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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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2.3.3. La négociation

A la question de la reconnaissance de l'assistance médicale au suicide comme une activité médicale, le Dr. Jérôme Soebel, président de l'association Exit ADMD Suisse romande, prend une position claire : « On ne doit plus dire que ce n'est pas une activité médicale, c'est une activité médicale essentielle qui est laissée à la liberté de conscience du médecin et de son patient. Et l'on doit pouvoir le former. Ce qui n'est pas le cas. Alors maintenant c'est Exit qui fait un travail de formation et d'information, on fait du mieux qu'on peut et on le diffuse. Car encore une fois, on ne veut pas avoir de monopole.161(*) ». Cet extrait montre que le médecin interrogé mène des transactions qui visent une reconnaissance officielle de sa pratique.

Il s'agit en quelque sorte de formaliser l'assistance au suicide, non seulement dans le champ juridique mais aussi dans le monde médical, afin que le rapport entre le médecin et le patient soit clairement institué, avec des tâches précises, des droits respectifs et une sécurité minimale. Il s'agit de convenir avec les autres acteurs sociaux de nouveaux rôles réglementés, constitués autour d'un savoir spécifique et transmissible. La reconnaissance recherchée est l'acceptation par l'Académie Suisse des Sciences Médicales, (organe émetteur des directives éthiques dans le domaine médical), de l'assistance au suicide, afin que cette pratique puisse faire l'objet d'un débat ouvert entre médecins.

Le même souci de reconnaissance sociale est aussi observable dans le cadre de la promotion des soins palliatifs par la Société Suisse de Médecine et de Soins Palliative. Au travers du « Manifeste de Fribourg162(*) », elle posait les bases d'une démarche de négociation entre les différents partenaires sociaux impliqués dans le domaine de la santé publique au niveau suisse, afin que la pratique des soins palliatifs soit promue, instituée et organisée avec le concours des institutions fédérales, cantonales, hospitalières et universitaires.

La particularité de la négociation est qu'elle vise avant tout la réussite du projet thanatologique, non pas seulement du point de vue de la réalisation des souhaits du mourant, mais surtout du point de vue d'une modification du système de gestion sociale de la mort. Il s'agit de travailler les conditions objectives du projet thanatologiques, afin d'obtenir un compromis qui permette d'établir la pratique considérée comme un nouveau mode de gestion médicale de la mort et ce faisant de poser les bases d'une identité médicale alternative, mais reconnue. Ce n'est pas seulement le sens du projet thanatologique qui est soumis à discussion, mais également son modus operandi.

Cette forme de transaction met en rapport tous les interlocuteurs, qu'ils soient individuels, institutionnels. Vu l'environnement multinormé dans lequel chacun des acteurs cherche à faire valoir les principes du monde dont il participe, la négociation a une dimension stratégique. Il s'agit de fonder la position et l'appel à la légitimité sur des supports symboliques adéquats et sur des procédures légitimantes susceptibles de garantir une réussite de la transaction. C'est dans ce souci de réussite que le Professeur Francesco Cavalli, oncologue reconnu et politicien, a lancé son initiative parlementaire163(*). « C'est mieux si on réussit à le régler au niveau de la loi. (...). J'ai fait mon initiative parlementaire parce que fondamentalement, je pense que c'est l'initiative parlementaire qui prenait mieux les concepts et les conseils qu'avait formulés la majorité de la commission des experts - que le Conseil Fédéral avait créé sur le problème de l'euthanasie - et qui allait dans la direction d'une dépénalisation de l'euthanasie active sous certaines conditions dont une solution un peu à la hollandaise164(*) »

Les témoignages recueillis confirment que la négociation a une visée plus offensive que les modalités de transaction évoquées jusqu'ici, dans la mesure où elle comporte une revendication à la légitimité de l'acte médical. Il est intéressant de relever que cette revendication, quelle que soit la pratique envisagée est non seulement portée par un médecin, expert de son domaine et militant, mais également relayée par des structures privées de nature associative.

Ainsi, pour les soins palliatifs, la SSMSP, mais aussi par la Ligue Suisse contre le Cancer, jouent un rôle capital. La première a un rôle plutôt politique, alors que la seconde est partenaire au niveau de la diffusion des connaissances auprès des médecins et des profanes, par le biais de la mise en place de formations continues pour les médecins et la constitution d'une bibliothèque en la matière.

Pour l'assistance au suicide, ce sont les associations Exit-ADMD, Exit Zurich et Dignitas qui jouent un rôle important quant à la diffusion des informations relatives à la pratique de l'assistance au suicide. Toutes n'ont pas les mêmes lignes de conduite pour des raisons idéologiques ou stratégiques, mais parmi leurs fondateurs respectifs se trouvent toujours des médecins.

La négociation suppose donc qu'à défaut de supports disponibles dans l'espace social, les médecins aient recours à l'initiative privée et aux structures plus ouvertes de la société civile pour faire valoir leurs prérogatives. Les associations leur servent en quelque sorte de tremplins pour faire entendre leurs revendications à un niveau politique en contournant en quelques sortes le champ médical. La négociation se passe donc en dehors du champ médical jusqu'au moment où ayant obtenu une certaine reconnaissance, une crédibilité sociale et politique, il s'agisse à nouveau de formaliser les rapports qu'entretiendra la nouvelle pratique par rapport à la médecine classique.

Ce cas de figure est parfaitement illustré par le cas de l'autodélivrance. L'autodélivrance et l'assistance au suicide désignent une pratique identique : l'ingestion d'un cocktail létal par le mourant pour mettre fin à ses jours. Le contexte objectif n'est pas le même. L'autodélivrance prend racine dans un discours visant à faire reconnaître le droit du patient à l'autodétermination quant au choix du moment de sa mort. Le plus souvent, avant la fondation des associations d'EXIT, les suicides assistés médicalement se déroulaient de façon clandestine. Le médecin, par son ordonnance, rendait l'accès aux produits létaux possible pour le patient. Ce dernier devait se procurer les différents médicaments auprès d'une pharmacie, faisait lui-même le mélange létal et procédait à son suicide à domicile, seul. Le concours du médecin traitant ne pouvait pas être prouvé, simplement supposé.

Dans le cadre de l'assistance au suicide, en tant que service offert par des associations, il s'agit d'un acte reconnu juridiquement, toléré médicalement, réglementé quant à sa procédure, soumis à un contrôle institutionnel. La négociation menée par les associations a permis une reconnaissance de l'acte, et ce faisant le rôle médical est resté indispensable au contrôle, mais est devenu secondaire quant à l'accompagnement du mourant et à l'organisation de l'acte en lui-même.

* 161 Extrait d'un entretien avec le Dr. Soebel sur la position d'Exit ADMD par rapport à l'assistance médicale au décès.

* 162 Société Suisse de Médecine et de Soins Palliatifs (SSMSP), Manifeste de Fribourg, Fribourg, février 2001.

* 163 CAVALLI

* 164 Extrait d'un entretien exploratoire réalisé avec Francesco Cavalli sur le thème de son initiative.

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