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L'imposition des cultures de rente dans le processus de formation de l'etat au cameroun (1884-1914)

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par Sandrine Carole TAGNE KOMMEGNE
YAOUNDE 2 - SOA / CAMEROUN - Diplome d'Etude Approfondie en Science Politique 2006
  

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SECTION II : DE LA NEGOCIATION, DE L'IMPOSITION D'UN ORDRE ALLEMAND AU PROCESSUS DE STABILISATION DU JEU POLITIQUE

Le pouvoir politique est confronté au dilemme de négocier avec les détenteurs de ressources, et donc avec les groupes dominants, l'extraction des ressources nécessaires à son action. Le politique ne maîtrise pas totalement la production des ressources nécessaires à son action même s'il dispose de capacité de contrainte pour les obtenir. «Il en résulte une incitation forte à construire des régulations systématique qui menacent les positions sociales de ceux qui dominent les sous systèmes», (Commaille et Bruno 1998 : 124). De ceci, naîtra donc dans la société camerounaise des tensions entre les anciens groupes dominants et le nouvel ordre qui s'installe. Certaines populations ainsi que certaines autorités politiques traditionnelles vont résister à ces changements. Par le biais de ces résistances, nous verrons ici comment les Allemands vont réussir à poser les prémisses de l'Etat camerounais.

I- LA RESISTANCE COMME MOYEN FAVORISANT LA NAISSANCE D'UNE UNITE NATIONALE

L'imposition d'un ordre politique suppose l'existence d'une capacité de violence physique conséquente permettant à une direction administrative de revendiquer avec succès dans l'application du règlement, le monopole de la contrainte organisée. Ce nouvel ordre politique ne sera pas accepté sans résistance car, là où existe un régime d'oppression, existe aussi une résistance à l'oppression. "C'est la conquête qui permet de définir la disproportion des rapports de force, puisqu'elle indique qui est le plus puissant et qui est le moins puissant" (Laurens 2009 : 44). Nous verrons ici le refus de l'acceptation de l'ordre allemand et l'impact de la soumission forcée dans le processus de formation de l'Etat camerounais.

A. LES CHEFS TRADITIONNELS, LES POPULATIONS CAMEROUNAISES ET LE REFUS DE L'ACCEPTATION DE L'ORDRE ALLEMAND

Le pouvoir en quête de moyens se heurte aux princes sociaux qui avant lui les avaient captés (Jouvenel 1972 : 260). Or, ceux-ci vont essayer de conserver leurs acquis. Le pouvoir allemand qui s'installe dans le territoire du Cameroun n'est pas le seul acteur producteur de norme sociale et politique. Il s'ensuit que d'autres pouvoirs sociaux existent et à l'endroit desquels les hommes sont aussi débiteurs d'obéissance et de services. Certains de ces groupes qui avaient produit leurs propres systèmes de normes sociales entreront en compétition avec l'ordre allemand. Parmi les grandes résistances, le Cameroun a connu celles engagées contre la pénétration allemande et celles liées au refus de certains abus du pouvoir allemand.

1. Les résistances à la pénétration allemande

Ces résistances furent nombreuses mais la plupart était due à la résistance au changement. Le refus de la transformation du système d'action, le refus de l'apprentissage de nouveau rapport sociaux et la volonté de conserver les zones d'incertitudes que certains acteurs locaux contrôlaient sont autant de facteurs qui ont conduit certaines populations à résister. Les acteurs vont « chercher à orienter le changement de telle sorte qu'ils puissent maintenir, sinon renforcer la zone d'incertitude qu'ils contrôlent » (Crozier et Friedberg 1977 : 334).

La résistance Bangwa et celle des peuples Mbo sont parmi les plus connues. La conquête de Bangwa (1899-1903) intervient au moment où le gouverneur von Puttkamer opte pour une occupation énergétique (Saha 1993 : 25). Le besoin croissant de main-d'oeuvre pour les plantations allemandes qui se développaient rapidement autour du mont Cameroun ainsi que la mort controversée de Conrau sont tant de facteurs qui vont concourir à la déclaration de guerre au peuple Bangwa. Sur la mort de Conrau, Victor Julius NGOH dit que Conrau avait été capturé par les Bangwa qui l'accusaient de trafic d'esclaves. En effet, en 1898, des porteurs Bangwa avaient été engagés dans des travaux de plantation malgré eux. Et quand Conrau était revenu à Fontem en 1899 sans eux, les Bangwa conclurent à l'esclavage et le firent prisonnier. C'est durant une tentative infructueuse de fuite que Conrau trouva la mort. Après plusieurs expéditions menées par le capitaine von Besser et par la suite par Pavel et enfin par le capitaine Langheld en 1903, Bangwa finit par rendre les armes.

Quand aux peuples Mbo, ils étaient opposés à toute influence européenne. D'après Zacharie Saha, les Mbo entretenaient des foyers de troubles. L'insécurité était généralisée et les routes désertées. C'était une situation périlleuse dans laquelle la construction du Nordbahn aurait été impossible de même que le recrutement de la main-d'oeuvre pour les plantations côtières. En août 1905, une campagne énergétique sera engagée contre les Mbo sous la supervision du Capitaine Schniewindt. Ce n'est qu'en 1906 que celle-ci prit fin avec une résistance remarquable de la part des peuples Mbo qui par leurs contacts commerciaux avec les tribus côtières avaient très vite appris le maniement des armes européennes telles que les fusils à poudre à feu (Saha 1993 : 42).

Bien d'autres résistances de ce type eurent lieu. Mais à côté de ce genre, il y a eu des résistances face aux abus de pouvoir allemand.

2. Les résistances aux abus du pouvoir allemand

La résistance la plus connue est celle des peuples Doualas face à l'expropriation des populations Doualas. Mais à côté, il y a celle de Martin Paul Samba. Nous allons faire ressortir ici l'historique de ces deux résistances et analyser l'impact qu'elles ont eut sut la constitution de la société camerounaise.

a. Des règles générales concernant l'expropriation dans les colonies allemandes à la résistance des Doualas

Dans le souci de pouvoir disposer des terres de la colonie à tout moment, les Allemands vont élaborer des textes juridiques pour légitimer l'expropriation des anciens propriétaires de la terre convoitée pour cause d'utilité publique. Ici, il s'agira d'analyser les textes règlementant l'expropriation dans les colonies allemandes et par la suite, comment ces textes seront appliqués dans le cas des doualas.

i. Règles générales concernant l'expropriation dans les territoires allemands d'Afrique et de la mer du Sud

C'est l'ordonnance impériale concernant l'expropriation de bien fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du Sud du 14 février 1903 qui organise les mesures d'expropriation. Les autorités administratives pouvant décider si la procédure d'expropriation pouvait être faite étaient en règles générales le gouverneur ou le chef administratif d'une province. Mais de manière plus précise, le paragraphe 31 de ladite ordonnance précise que :

" La procédure d'expropriation est de la compétence du chef administratif du district dans lequel se trouve le terrain qui doit être expropriée ou auquel est lié le droit atteint par l'expropriation. Si le terrain est situé dans les districts de plusieurs administrations, le gouverneur désigne alors l'administration compétente, il peut aussi ordonner le partage de la procédure d'après les districts.

Le chancelier fixe quelle administration doit prendre en main les attributions accordées dans cette ordonnance au chef de district pour les territoires qui n'appartiennent à aucun bureau de district (Ministère des affaires étrangères, section coloniale).

Il est aussi autorisé à régler la compétence des administrations pour la procédure d'expropriation dans certains protectorats par dérogation à cette ordonnance." 23(*)

C'est ainsi qu'en cas d'utilité publique, comme le mentionne le paragraphe 1 de la même ordonnance, des propriétés deviennent terres de la couronne. Le passage de ces terres à la couronne suit une procédure détaillée par les allemands dans cette ordonnance. En effet, l'ordonnance énonce clairement les trajectoires à suivre.

"Si l'ouverture de la procédure est accordée, le gouverneur doit publier une description de l'entreprise (...) pendant un certain délai, pour que chacun puisse prendre connaissance ; le délai doit être d'un mois au moins. Début, durée et lieu de la publication doivent être communiqués avant le début du délai conformément à l'usage local. (Paragraphe 5)

Pendant le délai prévu au paragraphe 5, chaque intéressé peut faire des objections par écrit ou par procès verbal à l'administrateur du district. (Paragraphe 6)

A l'expiration du délai, l'administrateur doit fixer une réunion pour y discuter des objections. (Le compte rendu) de la réunion doit être publié officiellement conformément à l'usage local. Le preneur et les intéressés connus doivent être convoqués à la réunion. (...) Le soin d'inviter des témoins et experts de prendre part à la réunion incombe à l'administrateur. L'administrateur doit faire remarquer qu'un accord concernant l'indemnité doit être pris en même temps dans cette réunion. (Paragraphe 7)

Après clôture des discussions (négociations), l'administrateur doit soumettre au gouverneur avec son avis si le droit d'expropriation peut être décerné. Celui-ci prend la décision si et dans quelle mesure le droit d'expropriation sera décerné (...). La décision doit être rédigée par écrit munie de motifs et être expédiée aux intéressés, et outre cela, être publié conformément à l'usage local. (Paragraphe 8)

La décision d'expropriation doit être communiquée à la personne ayant droit à l'indemnité et au preneur. Aussitôt après remise faite, l'administrateur doit instruire le bureau du cadastre de la décision. (Paragraphe 17)

Par la remise de la décision d'expropriation à la personne ayant droit à l'indemnité, le preneur acquiert la propriété, (Paragraphe 19)."

Ce qui précède concerne de manière générale les propriétés acquises par les européens. Ces mesures concernaient aussi les mines. Pour ce qui concerne l'expropriation des droits des indigènes, le paragraphe 24 de la même ordonnance précise que :

" Dans la mesure où le droit contre lequel s'adresse l'expropriation, appartient à un indigène, c'est l'administrateur sur demande du preneur qui décide après avoir pris des renseignements (...) Il fixe donc le délai pour faire valoir la manière et l'importance de l'indemnité à accorder."

Par ailleurs, des précisions seront apportées plus tard à cette ordonnance impériale. C'est ainsi que dans l'ordonnance du chancelier du 12 novembre 1903 pour l'exécution de la section IX de l'ordonnance impériale concernant l'expropriation des biens fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février 1903, des éclaircissements sont apportés sur la procédure d'expropriation. Il est noté au paragraphe 5 que :

" Si la procédure d'expropriation est introduite, l'établissement des surfaces à exproprier se fait alors par la commission territoriale (ou foncière) en application conforme au sens des prescriptions contenues aux paragraphes 324(*) et 425(*) de l'ordonnance domaniale pour le Cameroun du 15 juin 1896 en ce qui concerne la séparation de surfaces en faveur des indigènes lors de la prise de possession du terrain de la couronne et de la formation des commissions territoriales pour détermination et la recherche du terrain de la couronne.

La décision concernant l'indemnité à accorder à l'actuel propriétaire se fait sur rapport du gouverneur après l'audition des intéressés par le chancelier. "26(*)

Comme on le constate, les Allemands avaient mis sur pied un véritable instrument juridique réglementant l'expropriation dans leurs colonies. Comment celles-ci seront-elles appliquées dans le cas de l'expropriation dont sera sujette les populations doualas ?

ii. De la résistance des Doualas à leur expropriation

Dans le souci de détenir le territoire de la ville de Douala, le gouvernement va entreprendre une procédure d'expropriation des populations des peuples Doualas du plateau Joss en 1910. Le gouvernement voulait devenir entièrement maître du territoire de la ville de Douala dans un délai de cinq ans. Etant donné que ledit territoire était encore propriété des Camerounais, les Allemands entreprirent une mesure visant à indemniser les Doualas. Les intéressés devaient recevoir en contrepartie 40 pfennigs par m2 en plus d'un dédommagement supplémentaire pour leurs maisons situées sur le plateau Joss (Ruger 1986 : 147). L'une des raisons du gouvernement allemand était de vouloir "empêcher les indigènes de tirer profit de la vente de leur sol et de l'utiliser eux-mêmes dans l'avenir, de sorte que l'augmentation de sa valeur profite au trésor et non aux indigènes comme ce fut le cas jusqu'alors", (Ruger 1986 : 149). Le secrétaire d'Etat aux colonies approuva le plan et fit débloquer par le gouvernement du Reich, dans le cadre de l'exercice budgétaire de l'année 1911, les moyens nécessaires pour le financement du projet.

Seulement, les populations Doualas furent contre. Malgré les deux réunions qui eurent lieu les 24 et 30 octobre 1911 et où les chefs Doualas furent informés du projet d'expropriation, aucun d'eux ne manifestera une disponibilité à livrer volontairement leur territoire. Devant la détermination du gouvernement allemand de concrétiser leur projet, ils élèveront leur protestation de manière formelle dans un télégramme le 30 novembre 1911. C'est Rudolph Manga Bell qui avait succédé à son père en 1908 qui fut chargé d'envoyer ce télégramme au Reichstag. Cependant, le Reichstag laissa le soin de décider au Bureau colonial du Reich. Le secrétaire d'Etat aux colonies, qui devait être Wilhelm Heinrich SOLF, ordonna au nouveau gouverneur Ebermaier l'exécution dans le plus bref délai du plan d'expropriation entre 1912 et 1913. C'est dans cette mesure que Manga Bell envoya un télégramme le 15 Avril 1913 ayant la teneur suivante : " malgré la plainte fondée, les travaux d'expropriations suivent leurs cours. Demande que le gouvernement veuille télégraphier pour ordonner l'arrêt " (Ruger 1986 : 153).

En décembre 1913, le processus d'expropriation commença. Le district ordonna la destruction des maisons de la cité de Joss et le déménagement. Jusqu'en fin janvier 1914, toutes les maisons de Bonanjo avaient été rasées, Bonapriso et Bonaduma ainsi qu'une partie du plateau de Bali devaient être aplanis jusqu'en début mars. Les "dédommagements" que le district offrait aux expropriés oscillaient entre 2,10 marks et 2 pfennigs le m2 ou encore entre une moyenne de 1,1 marks à Bonanjo, 47 pfennigs à Bonapriso et 45 pfennigs à Bonaduma, (Ruger 1986 : 163).

Tel fut de manière générale les trajectoires de la résistance Douala. A côté, il y a la résistance de Martin Paul Samba, d'abord collaborateur des Allemands avant de devenir plus tard résistant.

b. Mebenga m'Ebono dit Martin Paul Samba et la résistance au abus de la colonisation allemande

Mebenga m'Ebono dit Martin Paul Samba est né vers 1875. Il appartenait au clan Yéméméma, de l'ethnie boulou (Mbono Samba Azan 1976 : 13). Il est envoyé en Allemagne en 1891 dans le cadre du projet des Allemands de former de jeunes noirs qui reviendront dans leur pays pour participer à la réalisation de son unité et son futur développement. Il suivra une formation militaire et à son retour à Douala, il aidera les Allemands à briser les résistances. La carrière militaire de Samba se fait sous l'autorité de gouverneur Puttkamer.

En 1900, Samba s'établit comme commerçant et s'installe à Olama où il demeurera 10 ans, de 1902 à 1912. Les excès des Allemands le pousseront à monter des réseaux de résistances mais aussi d'aider d'autres résistants. En effet, le comble de ces excès est atteint lorsque Hans Dominik et un certain Hagen dit Mendom, en mal de divertissement se rendent avec une escouade de la schutztruppe sur la grande plage de Kribi et jettent à la mer des dizaines d'enfants qui finissent par se noyer. Les parents assistent au drame et sont tenus en respect par les miliciens. Ce fut l'une des causes ayant décidé Samba à réagir. Il aurait été instructifs pour nous de consulter les ouvrages de la bibliographie de Mbono Samba Azan Madeleine afin de pouvoir les exploiter. Cette bibliographie se trouve en annexe 5.

Son entreprise commerciale va lui servir de couverture pour son activité clandestine. Il rencontrera à plusieurs reprises le chef Manga Bell à Douala, le chef Edandé Mbita, chef de Nkomakak près de Kribi et le chef Madola aux pays Bakoko. Cette résistance à un même problème fait naître une communauté d'interêt entre ces différents personnages qui dans un autre contexte n'auraient pas été alliés.

En définitive, ces résistances ont eu des effets indéniables dans le processus de formation de l'Etat camerounais.

* 23 ANY, TA 22 et bis, Ordonnance impériale concernant l'expropriation de bien fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février 1903.

* 24 Le paragraphe 3 de cette ordonnance stipule : " Lors de la prise de possession des terres de la couronne dans les environs de l'installations indigènes existantes, des terrains sont à réserver dont la construction ou l'utilisation assure l'existence des indigènes, en tenant compte de l'augmentation future de la population. "

* 25 Le paragraphe 4 quant à lui dit : " La recherche et la détermination des terres sans maîtres (terres de la couronne) seront effectuées par le Gouverneur et dont fera partie le personnel de géomètres nécessaires. Ces commissions statueront sur les prétentions éventuelles des particuliers. Il pourra être appelé de ces décisions. "

* 26. ANY, TA 22 et bis, Ordonnance du Chancelier pour l'exécution de la section IX de l'ordonnance impériale concernant l'expropriation de bien fonds dans les protectorats d'Afrique et de la mer du sud du 14 février 1903, du 12 novembre 1903.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King