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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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2.2. La critique de la médicalisation et la relativisation du pouvoir médical

Dans une société inexorablement orientée vers le bien-être, où la santé est un bien non plus seulement collectif, mais aussi privatif, considérer la médicalisation de la mort du seul point de vue des théories de la domination sociale semble passéiste. Il convient donc d'expliciter les mécanismes de la médicalisation qui ont permis l'émergence de la question de la libéralisation de l'accès individualisé à la mort aux dépens du pouvoir médical.

La médicalisation est comprise à tort comme un phénomène uniforme, constant, reflétant le pouvoir d'une fonction médicale constamment en expansion. Cette vision repose en grande partie sur une perception de la profession médicale comme un tout monolithique invariant. Alors que comme le montre Olivier Faure, la médicalisation désigne au moins trois processus différents50(*). D'abord, il s'agit d'une augmentation quantitative et d'une diversification de la demande sociale en santé. Ensuite, elle décrit une institutionnalisation de l'activité thérapeutique en structure organisée selon des tâches hautement spécialisées dont la répartition fonde une hiérarchisation particulière du champ thérapeutique. Finalement, elle indique l'extension du champ des compétences médicales aux questions sociales et culturelles (y compris la gestion de la mort et de la souffrance).

C'est le dernier volet de la médicalisation qui nous intéresse plus particulièrement. Il renvoie à ce que Pierre Aïach dénomme la « médicalisation de la vie51(*) ». Elle se caractérise par une généralisation de la « préoccupation de santé » dans l'ensemble du corps social. Expliquant que la définition de la santé d'abord étroitement liée à la connaissance médicale, s'en détache pour s'étendre au champ social. Faisant de la santé une notion élastique, que tout un chacun s'approprie selon des critères subjectifs de bien-être, de bonheur, de capacité d'agir.

Initialement, la préoccupation de santé a été induite par le volet préventif des activités médicales de santé publique, qui visait à responsabiliser la population en ce qui concerne les comportements à risques. Le but était de promouvoir un rapport individuel et responsabilisé à la santé. Ainsi, celle-ci n'est plus uniquement comprise comme absence de maladies, mais aussi comme bien-être physique, social et moral. Néanmoins l'intégration et l'appropriation par la société civile de cette acception de la santé a conduit au développement d'un marché de biens et de services y relatifs, faisant de celle-ci un bien privatif.

Aussi, la médicalisation ne peut plus seulement être considérée comme un processus idéologique et politique visant à la mise en place d'un ordre médical prôné par une élite sociopolitique52(*), mais aussi en tant que « manifestation parmi d'autres de ce vaste mouvement qui porte sans cesse le corps au centre des préoccupations individuelles et collectives53(*) ».

Cette économie du bien-être qu'évoque Georges Vigarello par ce qu'il appelle une « attente du mieux-être, renforçée, (...), par les pratiques consommatoires et les inquiétudes sécuritaires54(*) » se traduit par une vulgarisation des savoirs médicaux au travers des magazines spécialisés et par un accès libéralisé aux connaissances médicales. Dès la santé devient un devoir individuel et non plus seulement une lutte contre le mal menée par les médecins. La fonction sociale de ces derniers est donc relativisée au profit de la responsabilité du citoyen.

Ainsi, le corps est le siège non seulement de la conscience de soi, mais sert de support à l'autonomie et à l'agir social. Le corps compris comme prolongation de soi vers le monde n'est plus seulement outil de travail, mais aussi support d'identification dont dispose librement l'individu, aux yeux de la loi, car ce dernier est considéré comme responsable de lui-même et de sa participation à la société, in extenso à l'État55(*). D'ailleurs son corps fait l'objet d'une protection particulière, qui prend la forme dans la Constitution de la garantie au citoyen de sa liberté personnelle, étant entendue, entre autres, son intégrité psychique et physique56(*).

Dans ce contexte, la relation thérapeutique ne peut plus être un rapport fonctionnel, tel que pouvait le décrire Talcott Parsons57(*), où le médecin détient l'ensemble du pouvoir aux dépens du patient. Elle n'est même plus seulement cette relation à double entrée où, comme le décrit Nicolas Dodier58(*), la pratique médicale se partage entre expertise et sollicitude. L'expertise soutient l'objectivation des douleurs du patient, alors que la sollicitude prend en compte la dimension subjective du malade qui échappe au jugement médical.

La relation thérapeutique se mue en relation de service sanitaire59(*), où le paternalisme médical fait place au clientélisme, où l'expert n'est plus confronté à un profane ignorant de son état, mais à un individu autonome expert de son propre bien-être. Le médecin versé dans une relation de service sanitaire et membre à part entière de la société civile, ne comprend plus forcément lui-même les raisons de l'asymétrie relationnelle que lui impose son expertise et son activité, lorsqu'il s'agit de juger de la souffrance du patient au-delà des douleurs symptomatiques liées à la pathologie. C'est cette incompréhension qui génère le malaise et l'ambivalence éprouvés par un médecin-conseil d'Exit qui, tout en insistant sur la nécessité de la présence médicale, concède que « c'est également une pression de dire non, quand le patient aimerait du pentobarbital60(*) ».

L'accès au produit létal étant juridiquement soumis à la décision médicale, dans certaines situations le médecin se perçoit et est perçu comme « un obstacle » à l'autodétermination du patient, car il est « le seul à décider si oui ou non61(*) » le patient peut accéder à une assistance au suicide. Cette position de force est cependant très relative, car le clientélisme que suppose une relation sanitaire de service, conduit le patient déterminé à s'adresser à un autre médecin pour obtenir une ordonnance sans autre forme particulière de contrôle.

Au-delà des considérations objectives, il y a également une dimension interpersonnelle au malaise du médecin. En effet, la souffrance et la douleur étant ressenties de façon subjective par le patient, le praticien ne se sent pas en droit de juger de l'intensité de la souffrance d'autrui. Il est plus aisé pour lui de guérir une personne ou de trouver un traitement plus adéquat qui soulage finalement le patient de ses douleurs, car dans ces cas les personnes renoncent à une assistance au suicide.

Au final à y regarder de plus près, on peut constater que ce sont des médecins qui portent et soutiennent les démarches menées par les associations défendant le droit à l'autodétermination des patients, comme Dignitas ou Exit-ADMD. Ce sont également des médecins qui militent pour une dépénalisation, voire une légalisation, de l'euthanasie active, comme Franco Cavalli, parlementaire socialiste à l'origine de l'initiative du même nom en septembre 2000.

L'engagement des médecins pour un accès libéralisé à la mort témoigne en somme d'une transformation profonde du rapport entre la société civile et le corps médical. L'hypothèse qui peut être formulée ici en ce qui concerne la gestion sociétale de la mort est que la médecine contribue à une individuation du rapport social à la mort. Le soutien médical à la pratique de l'assistance au décès traduit une perception différente du patient en tant que personne autonome, disposant d'elle-même, et dont la liberté individuelle prévaut sur la garantie de protection que lui offre l'État.

La médicalisation du traitement social de la mort, plus qu'un simple contrôle thanatocrate, participerait de la mise en place d'une nouvelle corporéité, à l'image de ce qui a pu être observé dans le cadre du débat sur l'avortement, où les femmes, en s'appropriant leur corps, ont donné une dimension autre à leur participation à la vie sociale. Ceci influence les processus sociaux de signification de l'expérience subjective de la mort et de définition sociale de l'appartenance sociale.

* 50 FAURE O., « La médicalisation vue par les historiens », in AÏACH P. et DELANOË D., L'ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Éditions Economica, 1998

* 51 AIACH P, « La médicalisation » (conférence), in Parcours, les Cahiers du GREP-Midi Pyrénées n° 13 / 14 (1995-1996).

* 52 Selon Jean-Claude Guyot décrit la médicalisation comme étant à la fois un phénomène technique, en tant qu'appropriation d'un domaine spécifique de connaissances ; sociétal, en cela qu'il conditionne des comportements sociaux de la vie courante ; et finalement idéologique et politique, car il consiste en la promotion d'un ordre médical orientant le fonctionnement des institutions sanitaires et sociales en fonction de normes et de valeurs propres au champ médical que partage plus ou moins l'élite sociopolitique. Cf. GUYOT J. C., « La médicalisation de la douleur », in Claverie B. et alii (s/s la dir. de), Douleurs. Société, personne et expressions, Paris, Editions Eshel, 1992, p. 23-25.

* 53 FAURE O., « La médicalisation vue par les historiens », in AIACH P. et DELANOE D., L'ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Éditions Economica, 1998, p. 64.

* 54 VIGARELLO G., Histoires des pratiques de la santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen-Âge, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 332.

* 55 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (État le 11 mai 2004), art. 6.

* 56 Ibid., art. 10.

* 57 PARSONS T., The social system, New York, New York Press, 1955, cité par SALIBA J., « Les paradigmes des professions de santé », in AÏACH P. et DELANOË D., op. cit., p. 43-85.

* 58 DODIER N., L'Expertise médicale. Essai de sociologie sur l'exercice du jugement, éd. Métaillé, Paris, 1993.

* 59 LE BLANC G., « Le conflit des médecines », in Esprit, no 284, mai 2002, p. 78.

* 60 P5 220802 (191 :192)

* 61 Ibid. (223 :224)

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote