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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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2.2.6. Le temps du mourir

En arrière-plan de l'interrogation de la qualité de vie du mourant, apparaît celle de l'évaluation du temps restant à vivre. Le temps est toujours présent dans le discours des médecins.

« Trouver là le bon moment où il faut arrêter avec la chimiothérapie par exemple, ou avec n'importe quoi, et parler avec le malade, nous sommes au bout du rouleau maintenant, on peut encore vous donner une vie paisible jusqu'à votre fin, c'est beaucoup plus « time consuming » que de faire une nouvelle chimiothérapie. Il faut se mettre à côté du lit , il faut discuter avec lui, vous avez encore peut-être une demi-année, une année à vivre, on va vous soulager, là il faut du temps, il faut de la psychothérapie, ça ne se paie pas, le traitement ça se paie, le laboratoire, les médicaments, tout ça...143(*) »

Comme le montre l'extrait, le temps est un enjeu lorsqu'il faut définir le bon moment pour prendre une décision d'ordre euthanasique, une ressource lorsqu'il s'agit de déterminer la disponibilité pour la relation au mourant et une limite, un espace déterminé, lorsqu'il s'agit de considérer l'espérance de vie du mourant. Le temps se décline donc de plusieurs façon dans le cadre de l'assistance au décès. Il se présente comme une dimension essentielle à la réalisation du projet thanatologique, dont il donc est important de comprendre la l'utilité.

Norbert Elias identifie le temps à un référentiel pour la coordination et la régulation des activités sociales, il distingue par conséquent un temps social et un temps physique. Alors que le premier a une portée normative, s'imposant aux individus pour régler leur conduite et instituant des espaces distincts, le second est considéré comme naturel, donc indépendant de la volonté humaine144(*). La médecine participe du temps social, en cela que les différentes étapes de l'expérience humaine, les différents âges de la vie sont définis en fonction des étapes physiologiques du développement humain145(*).

Les différents témoignages recueillis montrent que le corps médical est très empreint de cette temporalité biologique. Il s'avère difficile d'en faire abstraction pour mener à bien le projet thanatologique. L'âge influe beaucoup sur l'acceptation de la mort et sur la disposition à procéder à une assistance au décès. Ainsi un médecin exprime sa difficulté à suivre l'assistance au suicide des personnes relativement jeunes. « Vous savez, il y a des jeunes que je dois accompagner pour des troubles neurologiques, des scléroses en plaques, complètement paraplégiques, des atrophies cérébrales, comme la maladie d'Hocine, la sclérose amyotrophique latérale. Des gens qui lentement sont paralysés, quelquefois ce sont des gens qui ont trente-cinq, quarante ans, alors quand je dois accompagner beaucoup de gens de cet âge-là, j'ai beaucoup de peine de le faire. »146(*).

La période de la vie influe sur l'acceptation dont une assistance au décès dispose, non seulement pour les proches, les tiers sociaux, mais aussi pour le médecin lui-même. Au passage, il est significatif de relever l'absence dans le débat de l'euthanasie, de l'usage des soins palliatifs et de l'assistance au décès dans les unités pédiatriques. Non seulement les rares pédiatres contactés évitent le sujet, mais même dans la littérature spécialisée, il n'est pas fait mention de telles pratiques en pédiatrie.

La médecine joue un rôle important dans la définition des phases de la vie et notamment du moment à partir duquel une mort peut être considérée comme acceptable. Cependant cette influence a aussi un effet pervers : celui notamment de soumettre à la logique de l'activité médicale les temps sociaux de la vie quotidienne du patient. Ainsi, dans les faits, le mourant est soustrait à son environnement, à sa propre temporalité biographique, familiale. Il ne participe plus aux événements fédérateurs de la vie sociale. Jean Foucart décrit bien la perception différente du temps qu'ont le mourant et l'équipe soignante147(*). Pour le premier, il est immobile, stagnant, alors que pour la seconde, il ne cesse de s'échapper et de manquer. Si l'on en croit son discours, étant en quelque sorte reclus dans un espace hospitalier, le mourant est sans repère. Le malade, et en particulier le mourant, sont non seulement « hors temps », mais par extension aussi « hors jeu », car ils échappent à l'« interdépendance fonctionnelle148(*) » induite par l'organisation temporelle des différents mondes en présence.

A la lumière de ce qui précède, l'enjeu de l'accompagnement du mourant n'est pas forcément d'avoir plus de temps, même s'il est vrai que toute activité relationnelle d'accompagnement suppose une disponibilité et est consommatrice de temps. Il s'agit plutôt pour les acteurs d'avoir la possibilité de créer une temporalité qui leur est propre et qui permette d'inscrire le vécu quotidien de la morbidité dans un univers de sens et de relation. La production de la dignité du mourant et le travail de deuil des proches nécessitent une chronogénèse sociale de façon à structurer l'espace d'interactions.

Ceci est d'autant plus probable que le pronostic de mort inéluctable inscrit le mourant dans un espace paradoxal où le temps fait à la fois défaut au quotidien, tout en étant surdéterminé, car le mourant se pose la question du sens qu'il donnera à la période qu'il lui reste à vivre. Cette impression de vide est certainement renforcée par le fait qu'il se voit projeté dans une réalité où il ne sera plus, tout en étant inscrit dans un ici et maintenant qu'il ne peut pas définir, les repères temporels faisant défaut.

Le projet thanatologique est donc contre toute attente un processus qui pour aboutir, doit permettre l'institution d'une temporalité alternative, à la fois intégratrice du présent, de l'expérience de la mort actuelle, et à la fois indépendante du passé auquel a contribué le mourant et du futur auquel il ne participera plus. Ce, dans le but que les tiers puissent survivre à l'expérience particulière de la mort et envisager une continuité sociale indépendante de la survie de leur proche.

La liste des enjeux de la transaction médicale abordés dans ce sous-chapitre, ne saurait être exhaustive, dans la mesure où, varient, selon les mondes en présence, la constellation des acteurs impliqués, les situations singulières du mourant, les enjeux des transactions que mènent les différents acteurs. Notre regard s'est essentiellement porté sur la réalité telle qu'elle se présente pour le médecin, par conséquent il est évident que le propos ne puisse embrasser l'ensemble des enjeux en présence.

* 143 P6 947129 (658:666)

* 144 ELIAS N., Du temps, Paris, Editions Fayard, 1996, p. 129.

* 145 Les temps sociaux se juxtaposent donc aux différents stades biologique de la vie humaine et chacun d'eux supposent une intervention médicale particulière. Cf. ILLICH I., op. cit., Paris, Editions du Seuil, p. 62.

* 146 P6 947129 (243:249)

* 147 FOUCART J., op. cit., p. 85.

* 148 Norbert Elias décrit la dimension impérative du temps, montrant comment il oriente les conduites des individus, les coordonnant et les orientant, tout en articulant de façon fonctionnelle les différentes activités en présence, leur attribuant une place selon un ordre chronologique irréversible. Cf. ELIAS N., Du temps, Paris, Editions Fayard, 1996, p. 76-78.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon