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J. Alain MABIALA
Mémoire de fin
d'études
Université d'Evry Val
d'Essonne-Paris
Master 2 droits de l'homme et droit
humanitaire
2007-2008
Place des victimes devant la justice pénale
internationale
« Ayant à l'esprit qu'au cours de ce
siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont
été victimes d'atrocités qui défient l'imagination
et heurtent profondément la conscience humaine. Reconnaissant que des
crimes d'une telle gravité menacent la paix, la sécurité
et le bien être du monde. Déterminés à mettre un
terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à
concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes. (...)
Déterminés, à ces fins et dans l'intérêt des
générations présentes et futures, à créer
une Cour pénale internationale permanente et indépendante
(...). »1(*)
« Les victimes doivent être traitées
avec compassion et dans le respect de leur dignité. Elles ont droit
à l'accès aux instances judiciaires et à une
réparation rapide du préjudice qu'elles ont subi, comme
prévu par la législation nationale. »2(*)
« Il ne peut pas y avoir de paix sans justice, pas
de justice sans lois et pas de lois véritables sans une Cour qui
décide ce qui est juste et ce qui est illégal en toute
circonstance.»3(*)
« Devant la Cour pénale internationale les
victimes ne sont plus, effectivement, ignorées mais sont encore loin
d'être sauvées. L'homme entendu comme victime restera, sans nul
doute, un éternel « Spartacus »4(*) à la conquête de sa
liberté »5(*).
Sous la direction de : Céline
RENAUT
Chargée d'enseignement à 'Université
d'Evry-Val d'Essonne
Chargée de cours
à l'Institut d'études politiques de Paris


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D'emblée, l'idée d'écrire sur la
place des victimes devant la justice pénale internationale est
en corrélation parfaite avec mes convictions à la fois
scientifiques et personnelles.
Scientifiques parce que, traditionnellement, le droit
international est un droit qui règle la relation entre les États.
Il en est ainsi également pour le droit des conflits armés.
Aussi, les tribunaux ad hoc - considérés par la doctrine
dominante comme des « laboratoires » de la Cour
pénale internationale - n'ont attribué à la victime
qu'une place mineure devant la justice pénale internationale. De ce
fait, la victime entendue au sens de l'individu occupe une
place désormais substantielle dans le dispositif de la justice
pénale internationale.
Personnelles parce que, j'ai cru que, (pendant tout mon
parcours académique que le 20ème siècle
après avoir prouvé ses limites avec les deux guerres mondiales),
le 21ème siècle devrait laisser la place à une
justice pénale non sélective, impartiale, effective et
équitable.
Cependant, le dit siècle continue, dans cette
même lancée, de cautionner la folie humaine en privilégiant
les intérêts égoïstes, n'hésitant pas à
détruire des populations, hommes, enfants et femmes, pour la
quête des matières premières; en laissant des familles
entières dans le deuil, la mélancolie et dans
l'impossibilité de revendiquer leurs droits devant la justice
pénale internationale.
Alors que le monde actuel a besoin de vivre dans une
société « universelle » exempt de toute
impunité. Car la victime des crimes internationaux subit un traumatisme
réel et ne peut trouver gain de cause que si les Etats appliquent et
respectent ce qu'ils ont librement signé et ratifié: le statut de
Rome créant la Cour pénale internationale (CPI) adopté le
17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002.
En étudiant les droits humains et droit humanitaire,
plus précisément le droit pénal international à
l'université d'Evry Val d'Essonne-Paris, je sais, d'ores et
déjà, que mon oeuvre est appelée à vieillir puisque
d'autres scientifiques viendront apporter des contributions substantielles.
Surtout si je considère, comme le De cujus MAKOUNDZI-WOLO disait
constamment, les droits humains comme une « gageure, un pari qu'on
n'est jamais sûr de gagner mais sûr de perdre. »6(*).
En effet, ces dernières années, il y a eu en
Afrique et dans le monde d'autres drames que le Rwanda, l'ex-Yougoslavie ou la
Sierra-Leone en laissant un nombre incalculable des victimes. Comme ils sont
restés dans l'ombre, aucun tribunal pénal international n'a
poursuivi les responsables7(*).
C'est pourquoi, malgré les innovations évidentes
de la Cour pénale internationale (CPI) que j'aurais l'occasion de
détailler tout au long de mon travail, nous sommes encore loin d'un
« État effectif de droit pénal international ».
Certains Etats tels les Etats-Unis8(*), la France...violent
délibérément, pour des intérêts politiquement
égoïstes, le statut de Rome créant la Cour pénale
internationale9(*).
Ce n'est pas la puissance qui doit donner le droit de
décider de ce qui est bien et ce qui ne l'est pas. De plus, les crimes
des vainqueurs des différentes guerres, surtout s'ils sont encore au
pouvoir, semblent échapper à ces juridictions10(*).
Mais tous souhaitent-ils vraiment la justice ? Et quelle
justice ?
La nécessité d'une justice pénale sans
frontière est d'autant plus évidente et nécessaire que le
crime est une réalité touchée par la « mondialisation
». Le trafic de la drogue, des armes, des matières
premières, des minerais précieux a pris des dimensions
incroyables. Des sociétés multinationales et même des
gouvernements ont des comportements «mafieux»; certains conflits
particulièrement meurtriers ont une odeur de pétrole ou un
goût de diamant11(*).
Des questions délicates devront être
résolues pour que la justice pénale internationale soit efficace
et équilibrée, qu'elle ne soit pas une justice des pays riches
imposée aux pays pauvres. Il faudra notamment trancher la question de
l'immunité des dirigeants pendant et après leur mandat.
L'expérience montre que pour éviter la paralysie du pouvoir, il
faut des règles précises pour lever l'immunité des
dirigeants.
L'expérience semble démontrer aussi que
l'amnistie facilite le renouvellement des dirigeants. Pourtant, certains crimes
crient vengeance et ne peuvent rester impunis. Cette tâche devrait
être l'oeuvre des juristes et de la société civile, en
particulier des organisations qui luttent pour le respect des droits humains.
L'histoire de l'humanité n'est-elle pas, notamment, un
long effort pour remplacer la violence par l'instauration d'un État de
droit ?
Je pense qu'il n'y aura pas de sécurité et de
paix pour les victimes des crimes les plus abominables et de la folie humaine
en particulier pour les pauvres, aussi longtemps que certains pourront
impunément étouffer, exploiter et terroriser des populations,
provoquer des massacres, entretenir la violence.
Ainsi, une justice pénale internationale unique, non
sélective, impartiale, sereine, objective et universelle constitue et
resterait la panacée aux différents crimes contre
l'humanité, aux violations massives de droits humains
perpétrées par certains Etats.
Ce faisant, la justice pénale internationale ne pourra
atteindre son objectif que si les victimes sont parties prenantes à
cette volonté de restaurer un ordre brisé par des crimes d'une
extrême gravité. Car depuis toujours, « ces victimes ne
paraissent être que des ombres - sans visages, sans voix, sans
lumière - condamnées à gémir en silence ou à
combler leur frustration par l'exercice d'une vengeance sauvage qui peut
doucement faire glisser l'humanité dans l'enchaînement cruel des
haines éternelles »12(*).

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Que ce mémoire
m'offre l'occasion de remercier tous ceux, famille et amis, qui ont pu m'aider,
par leur soutien, leur disponibilité et par l'intérêt
qu'ils ont porté à ce travail, à oublier un instant que
dans l'étude des droits humains, l'oeuvre a déjà vieilli
alors qu'elle vient d'être écrite. Je fais allusion à ma
femme, mes enfants Yaslain & Jalaine, mes neveux & nièces. Mais
aussi, à Brigitte MAKOUNDZI-WOLO, à Gisèle NGONDO,
à Hélène ELENGA et à Joséphine MOULOMBO sans
elles je ne pouvais bénéficier ni de l'amour maternel ni de
l'assistance pécuniaire d'autant que mes parents ont été
portés disparus pendant les différentes guerres civiles qui ont
dévasté mon pays à partir du 05 juin 1997. Aussi, je tiens
tout profondément à souligner la patience et l'attention dont a
fait preuve la directrice de ce mémoire Madame Céline RENAUT.
Qu'elle en soit remerciée, tout comme Monsieur Yann KERBRAT, responsable
de la formation et Monsieur Jean K. PAULHAN, responsable d'EDUDROIT en
acceptant mon inscription en master2 droits de l'homme et droit humanitaire
à l'université d'Evry Val d'Essonne-Paris. Je ne pourrai terminer
mon allocution sans pour autant citer l'association Ensemble contre la peine de
mort (ECPM) qui a permis à ce que mon année académique
soit validée en m'accordant, au sein du secrétariat
exécutif de la Coalition mondiale contre la peine de mort, un stage de
six mois.
Merci à toutes et à tous.

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Avant-propos ......................................................................................................................2-4
Remerciements.......................................................................................................................4
Table des
matières..................................................................................................................5
Introduction........................................................................................................................6-10
Ière partie
De la consécration progressive de la place de la victime
devant la juridiction pénale
internationale..........................................................................................................................11
Chapitre I
Du projet Moynier à la Haye en passant par les Tribunaux
ad hoc................................................11-13
Chapitre II
Du régime spécifique accordé à la
victime par le statut de
Rome..................................................13-14
IIème partie
De la participation de la victime dans la procédure
Chapitre I
Avant le
procès...................................................................................................................14-17
Section 1
De l'incitation de la victime d'ouvrir une enquête par le
Procureur......................................................15
Section 2
De l'impossibilité de saisir directement la Cour par la
victime......................................................15-16
Section 3
De l'obligation d'informer la
victime.......................................................................................16-17
Chapitre II
Pendant le
procès....................................................................................................... .......17-19
Section 1
De l'intervention de la victime dans la procédure au
fond...........................................................17-18
Section 2
De la victime et les droits de la
défense.................................................................................18-19
Chapitre III
Après le
procès.................................................................................................................19-23
Section 1
De l'indemnisation du préjudice
encouru.................................................................................19-22
Section 2
De la protection et la sécurité de la
victime.............................................................................
22-23
IIIème partie
De la nécessité d'intégration
« effective » du statut de Rome dans la législation
interne des Etats
parties..............................................................................................................................24-27
Chapitre I
De l'obligation de coopération des Etats avec la
CPI......................................................................24
Chapitre II
De l'impunité des auteurs des crimes les plus graves et
l'inapplicabilité de certaines dispositions du Statut de Rome relatives
à la
victime..................................................................................................25-27
Conclusion..........................................................................................................................28
Bibliographie.......................................................................................................................29
Annexe..........................................................................................................................30-41

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· introduction
La création de la Cour pénale internationale
(CPI13(*))
représente, selon Kofi Annan, secrétaire général
sortant de l'ONU, « un gage d'espoir pour les
générations à venir et un pas de géant sur la voie
du respect universel des droits de l'homme et de l'Etat de
droit ».
Rappelons, d'entrée de jeu, que les Tribunaux ad hoc
bien que considérés comme des
« laboratoires » de la CPI n'ont apporté que des
avancées mineures dans le domaine de prise en charge effective de la
victime des crimes internationaux. Notre étude portera, donc, sur les
tenants et aboutissants de la place de la victime non pas devant les dits
tribunaux mais plutôt devant la Cour pénale internationale.
Simplement pour éviter une étude comparative fastidieuse entre
les différentes juridictions pénales internationales.
Ce faisant et qualifiée pendant des décennies
"d'utopique", ce « gage d'espoir pour des
générations » futures - pour reprendre les termes de
Kofi Annan - avait été initié en 1874 par Gustave
Moynier, l'un des fondateurs de la Croix-Rouge pour punir les crimes les plus
attentatoires à l'essence humaine. Presque deux siècles ont fallu
pour que ce gage d'espoir puisse effectivement se matérialiser en un
Statut à Rome. Ce Statut de Rome créant la CPI est entré
en vigueur le 1er juillet 200214(*), déclenchant la mise en place d'une justice
pénale aux ambitions universelles, chargée de réprimer les
crimes les plus abominables: les crimes de guerre, les crimes contre
l'humanité et le génocide15(*).
Confrontée à de multiples difficultés, la
Cour - afin de sauvegarder sa dignité et sa légitimité -
doit affronter l'opposition résolue des Etats-Unis, de la Chine et de
quelques autres pays qui s'abstiennent à ratifier le Statut de
Rome16(*), prouver qu'elle
n'exerce pas seulement sa juridiction à l'égard des Etats les
plus faibles de la communauté internationale et faire en sorte que
l'opinion internationale, dans ses multiples composantes culturelles, puisse se
reconnaître dans cette justice internationale. Cela constitue et
constituerait, indéniablement, un exemple pour des
générations futures; et ce, au nom de la règle du
précédent17(*).
Puisque, avouons-le, le Statut de la CPI accorde une place
importante aux victimes, réalisant que la justice pénale
internationale ne pourra réussir sa mission que si les victimes sont
parties prenantes à cette volonté de restaurer un ordre
brisé par des crimes internationaux les plus graves. C'est une
révolution notable dans l'univers complexe sinon séduisant du
droit pénal international, notamment pour les victimes. C'est de cette
révolution sans commune mesure que nous parlerons tout au long de notre
travail. Sachant que de Nuremberg aux tribunaux pénaux internationaux
pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda18(*), la place de la victime devant les juridictions
pénales internationales a été « quasiment
oubliée »19(*) avant sa consécration
« effective » par le Statut de Rome créant la
CPI.
Aussi, le droit international ne régissait,
traditionnellement, que les relations étatiques. La victime entendue
comme personne physique n'avait donc droit ni à la parole, ni à
des réparations. Alors que les crimes de guerre et les crimes contre
l'humanité, en particulier le génocide et la torture, peuvent
engendrer un nombre très élevé de victimes. En outre,
quand le conflit armé est toujours en cours, et que les auteurs des
crimes de guerre continuent à occuper des positions de pouvoir, les
risques d'intimidation ou de vengeance sont réels, à
l'égard non seulement de ceux qui sont directement concernés,
mais aussi des membres éventuels de leur famille.
En effet, la conviction que les droits humains doivent
être absolument respectés et défendus partout est un
acquis de notre époque. Pratiquement tous les États ont
adhéré à la Déclaration universelle des droits de
l'homme (DUDH).20(*) Il
paraît normal que des crimes contre l'humanité soient poursuivis
au-delà des frontières. C'est le principe de la compétence
universelle. Nous reviendrons sur cette notion dans le corps de notre
étude.
Néanmoins, l'évolution de la
société « universelle » inhérente
à la justice pénale internationale écoeure les
« esprits éclairés » - une
société où l'impunité des auteurs des
crimes21(*) les plus
odieux n'est pas l'affaire de tous et où certains Etats, pourtant,
parties au statut de Rome continuent à méconnaitre les droits
et/ou la place des victimes des violations massives des droits humains et du
droit humanitaire -, comme elle peut, évidemment, écoeurer toute
personne qui abandonnerait un cynisme parfois irrésistible, une attitude
égocentriste pour espérer l'émergence d'une conscience
collective vouée aux humains. Si le droit international concerne les
Etats, alors l'on peut penser, par analogie, que c'est aux Etats de
régler le problème des victimes des crimes de guerre d'autant que
le principe de complémentarité22(*) veut que la CPI ne puisse se substituer aux
juridictions nationales à moins que l'Etat n'ait guère la
volonté ou la possibilité de mener l'enquête ou les
poursuites.
Pour mieux apprécier le droit reconnu aux victimes
d'accéder à la justice, il est nécessaire de
définir la notion de victime en droit international et
conformément aux dispositions du Statut de Rome créant la CPI.
La Déclaration de l'Assemblée
générale de 1985, aux articles 1 et 2, définit les
victimes :
«1. On entend par « victimes », des personnes
qui, individuellement ou collectivement ont subi un préjudice, notamment
une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une
souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à
leurs droits fondamentaux, en raison d'actes ou d'omissions qui enfreignent les
lois pénales [...].
«2. Une personne peut être considérée
comme une « victime »
[...] que l'auteur soit ou non identifié,
arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que
soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme «victime
» inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les
personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide
aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation.
»
Cette définition semble être pertinente d'autant
qu'elle couvre, à la fois, les victimes directes, les ayants droit, les
membres de la famille et même les personnes qui ont subi un
préjudice en portant assistance aux victimes. Le comble c'est que cette
définition ne fait pas allusion aux personnes morales. C'est pourquoi,
le conseil de sécurité de l'ONU a pris la résolution
687/91 sur l'Irak et prévoit ce qui suit :
«L'Iraq [...] est responsable, en vertu du droit
international, de toute perte, de tout dommage - y compris les atteintes
à l'environnement et la destruction des ressources naturelles - et de
tous autres préjudices directs subis par des États
étrangers et des personnes physiques et sociétés
étrangères du fait de son invasion et de son occupation illicites
du Koweït. »23(*).
Cette résolution donne une définition
très large du terme « victime ». Ainsi, entrent en ligne de
compte, pour l'obtention d'une indemnisation, les pertes commerciales
indirectes subies par des sociétés étrangères et
les sommes consacrées à l'assistance aux
réfugiés.
Cependant, une définition trop large ouvre la voie aux
abus. Des sommes considérables auraient été versées
à des sociétés israéliennes, y compris des vendeurs
de fleurs et des exploitants de cinéma, pour les pertes commerciales
subies à cause de la situation de guerre. A première vue, rien
ne justifierait d'accepter des critères moins larges pour indemniser le
préjudice résultant d'une violation du droit des conflits
armées (jus in bello) que pour indemniser celui
résultant d'une violation de la Charte des Nations Unies (jus ad
bellum).
Cependant, les statuts et règlements de
procédure des deux Tribunaux ad hoc utilisent toujours une
définition très étroite, limitée à
« toute personne physique à l'égard de laquelle
aurait été commise une infraction relevant de la
compétence du tribunal »24(*).
Une définition plus large a été
élaborée par le professeur van Boven dans un rapport soumis aux
Nations Unies intitulé Principes fondamentaux et directives
concernant le droit à la réparation des victimes de
violations des droits de l'homme et des libertés
fondamentales25(*),
qui inclut notamment la famille. Un séminaire international sur les
droits des victimes, tenu à Paris en avril 1999, a proposé, en
vue de l'élaboration du règlement de procédure, une
définition proche de celle fournie par van Boven:
«1. (...) toute personne ou groupe de personnes qui,
directement ou indirectement, individuellement ou collectivement, a subi un
préjudice à raison de crimes relevant de la compétence de
la Cour. Le terme « préjudice » comprend toute atteinte
physique ou mentale, toute souffrance morale, tout dommage matériel ou
atteinte substantielle aux droits fondamentaux. Le cas échéant,
des organisations ou des institutions qui ont pâti directement du crime
peuvent aussi être des victimes. »26(*)
Un compromis a été trouvé dans le
Règlement de procédure et de preuve de la CPI (règle 85) :
« a) Le terme «victime » s'entend de toute
personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d'un
crime relevant de la compétence de la Cour ; b) Le terme « victime
» peut aussi s'entendre de toute organisation ou institution dont un bien
consacré à la religion,
à l'enseignement, aux arts, aux sciences ou à la
charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu
ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage
direct. »27(*)
Contrairement à ce qui est actuellement prévu
dans les statuts des Tribunaux ad hoc, les membres de la famille et
les ayants droit peuvent être reconnus comme victimes, sans qu'il y ait
une extension illimitée vers un préjudice indirect.
L'énumération des organisations et des institutions dont le
préjudice peut donner lieu à une indemnisation rappelle les
dispositions des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève qui
concernent la protection de biens culturels et de biens destinés au
culte28(*).
Retenons que la victime directe ou indirecte de graves crimes
internationaux souffre de séquelles importantes. Elles ne veulent qu'une
chose : une « justice soit faite ».
Dès lors, quelle est la place de la victime dans la
procédure de saisine du tribunal et dans son intervention au fond?
Quelle aide légale prévue et indemnisation du préjudice
encouru par elle ? Cependant, certains Etats parties au statut de Rome
créant la CPI, tels la France..., refusent ou tout simplement
hésitent encore, pour de raisons diverses, d'intégrer
« pleinement » certaines dispositions du dit statut dans
leur législation interne; en contribuant à méconnaitre les
droits des victimes des crimes les plus graves.
De ce fait, l'impunité dont jouissent certains auteurs
de ces crimes constitue un frein, « une épée
Damoclès » au droit de revendication29(*) de la victime. Nombreux sont
les témoignages de victimes des crimes les plus graves que la
« communauté internationale » ait connu au cours du
XXe siècle qui insistent sur la frustration ressentie face
à l'impossibilité de témoigner et l'indifférence de
leur propre société. Il est vrai que le génocide, le crime
contre l'humanité ou le crime de guerre relèvent d'une
singularité criminelle certaine30(*). Les persécutions contre un homme en raison de
sa race, sa religion ou « autres » nient l'appartenance
même de la victime à l'espèce humaine. Donner la mort
à un ennemi, un concurrent, un adversaire peut être criminel (en
situation de respect du pacte social à en croire Jean Jacques Rousseau)
à condition de tuer un homme, mais lui refuser l'accès à
l'humanité en refusant de le penser dans sa spécificité
naturelle et culturelle, conduit à détruire l'humanité qui
est en l'autre et, in fine, la sienne propre.31(*).
Les victimes de ces violations ont subi - et sont parfois
encore sous la menace - d'extrêmes violences orchestrées ou
tolérées par leurs propres gouvernants. En pareille situation, le
contrat social - la confiance dans les autorités - est alors
profondément altéré. Les dirigeants encore au pouvoir ne
souhaitant pas revenir sur leurs crimes d'autrefois et les nouveaux gouvernants
estimant bien souvent que la réconciliation nationale passe par le
silence sur les failles du passé.
Ainsi, les victimes de ces crimes ressentent, malgré
elles, un certain exceptionnalisme, le sentiment d'être devenues
étrangères auprès de leurs concitoyens ou de tous ceux qui
n'ont pas connu de souffrances similaires. Au vu de leurs difficultés,
les victimes sont alors en attente de ce que pourrait leur apporter la justice.
Elles soulignent souvent que cet apaisement ne viendra pas d'un pardon
individuel, mais d'une mission de la justice.
Une telle espérance est-elle fondée ? Pour
autant, la victime peut clairement tirer profit du procès de son
bourreau, a fortiori si elle intervient directement au cours du procès.
En toute hypothèse, en assistant directement aux audiences ou en suivant
le jugement par l'intermédiaire des médias, la victime peut
retirer du procès du grand criminel - outre la satisfaction et la
sécurité de le voir hors d'état de nuire - la
précieuse reconnaissance de son vécu. La justice dispose de
moyens exorbitants de droit commun qui peuvent aider à
l'établissement d'une vérité sur des horreurs. La justice
bénéficie également d'une présomption de
légitimité qui doit aider à la prise de conscience
collective de souffrances individuelles. L'exemple du procès d'Adolf
Eichmann sur la société israélienne est ici
révélateur. Lorsqu'elle participe pleinement au procès, en
tant que partie civile ou témoin, la victime peut aussi
bénéficier à travers l'écoute et la
considération du juge d'une reconnaissance personnelle de son
traumatisme, de la délivrance d'un non-dit.
En conséquence, le procès peut parfaitement
avoir des vertus considérables pour la victime pourvu qu'une place
importante lui soit reconnue. Afin, justement, de donner une vue assez
cohérente de la présente étude, il parait impérieux
de faire un retour rétrospectif inhérent à la
consécration progressive de la place de la victime devant la juridiction
pénale internationale (Ière partie). De cette consécration
découle, en outre, l'intervention ou la participation de la victime
dans la procédure, de forme comme de fond, devant la justice
pénale internationale (IIème partie). En effet, les droits
substantiels de la victime ne seront effectifs que si le Statut de Rome
créant la CPI est intégré « concrètement
et pleinement » dans la législation interne des Etats parties
(IIIème partie).

* 1 Déclaration
des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la
criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir adoptée
par les Nations unies. Principe 4
* 2 Préambule du
Statut de la Cour pénale internationale, Rome, 1998 (extraits).
* 3 Disait Benjamin B.
Ferencz, ancien procureur à Nuremberg.
* 4 Ce fut un gladiateur thrace
qui a conduit une révolte en Italie (73-71). Il a défait les
armées romaines dans le sud de l'Italie, mais ses forces ont
été écrasées à Lucania (71) où il a
été tué et plusieurs de ses troupes ont été
crucifiés. Son nom symbolise, donc, la révolte et la
revendication.
* 5 J. Alain MABIALA, Juriste droits de
l'homme et droit humanitaire, Cf. Conclusion du présent
mémoire.
* 6 Nestor MAKOUNDZI-WOLO,
manuscrit non publié avant sa mort, 2001. J. Alain MABIALA,
«Les droits de l'homme: une gageure?» sous la direction du
professeur Nestor MAKOUNDZI-WOLO, doyen de la faculté de droit
(Mémoire en master 1, droit international des droits de l'homme),
2001-2002.
* 7 L'exemple de l'affaire du
Beach au Congo Brazzaville a conduit au massacre de plus de 350 personnes en
avril et mai 1999. Plus d'informations
www.amnesty.fr Ou
voir Amnesty international, République du Congo, Une ancienne
génération de dirigeants responsable de nouveaux carnages,
index AI : AFR 22/001/1999, PP 42. Sachant que la Cour pénale
internationale n'est compétente qu'à l'égard des crimes
commis après 2002, date de son entrée en vigueur. Le
procès national n'a, malheureusement, pas pu combler les attentes des
victimes et de la communauté juridique.
* 8 Les Etats-Unis n'ont jamais
ratifié le Statut de Rome. Cf P. HAZAN, guide pratique à l'usage
des victimes, « Le travail de sape des
Etats-Unis », RSF & réseau Damoclès, 2003,
P.29-31
* 9 L'entrée en vigueur
du Statut de la Cour pénale internationale (CPI) est le 1er juillet
2002. La CPI ne pourra pas poursuivre les auteurs présumés de
crimes commis avant le 1er juillet 2002. De la même façon, la CPI
n'exercera sa compétence à l'égard d'un Etat que pour les
crimes commis après la date de son adhésion au Statut, à
moins que celui-ci ne fasse une déclaration pour reconnaître la
compétence de la CPI à l'égard d'un crime commis avant son
adhésion (articles 11-2 et 12-3 du Statut).
* 10 Le cas des
« dictateurs africains » dont certains ont plus de 30 ans
au pouvoir, ne voulant pas quitter celui-ci aux fins de ne pas être
poursuivi pour des crimes qu'ils auront eu à perpétrer pendant
leur mandat. Et pourtant la jurisprudence démontre, en
corrélation avec le statut de Rome créant la Cour pénale
internationale, que l'auteur d'un crime « grave » peut
être poursuivi quel qu'en soit sa qualité de chef d'Etat.
* 11 Voir la guerre Irak / USA
en mars 2003 où plusieurs centaines de milliers de civils irakiens ont
été tués en laissant des victimes, des traumatismes
difficilement surmontables. De même, la guerre au Congo Brazzaville du 05
juin 1997 et plus précisément l'affaire du Beach avril / mai 1999
dont les bourreaux n'ont jamais été, jusqu'à
présent, ni poursuivis ni condamnés par aucune juridiction
pénale internationale.
* 12 Julian
Fernandez, Revue de Civilisation Contemporaine de
l'Université de Bretagne Occidentale,
« Variations sur la victime et la justice
pénale internationale », Page 3-4
http://www.univ-brest.fr/amnis/
* 13 La Cour pénale
internationale est une cour permanente et indépendante qui mène
des enquêtes et engage des poursuites à l'encontre de personnes
accusées des crimes les plus graves ayant une portée
internationale - génocide, crimes contre l'humanité et crimes de
guerre - pour autant que les autorités nationales compétentes
n'aient ni la capacité ni la volonté de le faire
véritablement. Le Bureau du Procureur mène en ce moment des
enquêtes à propos de quatre situations : République
démocratique du Congo, Nord de l'Ouganda, Darfour (Soudan) et
République centrafricaine. Tous ces pays restent, à des
degrés divers, engagés dans des conflits dont les victimes ont un
besoin urgent de protection.
* 14 Cf. Avant propos de la
présente étude, P. 1 à 3
* 15 Pour une définition
juridique des différents crimes internationaux, voir le Statut de Rome
(articles 5 à 8)
* 16 Le Procureur de la CPI,
Luis Moreno-Ocampo, sera en visite officielle à Bogotá du 25 au
27 août de cette année. Comme le prévoit le Statut de Rome,
M. Moreno-Ocampo et son équipe poursuivront l'examen des enquêtes
et des procédures en cours en Colombie, en s'attachant plus
particulièrement aux personnes dont il pourrait être
considéré qu'elles portent la responsabilité la plus
lourde pour les crimes les plus graves relevant de la compétence de la
Cour. Comme l'a déclaré le Procureur à l'occasion de sa
visite précédente : 'La Cour pénale internationale marque
l'avènement d'un droit nouveau et l'impunité cesse d'être
une option. Soit les tribunaux nationaux s'en assureront, soit nous le ferons
nous-mêmes. Cet engouement de poursuivre les criminels internationaux
devrait être le même quand il s'agit aussi des pays riches et
forts.
* 17 Pour une étude de
la règle du précédent, voir J. Alain, MABIALA,
« Justice pénale internationale et règle du
précédent », sous la direction de Céline
Rénaut, 2008, Université d'Evry Val d'Essonne, PP 11
publié par Oboulo.com
http://www.oboulo.com/query.php?q=regle+du+precedent&start=0&topConsult=0
* 18 Pour une étude plus
approfondit, voir P. HAZAN, «La justice face à la guerre, de
Nuremberg à La Haye », Stock, 2000.
* 19 C'est ce que disait si
bien Julian Fernandez, op. Cité, Page 22
* 20 La DUDH est une
déclaration qui n'a pas une valeur contraignante mais qui peut
être considérée comme une norme coutumière. Pour
une étude plus avancée, voir J. Alain MABIALA, «La
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre
1948: un impératif pour tous.» publiée à
l'occasion de son anniversaire et rendu accessible aux différentes ONG,
OING et Associations de défense des droits humains (Soutien de la
Fédération Africaine des Parents d'Elèves et
Etudiants-FAPEE- et de l'Association Panafricaine Thomas
SANKARA-APTS-)
* 21 Voir pour la
définition des différents crimes, P. HAZAN, guide pratique
à l'usage des victimes, RSF & Réseau Damoclès, 2003,
P. 34 à 46.
* 22 Conformément
à l'article 17 du Statut, la Cour doit déclarer une affaire
irrecevable si un Etat, ayant compétence en l'espèce, a ouvert
une enquête, entamé des poursuites ou décidé de ne
pas poursuivre, ou si la personne visée par la plainte a
déjà été jugée pour le même fait ou
bien encore, si l'affaire n'est pas suffisamment grave. Toutefois des
dérogations sont prévues, s'il s'avère que l'Etat n'a pas
la réelle volonté ou possibilité de mener l'enquête
ou les poursuites, ou si l'Etat renonce à celles-ci. Le paragraphe 2 de
l'article 17 précise plusieurs indices permettant d'évaluer le
manque de volonté d'un Etat et le paragraphe 3 précise comment
déterminer l'incapacité d'un Etat à poursuivre. Ces
dispositions visent à faire en sorte que la CPI ne soit pas l'otage de
la mauvaise foi d'un Etat et/ou d'un simulacre de poursuite pénale
* 23 S/Résolution 687
(1991), paragraphe 16
* 24 Règlement de
procédure du TPIY, règle 2 (A), et Règlement de
procédure du TPIR, règle 2 (A).
* 25 Doc. ONU
E/CN.4/1997/104 du 16 janvier 1997. T. van Boven avait été
désigné comme expert indépendant par le Conseil
économique et social. Ce rapport inclut la troisième version des
« Principes », la première datant de 1993 (E/CN.4/Sub
2/1993/8). Les travaux ont été poursuivis par Cherif Bassiouni.
Voir son rapport final E/CN.4/2000/62.
* 26 Séminaire
international sur l'accès des victimes à la Cour pénale
internationale, Rapport des ateliers, Paris, 1999.
* 27 Projet de
Règlement de la CPI, règle 85.
* 28 Article 53 -- Protection des biens culturels et
des lieux de culte : Sans préjudice des dispositions de la
Convention de La Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en
cas de conflit armé et d'autres instruments internationaux pertinents,
il est interdit : a) de commettre tout acte d'hostilité dirigé
contre les monuments historiques, les oeuvres d'art ou les lieux de culte qui
constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples; b) d'utiliser ces
biens à l'appui de l'effort militaire; c) de faire de ces biens l'objet
de représailles.
* 29 Désormais, la
victime peut « quasiment » se constituer partie civile :
elle peut inciter le procureur à ouvrir une enquête. Il lui suffit
d'écrire à l'attention du procureur, exposer son cas et y joindre
les éléments de preuves en sa possession. Contrairement aux
tribunaux de l'ONU pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, les victimes ne sont
donc plus réduites à être de simples instruments de
l'accusation. L'article 68-3 du Statut reconnaît à la Cour la
possibilité de déterminer la contribution que les victimes
peuvent apporter à la procédure pénale :
« Lorsque les intérêts personnels de la victime sont
concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient
exposées et examinées, à des stades de la procédure
qu'elle estime appropriés ».
* 30 Pour une
définition précise de ces trois incriminations fondamentales du
droit international pénal, voir les articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome
créant la Cour pénale internationale, disponible sur
www.icc-cpi.int
* 31 Cf.
Antelme, Robert, L'espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957,
p. 302. Voir également le récit de Bernard Sigg,
psychanalyste, Le silence et la honte : névroses de la guerre
d'Algérie, Paris, Messidor, 1989, qui a longuement travaillé
sur le traumatisme des soldats français envoyés en
Algérie.
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