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L'art du désert - Etude des peintures aborigènes contemporaines du désert central d'Australie dans le contexte de la culture aborigène et du marché de l'art.

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par Amandine Dooms
Université Libre de Bruxelles - Histoire de l'Art et Archéologie. Civilisations non-européennes 2001
  

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Conclusions

Cette étude a donc traité de l'art du Désert sous différents angles :

Tout d'abord, une approche du contexte dans lequel l'art du Désert s'est développé a été exposée. On voit ainsi que le contexte originel des peintures est extrêmement différent du contexte occidental. Le paysage lui-même est particulier, s'il est considéré comme généreux et riche par les Aborigènes, il nous apparaît comme un univers hostile et aride. Le soleil est brûlant, l'eau et la nourriture sont difficile à trouver... En fait, tout nous sépare des habitants de ce désert : leur physionomie, leur langue, leur vie principalement en extérieur, leur désintérêt pour l'accumulation de biens matériels et surtout de l'argent... Leurs croyances sont également très différentes des religions occidentales. Le Rêve est une notion complexe où de nombreuses dichotomies occidentales n'ont pas leur place30. Les ancêtres ont tout créé, tout réglé et tout révélé, plus rien n'est à découvrir ni à inventer...Le plus surprenant est que ces hommes si différents de nous peignent des tableaux qui nous parlent et nous interpellent, et qui sont de plus en plus présent dans le marché de l'art et sur les murs de nos salons.

On a découvert également les formes ancestrales de l'art du Désert. Les peintures actuelles descendent en effet directement de l'art rupestre, des peintures de sable, des dessins dans le sable et de l'art corporel. On y retrouve exactement les mêmes signes qui semblent être les éléments de base d'un code utilisé depuis des milliers d'année par les Aborigènes pour traduire leur Rêve en image. A

30 Les séparations humain/animal, êtres vivants/objets, matériel/spirituel, passé/présent sont presque inexistantes dans la pensée aborigène (Rose 1987, 268)

travers les formes ancestrales, on voit aussi que les images sont liées à un contexte religieux. On pourrait dire que cette constatation n'a pas vraiment de sens puisque tout pour les Aborigènes est quelque part religieux puisque tout vient des ancêtres. Mais ces formes ancestrales, à part les dessins dans le sable qui sont tracés dans des contextes très variés, sont très souvent utilisées lors de cérémonies secrètes primordiales dans la religion aborigène. Les images ont en fait depuis des millénaires un but bien précis lié au maintien de l'équilibre universel, leurs formes n'ont que très peu évolué car elles sont considérées comme les copies des images conçues une fois pour toutes par les ancêtres euxmêmes et les transformer pourrait altérer leur efficacité religieuse.

On a vu que le courant artistique du Désert a commencé grâce à l'intervention d'un australien non-aborigène, Geoffrey Bardon, dans la réserve de Papunya au début des années soixante-dix. Geoffrey Bardon redonna aux Aborigènes la possibilité qui leur avait été enlevée de peindre leur Rêve. L'espoir les envahit à nouveau puisqu'ils pouvaient exprimer leur culture et entretenir leur Rêve à travers la peinture. Rapidement, un commerce naquit. Une dizaine d'année plus tard, d'autres centres de regroupements adoptèrent la peinture acrylique. L'art du Désert était lancé. Il est intéressant de remarquer que c'est un non-Aborigène qui est à l'origine de l'art du Désert. Comme on le voit aussi dans le quatrième chapitre, de nombreuses personnes de culture occidentale ont joué, et jouent toujours, des rôles importants dans le développement de ce courant artistique. Certains pourraient alors se poser la question : à quel point l'art du Désert est-il un art vraiment aborigène ? Les médiums sont importés, l'origine vient d'un Australien blanc, le marché occidental fait continuer la production... Mais d'un autre côté, les

dessins sont le fruit de plusieurs millénaires de culture aborigène et les significations que cachent ces tableaux sont encore tellement aborigènes que personne d'autre n'y a accès...Mais cette question a t-elle vraiment un sens à l'époque d'Internet et de la mondialisation ? Toutes les cultures se croisent et se rencontrent, chacun puise où il veut ce dont il a besoin, à moins que l'on considère cela comme un privilège réservé aux occidentaux... L'art du Désert est sans aucun doute un art vraiment aborigène mais il provient de la culture aborigène contemporaine, celle qui a vécu la colonisation et qui s'est adapté à ses nouveaux voisins, et aux conditions qu'ils leur imposaient. Il faut oublier le mythe de la culture "primitive" vierge, s'il n'avait pas vraiment lieu d'être quand il a fait son apparition, c'est encore moins le cas actuellement.

