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Les enjeux géostratégiques de l'initiative pays pauvres très endettés (PPTE): le cas du Cameroun

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par Bruno ATANGANA
Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2009
  

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Chapitre II

Le succès d'un pays au programme d'Initiative PPTE est fonction de son respect des réformes préconisées par les institutions financières internationales. A l'observation, le cheminement du Cameroun dans ce programme a été irrégulier ; l'examen des choix politiques au cours de cette période révèle des dysfonctionnements de management dus à la résurgence des pratiques néopatrimoniales (section I). Ces pratiques ont affaibli la capacité de négociation du pays et l'ont ainsi exposé à l'extraversion (section II).

Section I : LES PRATIQUES NÉOPATRIMONIALES COMME MODALITÉ D'EXERCICE DU POUVOIR AU CAMEROUN

L'historicité de l'exercice du pouvoir au Cameroun est caractérisée par l'hybridation des pratiques de la modernité démocratique et du patrimonialisme. De ce point de vue, les modalités d'exercice du pouvoir font sens lorsqu'on les situe dans la confusion du public et du privé, l'alternance entre intérêt général et intérêts particuliers. S'il apparaît comme une pratique du passé (§1), le patrimonialisme survit à l'ère de l'Initiative PPTE (§2).

Paragraphe 1 : Le poids de l'héritage politique institutionnel.

Le contexte post-colonial de transfert de pouvoirs aux autorités politiques locales a fait l'objet de toute une sociologie du pouvoir d'Etat en Afrique (A). En effet l'exercice du pouvoir, fait de modernité et de tradition, s'est manifesté au Cameroun par la cristallisation d'une culture néopatrimoniale aux dépens d'un aggiornamento managérial (B).

A) Entre Patrimonialisme et Néopatrimonialisme : une question de doctrine

La thèse de l'échec de l'Etat en Afrique est justifiée par l'incompatibilité entre la modernité et les pratiques patrimoniales (Chabal; Dumont). D'après cette thèse, l'exercice du pouvoir en Afrique est caractérisé par l'autoritarisme, le népotisme, la confusion du public et du privé. Ce n'est pas le point de vue de Max Weber; pour lui en effet l'Etat n'a pas échoué, il a juste fait l'objet d'une réappropriation grâce à la combinaison des éléments de modernité et de tradition. C'est cette approche qui a conduit à l'émergence du néopatrimonialisme. Richard Joseph pense que la bataille entre le pouvoir personnel et le pouvoir des institutions, basée sur l'Etat de droit, n'est pas encore résolue (Richard, 2008).

Puisqu'il se joue au profit du pouvoir personnel, le néopatrimonialisme est incapable de produire les biens communs (routes, ponts, marchés, éducation santé, etc.) qui peuvent accroître la productivité, développer le capital humain, stimuler le développement (Diamond, 2008). Au contraire sa caractéristique est de produire des biens privés pour ceux qui ont accès au pouvoir, l'attribution des contrats et marchés se faisant sur la base des malversations  et non de la meilleure prestation de service. Ces pratiques, pense Diamond, sont caractéristiques des gouvernements de l'Afrique sub-saharienne où la demande en démocratie excède l'offre (Richard, op.cit). De ce point de vue, le combat politique en Afrique demeure beaucoup plus un conflit entre l'état de droit et l'état autocratique; à coté du fonctionnement bureaucratique formel subsistent des pans entiers de pratiques individualistes.

La figure d'Etat faible à laquelle répondent ces caractéristiques, n'est pas seulement justifiée par la défaillance de l'Etat sur le contrôle de tout ou partie de son territoire ; elle trouve également son fondement dans le déficit d'autonomie politique des Etats africains (Fogue, 2002). Penser le pouvoir en Afrique et au Cameroun en particulier, renvoie donc à l'analyser à travers la persistance des pratiques néopatrimoniales.

B) Dynamiques de cristallisation d'une culture néopatrimoniale au Cameroun.

Parler d'une culture néopatrimoniale renvoie à l'idée d'une intériorisation par les individus d'un phénomène et son érection en usage courant d'expression d'un mode de vie. Les pratiques néopatrimoniales en oeuvre au Cameroun constituent à cet égard un moyen de passage de l'illicite en règle. Ce processus d'absolution, de réhabilitation et de légitimation de l'irrégulier s'illustre à travers l'inflation de la corruption dans les secteurs les plus divers de la société camerounaise. Une étude de Transparency International sur le classement des secteurs et services publics selon le degré d'affectation de la corruption en 2007, révèle que le phénomène a pris des proportions significatives, ainsi que le démontre le tableau suivant:

Tableau 7: classement des secteurs et services publics selon le degré d'affectation de corruption

Rang Secteurs et Services Publics Notes

1e. Douanes 3,915

2e. Service des impôts 3,678

3e. Police et Gendarmerie 3,640

4e. Système légal judiciaire 3,494

5e. Services fonciers 3,099

6e. Services de transport 3,079

7e. Services d'autorisation administrative 3,055

8e. Services des Eaux et Forêts 2,987

9e. Services de Santé 2,978

10e. Partis politiques 2,909

11e. Parlement ou pouvoir législatif 2,789

12e. Système Educatif 2,749

13e. Services d'Enregistrement 2,634

14e. Armée 2,334

15e. Services publics 2,054

16e. Secteurs privés des affaires 2,029

17e. Médias 1,926

18e. Services d'état civil 1,465

19e. ONG 1,213

20e. Institutions religieuses 0,793

Source : CRETES- Transparency International, Février 2007

De ce qui précède, il ressort que les services publics sont les plus affectés par la corruption; en d'autre terme, la gestion administrative et l'exécution de service public intègrent les malversations comme éléments inhérents à l'exercice du pouvoir. En théorie, la corruption est interdite par le Code pénal camerounais et par les nombreux dispositifs réglementaires mis en place dans chaque département ministériel dans le cadre du Programme National de Gouvernance (PNG). Mais la gestion informelle des affaires connaît une réalité coupée de toute formalité juridique. Selon Larry Diamond, les institutions formelles de la démocratie peuvent coexister avec les pratiques informelles du clientélisme et de la corruption sans les remettre en cause ni les évincer (Diamond, op.cit). De ce point de vue la corruption apparaît comme une catégorie de modélisation de la figure informelle du politique, érigée en mode culturel d'exercice du pouvoir. Même les contraintes destinées à la combattre n'y résistent pas, plutôt elles en nourrissent l'affermissement. A titre d'illustration, le processus de démocratisation, parce qu'il crée des contraintes de situation, sert de terreau fertile aux logiques d'opportunisme (Sindjoun, 1999).

Dans le même ordre d'idées, les dynamiques de cristallisation du néopatrimonialisme font sens dans le sillage de l'émergence du syndrome du « big-man ». Dans son acception politologique, cette notion renvoie au règne de l'autocratie et de la corruption (Encyclopédie Wikipédia) par opposition à sa conception anthropologique qui l'identifie à la figure influente d'une tribu ou d'une communauté. En réalité cette distinction est relative, car la mise en compétition au niveau local de personnalités en quête de leadership est sujet à caution .Elle permet de justifier la quête d'enrichissement personnel, y compris par les détournements de fonds publics, dans le but d'obtenir une légitimité que ne confère pas la tradition. On veut ainsi être personnalité influente dans sa localité à travers la distribution des dons et autres faveurs, ce qui favorise la tentation de détournement de fonds publics. L'ancrage psychologique né de cette démarche de mobilisation des forces dans le marché des positions politiques (Sindjoun, 1996) est créateur d'effet de concurrence entre les acteurs du jeu politique, en terme de possession du capital économique (Weber), et rendu diffus auprès des couches diverses de la population. C'est ce que soulignait Niels Marquardt22(*) en affirmant: « aucune institution ne semble immunisée par ce virus, et la corruption est pratiquée et justifiée par le commun des camerounais, c'est-à-dire par les petits enfants, leurs parents, leurs grands parents, les fonctionnaires, bref tout le monde... ». L'intégration de la corruption et du clientélisme dans les moeurs participe donc d'une volonté affirmée de confusion du public et du privé. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre la gestion du programme PPTE par le Cameroun

* 22 Extrait du discours de Niels Marquardt, (alors ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun), prononcé le 19 Janvier 2006 à Yaoundé.

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