I.2.6. Cadre conceptuel
Cette partie est consacrée à élucider
quelques concepts-clés qui contribueront à faciliter la
compréhension de nos travaux. Nous avons retenu pour cela : école
coranique, madrasah, talibé, marabout et mendicité.
> Ecole coranique :39 Traditionnellement,
c'est le premier enseignement que reçoit tout enfant dans les
sociétés islamiques. L'école coranique est
remplacée par les systèmes modernes d'éducation mais on en
trouve encore dans de nombreux endroits. Dans la langue courante on appelle
souvent ces écoles kuttàb ou m'seyyid, et les
enfants y passent quatre ou cinq ans pour apprendre à lire et à
écrire, recevant parfois des rudiments d'arithmétique. La
mémorisation du Coran tout entier constitue le couronnement de ce type
d'enseignement. Les voix à l'unisson de groupes d'enfants en train de
réciter le Coran composent une des tonalités les plus
caractéristiques de nombreuses villes islamiques traditionnelles. Quand
le Coran est mémorisé dans sa totalité, l'éducation
de l'adolescent est achevée, à moins qu'il ne continue son cursus
à la madarsah (enseignement secondaire). Comme les
systèmes modernes d'éducation ont remplacé de nos jours le
système traditionnel, l'école coranique joue de plus en plus un
rôle d'institution préscolaire, ou son parallèle
éducatif, pour les jeunes enfants.
Habituellement, le professeur est payé à
intervalle régulier, à mesure que l'élève avance
dans la connaissance du Coran. La sourate ar-Rahamàn, marque
une étape importante; le professeur reçoit alors une
gratification, souvent sous forme de moutons. (Les paiements sont
effectués par portion de Coran réellement
mémorisée. La coutume pré --islamique puis islamique
retient comme base de rémunération la tâche accomplie, et
non l'effort ou le temps qu'on lui a consacrés). De plus, un mouton est
sacrifié et une cérémonie appelée le
nafasarRahamàn (l'insufflation du souffle du
Miséricordieux) est célébrée pour l'enfant.
Dans les écoles coraniques, on écrit
habituellement sur des tablettes de bois appelée lawh, sur
lesquelles on a passé un mélange de chaux pour donner une surface
propre et lisse, et pour pouvoir effacer les leçons
précédentes. L'encre est un mélange de charbon de bois
additionné d'eau ; le calame est un roseau aiguisé et dont la
pointe est taillée à un angle de manière à pouvoir
rendre les pleins et les déliés caractéristiques des
lettres arabes. Certaines des tablettes d'élève peuvent
être magnifiquement décorées par la calligraphie du
professeur pour être montrée à la maison aux parents
marquant ainsi que la classe a atteint un stade particulier de l'apprentissage
du Coran.
Au regard de ces définitions, nous retenons pour notre
part que les différentes appellations : école coranique, foyer
coranique et centre coranique désignent une seule et
39 BORDAS, Dictionnaire encyclopédique de
l'Islam, p. 90.
32
même réalité. Aussi, emploierons-nous
indifféremment l'un ou l'autre terme pour désigner la même
école.
> Madrasah désigne littéralement un
« lieu d'étude » ; pluriel, madaris.
C'est une école traditionnelle d'enseignement
supérieur, dans le sens où ses élèves
étaient supposés avoir déjà mémorisé
le Coran tout entier. Le cursus correspondait au trivium des arts
libéraux (grammaire, logique et rhétorique) et comprenait du
droit (fiqh) ; les systèmes mathématiques traditionnels
(abjad) ; la littérature, l'histoire, la grammaire à un
niveau plus poussé, le calcul des heures de la prière,
l'exégese et la psalmodie du Coran et ainsi de suite. On y enseignait
parfois également la médecine et l'agronomie.
Mais, dans la pratique, la medersa est un
établissement d'enseignement privé où les cours sont
dispensés en langue arabe mais traduits en langue nationale. Ce qui nous
amène à dire que c'est une école bilingue même si on
y étudie fondamentalement la religion musulmane avec l'arabe comme
langue d'enseignement.
Cette définition nous rapproche de celle donnée
dans le décret n°99-221 portant réglementation de
l'enseignement privé au Burkina Faso ainsi formulée : «
Les medersas ou écoles franco-arabes sont des établissements
privés confessionnels oil une partie de l'enseignement est
dispensée en arabe. »
C'est en fait à partir de 1973-197440 que
l'Etat s'est engagé à reconnaître la medersa comme
établissement d'enseignement à travers des textes organiques,
notamment le décret 74-130 PRES/EN/ de mai 1974 portant
réglementation de l'Enseignement Privé en Haute-Volta. Ceci
aurait eu pour effet l'implication de l'autorité éducative
à la gestion administrative et pédagogique, ainsi que la
promotion de l'enseignement medersa à travers les structures centrales
et décentralisées du Ministère de l'enseignement de
base.
Toutefois, selon l'auteur, l'implantation des premieres
écoles a eu lieu dans les zones situées près du Mali
actuel. Ce sont celles de Bobo --Dioulasso, de Nouna, de Tougan et de
Ouahigouya qui ont bénéficié de certains facteurs tels la
proximité avec le Mali fortement islamisé et islamiquement plus
avancé et la libre circulation des érudits.
4° M. OUEDRAOGO, Enseignement de Base et enseignement dans
les Medersa au Burkina Faso : cas de la province du Yatenga, Mémoire de
fin de formation, 2004, p. 17 à 18.
34
Citant Issa CISSE, il repartit les medersas du Burkina Faso en
trois catégories suivant leurs fondateurs :
> les fondateurs inspirés du réformisme
(mouvement qui prône « un retour à l'Islam essentiel et de
fidélité stricte au Coran »). Il s'agit par exemple de la
famille Diénépo à Bobo Dioulasso ; Ibrahim DIENEPO
créa son école en 1955-1956;
> les medersas créées par l'Union Culturelle
Musulmane (UCM). Ce sont par exemple celles de Sikasso-Cira à
Bobo-Dioulasso en 1958, de Tougan en 1959, de Nouna en 1957 et de Ouagadougou
en 1959 ;
> les medersas fondées et entretenues par la
communauté musulmane. Il s'agit par exemple de celle de Ouahigouya,
créée en 1965.
En dépit de leurs caractéristiques qui sont bien
distinctes, certaines personnes tendent à confondre medersa,
école franco-arabe et école coranique. Aussi, avons-nous
jugé utile de répondre à la question sur la
différence entre ces trois structures.
Nous dirons d'abord que l'école franco-arabe est une
école où les langues d'enseignement sont à la fois l'arabe
et le français. C'est en fait une medersa qui a intégré le
français dans ses programmes. Dans ce type d'école nous avons
généralement les enseignants affectés soit à
l'enseignement du programme arabe soit à l'enseignement du programme
français. On y enseigne non seulement la religion mais aussi certaines
matières officielles. Les langues d'enseignement sont le français
et l'arabe.
A propos de la différence entre medersa, école
franco-arabe et école coranique, Ali HAMADACHE cite : « La
medersa est mieux organisée et structurée que l'école
coranique qui se réfère à une tradition immuable dans tous
les domaines Elle ne s'adresse qu'aux citadins et concurrence l'école
publique là où les deux écoles existent A l'origine elle
concernait les jeunes hommes à partir de 25 ans, mais après, avec
le progrès de l'enseignement de l'arabe, elle devient
l'équivalent de l'école primaire et secondaire
publique».41
C'est à partir des années 1950, poursuit HAMADACHE,
que les premieres medersas furent ouvertes dans les pays à colonisation
française, tandis que leur apparition est bien
41 Khayar, 1976, p.77.
antérieure dans les colonies britanniques. Au Ghana,
leur ouverture daterait de 1889. Deux raisons sont avancées pour
expliquer cette différence. La première, les Anglais semblaient
moins intéressés par l'assimilation culturelle des populations
colonisées que par leur exploitation économique. La
deuxième42 : « dans les colonies britanniques le
courant réformiste dominant était plutôt de tendance
moderniste, c'est-à-dire il visait l'efficacité de l'enseignement
islamique par la synthèse de l'Islam et de l'Occident».