Beaucoup d'artistes ont adopté pleinement les techniques occidentales puisqu'ils utilisent, outre l'acrylique et la toile, le pinceau et des couleurs non-traditionnelles. D'autres, par contre, gardent une technique plus traditionnelle avec un fin bâton pour pinceau et les couleurs traditionnelles. Par contre, jusqu'ici, aucun Aborigène n'utilise de chevalet : la toile est posée sur le sol et l'artiste tourne autour pour peindre. Ainsi, toute orientation intrinsèque au tableau est niée. C'est le galeriste qui va choisir où est le haut du tableau et où est le bas.

L'acrylique sur toile est le médium utilisé par de très nombreux artistes contemporains. La toile, particulièrement, est le support principal de la peinture occidentale depuis plusieurs siècles. Dès le début de la commercialisation de l'art du Désert, les marchands ont fourni aux artistes les médiums qui convenaient le mieux aux habitudes du marché de l'art occidental. Pour les artistes, le principal a toujours été de peindre leurs motifs, peu importe sur quoi et avec quelle peinture. On peut voir d'ailleurs que, lors des toutes premières années à Papunya, les

artistes peignaient sur tout ce qui leur tombait sous la main avec la peinture qu'ils trouvaient : souvent la peinture utilisée pour les bâtiments. Lorsque les galeristes leur ont donné de l'acrylique et des toiles, ça ne les a absolument pas dérangés. Leurs techniques traditionnelles étaient de toutes façons difficilement adaptables au marché de l'art, si tant est qu'ils eussent voulu le faire.

La symbolique des peintures est particulièrement riche mais seule sa couche extérieure nous est accessible. Voilà un point de frustration pour tout anthropologue de l'art qui s'intéresse à l'art du Désert. Les informations cachées derrière les oeuvres d'art ont toujours constitué une grande partie des recherches de l'anthropologie de l'art. Avec l'art du Désert, les seules informations auxquelles on a accès sont très limitées et souvent fournies par le certificat d'authentification joint au tableau. Le scientifique, qui souvent aime étudier ses sujets en profondeur, est bloqué face au mur du secret. Sa seule possibilité pour accéder à ces informations est de gagner la confiance des Aborigènes, s'il le faut en passant les rites initiatiques, pour montrer qu'il est digne d'accéder à ces connaissances. Mais s'il parvient à son but, il devra réfréner son désir de partager ses découvertes, car une fois entré dans le cercle du secret, il est tenu, par respect pour les Aborigènes qui lui ont fait confiance, d'y rester.

Une autre problématique se pose au sujet de la symbolique : la présence d'une connaissance riche et profonde cachée dans les peintures a tendance, il faut bien l'avouer, à leur donner encore un peu plus de valeur. Cependant, au train où vont les choses, la prochaine génération d'artistes n'aura plus aucune connaissance secrète à cacher derrière ces signes. Car les jeunes aborigènes se détournent du Rêve et ne veulent plus subir les initiations. Ils peuvent peindre des motifs

similaires à ceux de leurs aînés mais n'en connaissent plus vraiment le sens. Pour ceux qui ont tendance à voir l'art du Désert comme un art ethnologique, la perte de ces connaissances millénaires est catastrophique pour l'art lui-même car elle signifie la perte d'un élément primordial pour classer cet art dans les arts ethnologiques.

L'application du marché de l'art occidental à un contexte non-occidental crée de nombreuses problématiques que j'ai relevées dans le quatrième chapitre. Pour cela, il était indispensable d'expliquer le fonctionnement concret du marché de l'art du Désert. Apparu dans les années soixante-dix, ce marché s'est développé très rapidement dès les années quatre-vingt et se poursuit toujours de manière aussi rapide. Plusieurs acteurs font fonctionner ce marché, de l'artiste à la maison de vente aux enchères. Comme les artistes sont aborigènes, les liens entre les différents acteurs, de culture différente, ne sont pas toujours évidents. Les Aborigènes, pour s'assurer des revenus équitables, ont mis au point des centres artistiques qui jouent le rôle d'intermédiaire entre les artistes et les galeristes. On retrouve, dans ces centres, une majorité d'Aborigènes mais aussi quelques nonAborigènes qui endossent le rôle de conseiller artistique et peuvent avoir une très grande influence sur la production. Ils sont souvent des spécialistes du marché de l'art occidental et tentent d'orienter la production vers les critères de valeur du marché. Certains galeristes, aussi, essaient d'influencer les artistes. Ces influences existent très souvent entre un artiste et son galeriste, quelles que soient leurs origines. Induisent-elle une corruption de l'art Aborigène ? Je ne pense pas. Le conseiller artistique est là pour donner des conseils, l'artiste est libre de les suivre ou non. De nouveau, il ne faut pas voir l'art aborigène comme purement

aborigène car les influences occidentales font partie de son histoire et de son fonctionnement actuel.

Le marché de l'art du Désert a le grand défaut de présenter des tableaux de qualité très diverse. Cette variété nuit à sa reconnaissance par tous en tant qu'art à part entière. Les personnes spécialisées dans l'art en général doivent faire l'effort de ne pas s'arrêter à un premier contact négatif avec l'art du Désert. La proportion de tableaux aux qualités médiocres est telle qu'il faut avoir de la chance pour trouver directement une oeuvre de valeur.

Le marché de l'art du Désert soulève de nombreux paradoxes car les cultures aborigène et occidentale sont très différentes l'une de l'autre. Ainsi, Aborigènes et Occidentaux n'ont pas la même notion d'art ni les mêmes critères d'authenticité et de valeur. Ces différences culturelles créent des malentendus et on comprend ici l'importance d'intermédiaires qui connaissent suffisamment les deux cultures. Le tableau lui-même contient ces différences puisque le rapport qu'entretient l'amateur d'art avec ce tableau accroché au mur de son salon, est radicalement différent du rapport qu'avait l'artiste avec ce même tableau.

Et voici enfin la dernière question : doit-on considérer cet art comme un art ethnique ou comme un art contemporain ? La question, à mon avis, à toute sa raison d'être car cette séparation est perceptible autant dans le marché de l'art que dans les études spécialisées. Il ne m'a pas été possible de trancher, l'art du Désert est dans une position bien trop ambiguë pour cela. D'un côté, cet art est le fruit d'une culture tout à fait différente de la nôtre qui fut considérée dans l'Histoire comme une des plus "primitives", ce qui a tendance à en faire un art ethnique. Mais cette culture aborigène est contemporaine, elle a vécu tous les événements qui ont fait d'elle ce qu'elle est actuellement : une culture assez différente de ce

qu'elle était avant l'arrivée des colons. Il est vrai que l'art du Désert est un art contemporain des plus ethnologiques. L'art contemporain africain, par exemple, est beaucoup plus proche, dans sa démarche, de l'art contemporain occidental que ne l'est l'art du Désert. Ce sont principalement les occidentaux qui font le marché de l'art et qui y définissent l'art qui s'y trouve, reste à savoir s'ils se placent au niveau de l'artiste ou en spectateur. Selon, on considère l'art du Désert comme ethnique ou contemporain. Comme le met bien en évidence Bernhard Lüthi, les spécialistes de l'art contemporain ont pendant très longtemps eu tendance à séparer l'art contemporain occidental de tous les autres arts contemporains, qu'ils soient asiatiques, africains ou le fruit de n'importe quelle minorité. Mais cette tendance perd du terrain face à ceux qui veulent prendre en compte un art contemporain pluraliste global (Lüthi 1993, 15-20). Dans cette nouvelle optique, l'art du Désert à tout à fait sa place parmi les arts contemporains.

Arrivé au terme de cette étude, on voit que l'art du Désert est un sujet vaste et complexe. En tant qu'art importé d'une culture à une autre, il provoque de nombreux sujets de réflexion : quelle est la culture aborigène ? Que sont ces tableaux dans cette culture ? Comment y sont-ils apparu ? Pourquoi sont-ils arrivés dans la société occidentale ? Comment y sont-ils perçus ? J'ai tenté de répondre à toutes ces questions. D'autres subsistent néanmoins : Comment va évoluer ce courant artistique alors que les connaissances qui en sont à la base disparaissent ? Est-ce que les jeunes Aborigènes vont continuer à peindre alors que la motivation de peindre les Rêves disparaît avec ceux-ci ? Les oeuvres de grande qualité vont-elles parvenir à faire reconnaître cet art alors que tant d'oeuvres de qualité médiocre nuisent à sa réputation ? Seul l'avenir y répondra.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote