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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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3. L'épuisement du sens thérapeutique

Le contexte suisse de l'assistance médicale au décès, comme dans toutes les sociétés occidentales, se caractérise par l'absence de rites liés à la mort (mis à part dans quelques cantons fortement catholiques), par une désacralisation de cette dernière et finalement par une sécularisation de sa gestion sociale et hospitalière. L'absence de poursuites pénales en cas d'assistance médicale au suicide laisse même entrevoir que la Suisse jouit d'un contexte légal et social assez libéral en matière d'assistance au décès.

Cette réalité conjuguée au cantonnement de la mort dans l'univers hospitalier définit un cadre normatif relativement peu contraignant pour les médecins en matière de gestion de la mort et de la fin de vie, la pratique de l'euthanasie active étant mise à part. Pourtant, cette liberté se révèle relative tant pour le mourant que pour le médecin, eu égard à la contrainte d'autodétermination qu'elle suppose quant au sens qu'il faut donner à une expérience aussi difficile, voire dramatique que peut l'être l'agonie d'un proche, respectivement d'un patient.

L'accompagnement médical du mourant s'inscrit dans un référentiel normatif plurinormé. La mort ne fait plus l'objet de rites prédéfinis, susceptibles de guider indubitablement les conduites individuelles, mais d'une ritualité62(*) qui vise à la construction collective d'un sens commun à l'expérience subjective de la mort, au rétablissement d'un monde commun, d'une appartenance pour les vivants. Le personnel hospitalier, au même titre que la société civile, ne dispose pas de normes de conduite et, le plus souvent, « de formation spécifique pour tenir son rôle dans le drame de la mort. Et (...) chacun a une opinion divergente sur la façon dont le malade doit affronter la mort63(*) ». Par conséquent, le médecin autant que le patient sont démunis face à une mort à laquelle ils n'ont d'ailleurs jamais été confrontés avant d'entrer dans le milieu hospitalier.

Concernant les étudiants entrant dans la phase clinique de leur formation, un médecin déclare même qu' « ils sont médecins, presque, et ils n'ont jamais vu un mort. Ici en Suisse. Cela dépend encore du canton, s'ils sont fribourgeois, ils ont vu, s'ils sont lausannois, ils n'ont pas vu. Cela dépend des religions et ce que l'on fait des corps. Après je leur demande, bon maintenant qui de vous a déjà vu mourir quelqu'un. Et là en moyenne, il y en a deux et il y en a dix qui se disent ouh, là, là celle-là qu'est-ce qu'elle nous embête64(*). ».

Ainsi au-delà du sens thérapeutique de son activité, le médecin est dans l'impossibilité d'agir lorsque par la volonté du patient ou par l'inéluctabilité de la mort de ce dernier, le sens de son activité vient à faire défaut et que son intervention thérapeutique perd sa pertinence. Formé à guérir, à soigner, à exercer une médecine objective et objectivante, à poser un regard expert sur le patient, le médecin vit mal la perte de son patient. Il se voit inutile, voire même coupable de n'avoir pu le sauver. Ce n'est souvent qu'avec l'expérience que le sentiment de responsabilité illimitée, voire même l'impression diffuse de culpabilité se résorbe, comme l'explique ce médecin pourtant ancré dans le modèle professionnel de la vocation : « quand tu es débutant tu te dis que tu ne connais pas assez et que tu ne fais pas assez bien les choses. Tu te responsabilises pour des choses qui sont de l'ordre de la vie, quoi. Et puis au fur et à mesure que tu as de l'expérience, tu te rends compte qu'à un moment donné les gens doivent partir, soit qu'ils partent en bonne santé ou qu'ils partent à cause d'une maladie. C'est l'histoire de chacun65(*). ».

