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La coexistence humaine et participation politique du citoyen. Une réévaluation de l'espace politique avec Hannah Arendt

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par Gauthier Malulu Lock j
Faculté de Philosophie saint Pierre Canisius. Kimwenza-Kinshasa - Graduat en Philosophie 1999
  

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1.2. La genèse d'une pensée

L'esquisse biographique de Hannah Arendt et la petite approche historique du contexte dans lequel a été rédigé l'essentiel de sa pensée suffisent à expliquer et à faire accepter la pluralité humaine comme fait incontestable. Force nous est donc d'affirmer qu'il s'agissait là de la genèse de la pensée politique de Hannah Arendt.

L'élaboration de cette pensée méritait, selon Hannah Arendt elle-même, une clarification conceptuelle qu'elle entreprit d'opérer notamment en s'attaquant aux concepts politiques fondamentaux : la liberté, la violence, la démocratie, l'autorité, la domination, l'espace public, l'espace privé, etc. Nous comprenons dès à présent que la réflexion d'Arendt va se tourner progressivement vers l'actualité malheureuse de son temps. «La vie d'Arendt, répète Olivier Mongin, est une vie privée d'un monde commun dont elle ne doit jamais cesser d'esquisser la possibilité depuis cette expérience de privatisation qui en est la génesis»_. Il est dès lors aisé de s'apercevoir qu'elle a décidé de décrire, d'analyser de sa manière et de dire tout haut son histoire personnelle et celle de tous les Juifs; elle le fera d'une part dans le but de sortir le paria de la léthargie dans laquelle sa condition l'a plongé, et d'autre part pour éclairer l'humanité en dénonçant le mal dira-t-elle toléré. C'est ainsi qu'en vrai penseur, elle va interroger, à travers ses analyses, la réalité politique de sa société.

Nous voulons à présent quitter cette considération générale sur l'évolution de la pensée de Hannah Arendt pour nous tourner plus particulièrement vers cette pensée telle qu'elle est exposée dans Condition de l'homme moderne. Sans pour autant prétendre épuiser la compréhension d'une pensée aussi vaste que celle de Hannah Arendt, nous voudrions découvrir l'idée maîtresse de son oeuvre, en nous limitant cette fois à l'exposé de l'ouvrage sur lequel se concentrera notre présente étude : Condition de l'homme moderne.

1.3. «Condition de l'homme moderne»

Pour remonter en amont de la rédaction de Condition de l'homme moderne, nous interrogerons tout simplement l'auteur sur l'intention qui était sienne avant même de se mettre à écrire ce livre. Hannah Arendt avait en effet exprimé à son maître et ami Karl Jaspers l'essentiel de ce qu'elle voulait entreprendre : «son intention était d'écrire un livre de théorie politique qui scellerait sa réconciliation avec le monde". «Ce livre, disait-elle, je l'appellerai Vita Activa et je m'intéresserai essentiellement au travail, à l'oeuvre et à l'action, et à leurs implications politiques"_.

Cette évocation de l'intention d'Arendt pourrait bien suffire à donner un résumé condensé de Condition de l'homme moderne, puisque l'auteur elle-même dit d'avance ce qu'elle veut et ce qu'elle va faire, c'est-à-dire ce qu'elle va écrire. Mais nous n'allons pas nous arrêter là, car il nous faut expliciter davantage le contenu de cet ouvrage pour faciliter la compréhension de notre démarche dans un travail qui exploitera surtout ce livre. Hannah Arendt ajoutera, par ailleurs, qu'elle avait l'intention «de penser ce que nous faisons».

Certains penseurs professionnels, tel Paul Ricoeur, nous mettent en garde contre une lecture chargée de préjugés de Condition de l'homme moderne, et ils nous proposent une façon juste de lire cet ouvrage : c'est un livre qui aide à dissiper les tendances qu'a l'homme de vouloir ramener tout vers lui et à lui, niant ainsi la différence et la cohabitation avec ses égaux_.

La condition de l'homme moderne ou la Vita Activa s'interroge sur les trois grandes activités de la vie humaine qui composent la vie active : le travail, l'oeuvre et l'action. «Que faisons-nous quand nous sommes actifs ?» , telle est, selon Courtine-Denamy, la clé de lecture de Condition de l'homme moderne. Le livre tout entier est une sorte de réponse à cette question directrice. Quand nous sommes actifs, nous faisons plusieurs choses mais qui peuvent êtres rassemblées sous ces grandes activités de la vie active. Ainsi, dans les moments d'activité, nous faisons du travail, nous fabriquons (l'oeuvre) et nous agissons (l'action).

Avec un recours constant et ponctuel à la pensée de l'Antiquité grecque et romaine, Hannah Arendt s'efforce d'explorer ces activités. Elle commence par définir les domaines de l'existence de l'homme : le domaine privé et le domaine public. Elle se consacre ensuite à la description de chacune des activités de la vita activa.

Le travail est l'activité qui lie l'homme à la nécessité. Mieux, pour Hannah Arendt,

«le travail est l'activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital»_.

L'homme au travail, selon Hannah, obéit à la nécessité de satisfaire à ses besoins fondamentaux. En plus, le travail se fait en l'absence des autres -or ce qui est politique est de l'ordre de l'apparence : voir et être vu -. Ainsi, avec le travail, l'homme n'est encore qu'un animal laborans qui se bat tout seul avec la brutale nécessité pour sa propre survie.

Une autre caractéristique de cette activité qu'est le travail consiste en ce qu'il est dépourvu de "durabilité", car, en fait, les fruits qui émanent de ce labeur sont surtout voués à la consommation, et donc à la disparition rapide. Le travailleur, donc, ne pourvoit qu'aux besoins élémentaires de la vie.

Pour Arendt, l'activité du travail ne suffit donc pas pour distinguer clairement l'animal humain des autres animaux, tous étant cependant voués à ce labeur pour vivre. Or l'homme, après avoir fait l'expérience du caractère éphémère de sa vie, s'est ensuite préoccupé de marquer le monde des traces de son passage ; en d'autres termes, il veut désormais se rendre plus durable, du moins par ce qu'il aura laissé, par ses oeuvres.

«L'oeuvre, nous dit Hannah Arendt, est l'activité qui correspond à la non-naturalité de l'existence humaine, qui n'est pas incrustée dans l'espace et dont la mortalité n'est pas compensée par l'éternel retour cyclique de l'espèce. L'oeuvre fournit un monde artificiel d'objets»_.

Elle diffère du travail en ce qu'«elle marque sa distance par rapport à la nature en ce qu'elle crée un monde artificiel»_. Lorsque l'homme est à l'oeuvre (il s'agit notamment du cas des artisans et des artistes), on s'attend, au terme de son activité, à la production d'objets (oeuvres d'art(). L'artiste ou l'artisan qui produit est déjà inscrit dans un monde qui l'entoure : le monde composé surtout d'artefacts qu'il produit et qu'il ajoute ainsi au monde naturel déjà existant. On peut remarquer qu'à l'opposé du travail , l'oeuvre possède le caractère de "durabilité". C'est-à-dire que les objets, produits de l'oeuvre humaine, ne sont pas directement consommés ou consommables comme les sont les fruits du travail.

De plus, ces artefacts demeurent même lorsque l'artiste ou l'artisan n'est plus. Outre la durabilité, l'oeuvre a un commencement et une fin : on peut dater le commencement d'une oeuvre et on peut en prévoir la fin éventuelle. Et Sylvie Courtine-Denamy comprend par-là que «le privilège de l'oeuvre par rapport au travail consiste en ce qu'elle humanise le monde»_. Le monde est de fait humanisé parce qu'il n'est plus à l'état brut tel que nous le donne la nature ; il porte la marque de l'artiste et de l'artisan humain, qui le peuplent des oeuvres de leurs mains, ou encore mieux qui le marquent de leur passage. L'homme qui est à l'oeuvre est vu par les autres à travers les objets qu'il produit ; il y a donc une sorte de durée de la présence de l'artiste à travers l'ouvrage de ses mains et aussi longtemps que son oeuvre d'art est là présente.

Mais Hannah Arendt ne fait pas de l'oeuvre une activité suffisante de /dans la polis. Puisqu'on y est vu par l'intermédiaire des choses. Il faut maintenant voir directement et être vu de la même façon ; il faut entendre directement et être directement entendu par ses pairs. D'où l'examen de l'autre activité : l'action.

L'action est la plus importante activité de la vita activa. Dans l'analyse de Hannah Arendt,

«l'action est la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans intermédiaire des objets ni de la matière, elle correspond à la condition humaine de pluralité»_.

Et certains commentateurs comme par exemple Paul Ricoeur, introduisant explicitement une hiérarchie au sein de ces activités de la vita activa, placent l'action (l'agir de l'homme politique, de l'homme de la polis) au sommet de l'échelle, c'est-à-dire dans la position la plus élevée, plaçant le faire de l'artisan et de l'artiste en la position intermédiaire et enfin le labeur du travailleur à la position la plus basse_.

L'action est l'activité qui fait vraiment de l'homme un animal politique; autrement dit, c'est par l'action que l'homme manifeste ce qui lui est spécifique : son être politique. Il y a action dans l'acte de prendre la parole sur la place publique, et il y a action dans le fait d'agir ou de poser des actes en présence des autres, ses égaux. Hannah Arendt parlera de l'action comme d'une seconde naissance, où l'homme qui était déjà né le jour de sa naissance biologique naît une seconde fois mais dans la sphère politique, dans la polis. Cette naissance est donc liée, mieux, se fait par l'action, puisqu'à travers l'action, l'homme répond sans cesse à la question métaphysique :  qui es-tu ?  que les autres lui posent. En répondant à cette question, l'homme est entendu et il est vu par les autres dans la polis; il devient donc vraiment un homme politique.

Les derniers chapitres de Condition de l'homme moderne sont finalement une autopsie que l'auteur fait de la vita activa à l'âge moderne. Elle montre la façon dont le monde moderne s'est installé dans une confusion notoire au sujet du politique et a inversé radicalement l'ordre et la coexistence des activités de la vita activa. Ce chapitre constate et fustige la pratique selon laquelle le travail se trouverait élevé au premier rang comme seule activité essentiellement créatrice de l'homme. Cette rupture bouleversante fut introduite par Karl Marx qui a certainement perdu de vue que «le travail représente la dimension animale, et non humaine, de l'homme»_; en d'autres termes, on dirait que la société fondée sur et par le marxisme par exemple consacre le seul travail comme l'activité essentielle de la vita activa, l'oeuvre et l'action étant négligées et inaccessibles à la majeure partie des citoyens.

Pour conclure justement cette synthèse personnelle de Condition de l'homme moderne, nous préférons reprendre cette longue affirmation de Sylvie Courtine-Denamy, une autre lectrice d'Arendt :

« La condition de l'homme moderne devrait donc être lue moins comme une critique de la modernité que comme une anthropologie philosophique recherchant parmi les différentes activités humaines celles susceptibles de s'inscrire dans la durabilité_ »;

elle précise qu'

« il s'agit en définitive de s'interroger sur ce domaine hautement déprécié par les philosophes de profession, la philosophie politique, que Platon interprétait à la lumière de l'activité de l'artisan (technitès), ce désir de fuite de la politique prend naissance dans le procès et la condamnation de Socrate, événement politique marquant le conflit entre philosophie et politique»_.

Ce chapitre consacré à une brève présentation de Condition de l'homme moderne qui constitue l'objet de notre travail ne nous paraît pas superflu. Il nous est utile pour mieux engager notre travail qui consistera à analyser l'espace politique comme lieu de la coexistence humaine. Il s'agira, en d'autres mots, de réhabiliter, à la manière de Hannah Arendt, le politique, (l'exister politique de l'homme) qui fut malheureusement déserté.

1.4. Une méthode arendtienne : «la pêche à la perle»

Il nous paraît utile de préciser à présent une méthode adoptée et utilisée par notre auteur lorsqu'elle a voulu se plonger dans l'héritage de l'humanité. Pour relever les grands défis qu'elle s'était posés, Hannah Arendt déploiera sa pensée en puisant davantage dans l'expérience de l'antiquité gréco-romaine, puisque pour elle « la polis grecque continuera d'être présente au fondement de l'existence politique, au fond de la mer, donc aussi longtemps que nous aurons à la bouche le mot `politique »_. Sans pour autant prétendre que les sociétés antiques étaient idéales, elle développa en relation à elles une méthode aussi peu conventionnelle que le nom qu'elle lui donna : «la pêche à la perle». La pêche à la perle consiste en effet à rechercher le «riche et le rare» qui se trouvent enfouis dans la tradition philosophique parvenue jusqu'à nous sous ses formes brutes, c'est-à-dire d'une manière parfois attirante et parfois pleine d'apories déroutantes_.

Ce serait une compréhension erronée de la démarche d'Arendt que de penser, comme certains critiques, qu'elle a voulu exalter jusqu'au rang de modèles la polis grecque et la cité romaine, alors que celles-ci abritaient de graves exclusions politiques, notamment l'exclusion de l'agora des femmes et des enfants, des esclaves et des étrangers .

Pour Arendt, le choix paradigmatique de l'antiquité gréco-latine s'explique par la simple préoccupation méthodique et surtout en référence à l'organisation politique (ou structurelle) dont ces sociétés ont fait montre déjà dans ces temps anciens. Plus encore, dira-t-elle,

«il est vraiment difficile et même trompeur de parler de politique et de ses principes les plus profonds sans faire appel dans une certaine mesure aux expériences de l'antiquité grecque et romaine, et cela pour la seule raison que les hommes n'ont jamais, ni avant, ni après, pensé si hautement l'activité politique et attribué tant de dignité à son domaine»_.

Notre approche de la pensée politique de Hannah Arendt va également être une approche phénoménologique, analytique et critique de l'appareil politique actuel, en ce qu'il devrait être et en ce qu'il est concrètement, plus particulièrement en Afrique. Nous chercherons la perle cachée, le riche et le rare contenu de cette pensée, en espérant comprendre ainsi les malaises politiques contemporains qui affectent la plupart de nos sociétés.

Nous savons que parler de la politique c'est nécessairement parler des hommes, et non pas d'un homme, vivant ensemble dans un espace organisé que l'on a appelé la polis ou l'état-nation. Toute réflexion sur le politique suppose ainsi une prise de conscience claire de la coexistence humaine. Cette réflexion devra même tenir compte de cette coexistence en tant que première donnée factuelle de la réalité humaine.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo