Chapitre 1 : Définition des concepts et
construction de l'approche théorique
Pour situer le TNS, dans le cadre de cette étude, il
convient de revenir sur les concepts « aires protégées
» et « développement durable ».
1 Aires protégées : De la conservation au
développement
Les aires protégées constituent le principal
outil de toute stratégie de conservation de la diversité
biologique d'un pays ou d'une région. Selon leurs différentes
classifications, les sites protégés varient d'une protection
stricte à une gestion durable des ressources naturelles. Une aire
protégée est selon l'Union internationale pour la conservation de
la nature (UICN),
« un espace géographique clairement
défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen
efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la
conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques
et les valeurs culturelles qui lui sont associés » (Dudley,
2008).
Cette définition inscrit la conservation de la nature
au centre des préoccupations des aires protégées mais
laisse toutefois transparaître une notion assez large qui intègre
l'espace, les services et la culture. Il est cependant important de relever que
cette définition de cette notion a évolué au fil des
temps.
1.1 Evolution du concept « aire protégée
»
Les premières grandes actions de conservation datent du
19e siècle avec entre autres la création du premier parc national
en 1872 aux Etats unis, le parc de Yellowstone (Tsayem, 2010). Ces actions
consistaient à créer des zones naturelles protégées
exclusives, où les populations locales étaient
considérées comme directement menaçantes pour le maintien
de la biodiversité (Triplet, 2009) et dont le but était de
protéger durablement les milieux naturels en péril, sans se
préoccuper de la place de l'Homme dans ce système. Cette approche
a perduré jusque dans les années 80 et faisait des aires
protégées, comme les qualifiait Sournia (1990), des «
garde-manger entourés par la faim ». Avec la résolution de
Kinshasa en 1975, adoptée à la 12eme assemblée
générale de l'UICN au Zaïre et les conclusions du
congrès de Durban sur les parcs tenu en 2003, des recommandations en vue
de l'inclusion des terres des populations autochtones dans les aires
protégées, de la préservation de leur droit de
propriété et d'usage et de la prise en compte de la
pauvreté dans les politiques de conservation de la biodiversité
sont
émises à l'attention des gouvernements (Triplet,
2009 ; Aubertin, 2008). Le véritable changement apparaîtra
toutefois avec l'avènement du Développement durable.
A la base de ce changement, se trouvent les constats selon
lesquels, la conception des aires protégées qui visent à
exclure toute présence humaine des dites zones ne satisfait pas les
objectifs de conservation et ceci pour de multiples raisons :
impossibilité d'isoler les espaces protégés, frustrations
générées par l'exclusion des populations locales, qui
dépendent des ressources forestières et maintiennent de ce fait
des activités illicites telles que le braconnage.
Cependant, malgré les bonnes résolutions sur les
aires protégées prises au niveau international, il est important
de relever que ces dernières sont régies par les lois nationales.
La signature des conventions internationales par les Etats leur octroie des
avantages d'ordre technique, financier ou honorifique, mais implique aussi un
engagement à respecter les clauses qui y sont énoncées. Le
tableau 1 donne un aperçu des quelques conventions internationales
relatives aux aires protégées.
Date
|
Nom
|
Champ d'application
|
Entrée en vigueur
|
1971
|
Convention relative aux zones humides
d'importance internationales (Ramsar)
|
Mondial
|
1973
|
1972
|
Convention du patrimoine mondiale de
l'UNESCO (Paris)
|
Mondial
|
1975
|
1973
|
Convention sur le commerce international des espèces de
faune et de flore sauvages menacées d'extinction ou CITES
(Washington)
|
Mondial
|
1975
|
1979
|
Convention sur la protection des espèces migratrices
appartenant à la faune sauvage (Bonn)
|
Mondial
|
1983
|
1992
|
Convention sur la diversité biologique (Rio de Janeiro)
|
Mondial
|
1993
|
Tableau 2: Quelques conventions
internationales relatives aux aires protégées (Aubertin
et Rodary, 2008 ; Triplet, 2009)
Afin que tous les acteurs puissent parler le même
langage malgré les spécificités des législations
nationales, l'UICN a défini en 1994 six grands types d'aires
protégées avec des objectifs de gestion bien spécifiques
(Dudley, 2008) :
Ia Les réserves naturelles intégrales
réservées à la science ;
Ib Les zones de nature sauvage destinées à la
protection des régions sauvages ;
II Les parcs nationaux destinés à la protection de
l'écosystème et aux loisirs ;
III Les monuments naturels destinés à la
préservation d'éléments naturels spécifiques ;
IV Les aires de gestion des habitats des espèces
destinées à la conservation avec intervention au niveau de la
gestion ;
V Les paysages terrestres ou marins protégés
destinés à la conservation des paysages terrestres ou marins et
aux loisirs ;
VI Les aires protégées avec gestion des ressources
destinées à l'utilisation durable des écosystèmes
naturels.
A titre d'exemple, cette catégorisation a permis de
comprendre que les parcs nationaux constituent des aires
protégées correspondant à un type de gestion particulier,
ce qui restait quelquefois confus dans la littérature, comme l'illustre
la définition de Fennell (2003) : « On entend par le terme de
parc ou d'aire protégée un espace public géré
à des fins de protection, de loisir ou de tourisme par une institution
publique. »
D'autre part, il existe, au niveau international, des cadres
contraignants ou non, rattachés à des dénominations
(Tableau 2), dans lesquels les Etats acceptent par le biais du texte
international fondateur, de prendre des responsabilités vis-à-vis
de la protection des ces zones naturelles sans préjudice sur les droits
de souveraineté de l'Etat (Aubertin et Rodary, 2008). On peut ainsi
citer les sites RAMSAR, les réserves de biosphère ou les sites du
patrimoine mondial de l'UNESCO les parcs marins protégés, les
aires protégées transfrontalières ou pour la paix etc,
dont les objectifs respectifs visent la conservation avec chacun des
obligations spécifiques contraignantes ou non.
Cependant, plusieurs critiques relèvent
l'inadéquation de la catégorisation de l'UICN à
l'évolution du concept d'aires protégées. D'après
Bigombe et Nkey (s.d), ces catégories font abstraction des droits des
populations locales et autochtones, libellé ainsi dans les conclusions
du congrès des parcs tenu à Durban en 2003 :
« ... faire en sorte que les populations autochtones
et mobiles, les communautés locales, les femmes et les jeunes
participent pleinement à l'établissement et à la gestion
des aires protégées, et que des mécanismes soient mis en
place pour garantir le partage équitable des avantages que procurent les
aires protégées... » (Durban, 2003 p.234).
Toutes ces évolutions du concept d'aires
protégées ont bien entendu aussi des répercutions sur la
gestion de ces sites et sur les différentes approches mises en oeuvre
pour une conservation plus efficace. Thomas et Middleton (2011)
présentent un aperçu synthétique
des principaux changements relatifs à la notion d'aires
protégées qui sont intervenus au fil des temps (Tableau 3).
Sujet
|
Avant les aires
protégées étaient .....
|
Aujourd'hui les aires protégées
sont ....
|
Objectifs
|
Mises de côté pour la
conservation
Créées surtout pour la
protection de la faune et des paysages spectaculaires
Gérées surtout pour les
visiteurs et les touristes
Valorisées comme nature
sauvage
Affaires de protection
|
Aussi gérées avec des objectifs
sociaux et économiques que l'on retrouve dans les plans
de gestion
Souvent créées pour des motifs
scientifiques, économiques et culturels
Gérées en tenant davantage compte des populations locales
Appréciées pour l'importance
culturelle de la dite << nature >>
Aussi question de restauration et de réhabilitation
|
Gouvernance
|
Gérées par le gouvernement central
|
Gérées par de nombreux partenaires, très
souvent des ONGs internationales et impliquent toute une gamme des parties
prenantes
|
Populations locales
|
Planifiées et gérées contre les gens
Gérées sans égards pour les opinions
locales
|
Gérées avec, pour et, dans certains cas, par les
populations locales
Gérées pour répondre aux besoins des
populations locales
|
Contexte plus large
|
Développées séparément
Gérées comme des îlots
|
Planifiées dans le cadre de systèmes nationaux,
régionaux et internationaux.
Développées en << réseaux >>
d'aires protégées,
Introduction de la notion de paysage
|
Perceptions
|
Vues d'abord comme des biens nationaux
Vues seulement comme des préoccupations nationales
|
Vues aussi comme des biens
communautaires
Vues aussi comme des préoccupations internationales
|
Techniques de gestion
|
Gérées de façon réactive et à
court
Terme
Gérées de façon
technocratique
|
Gérées de façon adaptative dans une
perspective de long terme
Gérées avec une considération
politique
|
Sujet
|
Avant les aires
protégées étaient .....
|
Aujourd'hui les aires protégées
sont ....
|
Finances
|
Payées par le contribuable
|
Payées par de nombreuses sources et à travers des
mécanismes innovants
|
Compétences de gestion
|
Gérées par des scientifiques et des
experts en ressources
naturelles
|
Gérées par des personnes aux
compétences multiples
|
Tableau 3: Evolution du concept « aires
protégées » (Adapté de Thomas et Middleton,
2011)
Plusieurs approches ont été
expérimentées dans le monde en général pour
atteindre les objectifs liés à la nouvelle conception des aires
protégées, parmi lesquelles l'approche paysage. Celle-ci
reconnaît l'importance de considérer les aires
protégées comme des zones centrales pour la conservation de la
biodiversité dans un contexte plus large et complexe d'utilisation des
terres et insiste sur leur rôle critique pour maintenir le fonctionnement
des systèmes écologiques à cette échelle et ainsi
concilier conservation et développement (De Wasseige et al.,
2012). Dans le bassin du Congo, cette approche a
été mise en place par le partenariat pour les forêts du
bassin du Congo (PFBC), plate forme de concertation, qui regroupe les 10 pays
membres de la COMIFAC, les pays donateurs, des organisations internationales,
des ONGs, des représentants des institutions de recherche et du secteur
privé actifs dans cette région. A ce jour, 12 paysages
prioritaires sont actuellement identifiés dans cette sous région
parmi lesquels le TNS, dont les objectifs de gestion sont définis dans
les plans de gestion des trois parcs concernés.
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