéré, sa dualité trouve une expression différente. Ainsi, il peut être déduit de l'apport théorique de ces deux auteurs, que les acteurs sociaux, selon le monde duquel ils tirent leur statut social ou auquel ils se réfèrent normativement, vont avoir une certaine vision de la dignité.

* 106 P8 090802 (670 : 678)

* 107 P5 220802 (56 : 61)

* 108 P4 249192 (365 : 380)

* 109 La définition que donnent Luc Boltanski et Laurent Thévenot corroborent notre intuition. Ces deux auteurs dans leur ouvrage consacré à la justification, définissent la dignité à la fois comme qualité de l'individu, qui serait celle d'avoir la « capacité d'agir selon le bien commun » et en tant que « puissance identique d'accès à tous les états » en somme comme condition de l'appartenance à un ordre social.

Cf. BOLTANSKY L. & THEVENOT L., De la Justification. Les économies de la grandeur, 1991, p. 97-99.

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