Chapitre 2 : La gestion du Tri-national de la Sangha
(TNS)
Avant d'aborder la question de la gestion du TNS, il convient de
présenter une image de ce paysage.
1 Aperçu général du TNS
Les enquêtes biologiques menées par deux ONG de
conservation, le WCS et le WWF vers la fin des années 1980 et le
début des années 1990 ont mis en exergue la forte richesse
biologique du paysage du Tri-National de la Sangha, région
menacée par l'exploitation incontrôlée du bois et les
activités de chasse illicite à des fins commerciales. Au cours de
cette même période, les deux ONG ont établi des projets de
terrain dans les différents sites.
Les gouvernements des pays concernés ont très
vite réalisé l'importance de la région de la Sangha au
niveau mondial et se sont engagés à y créer plusieurs
aires protégées. En 1990, le Parc National Dzanga-Ndoki et la
Réserve Spéciale Dzanga-Sangha en RCA sont classés et en
1993, le Parc National de Nouabale-Ndoki au Congo les a suivis. Au Cameroun, la
zone de Lobéké a été classée parc national
en 2001. Le fait que les trois zones de conservation soient contiguës et
partagent les mêmes types de végétation, et les mêmes
communautés locales - notamment, les peuples de la forêt qui ont
des cultures et traditions communes et sont confrontés à des
problèmes similaires - a fourni une excellente opportunité de
développer un programme transfrontalier de conservation.
Suite au sommet des Chefs d'Etats d'Afrique Centrale de 1999
à Yaoundé avec la naissance subséquente de la COMIFAC, le
Tri-National de la Sangha est devenu réalité dans le cadre d'un
accord de coopération entre les trois pays concernés (Cameroun,
RCA, Congo) signé le 07 décembre 2000 (TNS, 2008).
L'objet de l'accord est de coopérer afin de
gérer ensemble un complexe transfrontalier de zones de conservation
appelé Tri-National de la Sangha, en abrégé « TNS
». Plus spécifiquement les pays concernés s'engagent
à une gestion en partenariat des domaines suivants :
- Harmonisation des législations ;
- Lutte anti-braconnage ;
- Recherche scientifique ;
- Suivi-écologique ;
- Contrôle de l'exploitation des ressources ;
- Ecotourisme ;
- Appui institutionnel et renforcement des capacités
- Implication des communautés riveraines et des
opérateurs économiques ; - Financement des activités ;
- Partage des retombées ;
- Mise en place d'un système de communication
transfrontalière (FTNS, 2011).
Le TNS comporte une zone protégée principale
destinée à la conservation de la biodiversité. Les
activités humaines y sont soit interdites, soit contrôlées.
Il comporte également une zone périphérique à
usages multiples au sein de laquelle il est permis d'exploiter des ressources;
cette dernière doit faire l'objet d'une gestion durable des ressources
forestières et fauniques.
La zone de protection principale du TNS comprend les Parcs
nationaux de Lobéké (Cameroun), Dzanga-Ndoki (RCA) et
Nouabalé Ndoki (Congo). La zone périphérique contient des
forêts de production (concessions d'exploitation forestière
industrielle, forêts communales, forêts communautaires), des zones
de gestion de faune (concessions de chasse sportive, zones de chasse
communautaire), des zones d'agroforesterie ainsi que des zones d'habitation.
Au niveau de la gestion, les conservateurs des trois parcs
nationaux collaborent depuis plusieurs années à travers des
rencontres annuelles. Des accords additionnels ont été
élaborés en vue de la formalisation d'une stratégie
conjointe de lutte contre les activités de braconnage et pour la libre
circulation du personnel (TNS, 2010).
Le TNS est un modèle pionnier en matière
d'initiatives de conservation transfrontalières et de
développement d'une politique forestière dans le Bassin du
Congo.
1.1 Localisation géographique et description du
TNS
Le Paysage Tri-National de la Sangha est
géographiquement situé entre les latitudes 3°32'12»N et
0°40'29»N; et les longitudes 15°28'26»E et
17°34'8»E. Sa superficie totale (parcs nationaux et leurs zones
périphériques) s'élève à environ 44000
km2 et s'étend sur trois pays que sont le Cameroun, la
République centrafricaine et la République du Congo (figure 2).
La section congolaise du Paysage s'étend sur les départements
administratifs de Sangha et de Likouala. Elle couvre environ 21470
km2 et comprend sur 4268 km2, le Parc National de
Nouabalé-Ndoki (PNNN) et 5 unités forestières
d'aménagement (UFA) qui couvrent une superficie globale d'environ 17280
km2. Le PNNN touche à l'ouest le parc national de
Dzanga-Ndoki (1220 Km2) et la réserve
spéciale de Dzanga-Sangha (3359 Km2) qui constituent le
segment TNS de la République centrafricaine. La section camerounaise est
quant à elle, centrée sur le parc national de
Lobéké (2178 km2) entouré par 14 UFA couvrant
ensemble 9784 km2 (De Wasseige, et al., 2009).
Figure 7: Carte de localisation du TNS
(TNS, 2008)
Toutefois, le paysage TNS doit être perçu en
terme d'axes d'intervention et de collaboration qui à leur tour
définissent les limites géographiques à un moment
donné. Les frontières géographiques sont par
conséquent définies par les institutions (parties prenantes)
impliquées. Il s'agit d'un arrangement institutionnel flexible dans le
cadre duquel les gouvernements et un ensemble de parties prenantes
décident de collaborer et d'oeuvrer afin de développer une vision
cohérente pour le développement et la gestion du paysage. On
constatera par exemple que depuis 2000 les limites ont changé en RCA
avec la prise en compte dans le paysage de plusieurs unités
forestières au Nord de la réserve ou au Congo avec l'inclusion de
l'unité d'aménagement de la CIB à Pokola, quoique
n'étant pas situé en périphérie du parc Nouabale
Ndoki. Dans ce dernier cas de figure, l'importance industrielle de ce site dans
la région a un impact socio économique très significatif
sur le segment TNS Congo.
Dans ses limites actuelles, le TNS est logé dans quatre
préfectures ou départements :
· Le département de la Boumba et Ngoko (Cameroun)
avec pour chef lieu Yokadouma;
· Le département de la Sangha Mbaéré
(RCA) avec pour chef lieu Nola;
· Les départements de la Sangha et Likouala (Congo)
avec pour chef lieu Ouesso et Impfondo, respectivement.
Les trois centres administratifs situés à la
périphérie de l'espace sont Yokadouma, Nola et Ouesso. Impfondo
est situé en dehors des limites définies actuellement pour le
TNS.
Selon l'EDF (2006), l'occupation des sols est répartie
entre les parcs nationaux, les réserves et les concessions
forestières (figure 8).
Parcs nationaux Réserves
Concessions forestières
71
21
8
Figure 8: Pourcentage d'occupation des
terres du paysage TNS
Les mesures économiques incitatives
créées par les concessionnaires forestiers, l'installation de
sites industriels près des scieries et la mise sur pied d'un vaste
réseau routier ont entraîné une immigration massive des
populations dans la région. Le développement des infrastructures
et les mutations socio-économiques en cours se font à une vitesse
impressionnante. Près des deux-tiers de la population des villes
industrialisées sont des immigrants venus des zones situées
à l'extérieur du TNS (Noiraud, 2010).
1.2 Situation socio économique
L'économie du TNS est entièrement fondée
sur l'exploitation des ressources naturelles. Dans le secteur formel, il s'agit
de l'exploitation du bois et dans le secteur informel, de la viande de brousse,
du vin de palme, du poisson, des diamants, et d'autres PFNL. Au niveau local,
l'agriculture revêt une certaine importance au Cameroun. Il est difficile
de définir la façon dont cette économie extractive
influence la situation socioéconomique et les activités des
centres administratifs ou des villages riverains. Le constat qui est fait, est
celui d'une pauvreté ambiante. Certains villageois trouvent un emploi,
mais la plupart des emplois sont réservés aux travailleurs mieux
formés qui sont emmenés d'ailleurs.
Selon les résultats d'un recensement fait en 2006, la
population humaine est inégalement repartie avec un taux d'urbanisation
considérablement plus élevé que la moyenne nationale au
sein des pays du TNS (TNS, 2008). Les centres administratifs sont situés
juste sur la périphérie du TNS. Toutefois, les économies
de ces centres dépendent grandement de ce qui est produit sous forme de
nourriture, viande de brousse et autres PFNL, ainsi que des revenus
générés par les ressources forestières et fauniques
tirées dudit paysage (Tadjuidje, 2010).
|
Population bantous
|
Population pygmées
|
Population totale par pays
|
Pourcentage d'homme
|
Pourcentage de femme
|
Cameroun
|
63150
|
10500
|
73650
|
49
|
51
|
Congo
|
54950
|
5300
|
60250
|
49
|
51
|
RCA
|
53250
|
4150
|
57400
|
49
|
51
|
Total
|
171350
|
19950
|
191300
|
|
|
|
Figure 9 : Répartition de la
population du TNS dans les différents segments (TNS, 2008)
L'économie basée sur l'extraction des ressources
forestières connaît de toute évidence des fluctuations
considérables. A la fin des années 1990, Yokadouma, point central
de
l'exploitation (incontrôlée) de bois,
était une ville en plein essor (TNS, 2008). Selon la même source,
la crise du marché du bois survenue au cours des dernières
années a causé la fermeture de plusieurs scieries et ainsi
contribué de façon indirecte à la dégradation des
services sociaux (santé, éducation), dont l'état
n'était déjà pas satisfaisant
Les sociétés forestières jouent un grand
rôle dans ce paysage (Figure 10). En effet, les villes d'exploitation
industrielle de bois apparaissent dès lors dans ce paysage comme des
îlots autonomes où le concessionnaire fournit infrastructures et
services sociaux à ses propres ouvriers et à leurs familles.
Figure 10: Carte de localisation des
concessions d'exploitation forestières dans le TNS (JMN,
2010)
En effet, la population de celles-ci a doublé au cours
des 10 dernières années et continue de s'accroître, quoique
à un niveau réduit (Tadjuidje et al, 2011). La
création d'un ensemble de petits camps industriels continue surtout au
Nord Congo. Selon la politique forestière actuellement en vigueur au
Congo, des scieries doivent être construites dans chaque concession.
Même si la création d'opportunités d'emploi au niveau local
est parfois présentée comme le principe phare à la base de
la construction des scieries dans chaque concession, dans la
réalité, près des deux-tiers des travailleurs des villes
d'exploitation forestières sont des immigrants venus des régions
situées en dehors du voisinage immédiat.
Lorsqu'on considère la proportion des pygmées
vivant dans les segments nationaux du TNS (figure 9), on peut dire que ce
complexe dispose d'une forte population autochtone. Ces populations ne sont pas
sédentaires et exploitent les ressources forestières et fauniques
de façon artisanale ou rudimentaire dans le cadre d'une vie semi-nomade
largement dépendante de la disponibilité de ces ressources.
Différents groupes de Pygmées sont présents au sein du
TNS, il s'agit des «Baka» au Sud-est Cameroun, des «BaAka»
ou « Bayaka » au Sud de la RCA et des
«Mbenzélé» au Nord du Congo. Dans le cadre de la
présente étude, le terme général «
pygmée » est communément utilisé pour désigner
les différents groupes ethniques « semi-nomades » de la
forêt. Ils constituent la clé de toute stratégie de
conservation, d'utilisation durable des ressources dans le TNS et même un
facteur déterminant dans la certification des activités
d'aménagement de la forêt. Mais en dépit des efforts
amorcés dans le sens de la prise en compte de leurs
intérêts, compte tenu du fait qu'ils sont « difficiles
à saisir », une question importante demeure: comment les impliquer,
les respecter, leur donner parole (une voix) et les intégrer dans les
actions de développement.
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Photo 1 et 2 : Moungoulou7
; Bayaka pendant une danse culturelle à Bayanga
Clichés: Danièle
Fouth, juin 2012 et J. M. Noiraud 2010
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7 Case de pygmées
Concernant l'éducation, le système scolaire
dans le TNS reste faible. Il fait face à un manque chronique
d'enseignants et de matériel didactique. En RCA par exemple, le nombre
d'analphabètes est estimé à 28% et celui des personnes
ayant arrêté les études après le cycle primaire
à 41%. Ceci en raison de l'enclavement de la zone, des conditions de vie
difficiles, de la pauvreté et des habitudes culturelles. Les
fonctionnaires affectés dans cette zone, ne regagnent simplement pas
leurs postes de travail pour les raisons ci-dessus évoquées. La
fréquentation des écoles par les enfants des populations
semi-nomades reste très faible. Des mesures pour remédier
à cette situation sont prévues dans les plans
d'aménagement des différents parcs, notamment à travers
par exemple la vulgarisation d'un modèle de maîtres parents pris
en charge par la commune ou par les projets de conservation. Dans le segment
TNS Cameroun, l'état prend en charge 54% du personnel enseignant
fonctionnaire ou contractuel d'administration. 40% des enseignants sont pris en
charge par la commune dans les établissements publics. Les 6% restant
travaillent pour le compte des établissements missionnaires
créés dans la localité pour l'éducation des jeunes
enfants Baka. Le système et le programme scolaire sont différents
du programme officiel appliqué au niveau national. Le système est
basé sur ORA (Observer-Réfléchir-Agir) dans des centres
dits centre d'éducation de base (CEB) (Tadjuidje et al,
2011).
En dehors des populations locales, plusieurs acteurs sont
présents dans le TNS. On peut citer les administrations nationales
(déconcentrées et décentralisées), les partenaires
au développement (partenaires techniques, partenaires financiers, ONG de
conservation, instituts de recherche), le secteur privé
(sociétés d'exploitations forestières, d'exploitations
minières, de chasse, de tourisme), et d'autres formes de groupement
(associations, églises, etc.).
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