Des ses débuts, écrit l'auteur, la medersa prend
en Afrique deux orientations : la premiere, moderniste à l'image de
l'Ecole européenne, où on étudie l'arabe, l'islam et les
disciplines scientifiques à partir d'une langue européenne ; la
seconde, conservatrice, a pour modele le monde arabe avec la langue arabe comme
langue exclusive d'enseignement. Il cite à nouveau : « D'une
part les medersas dé-maraboutisent l'islam en dénonçant
les erreurs pédagogiques des écoles coraniques, l'ignorance des
marabouts, et, de l'autre, elles centrent la formation sur l'acquisition des
connaissances scientifiques (mathématiques, physique, sciences
naturelles, apprentissage systémique de l'arabe, formation
idéologique et religieuse ».43
Adama OUEDRAOGO44 fait la distinction en
écrivant que : « La medersa est un établissement dans
lequel sont dispensés des cours sur différentes matières
littéraires, sociales, scientifiques et religieuses en arabe. Le besoin
de communiquer en français, la recherche du travail et aussi le prestige
du français ont amené les fondateurs à introduire
l'apprentissage de cette langue dans les programmes Cet ajout a donné
lieu à une typologie des medersas au Burkina Faso : une «
école medersa » est celle qui dispense les cours uniquement en
arabe, alors qu'une « école franco-arabe » enseigne en arabe
et en français. »
L'auteur évoque les programmes des différentes
écoles ainsi qu'il suit :
Dans les écoles coraniques, le programme se compose de
matières religieuses et de la langue arabe. Pour la religion, on a trois
matières à savoir le coran, le fiqh et le
tawhid. Le fiqh traite deux domaines :
al-ibadàt qui sont les pratiques religieuses comprenant les
cinq piliers de l'islam (la priere, le jeune de ramadan, la zakat et
le
42 Kanvaly FADIGA ; 1988, p. 173
43 Ibid. p.174
44 op.cit.
pèlerinage à la Mecque) et
al-mu-àmalat qui sont les rapports entre les humains comme le
crédit, le commerce, le mariage, le baptême, etc.
Le tawhid ou al-aqidàt traduit
littéralement par unicité de Dieu, la croyance, traite des
attributs de Dieu, des livres révélés, des
prophètes, du destin et de la résurrection. Pour ce qui est de la
langue arabe, elle a cinq matières : la littérature, la
conjugaison, la grammaire, la lecture et l'écriture.
v' Dans les medersas du cycle primaire du Burkina Faso les
matières enseignées en général sont la langue arabe
à travers : la lecture, l'écriture, la grammaire, la conjugaison,
l'orthographe, la dictée, la rédaction, l'expression orale et
l'expression écrite ; les matières religieuses comprennent : la
Coran, la jurisprudence, le hadith, le tawhiid, la morale, la biographie du
prophète et l'histoire islamique ; la science sociale est
composée de l'histoire, de la géographie et de l'éducation
civique ; la langue française se compose de : la lecture,
l'écriture, la grammaire, la conjugaison, l'orthographe, la
dictée, la rédaction, l'expression orale et l'expression
écrite ; et les matières scientifiques sont constituées du
calcul, de la géométrie, de l'arithmétique et des
sciences.
Ces matières sont en fait celles que recommande le
programme officiel de 1989-1990 du Ministère de l'Enseignement de Base
et de l'Alphabétisation.
Pour OUEDRAOGO Mahamadi45, la medersa enseigne la
lecture, l'expression orale, l'expression écrite, le vocabulaire, la
grammaire, l'orthographe et le calcul. Selon la place accordée à
l'utilisation de la langue dans une école on peut distinguer le type
auquel il appartient. Le type 1 appelé medersa arabe regroupe toutes les
écoles où les enseignements sont faits en arabe utilisé
à 75 % et en français utilisé à 25% surtout dans le
sens d'une alphabétisation. Le type 2 appelé « école
franco-arabe » regroupe les écoles où le français est
utilisé comme objet et langue d'enseignement (75%) et l'arabe (25%)
utilisé comme matière et langue d'enseignement dans les
disciplines religieuses et en calcul.
Quant aux programmes, ils sont les mêmes que dans les
autres écoles primaires et pour tous les cours du CP1 au CM2 avec les
mêmes thèmes et contenus pédagogiques.
45 M. OUEDRAOGO, Enseignement de Base et enseignement
dans les Medersa au Burkina Faso : cas de la province du Yatenga,
Mémoire de fin de formation, 2004, p.22
36
De ce qui précède, nous retenons que la medersa
et l'école franco-arabe sont des établissements d'enseignement
qui se rapprochent des écoles classiques par leurs structures, leur
organisation matérielle, administrative et pédagogique. Elles se
distinguent des écoles coraniques où l'enseignement se
déroule dans des foyers avec les talibés s'asseyant par terre et
avec du matériel didactique rudimentaire et des méthodes
pédagogiques archaïques.
> Talib ou talibé veut dire littéralement
« celui qui demande », « celui qui cherche » ;
c'est-à-dire un étudiant. A l'origine, le terme désignait
seulement un étudiant dans le domaine de la religion. Dans certains
pays, talib sert à désigner le disciple d'un
maître spirituel.
> Marabout46 est un mot français
dérivé de l'arabe marbùt « attaché
» dans le sens d'attaché à Dieu. Terme utilisé en
Afrique du Nord et en Afrique occidentale pour désigner un saint ou le
descendant vénéré d'un saint. Même si la
vénération des saints existe dans une certaine mesure à
travers tout le monde islamique, ce phénomène constitue une
importante dimension de la spiritualité dans l'Occident arabe et dans
l'Ouest africain. Seules les régions placées sous la domination
Wahhabite ont totalement éradiqué toutes les
manifestations de dévotion aux saints qui existaient auparavant.
Le saint est considéré comme exerçant une
influence spirituelle ou comme bénéficiant d'une grace ou d'une
bénédiction (barakah) particulière qui peut
s'attacher indéfiniment à sa tombe et être
bénéfique à ceux qui visitent celle-ci. L'intercession est
fréquemment sollicitée dans les prières ; en fait, une
famille peut aussi posséder la barakah, qui se transmet de
génération en génération chez les descendants d'un
grand saint, bénédiction marquée par une
piété particulière plutôt que par des dons de
guérison comme cela était attribué aux familles royales
françaises ou britanniques.
En Occident arabe, les coupoles caractéristiques des
tombeaux des saints parsèment le paysage et les fêtes des saints
(mawsim en arabe) rythment l'année, occasions de rassemblements, parfois
de plusieurs milliers de personnes, de foires, de fantasias et autres
célébrations.
46 BORDAS, Dictionnaire encyclopédique de
l'Islam.
« Marabout » est un terme plus souvent
employé en français qu'en arabe, et est particulier aux
régions d'Afrique du Nord et de l'Ouest ayant fait partie de l'empire
colonial français.
Maraboutisme est un mot français inventé
pour désigner la vénération des saints.
> Mendicité47 : Pratique mal vue par
le droit islamique ; en revanche, le don d'aumônes (Sadaqah) est
un devoir religieux qui purifie l'âme. Il n'est pas licite de mendier si
l'on a de quoi subvenir à ses besoins pendant un jour et une nuit. Des
derviches adoptèrent cependant la mendicité comme moyens
d'existence. Voici ce qu'al-Hujwiri disait : Il existe trois motifs valables
pour mendier, comme de nombreux Shaykhs l'ont dit : d'abord pour
l'amour de la liberté de l'esprit, puisqu'aucun souci n'est plus
préoccupant que celui de s'assurer de sa nourriture ; ensuite, pour la
discipline de l'âme : les soufis mendient parce que c'est
particulièrement humiliant et que cela les aide à prendre
conscience de leur peu de valeur dans l'opinion des autres et ils
évitent ainsi les écueils de l'autosatisfaction ; enfin , c'est
une preuve de respect pour Dieu si un serviteur mendie auprès d'hommes
qu'Il considère tous comme Ses serviteurs car cela dénote une
plus grande humilité que de s'adresser à Dieu directement.
Les règles de la mendicité sont les suivantes :
si tu mendies et que tu n'obtiens rien, montre-toi plus joyeux encore que si tu
avais obtenu quelque chose ; ne mendie pas auprès des femmes ou des gens
qui trainent dans les bazars et autant que faire se peut, fais le dans un
esprit altruiste ; ne garde jamais ce que tu as récolté pour
embellir ta mise, pour ta maison ou pour acquérir des biens. Tu dois
vivre dans l'instant : ne laisse aucune pensée du lendemain entrer dans
ton esprit, ou bien tu es perdu. La règle ultime est de ne jamais
exhiber ta piété dans l'espoir que cela te vaudra des
aumônes plus substantielles.
Une fois j'ai vu un vénérable soufi qui
s'était perdu dans le désert arriver au marché de Kufah a
moitié mort de faim et criant : « Donnez-moi quelque chose pour
l'amour de ce moineau ! » Les gens lui demandèrent : «
Pourquoi dis-tu cela ?» Il leur répondit : « Je ne puis dire :
pour l'amour de Dieu, car c'est à une créature insignifiante de
réclamer des choses de ce bas-monde ».
47 BORDAS, op.cit. p. 373
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