La responsabilité du médecin traitant vis-à-vis de la santé de son patient se maintient aussi longtemps que ce dernier vit. Son expertise oriente le patient au sein de l'institution hospitalière, en définit la trajectoire de malade. Cependant lorsque la fin de vie se présente, à défaut de rites, c'est la dimension particulière qui reprend le dessus. « C'est l'histoire de chacun ». Le maintien de la présence médicale auprès du patient mourant suppose donc un rôle, une présence signifiante pour autrui, et à la fois sensée pour le médecin, particulièrement lorsque le sens thérapeutique fondateur de son identité professionnelle s'épuise.

3.1. L'exigence de signifier l'expérience subjective de la morbidité

L'expérience subjective de la souffrance peut être particulièrement déroutante en fin de vie. Elle réduit la communication, malmène les relations affectives. Elle ébranle les certitudes qui ont permis l'ancrage social du patient tout comme en témoigne un médecin généraliste faisant ses premiers pas dans la pratique des soins palliatifs, dans des établissements médicaux sociaux de sa région : « c'est que de toute façon on peut pas effacer (silence prolongé) la colère de la maladie qui prend les gens trop tôt ... la souffrance, la séparation d'avec leur famille. On peut pas effacer l'angoisse de la mort quand même et puis ça, comme médecin, on est parfois ... disons peut-être la personne qui allons pouvoir accompagner la personne là dedans, mais parfois pas du tout66(*)».

Du point de vue du médecin, l'accompagnement médical du mourant n'est pas toujours possible, car il reconnaît que ce qui importe est « le besoin de chacun de trouver des réponses face à la souffrance, donc en fait des réponses personnelles67(*) ». Il concède donc que son autorité et son intervention ne peuvent se substituer à la détermination par le patient mourant de sa propre expérience. Son pouvoir institutionnel et symbolique ne peut pas remplacer la signification subjective de l'expérience, car le patient a besoin de se réapproprier son histoire et son parcours.

Ces considérations nous renvoient aux propos de Patrick Baudry concernant la ritualité funéraire. Selon lui, l'enjeu de la ritualité est « celui d'un positionnement de soi dans un espace-temps qui permet le rapport au défunt68(*) ». En somme selon lui, les interventions sociales autour du mourant ont valeur de justification, car elles ont pour but de dire et de construire l'identité sociale des survivants en dehors de celle du mort, devenu le défunt69(*).

Si l'apport de cet auteur à la compréhension des rites funéraires est indéniable, la question qui subsiste est celle de la construction du statut de défunt à partir du moment où la mort à venir est annoncée. Les déclarations des médecins laissent penser que le processus de justification - étant entendu ici qu'il s'agit de la genèse du statut de défunt et de la recomposition du tissu social en l'absence du mort - débute d'ores et déjà durant l'accompagnement du mourant en phase terminale. En effet, pourquoi la détermination des conditions subjectives du décès, qu'elle soit initiée par le patient ou son médecin, ne participerait-elle pas non pas seulement d'une mise en scène de la mort, mais aussi de l'anticipation, de l'énonciation de l'appartenance passée et des appartenances à venir ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre comment d'une part le mourant se réapproprie son histoire, d'autre part comment l'intervention médicale contribue à la construction de cette continuité biographique et in fine sociale.

3.1.1. L'accès au statut de défunt

Il est intéressant que les médecins, quelle que soit finalement la forme d'assistance au décès qu'ils soutiennent, soulignent tous la nécessité pour le futur mourant de s'approprier son histoire. Comme si la reconstitution d'un enchaînement biographique permettait au patient de retrouver la dimension sociale de son identité, de la refonder indépendamment de son identité de malade.

Ils ne cachent d'ailleurs pas que le résultat de ce « travail biographique70(*) » que fait le mourant avant de décéder leur échappe en grande partie. Ainsi, un médecin s'étonne de la réaction d'un jeune homme d'une trentaine d'années confronté au choix de devoir ou non recourir à un retrait thérapeutique, affirmant que « lui a pris une option qui était absolument surprenante pour quelqu'un qui voulait mourir, il a décidé qu'il voulait réfléchir. Il a réfléchi, il a réfléchi avec son amie, et il a décidé de se marier et donc on a célébré aux soins intensifs avec la présence d'un prêtre et de la famille, le mariage. Ils n'avaient pas eu le temps de le faire. Ils se sont mariés et deux jours après, la famille, l'amie lui ont dit on est prêts et maintenant on va arrêter la machine. Et on a arrêté la machine71(*) ».

Le patient, atteint d'une sclérose en plaque amyotrophique, doit décider s'il veut ou non maintenir une assistance respiratoire dont il ne voulait pas au départ, mais dont il est devenu dépendant. Le patient se sachant proche de la mort, mais s'étant présenté aux urgences hospitalières dans un état respiratoire l'empêchant simplement de parler, les médecins urgentistes la lui avaient posée dans l'ignorance involontaire de ses directives anticipées. Finalement, le patient fait le choix de se marier, en somme d'accomplir un acte d'appartenance, un acte conscient, réflexif, lui permettant de réaffirmer son lien familial, son amour, comme si cet acte facilitait en somme le départ, l'expérience de la fin inexorable. Le souci du patient semblait être, autant que possible, de ne pas laisser derrière lui un sentiment d'inachevé.

Le statut de « défunt » est un état d'aboutissement, qui entérine l'achèvement d'une vie sociale. Ce qui étonne dans la situation présentée, c'est que le mourant participe par la réalisation de sa volonté, de ses propres désirs, à la construction de ce statut, alors que dans le passé cette détermination des conditions auxquelles une vie pouvait être considérée comme réalisée, achevée était uniquement déterminée par le clergé, le monde religieux. Dans le cas de ce patient atteint de myopathie, la fin n'aurait pas été possible sans le concours de la médecine qui, en différant la mort immédiate par un certain contrôle du corps et de la souffrance, a créé un espace-temps durant lequel le malade pouvait subjectivement aménager son décès et construire son futur statut.

Ce qui est intéressant est que le médecin semble pourtant considérer l'issue comme satisfaisante. Le problème initialement posé par le recours erroné à l'assistance respiratoire et par le retrait thérapeutique induit par cette erreur, s'estompe au profit du rétablissement d'une identité sociale, d'une continuité biographique conforme à la situation personnelle de l'individu.

L'échec thérapeutique et l'inéluctabilité de la mort sont donc acceptables pour le médecin et le patient à condition que ce dernier retrouve son identité sociale, son « identité narrative72(*) », dont la maladie, la souffrance l'ont partiellement privé.

* 62 BAUDRY P., La place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, 1999.

* 63 STRAUSS A. (textes réunis et présentés par Baszanger I.), La trame de la négociation. Sociologie quantitative et interactionnisme, Paris, Editions L'Harmattan, 1992, p. 120-121.

* 64 P4 249192 (675 :681)

* 65 P7 267418 (786 :792)

* 66 P9 05092002 (741 :746)

* 67 Idem (750 :752)

* 68 BAUDRY P., op. cit. , p. 40.

* 69 Le défunt au sens étymologique du terme signifie « qui a accompli, achevé sa vie », selon la définition tirée du site : Le Trésor de la Langue Française informatisé. http://atilf.atilf.fr , 13 juin 2005.

* 70 La notion de « travail biographique » est emprunté à Isabelle Baszanger qui l'utilise pour décrire le travail identitaire auquel se livre le malade pour gérer sa trajectoire de malade. Cf. BASZANGER I., « Introduction : les chantiers d'un interactionnisme américain », in STRAUSS A., op.cit., p. 42-43.

* 71 P11 169632 (1123 : 1129)

* 72 Danilo Martucelli définit l'identité narrative ,comme le résultat d'un travail discursif, qui consiste en la production d'une représentation unitaire et cohérente de soi en un individu singulier mais à partir d'éléments qui restent non moins sociaux. L'enjeu est l'affirmation d'une ipséité, soit une permanence, une cohérence de soi, et d'une mêmeté, en somme d'une similitude aux autres, pour pouvoir fonder une appartenance. Cf. MARTUCELLI D., Grammaire de l'individu, Paris, Editions Gallimard, 2002, p. 367-372.

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