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Tap-tap bwafouye face a l'urbanisation de port-au-prince (une approche ethnosociologique du transport collectif a port-au-prince)

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par Theuriet DIRENY
Université d'état d'Haiti - Licence en anthropo-sociologie 2000
  

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CHAPITRE III.-APPROCHE CONCEPTUELLE/ DEFINITION.

Cette approche est conçue dans l'optique de permettre à tout un chacun de saisir le sens, la portée et la signification des différents concepts utilisés dans le cadre de notre recherche. Nous entendons par là définir des concepts clés pour éviter les interprétations qui peuvent aller à l'encontre des nôtres. Car la sociologie, comme toute autre science « a affaire à des objets construits, contre le sens commun, les apparences, les explications trompeuses (...) Le donné doit être soumis à un travail parce que:

· il est infini, chaotique et nécessite un choix en fonction d'un point de vue,

· il induit en erreur du fait qu'il a été fondé sur des préjugés,

· il dissimule des relations cachées qu'il a pour fonction de masquer.

« Il s'avère alors nécessaire de le déconstruire et de le reconstruire en le situant dans un réseau conceptuel qui lui restitue son sens caché ou simplement un sens ».18(*) Dans ce contexte quel sens ont, pour notre recherche, les concepts: tap-tap, tap-tap bwafouye, moyen de transport collectif, urbanisation, aire métropolitaine de Port-au-Prince, mobilité quotidienne, ville, planification urbaine, gestion urbaine, politique urbaine, services urbains, croissance urbaine, chauffeurs de tap-tap, usagers de tap-tap, capacité d'accueil, confort.

3.1.- TAP-TAP

Tap-tap exprime la rapidité avec laquelle une action est exécutée dans un temps par rapport à la distance. Elle traduit au niveau de l'abstraction toute idée tendant à activer le processus normal de tout phénomène et la liaison entre deux points distincts. Ainsi selon la terminologie haïtienne, tap-tap est le symbolisme du temps qui, dans sa course, relie deux extrémités d'un espace quelconque tout en permettant de confondre la distance à parcourir à la vitesse utile impensable par sa rapidité. Il est, en ce sens pour la langue créole, une expression emphatique et, est synonyme de : Prese-Prese, Mache-Prese, Chocho Trapde. Ce sont des expressions créoles traduisant : l'extrême rapidité, vitesse de croisière, vitesse éclair.

La capacité de l'automobile à atteindre cette fulgurance, cette vitesse, contrairement à la marche à pied ou à dos d'âne, lui confère la dénomination tap-tap.

Le sens de ce terme dans le contexte du transport en commun haïtien, apparemment se situe dans l'historique des moyens de communication pour relier une région à une autre. L'histoire montre qu'autrefois l'haïtien, comme tous les peuples, utilisait ses pieds ou le cheval pour parcourir de longs kilomètres terrestres. Cependant le temps qu'il fallait disposer pour le trajet était beaucoup moins grand à cheval qu'à pieds. Avec l'arrivée en Haïti d'un moyen de transport comme l'automobile, le cheval allait prendre beaucoup plus de temps à parcourir le même trajet par rapport à celle-là. Et, il faut, en plus souligner que l'automobile a succédé à d'autres moyens de transport moins rapide et moins confortable. Dans un premier temps, le transport à Port-au-Prince était assuré par des "Buss et Buggys" tirés par des chevaux. Plus tard en 1896, ces moyens de transport furent concurrencés par les tramways qui eux-mêmes furent actionnés par la vapeur. Si ce moyen de transport (les tramways) était préférable aux "Buss et Buggys" pour sa commodité et sa rapidité, il ne résista pas longtemps à la concurrence des autobus à moteur, « dont le premier (...) a été mis en circulation à Port-au-Prince le 27 mars 1913. » (G. Corvington, 1976, 249) En effet, sous l'égide de l'automobile le transport public allait connaître une nouvelle orientation.

« L'Organisation d'une vraie ligne de taxis ne semble avoir vu le jour qu'en 1928. C'est cette année là, en effet, que sans doute, après entente, des propriétaires d'automobile mettent à la disposition du public un certain nombre de voitures affectées au service du transport des voyageurs de 6 heures du matin à 6 heures du soir ...

« L'irruption de cette nouvelle organisation sur le marché du transport urbain fait apparaitre la compétition. On prévoit déjà le moment où les buss ne seront plus dans Port-au-Prince qu'un vieux souvenir (...) puisque leur tarif est de cinq (5) centimes supérieur à celui des autos de la ligne, plus rapides et plus confortables ». (G. Corvington, 1987, 159)

Le phénomène automobile n'a pas laissé indifférents des romanciers et poètes de l'époque. Voici comment Stephen ALEXIS, l'un de ces romanciers, a traduit le phénomène : « L'automobile est reine maintenant, écrit-il. D'un train lent, les vieux buss s'en vont. Que sont devenues les élégantes voitures que tiraient les magnifiques bêtes racées et piaffantes? Sans gloire, elles achèvent dans une remise sentant le ranci, ou dans une vieille cour vague leur malheureux destin.

(...) Les fringants chevaux eux-mêmes ont disparus de la circulation ... » 19(*)

Ce sont en ces termes là que Stephen ALEXIS traduit la substitution des moyens de transport antérieurs à l'automobile. Leur lenteur, selon lui, en est une des causes. Donc, c'est cette réduction par l'automobile du temps mis à relier les mêmes kilomètres autrefois parcourus à pieds, à dos d'âne, en buss, buggys et tramways que l'haïtien résume par un simple mot : tap-tap. Aussi, aucune publication concernant le transport en commun haïtien ne peut faire l'économie de cette expression.

Il n'en est pas moins vrai que la motocyclette, elle aussi, est faite pour vaincre la distance dans un temps très court en ce sens elle est un tap-tap. Les jours de circulation difficile (grèves générales, grèves des chauffeurs) on assiste à un trafic accéléré des motocyclettes « ECONO ». Ainsi désignées, elles viennent au secours de non-grévistes qui semblent vaquer normalement à leur occupation. Du côté du quartier « LA SALINE » particulièrement sur la diagonale reliant le quai de Jérémie à la grande route (Boulevard La saline) il est monnaie courante de trouver des motocyclettes transportant deux (2) à trois (3) passagers.

C'est un trafic qui tend à se généraliser, puisque à l'extrémité de la bretelle de jonction d'avec la Nationale #1 des motocyclistes restent en « stand by » attendant de potentiels passagers pour le Boulevard Hailé Sélassié et l'Aéroport International.

Sur le Boulevard Harry Truman, (au terminus de la rue Joseph Janvier), ainsi que sur l'autoroute de Delmas à l'entrée de Delmas 31, le constat est le même. D'aucuns croient que ces « écono » représentent un défi au fort embouteillage que connait tout Port-au-Prince aux heures de pointe. Voilà le spectre d'un nouveau mode de tap-tap à l'horizon du transport en commun en Haïti.

Évidemment dans beaucoup de villes du tiers-monde la motocyclette s'installe déjà comme mode de transport urbain. A Ouagadougou, par exemple, Capitale du Burkina Faso, les deux roues à moteur sont prédominantes dans le trafic urbain. C'est ce que Laura Faxas appelle: Asiatisation du transport collectif urbain dans le contexte de la République Dominicaine. A son avis « Le phénomène le plus caractéristique des changements et de la restructuration du système de transport, c'est l'incorporation massive de motos dans certains itinéraires du système. On assiste ainsi à une « asiatisation d'une partie du système ».20(*) Cependant, ce phénomène est selon lui le résultat du désengagement de l'État dominicain vis-à-vis de la population urbaine face aux services à caractères publics qu'il devait lui fournir. Dans le contexte, de la crise et du désengagement libéral de l'Etat, en tant que garant des services publics, l'incorporation de motos dans le transport semble s'étendre à d'autres pays de l'Amérique latine et d'Afrique, satisfaisant de façon captive une partie de la demande et n'étant pas un transport de type taxi traditionnel ou en concurrence avec d'autres moyens de transport. En outre dans le cas dominicain ce type de transport est devenu pratiquement le seul moyen de transport dans les villes de taille moyenne ou les villages » 21(*)

Il n'est pas tout à fait facile de prouver que le mot Atap-tap puise ses origines dans l'histoire du transport en commun haïtien. Toutefois, le mot en soi, en plus qu'il exprime l'extrême rapidité d'un moyen de transport, se confond aussi avec le moyen de transport même. Par ce dernier, on entend l'ensemble de procédés (mécaniques et techniques) desquels l'homme s'en sert pour assurer son déplacement d'un point vers un autre pour atteindre sa destination. Voilà ce qui explique, qu'au lieu de parler, de taxi, de camionnette ou d'autobus, l'haïtien utilise parfois l'expression tap-tap.

C'est d'ailleurs, à peu près, le point de vue de Jean Michel Houry, de Lyonel Paquin, de Christophe Wargny et de Jean Marie Duval. Selon l'article, publié dans le numéro cent dix neuf (119) de la revue Conjonction en 1973, Jean Michel Houry établit une différence entre tap-tap, taxi et Peugeot. Il présente les taxis comme des voitures privées d'occasion qui assurent le trafic de passagers sur les diagonales. Celles-ci font partie du réseau routier desservi par les tap-tap.

« Le réseau est constitué par trois axes principaux : la route Carrefour-Portail Saint-Joseph, le circuit Centre-ville - Pétion Ville par Lalue et Delmas et les diagonales, Bois Verna, Pacot, Turgeau, Saint Gérard et le Centre Ville.

« L'axe Carrefour-Portail Saint Joseph est couvert par (des) tap-tap; Chacune de ces camionnettes légères, à carrosserie locale sur châssis généralement japonais transporte (un nombre) de passagers par jour ouvrable (...).

«  Sur l'axe centre ville -Pétion Ville par Lalue et Delmas le transport est assuré par (des) Peugeot familiales diesel a neuf (9) ou dix (10) places chacune et par des tap-tap véhiculant des passagers exclusivement par Delmas ... « Sur les diagonales, le trafic est assuré par des taxis collectifs, voitures privées d'occasion ».

A bien comprendre l'article; définir tap-tap exige qu'on tienne compte, d'abord, de la qualité du véhicule qui implique: sa morphologie et ses occupants, ensuite et surtout les voies qu'il emprunte pour desservir des passagers. Ce sont autant de paramètres qui, pour Jean Michel Houry, doivent permettre de parler des tap-tap et de les différencier des taxis et Peugeot qui sont tous à la fois des moyens de transport. Il va même plus loin, dans sa différenciation, en montrant que les tap-tap sont constitués d'une carrosserie locale Aussi ne sont-ils autres, que des autobus et camionnettes publics comme ceux de Carrefour et de Delmas. Sans être complaisant ni catégorique disons que c'est peut-être également, la position de Lyonel Paquin qui a fait la compilation de 1000 slogans dans une brochure intitulée Les tap-taps haitiens dont la page de couverture met en relief un minibus bwafouye.

A ce niveau, les approches sont complémentaires. A lire la brochure illustrée de J. M. Duval et de C. Wargny, intitulée : En Haïti où les tap-tap roulent pour Dieu, on constate que ces auteurs ne s'enferment pas seulement dans le carcan port-au-princien pour parler des tap-tap. Contrairement à J.M. Houry, ils partent vers les circuits reliant Port-au-Prince aux villes de provinces.

Alors, ils se placent dans le quartier La saline pour observer et tenter de décrire le phénomène tap-tap. « Deux heures du matin, Port-au-Prince, quartier de la Saline, Bidonville repu de nuit noire (...) La vie grouillante qu'aucun sommeil n'interrompt jamais se devine, là-bas derrière la lisière des tap-tap, pullulement autour de la puanteur des rigoles où achèvent de pourrir mangues ou papayes. » (C. Wargny, J.M.Duval, 1993)

Une véritable lisière mobile. Les tap-tap partent pour revenir, quotidiennement, la reconstituer. « Comme des milliers d'autres un de ces camions-autobus, (...) taille sa route à grand renfort de Klaxon, comme tous les tap-taps qui labourent les mornes d'Haïti en tout sens, secouant des passagers entassés, rudoyés, chavirés et chavirant de leurs banquettes de bois. » (ibid)

L'approche de Houry rencontre, en un certain point, celle de Wargny et Duval qui, sans ambages, présente les tap-tap comme un mariage mécanique et artisanal. Un mariage de deux mondes différents : celui de l'occident et du régional, du métal et du bois. Une approche, certes réaliste et partagée mais restrictive et anachronique du fait que de nos jours tous les véhicules à moteur, indépendamment de leur structure et dépendant des conditions socio-économiques de leur propriétaire, se transforment en véhicules de transport public. Si cette approche décrit les tap-tap en tenant compte de certains paramètres, (morphologie et circulation) elle manque beaucoup d'éléments pour être conceptuelle. Et c'est d'ailleurs à ce niveau que la différence se fait sentir entre les approches. Celle de Wargny et Duval, à bien des égards, est allée beaucoup plus loin.

En effet selon eux tous les moyens de transport sont des tap-tap, une fois que ceux-là permettent de parcourir rapidement, même de façon relative, la distance voulue.  « Tap... tap... tap... tap... tap... tap: en créole, la rapidité, la fulgurance, l'immédiateté. Ou presque. Vitesse certes relative, mais indiscutable, comparée à celle de la bourrique ou de l'humain livré à ses propres jambes. Tap... tap... tap... voyage en un clin d'oeil ... » (ibid)

Telle est une approche qui complète la nôtre et qui traduit bien dans le temps comme dans l'espace haïtien une certaine réalité du transport en commun. Cependant elle s'enferme dans une brochure où l'observation semble donner libre cours à l'imagination. Où le vécu est pris sur le vif et exposé vulgairement; et où enfin aucune tentative d'analyse n'est relevée.

Tout cela est pour dire que ces approches ne se limitent qu'à d'écrire ou à définir le phénomène à partir de simples observations.

Vu le caractère de notre travail, nous comptons insérer la nôtre dans un cadre scientifique où les premières impressions du sens commun - face à des recherches conduites méthodiquement - ne vont pas constituer une entrave aux tentatives d'explication du transport en commun comme étant un fait social. C'est-à-dire comme étant une chose où les hommes - à quelque niveau que ce soit - ont tous participé, volontairement, à sa cristallisation sans qu'elle ne soit, pourtant, revêtue d'aucune marque particulière d'individualisme et où tous sont soumis aux contraintes qu'elle a générées. Dans cet ordre d'idées nous retrouvons la pensée de Durkheim pour qui le fait social est un mélange d'actions de plusieurs individus; actions qui une fois combinées donnent naissance à un produit nouveau. « Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité de consciences) elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer hors de nous de certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part ». (E. Durkheim, 1937)

Partant de cette considération, le tap-tap peut être défini comme: une synthèse d'actions mécaniques, techniques et quelquefois artisanales, réalisée par des hommes pour réduire le temps de la distance à parcourir à la vitesse de marche minimale et faciliter le transport d'un collectif d'hommes qui le préfère aux voyages à pied et à dos d'âne, pour sa rapidité et son confort. Aussi s'impose t-il dans l'habitude des hommes qui ne peuvent s'en passer.

Cela n'est pas moins vrai des tap-tap circulant sur le réseau de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince qui, malgré de graves problèmes de circulation et de confort, s'intègrent dans la vie régulière des port-au-princiens.

Autrement dit, parler de tap-tap revient à désigner l'ensemble des moyens de transport collectif qui, empruntant les différents axes du réseau routier dans des allées et venues quotidiennes, facilitent le déplacement des habitants de l'aire métropolitaine tout en leur donnant la possibilité d'arriver à destination dans un temps relativement rapide.

Puisqu'un fait social, selon Durkheim, doit être considéré comme une chose, mais pas au même titre que les choses matérielles qui ne sont analysées que du dehors, les tap-tap (particulièrement le bwafouye) feront l'objet d'une analyse qui les embrassera tant dans leur consistance que dans leur fonctionnement aussi bien que dans leurs relations avec d'autres faits sociaux. Dans ce contexte, ils sont pour nous un objet de connaissance qui n'est pas naturellement compénétrable à l'intelligence, donc nous ne pouvons nous en faire une notion adéquate par un simple procédé mental. En conséquence, pour que nous arrivions à les comprendre et à les expliquer nous devons sortir de nous mêmes, « par voie d'observations et d'expérimentations, en passant progressivement des caractères les plus immédiatement accessibles aux moins visibles et aux plus profonds ». (E. Durkheim, 1937)

3.2.- TAP-TAP BWAFOUYE

Moyen de transport collectif dont la carrosserie, faite de bois est montée sur un châssis de « type canter-Mitsubishi », et est de fabrication locale. Conçu pour le transport collectif d'usagers il doit son nom à la matière première (le bois) qui forme la structure de sa carrosserie. Pour notre travail, tap-tap bwafouye et minibus bwafouye sont synonymes.

* 18 J.P Durand et R. Weil, Sociologie contemporaine, Vigot, Paris 1978, p.296

* 19 Cité par G. Corvington, Port-au-Prince au cours des ans (La capitale d'Haïti sous l'occupation 1922-1934), Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince 1987, p.164

* 20 L. Faxas, « Dérèglementation informelle et asiatisation coopérativisation du transport collectif urbain. Le cas de Santo-Domingo, République Dominicaine », Les transports dans les villes du sud (La recherche de solutions durables), Éditions Kartala, Paris, 1994, p.156

* 21 Idem

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille