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L'imposition des cultures de rente dans le processus de formation de l'etat au cameroun (1884-1914)

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par Sandrine Carole TAGNE KOMMEGNE
YAOUNDE 2 - SOA / CAMEROUN - Diplome d'Etude Approfondie en Science Politique 2006
  

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INTRODUCTION GENERALE

Le succès politique de l'Etat comme modèle d'organisation sociale a constamment été à la mesure de son succès scientifique en tant qu'objet d'étude. L'importance prise par l'Etat dans les études politiques africanistes a été à la hauteur du doute voire du scepticisme sur l'existence d'Etats en Afrique. Les discours sur l'échec de l'Etat en Afrique consécutifs aux différentes crises politiques que traversent la plupart des Etats d'Afrique noire sont à l'ordre du jour de la science politique : rejet de la greffe de l'Etat, Etat néo-patrimonial, Etat raté etc. sont autant de concepts opérationnels de l'analyse de l'incapacité des africains à arrimer le modèle étatique occidental à leurs structures politiques existant avant la colonisation.

Ces approches relèvent d'un certain européocentrisme de la part des chercheurs occidentaux dès lors qu'on considère l'Etat comme une configuration dynamique variant dans l'espace et dans le temps. Dans une large mesure, l'Etat est fonction des usages et des investissements des acteurs compte tenu des enjeux locaux. L'Etat africain c'est-à-dire non occidental dérive à la fois de l'imposition du « modèle occidental » et de sa traduction locale par des acteurs politiquement intéressés. L'Etat africain et plus particulièrement camerounais n'est pas un « Etat importé » mais il a été exporté par l'Allemagne, la France et l'Angleterre par le biais de la colonisation1(*) (Sindjoun 2002 : 2). Aussi, nous appréhendons ici le colonialisme au sens de Hobson qui pense que c'est une reproduction outre-mer de la métropole par le biais de l'émigration. Seulement, cette exportation bien qu'ayant déterminée la dynamique politique locale ne sera pas une reproduction exacte du modèle d'Etat existant en Allemagne. A contrario, tout en provoquant ces changements, la forme d'organisation qui verra le jour sera le fruit d'une réinvention locale de l'Etat mais aussi, il y aura un processus de socialisation de cet Etat en train de se faire. Nous pouvons donc dire que l'expansion européenne est une exportation d'un nouveau modèle de société, celui qu'on appellera `'l'Etat moderne''. Seulement, la mise en administration de la population du Cameroun ne sera pas une réplique exacte de celle existant en Allemagne. Cet Etat camerounais en train de se faire n'est pas importé car il sera largement reconfiguré par les acteurs locaux.

Par ailleurs, l'apparition d'une forme d'organisation politique ne peut pas être expliquée par des conditions purement internes à la société considérée (Lagroye1991 : 59). En effet, nombre de sociologues tels Lagroye Jacques, Braud Philippe et autres s'accordent sur le fait que l'émergence d'une nouvelle organisation sociale est généralement due à un phénomène de grande ampleur qui aboutit à une spécialisation des rôles de gouvernants dans les sociétés. Par spécialisation de rôle de gouvernement, il faut comprendre la différenciation des rôles de gouvernement et des règles qui s'y rapportent directement. Or la dimension fondamentale de la différenciation est l'établissement des rapports de domination entre les groupes (Lagroye 1991 : 53). Il se pose donc le problème de l'origine du phénomène social ayant favorisé la formation de l'Etat camerounais. Retenons que la région de l'Afrique qui deviendra plus tard le « Cameroun » n'existait pas avant l'arrivée des colons allemands. « C'est en effet à partir de la période allemande que le Cameroun tel que nous le connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire comme entité territoriale, humaine et politique, ayant des contours et des frontières bien définis, existe bel et bien en Afrique », (Owona 1996: 62). Les colonisateurs trouveront dans cette région d'Afrique une multitude de sociétés politiquement organisées dont certaines entretenaient des relations commerciales entre elles et d'autres vivaient de manière isolées.

Nous pouvons donc affirmer que la colonisation est l'un des phénomènes de grande ampleur ayant provoqué la mise en administration de la société camerounaise, c'est-à-dire la constitution d'un pôle unique de décision s'imposant à l'ensemble des sociétés politiques précoloniales du Cameroun. A travers l'imposition de nouvelles cultures dites de rente et la prolifération de celles-ci sur l'ensemble du territoire de la colonie du Cameroun, les Allemands vont participer au processus d'étatisation des sociétés locales.

La présente étude entend partir de la colonisation allemande pour identifier la relation qui existe entre les cultures de rente et l'Etat camerounais et comprendre la place que les cultures de rente occupent dans la dynamique politique de l'Etat camerounais. Cette relation constitue un champ heuristique pour étudier la formation de l'Etat camerounais dans la mesure où elle s'inscrit dans la perspective d'une réflexion sur la transformation de l'ordre politique précolonial local dans un contexte de complexité de l'environnement.

I-LA CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ETUDE

Le fait scientifique tient sa singularité de ce qu'il est tour à tour " conquis, construit et constaté " (Bachelard 1934). Si la science " réalise ses objets sans jamais les trouver tout faits ", ajoutait-il, c'est précisément parce qu'elle se fonde. Cela est particulièrement vrai dans les sciences sociales lorsqu'elles se basent sur une démarche de reconstitution des réseaux de relations explicatifs au-delà des structures apparentes (Bachelard 1934). La construction de l'objet est donc l'un des points essentiels de la recherche dans la mesure où la science correspond à un monde à construire. Cette construction commence par une rupture épistémologique. Par cette notion, Pierre Bourdieu (parmi d'autres) entendait souligner la distanciation qu'il convient de construire entre le savoir scientifique et la " sociologie spontanée " des acteurs sociaux. L'une de ses exigences est la rupture avec les ``prénotions'' (Durkheim 1967).

A-DEFINITIONS DES CONCEPTS

Il est important d'effectuer un travail de clarification des concepts. Le fait étant conquis, construit et constaté, cette définition des concepts éloigne le chercheur du sens commun et des idées préconçues qui font parties du langage ordinaire qu'il faut systématiquement critiquer pour ne retenir dans la poursuite de la recherche que les mots dont le sens est suffisamment établi pour permettre que tous s'accordent sur ce qu'il veut étudier et ce qu'il veut dire. Il ne s'agit pas non plus de créer des concepts nouveaux, mais de mettre en place des concepts préalablement soumis à la critique et qu'une bonne définition aura rendu plus claires et plus opératoires. C'est donc dans ce cadre que les concepts de cultures de rente et formation de l'Etat seront définis en tant que concepts fondamentaux de notre sujet, forgés et appliqués dans un contexte différent de leur lieu d'origine.

1. Que sont les cultures de rente ?

Les cultures industrielles dites de « rente » sont l'ensemble des produits agricoles cultivés dans des plantations. C'est l'ensemble des produits qui a formé ce que l'on a appelé les `'denrées coloniales'', c'est-à-dire celles que pour des raisons climatiques, l'Europe ne pouvait pas produire. Dans le cadre de la colonisation allemande, ce sont des cultures correspondant essentiellement à un domaine spéculatif. Les cultures de rente sont généralement insérées dans une économie de plantation s'appuyant sur les propriétés du sol et du climat tropical pour produire en masse des produits destinés au marché international et quelquefois national.

Les principaux produits de rente sont soient des denrées alimentaires (la banane, l'arachide, le café, le cacao, les épices, l'huile de palme, etc.), soient des matières premières (coton, caoutchouc, etc.). Elles sont exploitées dans des plantations industrielles aux dimensions importantes, allant de centaines d'hectares jusqu'à des milliers. Les plantations se concentrent sur l'élévation permanente des rendements et l'optimisation des techniques.

Les colons vont faire entrer les populations dans leur système économique, en instaurant un système d'impôt payable en numéraire grâce à l'introduction de ces cultures de rente dites industrielles ou sous la forme de travail rémunéré (le travail forcé) pour la construction des infrastructures (routes, ponts, etc.). Les cultures de rente constituent dans cette étude l'élément par lequel la transformation des systèmes politiques traditionnels existant au Cameroun va s'opérer. L'imposition de ces cultures par l'ordre allemand aura des répercussions sur la formation de l'Etat camerounais.

2. La formation de l'Etat

Le mot `'formation'' indique que l'objet de cette étude est un processus actif, mis en oeuvre par des agents tout autant que par des conditions. Les populations camerounaises ont été parties prenantes dans la construction de l'Etat par le biais de leur participation à l'exploitation des cultures de rente.

D'après Kayo Sikombe (2007 :29), la formation est une élaboration inconsciente et indéterminée contrairement à la construction qui est un processus volontairement engagé pour atteindre des fins biens déterminées à l'avance. En ce qui concerne les politiques agricoles camerounaises de 1884 à 1914, si au départ elles sont essentiellement le fait d'une construction d'acteurs étrangers, elles deviennent de plus en plus une opération mixte de formation-construction au fur et à mesure que le local prend conscience de ses capacités d'action et de réaction. Aussi, l'emploi du terme de formation ne doit-il pas occulter le fait que des acteurs locaux vont influencer l'élaboration de ces politiques agraires. C'est cette interaction entre gouvernants et gouvernés qui marque dans une certaine mesure la spécificité de l'Etat camerounais. Celui-ci ne sera pas une réplique exacte de l'Etat allemand car chacun appartient à une aire culturelle distincte et répond à une trajectoire historique propre. L'Etat est une production historique c'est-à-dire que loin d'être une forme d'organisation politique naturelle et inévitable, il est avant tout le résultat d'une histoire complexe allant généralement du système monarchique au pouvoir institutionnalisé. L'étude de l'impact des cultures de rente dans la formation de l'Etat camerounais est pertinente dans la mesure où, en fonction des nécessités de l'administration allemande, le pouvoir colonial établira un système d'exploitation au Cameroun. Celui ci ignorait le plus souvent les réalités ethnoculturelles et historiques du peuple camerounais.

La formation de l'Etat comprise comme la constitution d'une organisation sociale et de domination politique reposant sur le monopole de la violence légitime et la revendication de la souveraineté dans un cadre territorial, est le résultat de la complexification de l'environnement d'une société. L'introduction des cultures de rente provoquera l'enchaînement des actions parfois planifiées pour aboutir à la naissance de l'Etat camerounais.

L'introduction des cultures de rente en tant que facteurs de transformation ayant affecté les formes politiques précoloniales camerounaises est l'une des conditions de la spécialisation des rôles politiques. « Parler d'une spécialisation des rôles politiques, c'est considérer qu'en certaines circonstances, voire de manière permanente, des individus ou des groupes accomplissent des actions visant à diriger la vie en société, à imposer des comportements à tous ses membres et à faire admettre qu'ils ont autorités sur eux », (Lagroye 1991 : 26). Par les cultures industrielles, les Allemands vont réussir à diriger la vie des populations résidant sur le sol Camerounais et par là, à leur imposer une orientation commune dans les techniques agricoles. Ceci va favoriser la mise en place des institutions devant gérer à la longue les Camerounais.

Dans le cadre de notre étude sur la logique de changement du mode de production et construction de l'Etat, il s'agit de mettre en relief le processus de centralisation d'un pouvoir, lequel est en même temps un processus de construction du pouvoir politique au Cameroun.

B- LA PROBLEMATIQUE DU CHANGEMENT DU MODE DE PRODUCTION COMME ENJEU CENTRAL DANS LE PROCESSUS DE FORMATION DE L'ETAT

L'objet de la recherche se construit à travers une problématique théorique qui permet de soumettre à « une interrogation systématique les aspects de la réalité mis en relation par la question qui leur est posée », (Berger et Luckmann 1986). En définitive, construire l'objet c'est « deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser de bonnes questions ». Ainsi, comme le disait Arthur Schopenhauer cité par Grawitz, « la tâche n'est point de contempler ce que nul n'a encore contemplé, mais de méditer comme personne n'a encore médité sur ce que tout le monde a devant les yeux ».

Il s'agit dans cette étude d'appréhender la formation de l'Etat à partir de l'imposition des cultures de rente. La problématique de changement du mode de production permet de dégager les mécanismes et les enjeux de domination territoriale légitime, ainsi que le contexte de lutte et de concurrence dans lequel se construit l'ordre politique. En d'autres termes, au commencement de cette recherche, il y a une interrogation que nous formulerons de la manière suivante : comment appréhender la formation de l'Etat à partir du changement du mode de production ? En clair, la question est de savoir si, à partir de l'introduction de nouvelles cultures sur le sol camerounais par les Allemands, on peut envisager les mutations politiques camerounaises ayant posé certaines bases de l'Etat camerounais ?

Il s'agit d'une problématique qui s'inscrit dans un processus politique évolutif qui marque les changements notables dans la vie politique d'un Etat en train de se faire.

C- HYPOTHESE DE TRAVAIL

Sur la base de l'interrogation sus-présentée, notre hypothèse principale est la suivante : le changement du mode de production au Cameroun par l'imposition des cultures de rente est une modalité de construction de l'Etat dans le cadre des relations de pouvoir que différents acteurs entretiennent entre eux tantôt en coopérant, tantôt en s'affrontant. Le changement du mode de production est une politique dialectique : ici, s'interpénètrent étatisation de la société par les autorités allemandes et socialisation de l'Etat par les acteurs locaux. En d'autres termes, l'imposition des cultures de rente est un moyen instrumentalisé par les Allemands et une occasion de contrôle des populations et d'affirmation des intérêts politiques et sociaux allemands. Cette situation crée une certaine homogénéisation des différentes composantes de la société.

D- INTERET DE L'ETUDE

Il y a un double intérêt à poursuivre cette étude. D'une part, ce travail permet de renouveler l'étude de la formation de l'Etat Camerounais en se situant sur le terrain des changements des modes de production. D'autre part, par un matériau inédit, il permet de rendre possible la mise en relation du poids des cultures de rente dans le processus de formation de l'Etat.

1. Renouveler la connaissance de la formation de l'Etat camerounais du point de vue de la sociologie historique de l'action publique

L'intérêt premier de cette recherche est de faire une sociologie historique de l'Etat camerounais par le biais des politiques agraires en train de se faire. Elle veut penser la formation de l'Etat par le biais de dispositifs d'action publique dans le domaine agricole, et c'est en cela qu'elle est inédite. Dans cette optique, la relation des acteurs en coprésence et les structures sociales sont indissociables. Que ce soit les dominés ou dominants, ce sont ces acteurs qui actionnent en tant qu'entités individuelles ou collectives l'institution.

Ces acteurs vont agir et réagir sur l'institution et par rapport à l'institution qu'est l'Etat qui est un produit du temps et des évènements. Comprendre donc le fonctionnement des Etats africains actuels doit passer par l'étude des conditions ayant permis son avènement c'est-à-dire qu'il faut employer une démarche de reconstitution des réseaux de relations explicatifs pour rendre compte des évènements sociaux ayant favorisés l'émergence de ces Etats africains. Pour rendre compte de ces évènements sociaux, il est nécessaire de remonter aux raisons des actions individuelles comme le pense Max Weber dans économie et société. Ces raisons répondent aux questions qui font sens pour les individus c'est-à-dire qui donnent une signification et une direction à leurs actions. L'émergence d'une nouvelle forme d'organisation politique étant généralement lié au changement du mode de production, notre recherche s'inscrit dans l'étude de la mise en administration de la société par le biais des politiques agricoles allemandes au Cameroun. A travers celle-ci, la rationalisation de la société va se répandre dans un grand nombre de domaine de la vie des Camerounais.

Parce que les Etats sont les produits de trajectoires toujours singulières, encore moins comparables lorsqu'ils appartiennent à des espaces culturels très éloignés les uns des autres, les mêmes concepts n'y désignent jamais exactement les mêmes réalités (Braud 1997 : 149). L'Etat en train de se faire au Cameroun ne sera pas une copie exacte de celui existant en Allemagne. Avec l'arrivée d'un nouveau système de production, les Camerounais seront enrôlés dans un flot permanent et quotidien d'actions. Actions qui vont engendrer des interactions avec d'autres acteurs et le nouveau type d'organisation sociale. En agissant et interagissant, ces acteurs vont produire trois propriétés structurantes : du sens, du pouvoir et de la légitimité (Giddens 1987). La légitimité doit être comprise ici comme la qualité qui confère une valeur sociale à une action sociale et qui justifie aux yeux de tous l'existence d'une activité (Weber 1971). La routinisation des habitudes rend normal l'existence des institutions. Giddens montre ainsi que la société " est un accomplissement compétent de ses membres, mais qui prend place dans des conditions qui ne sont ni totalement intentionnelles, ni totalement comprises de leur part. (...) Malgré cela, les êtres humains (...) sont les seuls créatures à faire leur propre histoire en sachant qu'ils ne peuvent la contrôler, tentent sans cesse d'y parvenir " (Giddens 1987). Ceci montre que l'Etat est une production historique répondant à des spécificités propres à chaque aire culturelle et fait surtout ressortir l'importance de l'étude sociohistorique dans la compréhension des Etats.

Dans cette optique, notre recherche est opposée à la plupart des études faites sur les Etats Africains. Celles-ci portent généralement sur des thèmes comme ceux du rejet de la greffe, des Etats défaillants, des Etats néo patrimoniaux et autres et sont développées par des auteurs comme Jean François Bayart, Jean François Médard. Bayart explique l'échec de la construction d'un Etat autonome au Cameroun par le poids des groupes sociaux subordonnés tandis que Médard le fait par le principe surdéterminant du néopatrimonialisme.

Loin d'être un modèle uniforme à l'ensemble des sociétés politiques, la nouvelle forme d'organisation sociale qui voit le jour avec les traités de Wesphalie est une institution, un ensemble de pratiques propre à chaque aire culturelle et influencé par l'évolution historique de chaque société. Que ce soit les dominants ou les dominés, ce sont eux qui vont participer à la mise en oeuvre des différentes politiques agricoles concourant ainsi à l'étatisation de la société camerounais. Ils ont leurs propres intérêts, leurs stratégies, leurs buts, leurs expériences, leurs histoires qui non seulement entrent en concurrence, mais surtout, vont agir et réagir sur la mise en administration de la société camerounaise. Aussi, tous ces éléments font que parler de rejet de la greffe ou d'échec de l'Etat au Cameroun revient à remettre en question les trajectoires spécifiques de formation de l'Etat ce qui est loin du but de notre recherche.

2-Les politiques agraires et la formation de l'Etat : une manière inédite de penser l'historicité de l'Etat camerounais

Par le biais de matériaux inédits, il nous a été possible de penser la formation de l'Etat au Cameroun par les politiques agraires. Notre recherche se caractérise par l'exploitation prioritaire des matériaux de première main, archivistiques et documentaires. Ces matériaux permettent de penser et de suivre la mise en administration progressive de la société camerounaise.

L'Etat étant une production historique suivant une trajectoire spécifique à l'aire culturelle étudiée, ces matériaux nous ont permis d'étudier l'historicité des politiques agricoles au Cameroun et l'adaptation de celles-ci au contexte prévalant dans le territoire durant sa mise en oeuvre. Ces différentes politiques agraires permettent d'observer la conquête du territoire camerounais et le contrôle des populations y résidants.

II. CADRE OPERATOIRE D'ANALYSE

Notre analyse se fait essentiellement dans un cadre géographique et temporaire bien précis.

A- CADRE GEOGRAPHIQUE DE LA RECHERCHE

Notre étude prend pour cadre toute l'étendue du territoire du Cameroun colonisé par les Allemands. Ceci dans la mesure où cet espace a servi de cadre d'imposition des cultures de rente par le pouvoir colonial allemand. Ceci veut dire que notre recherche débute à la période où le territoire camerounais ne se résumait qu'à la côte camerounaise (confère carte 1) et va se poursuivre sur les espaces conquis plus tard.

Les notions d'autorités politiques, de cultures de rente et de terre sont des notions capitales dans notre analyse. En effet, c'est en rapport à elles que la construction de l'Etat a un sens. A cet effet, l'autorité politique rend compte de l'impact des différentes politiques agraires sur le processus de formation de l'Etat camerounais. Ces politiques agraires sont différentes d'une autorité politique à une autre. Mais à défaut d'étudier toutes les autorités politiques allemandes ayant intervenus dans l'élaboration des différentes politiques agraires, nous avons choisi les autorités les plus représentatives des grandes lignes de la politique agraires et qui ont marqué sérieusement les évènements saillants de la construction de l'Etat camerounais.

B- BORNES CHRONOLOGIQUES

Nous travaillerons s'étend sur la période allant de 1884 à 1914. Le contact de l'Afrique avec l'Europe se situe un peu avant la période coloniale avec l'exploration des portugais et plus tard avec la traite négrière. Mais c'est bien avec la signature du traité germano-douala en 1884 (confère annexe 6) que nous situons véritablement le début du phénomène de formation de l'Etat camerounais. C'est à cette date qu'officiellement le drapeau allemand est fixé sur le plateau Joss à Douala pour matérialiser la présence d'un pouvoir légitime, somme toute étranger, qui prend possession du territoire et qui engage des mesures d'extension de son autorité à l'intérieur du pays en créant des plantations pour la cultures des produits de rente. Ces actions seront marquées par des ruptures et des continuités occasionnées par des acteurs qui se succèderont et se relayeront sur la scène politique locale.

L'une des dates significatives de la rupture politique agricole au Cameroun est 1894 qui marque l'agressivité des politiques agricoles allemandes au Cameroun et consacre la consolidation d'un pouvoir central. Mais c'est bien en 1900 que les politiques agraires du Cameroun deviendront une préoccupation politique allemande à travers la conception et la mise en oeuvre des politiques scolaires adaptées au besoin de main d'oeuvre des plantations allemandes.

Notre étude avant cette date consiste à établir la genèse de l'introduction des cultures de rente liées aux conjectures sociopolitiques allemandes. En effet, au départ réticent à toute aventure coloniale, Bismarck alors chancelier de l'empire allemand va brusquement se décider à annexer quelques territoires en Afrique. Ce changement de cap dans la politique de Bismarck a été dû aux pressions des hommes d'affaires ayant investis en Afrique mais aussi par la prise de conscience que la puissance d'un Etat repose désormais sur ses possessions coloniales. Bismarck qui pensait qu'une aventure coloniale devait fragiliser la puissance nouvellement acquise de l'empire et que cette dernière devait se concentrer sur l'Europe afin d'assoir sa puissance va se retrouver hors du contexte à partir des années 1890 lorsque l'empereur Guillaume II attaché au développement de la puissance militaire et de la richesse de l'empire allemand, va émettre des idées expansionnistes. Après le départ de Bismarck en 1890, Guillaume II s'engage dans une politique d'expansion commerciale, coloniale et maritime2(*) et ceci s'inscrit dans une lutte de leadership entre puissance car celui qui contrôle désormais les transactions maritimes détient en quelque sorte le pouvoir. Or, la Grande Bretagne et la France s'étaient très tôt engagées dans les aventures coloniales. Ces conjonctures participeront à la construction de l'enjeu sur lequel les politiques agricoles qui vont s'appliquer au Cameroun vont justifier leur existence. C'est pour cette raison que nous étudions tous les évènements liés aux cultures de rente durant 1884 à 1914 et ayant permis l'émergence de certaines bases de l'Etat camerounais.

Analyser tous les contours de la complexité de l'environnement dans la construction de l'Etat camerounais nécessite un outil méthodologique bien adapté.

* 1.Tocqueville dans son étude sur l'Algérie rédigée en 1841, marque la différence entre domination et colonisation. La colonisation vise à remplacer les anciens habitants par la race conquérante. Différente de la domination qui consiste à mettre les habitants sous sa dépendance et à les gouverner directement ou indirectement, la colonisation du Cameroun ne fait pas ici référence à une colonie de peuplement. Bien au contraire, il s'agit plutôt d'une combinaison entre une domination totale et une colonisation partielle car, l'étude de la soumission du territoire et la mise en discipline des populations du Cameroun par les politiques agricoles allemandes suivront cette combinaison.

* 2 URL : http://www.cheminsdememoire.gouv.fr du 10 septembre 2008.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault