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L''installation de la chambre de métiers du Rhône, années 1920-années 1930


par Fabrice FLORE-THéBAULT
Université Lyon 2 - Maitrise d'histoire 1998
  

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1 Organiser l'apprentissage, organiser

l'artisanat? (1921-1925)

1.1 L'éveil d'un intérêt pour des chambres d'apprentissage

Au lendemain de la guerre, l'intérêt pour la création de chambres d'apprentissage naît de la fusion de deux champs de réflexion. La crise de l'apprentissage et la nécessité de l'organisation de l'enseignement technique sont des thèmes d'actualité depuis le dix-neuvième siècle. L'idée de la nécessité de l'organisation et la protection de l'artisanat est née plus tard. Elle doit beaucoup aux conséquences de l'industrialisation accélérée provoquée par la « Grande Guerre ».

L'organisation de l'apprentissage est à vrai dire le véritable point de départ. L'enseignement technique n'est convenablement organisé que pour les qualifications moyennes ou supérieures, d'après un modèle qui met l'école en avant. La masse des travailleurs de dispose encore d'aucun moyen efficace de formation. L'apprentissage échappe de fait à toute réglementation. La loi du 4 mars 1851 qui le régit est notoirement inefficace. Elle prévoit l'obligation d'un contrat. Mais celui-ci n'est pas forcément écrit. Il peut être simplement oral ce qui empêche toute possibilité de contrôle, et permet aux familles comme aux patrons de contourner toutes les réglementations prévues par la loi1. On ne sait pas encore quel système développer: l'école ou l'apprentissage? Le développement de chacun est poursuivi en même temps dans le plus grand désordre. Le ministère du commerce, soutenu par les industriels, est favorable à l'apprentissage en entreprise, alors que le ministère d l'instruction publique est favorable à une scolarisation qui ne se contente pas de l'apprentissage des gestes, mais apporte aussi une formation abstraite et générale.

Les partisans de l'apprentissage sans école ne dominent pas la situation, même si un premier congrès de l'apprentissage s'est déroulé à Roubaix en 1911 2 . L'enseignement technique est peu à peu organisé sans que l'apprentissage soit encore l'objet d'une attention particulière. Des institutions nouvelles voient le jour en 1911. Le premier diplôme élémentaire de formation technique, nécessaire pour permettre la formalisation des qualifications de la masse, le Certificat d'aptitude professionnelle (CAP) a été institué par le décret du 24 octobre 1911. Les Comités départementaux à l'enseignement technique sont créés à l'occasion pour organiser les examens. Le préfet nomme ses membres, les Inspecteurs de l'enseignement technique qui sont des représentants des employeurs, des salariés et de l'administration et du corps enseignant. Le Comité supérieur de l'enseignement technique dirige ces Comité départemental de l'enseignement technique Il dépendait au départ du ministère du Commerce, mais dépend depuis le 20 janvier 1920

1. [PELPEL & TROGER 1993, pages 23-24]

2. [RENDU 1987, page 8]

du Sous-secrétariat d'État à l'enseignement technique, qui se trouve sous la tutelle du ministère de l'instruction publique3.

Le pouvoir du Comité supérieur de l'enseignement technique et les Comités départementaux de l'enseignement technique s'étend rapidement. En 1919, la loi Astier rend les cours professionnels obligatoires. Elle fait passer les établissements scolaires techniques tant publics que privés sous le contrôle les Comités départementaux de l'enseignement technique Elle commence aussi à mettre en place une politique d'incitation du patronat à assurer l'enseignement technique. Le pouvoir les Comités départementaux de l'enseignement technique est partagé avec les Commissions locales professionnelles. Elles sont chargées à l'échelon de la commune de déterminer et d'organiser les cours obligatoires pour les besoins des professions commerciales et industrielles de la localité. D'après Guy Brucy4: «Largement dominées par les professionnels, elles détenaient, de fait, des pouvoirs importants: elles désignaient les professions pour lesquelles les cours devaient être institués, elles intervenaient dans le recrutement des enseignants, elles élaboraient les plans d'étude ainsi que les programmes et les règlements des examens. Surtout, elles contrôlaient les jurys de CAP composés de professeurs -- qui étaient des professionnels -- et d'un nombre égal de patrons et d'ouvriers, nommés par le préfet et « choisis, autant que possible, parmi les membres de la Commission locale professionnelle » (loi Astier Titre V art 47) ». L'enseignement technique est donc organisé de manière très décentralisée. Le contrôle des institutions locales de l'enseignement technique devient un enjeu local important: il permet notamment la création de CAP très locaux, qui vont dans le sens des besoins immédiats de ceux qui sont écoutés par les Commission locale professionnelle et les Comités départementaux de l'enseignement technique

Les artisans sont encore très peu organisés: leurs syndicats sont faibles et restent isolés. Il n'existe encore aucune fédération nationale d'artisans. Les seuls à être véritablement organisés sont les Alsaciens. Ils sont représentés par la Chambre de métiers d'Alsace. Les membres de celle-ci sont des représentants élus de l'artisanat. Ils ont tous pouvoirs pour l'organisation de l'apprentissage: ils s'occupent aussi bien de sa réglementation que du contrôle de son bon déroulement, de la subvention des écoles professionnels et de la formation des jurys d'examens de compagnons. Le rôle de la Chambre de métiers dépasse le cadre de l'organisation de l'apprentissage: plus généralement elle doit être consultée dans toutes les circonstances où les intérêts de l'artisanat où d'un métier sont enjeu.

Cette institution attire d'autant plus l'attention qu'elle fonctionne bien, que l'Allemagne est un modèle pour la France depuis la défaite de 1870, et surtout depuis qu'une grande campagne de propagande pour l'extension à toute la France du modèle des chambres des métiers est menée par la chambre de métiers alsacienne revenue à la France après la Grande Guerre5. Mais elle provoque aussi bien des réticences car elle refuse d'abandonner son système corporatif pour le système syndical de la loi de 1884.

Dans le Rhône, les artisans commencent tout juste à s'organiser. Il existe certes des syndicats spécifiques à certains métiers artisanaux, dont certains ont commencé leur existence avant la loi de 1884. Ces syndicats ne concernent cependant pas tous les métiers. Les métiers de l'alimenta-

3. [PELPEL & TROGER 1993, page 59]

4. [BRUCY 1989] 5. [ZARCA 1986]

tion ont les syndicats les plus anciens. Les coiffeurs, les tailleurs, les imprimeurs, les teinturiersdégraisseurs, les charrons-carrossiers- bourreliers-selliers et les maréchaux-forgerons possèdent leurs syndicats, pas les cordonniers, les artisans de la métallurgie ou ceux du bâtiment. Ces syndicats restent isolés, et fractionnés en petites sections locales 6.

Les artisans commencent tout juste à envisager un regroupement plus large. La Fédération des artisans du sud-est a été fondée le 1 er mai 1920 par les syndicats locaux des maréchaux et forgerons, des charrons et carrossiers, et des bourreliers-selliers7. Elle regroupe rapidement la majorité, voire l'intégralité des organisations artisanales patronales du Rhône, c'est à dire 12 syndicats patronaux, qui ont soit adhéré à la Fédération des artisans du sud-est, soit été créés par elle8.

C'est dans ces conditions que se déroule le second congrès de l'apprentissage tenu à Lyon en octobre 1921. L'organisation de l'artisanat n'est pas à l'ordre du jour. L'apprentissage est le seul thème abordé. Ce congrès propose un modèle de « Conseil de l'apprentissage ». Ce seraient des chambres paritaires qui s'occuperaient exclusivement d'apprentissage. Le modèle alsacien n'éveille aucun intérêt. Les artisans ont été marginalisés au sein de ce congrès qui a regroupé essentiellement des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et des patrons, et qui a été évité par les groupements ouvriers. L'intervention du président de la Chambre de métiers alsacienne cherchant à promouvoir une organisation de l'apprentissage et de l'artisanat sur le modèle alsacien n'a eu d'écho positif que chez les artisans de la Fédération des artisans du sudest présents au congrès9.

Cette rencontre de la Fédération des artisans du sud-est et des Alsaciens ne fait pas sortir la Fédération des artisans du sud-est de sa région. Elle n'a pas participé au congrès constitutif de la Confédération générale de l'artisanat français (CGAF), qui s'est déroulé à Paris du 26 au 28 mars 1922 dans le cadre du congrès de la Fédération de la petite industrie de la chaus sure. Organisé par MM. Tailledet et Grandadam, ce congrès permet aux organisations artisanales mettre en place une confédération nationale très centralisée. Il leur permet surtout de prendre contact avec certains parlementaires qui ont été invités, et commencent à s'intéresser à l'artisanat et à son « sauvetage ». Les Alsaciens étaient présents à ce congrès, et trouvent dans la Confédération générale de l'artisanat français l'allié nécessaire pour promouvoir les Chambres de métiers auprès des parlementaires. Ils organisent un congrès à Strasbourg en novembre 1922, auquel la Fédération des artisans du sud-est n'assiste pas plus. Ce congrès jette les fondations d'un groupe parlementaire dévoué à la cause artisanale, dont le sénateur Clémentel et le député Courtier sont les grandes figures. De ce congrès est issu le projet de loi Courtier qui prévoit la création de Chambres de métiers10.

Le projet de loi Courtier prévoit la constitution de Chambres de métiers défendant les intérêts des artisans, et au sein de celles-ci, l'organisation d'un apprentissage spécifique à l'artisanat. Tout comme ceux de la Chambre de métiers alsacienne, les membres des Chambres de métiers seraient

6. [RENDU 1987]

7. [ADR 9M30] et [RENDU 1987, page 5].

8. [ADR 9M30]

9. [RENDU 1987, pages 8-9]

10. Le projet de loi est présenté à la Chambre des députés le 29 décembre 1922 [RENDU 1987, pages 13-14].

élus directement par les artisans. La mise en place d'un tel système suppose qu'une définition de l'artisan soit proposée pour le distinguer de l'industriel. Elle suppose aussi la création d'une taxe d'apprentissage qui alimente le financement de l'organisation de l'apprentis sage. Un projet de loi parallèle est en préparation pour définir une telle taxe, que l'on imposerait à l'ensemble des industriels et des artisans, et non aux seuls artisans.

Pour M. Courtier, le rédacteur du projet de loi, une telle institution est l'outil nécessaire pour «ressusciter l'artisanat rural », abandonné par des responsables politiques qui ne songent qu'aux villes. La décadence de l'artisanat est la conséquence de la crise de l'apprentissage. Donner aux artisans les moyens de rénover cet apprentissage, c'est leur donner les moyens de revivre11.

M. Tailledet, président de la Confédération générale de l'artisanat français, est finalement celui qui expose le plus clairement pourquoi l'apprentissage pose problème: «Parce qu'actuellement aucun contrat ne lie l'apprenti au patron, il arrive très souvent que l'apprenti quitte l'atelier sans avoir une connaissance complète de la profession, avant la fin de son apprentissage. Dans ces conditions, les patrons hésitent beaucoup à former des apprentis qui sont une charge pour eux, non compensée par les services que ces apprentis pourraient rendre dans la dernière année de leur apprentissage » 12.

Ce projet est vu d'un bon oeil par le Conseil supérieur de l'enseignement technique, dont l'intérêt est focalisé sur les questions d'apprentissage. Son soutien au projet Courtier, discuté en mars 1923 13 , comporte certaines nuances. La création des chambres des métiers n'est qu'une réponse partielle à ses attentes concernant l'enseignement technique. Elle laisse de côté l'organisation des cours professionnels (ils sont pris en charge par les budgets municipaux en Alsace, et dépendent sinon de la loi Astier). Elle ne concerne que l'apprentissage artisanal. Mais le projet de loi laisse la situation ouverte: rien n'empêche la création d'autres formes d'apprentissage, soit spécifiques à l'industrie, par l'intermédiaire des Chambres de commerce, soit destinées à l'artisanat et l'industrie. Il envisage ainsi la création de Chambres d'apprentissage dépendant pour moitié des Chambres de métiers, pour moitié des Chambres de commerce, composées de manière paritaire de patrons et d'ouvriers.

Certaines des organisations artisanales, un groupe parlementaire et la direction de l'enseignement technique se sont donc mis d'accord pour promouvoir la création de chambres de métiers dans toute la France. Le projet n'est pas du goût de toutes les organisations artisanales, particulièrement de la Fédération des artisans du sud-est En face, les industriels, et plus particulièrement la chambre de commerce, cherchent par tous les moyens à éviter ces créations. Les syndicats ouvriers, convoqués au débat, se désintéressent de la question. Le modèle alsacien de Chambre de métiers sert de référence à tout le monde, mais pour des raisons chaque fois différentes: certes la chambre des métiers alsacienne organise à la fois l'apprentissage et l'artisanat, mais les responsables de l'enseignement technique y voient d'abord un moyen d'organiser l'apprentissage, là où les organisations artisanales voient surtout un moyen d'organiser l'artisanat et d'imposer sa spécificité par rapport à l'industrie. Quant aux industriels, ils mettent en avant l'unité de la clien-

11. La Formation professionnelle, n°63, 20 mai 1923, compte-rendu des séances des 6 et 7 mars 1923 du Comité supérieur de l'enseignement technique, page 324 [ADR 9M30].

12. La Formation professionnelle, n°63, ouvrage cité, page 326 [ADR 9M30]. 13. La Formation professionnelle, n°63, ouvrage cité [ADR 9M30].

tèle des apprentissages pour justifier le refus d'une institution qui opérerait la distinction entre plusieurs types d'apprentissages. Comment la Fédération des artisans du sud-est et la Chambre de commerce de Lyon s'organisent-elles pour montrer leur hostilité au projet?

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault