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L'édition de manga : acteurs, enjeux, difficultés

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par Adeline Fontaine
Université Paris VII Denis Diderot - Maîtrise de Lettres Modernes 2005
  

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3.2. Casterman et Asuka : stratégie seinen

Ces deux éditeurs furent parmi les premiers en France à proposer des manga à destination des adultes.

3.2.1. Casterman : une politique d'auteurs élitiste

Maison spécialisée dans la bande dessinée franco-belge pour adultes et l'édition pour la jeunesse, Casterman offre désormais depuis dix ans des titres traduits du japonais.

3.2.1.1. Premiers pas dans le manga : la collection Manga Casterman

La collection Manga Casterman a été lancée en 1995, en coédition avec l'éditeur nippon Kodansha. Le marché du manga, à l'époque, traversait une grave crise au Japon et Kodansha vit dans la bande dessinée franco-belge un nouveau souffle potentiel. Un partenariat fut donc instauré entre les deux éditeurs mais cette tentative fut un échec. L'objectif était de publier des récits de qualité signés par des grands noms de la bande dessinée française ou japonaise. L'archipel nippon allait découvrir Crespin, Baru et Beb Deum et la France Hiroaki SAMURA, Kenji TSURUTA, Jiro TANIGUCHI ou encore Hideji ODA.

Publiées dans un format inhabituel (15 x 21cm), les oeuvres traduites en français étaient destinées aux adultes, principal cible du catalogue de bandes dessinées des éditions Casterman.

La politique de Casterman n'a pas été une politique d'élargissement du lectorat. Cet éditeur promeut encore aujourd'hui la bande dessinée d'auteurs et la collection Manga Casterman ne fit pas exception à la règle. Il ne s'agissait pas de conquérir un nouveau marché mais d'élargir la production sur la base d'un même lectorat. En somme, l'amateur de bandes dessinées aurait lu les manga de l'éditeur comme il lisait les auteurs franco-belges de son catalogue.

La tentative de Casterman était audacieuse à cette époque. Elle allait en effet à contre-courant des préjugés du public sur le manga et proposait des oeuvres destinées aux adultes, dans un marché dominé par les shonen* et quelques shojo*.

Cette politique s'est toutefois soldée par un échec dans la mesure où les adeptes de la bande dessinée européenne ne se sont donc pas tournés vers le manga et que le lectorat habituel des manga (à l'époque composé en majorité de jeunes garçons) ne s'est pas reconnu dans la production de Casterman.

L'éditeur bruxellois a néanmoins conservé, lors de la suppression de la collection Manga Casterman, Gon de Masashi TANAKA et L'Habitant de l'infini de Hiroaki SAMURA, afin de rester dans l'esprit des lecteurs comme étant potentiellement intéressé par le manga.

3.2.1.2. Deux labels, deux approches différentes du manga

Écritures et Sakka ont moins de trois d'existence mais proposent des titres dont la qualité est exemplaire.

3.2.1.2.1. La «découverte» du manga pour adultes : la collection Écritures

Collection lancée en septembre 2002, Écritures regroupe des auteurs d'horizons graphiques et géographiques différents, de l'Argentine au Japon, du comics américain au manga.

Pour valoriser l'originalité de ce label, Casterman a lancé un nouveau format d'ouvrages aussi bien au sens propre qu'au sens éditorial du terme.

D'un format plus petit (17 x 24 cm), en rupture avec les habitudes de la bande dessinée traditionnelle (format A4), les publications du label Écritures bénéficient d'un papier ivoire, luxueux et épais et de rabats de couvertures cartonnés.

« J'ai cherché autant que possible, tout en restant élégant et efficace, à sortir des codes graphiques de la bande dessinée pour se rapprocher de ceux de la littérature générale. J'ai voulu par exemple qu'il y ait beaucoup de blanc sur la couverture de chaque volume, à l'opposé du «tout image» qu'est d'ordinaire une couverture d'album. [...] L'intention générale, c'est d'amener Écritures à trouver sa place ailleurs qu'en librairie spécialisée, et d'attirer sur cette collection un lectorat qui d'ordinaire s'intéresse peu à la bande dessinée. »28(*)

Innovation éditoriale, Écritures est une collection ouverte, hors de toute contrainte de série, de genre ou de pagination. Récits complets d'un volume, de tous les horizons géographiques (Argentine, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon...), ce label propose également des récits allant de 80 à plus de 600 pages (Blankets, manteau de neige de Craig Thompson), avec une prépondérance de noir et blanc.

Réalisant un mémoire sur l'édition des manga en France, nous avons opté pour une analyse partielle du catalogue en ne sélectionnant que les traductions de titres japonais, qui sont au nombre de sept.

La figure de proue du label, tous genres confondus, est Jiro TANIGUCHI. Quartier lointain, premier titre de la collection Écritures fut plus qu'un succès d'estime pour l'éditeur (les deux volumes de cette mini série se sont écoulés à 40.000 exemplaires chacun). Premier manga primé au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême en 2003 (prix du meilleur scénario), ce roman graphique a permis à la production japonaise de pénétrer certaines couches de lecteurs jusqu'à lors hermétiques aux manga. TANIGUCHI incarne encore actuellement auprès des médias français le versant respectable du genre (« le divin TANIGUCHI, «auteur» par excellence sous nos latitudes... »29(*)).

TANIGUCHI reconnaît que la bande dessinée européenne, notamment la production éditoriale des Humanoïdes associés dans les années 1970, a eu une influence majeure dans son oeuvre, ce qui peut en partie expliquer que TANIGUCHI est apprécié aussi bien par les lecteurs assidus de manga que par les détracteurs de celui-ci :

« Je me souviens de mon étonnement face au réalisme du dessin, notamment dans la manière de dépeindre les personnages et de représenter les décors avec un luxe de détails réalistes absolument inimaginable dans le manga de l'époque. »30(*)

Découvert en France par Casterman, Jiro TANIGUCHI est devenu un auteur à succès à l'égal de Hergé, Tardi ou Pratt traduit par de multiples éditeurs (Le Seuil, Génération Comics, Kana, ...). Le mangaka* a reçu cette année, toujours à l'occasion du Festival d'Angoulême, le prix du meilleur dessin pour Le Somment des dieux édité par Kana.

Les albums de TANIGUCHI publiés dans la collection Écritures ont tous fait l'objet d'un travail de traduction et d'adaptation soigné réalisé par Frédéric Boilet (directeur de la collection Sakka et auteur de bandes dessinées installé au Japon) en collaboration avec le mangaka lui-même. Dans le respect le plus total de l'oeuvre et dans un souci de lisibilité, Frédéric Boilet a soit inversé l'ordre des cases, soit retourné les pages pour conserver la dynamique d'un mouvement ou la composition graphique. De même, il a retouché tous les textes japonais qui le nécessitaient (les enseignes de magasins par exemple) pour qu'ils apparaissent dans le bon sens, ainsi que tous les détails qui se retrouvaient inversés par le retournement des planches.

Réalisé à quatre mains, Mariko Parade de Frédéric Boilet et Kan TAKAHAMA retrace le dernier voyage d'un mangaka* et de son modèle. Cet album comporte un cahier de douze pages en couleurs.

Il faut noter que cette oeuvre n'est pas à proprement parler le fruit d'une collaboration franco-japonaise, du fait que travaillant et résidant dans l'archipel, les titres de Frédéric Boilet sont considérés comme des manga à part entière.

La rentrée littéraire de 2004 a vu l'arrivée d'un nouveau titre japonais au catalogue d'Écritures. Osamu TEZUKA, biographie relate la vie du père du manga moderne. Prévue en quatre tomes, elle sera à ce jour la plus longue série publiée sous ce label.

3.2.1.2.2. Sakka et la manga

Née en octobre 2004, cette collection est l'occasion pour les éditions Casterman de renouer avec la publication de manga destinés aux adultes. Grâce au succès populaire de Quartier lointain de Jiro TANIGUCHI, l'éditeur a jugé opportun de publier des oeuvres du même esprit mais directement en sens de lecture japonais pour permettre un rythme de sortie plus soutenu. Louis Delas, directeur général de Casterman, démontre que Sakka entre pleinement dans la politique éditoriale générale de la société.

« Sakka devrait permettre au lecteur de retrouver ce qui fait l'identité de Casterman : la capacité à accueillir des ouvrages à la fois grand public et de qualité. C'est le cas par exemple des oeuvres de Tardi (Le Cri du peuple, Adèle Blanc-Sec...), Geluck (Le Chat), de la série Corto Maltese, et de Tintin bien évidemment, qui participent de l'image de marque de notre maison. Sakka s'inscrira dans cette tradition, tant par ses choix éditoriaux et la cohérence de la démarche à long terme que par le soin apporté à la fabrication des livres. »31(*)

3.2.1.2.2.1. Frédéric Boilet et la Nouvelle Manga

Le directeur de cette nouvelle collection n'est autre que Frédéric Boilet, connu dans le milieu de la bande dessinée comme un auteur français de manga et pour ses positions tranchées quant à l'édition de la production japonaise en France.

Certes, Frédéric Boilet réside au Japon depuis près de 15 ans et il connaît aussi bien les mangaka* que les attentes et les goûts du public français. Cependant, ce dernier n'apprécie les publications japonaises qui paraissent en France et a rédigé, en contestation, le «Manifeste de la Nouvelle Manga»32(*). Terme créé par l'auteur, la nouvelle manga désignait à l'origine sa propre production de bandes dessinées, « ni tout à fait BD ni tout à fait manga ». Ce terme ne peut toutefois pas se réduire à ses propres oeuvres puisqu'il a lui-même été inspiré par des mangaka* peu traduits en France. « Il me semble que le terme Nouvelle manga pourrait aider à cibler ce manque, dans une stratégie de communication en France d'une manga adulte au quotidien. » Car, en effet, Frédéric Boilet n'utilise pas le genre masculin pour définir le manga. Il oppose même le manga, « BD japonaise bon marché pour enfants et adolescents, tout à la fois violente et pornographique » à la manga, « une BD japonaise d'auteur, adulte et universelle, parlant des hommes et des femmes, de leur quotidien ».

Cette vision réductrice et démagogique, faite de mépris à l'égard du lectorat français risque un jour ou l'autre de mettre en péril la viabilité de cette jeune collection. Néanmoins, elle peut aussi apporter un certain bienfait à l'édition du manga en France en favorisant une amélioration qualitative de la production française actuelle dans le choix des titres à traduire.33(*).

3.2.1.2.2.2. Sakka : une nouvelle manga ?

L'éditeur a conservé, pour ce label, le même format que la précédente collection Manga Casterman, afin que le traitement de l'image soit optimal mais a opté pour un sens de lecture japonais, plus proche de l'édition originale. Les couvertures sont également réalisées sur le même modèle, une illustration pleine page sur la première de couverture et une quatrième dont la couleur varie à chaque titre.

Sakka, mot japonais signifiant «auteur», propose un catalogue de récits courts (publication de un à trois volumes maximum), de manga dont la publication n'obéit pas exclusivement à une démarche commerciale. Le but de cette collection est de faire découvrir au lectorat français des oeuvres personnelles et humaines pour adultes qui se désintéressent des courants éditoriaux dominants (à savoir au Japon les deux grands genres que sont le shonen* et le shojo*). Cette thématique commune n'est pas un frein à la diversité et le style des titres du catalogue sont très différents : récits fantastiques, intimistes (les oeuvres de Kiriko NANANAN), intrigue policière dans Forget me not de Kenji TSURUTA, chroniques de la vie quotidienne, conte philosophique dans La Musique de Marie d'Usumaru FURUYA et vie d'un samouraï dans L'Habitant de l'infini de Hiroaki SAMURA.

Ce dernier titre a bénéficié d'une parution directe à partir du volume dix. En effet, publiée sous le label Manga Casterman, cette série avait pris fin au numéro neuf. Cependant, les précédents volumes seront édités par Sakka afin de créer une homogénéité de présentation et bénéficieront d'une nouvelle traduction et adaptation.

Le label Sakka sera un gage de qualité au niveau éditorial. La traduction sera réalisée par des professionnels chevronnés venant du domaine littéraire. Frédéric Boilet entend également mettre en place des tandems franco-japonais, garantissant une meilleure compréhension de l'oeuvre originale et une adaptation qui fasse véritablement sens en français.

De même, le directeur de collection veut essayer d'attacher un traducteur à chaque auteur et de favoriser les relations entre eux. Reste à savoir si cette idée est réalisable au vu du nombre d'auteurs qui composent le catalogue (douze pour le moment) et de l'éloignement géographique (reste le contact par mail ou par téléphone moins chaleureux qu'une relation directe).

Enfin, favorisé par le fait que Frédéric Boilet réside au Japon et qu'il est en contact régulier avec les auteurs et les éditeurs, les planches originales seront scannées directement pour un rendu d'impression optimal, ce qui est, selon le directeur de collection, unique dans l'édition de manga en France34(*)

Casterman, malgré la jeunesse de Sakka, prévoit en 2005 une trentaine de manga sur les 90 nouveautés à paraître. L'éditeur parie donc sur un succès rapide de cette nouvelle collection. On peut toutefois s'interroger sur la pertinence d'un tel choix au vu de nombreux points d'ombre.

Tout d'abord, ce label a-t-il une viabilité au regard du nombre d'éditeurs et de collections destinées aux adultes sur le marché de l'édition de manga en France ?

Bien que destinée au grand public, Sakka est en réalité une collection très élitiste d'un point de vue financier, les prix s'échelonnant de neuf à douze euros. Au regard du nombre de titres qui paraissent chaque mois (50 à 80), un tel prix peut être un obstacle à la réussite de Casterman dans le secteur du manga d'autant plus que la majorité des acheteurs sont des adolescents par définition peu fortunés car non entrés dans la vie active. Seuls les amateurs de bandes dessinées franco-belges, habitués à dépenser de telles sommes, incarneraient donc l'espoir de réussite d'une telle collection.

De plus, de par leurs similitudes d'un point de vue thématique, il existe un risque d'assimilation entre Sakka et les productions japonaises d'Écritures.

Enfin, la politique éditoriale de Frédéric Boilet en ce qui concerne les différences éthiques entre le et la manga risque à terme d'écarter tout un pan du lectorat de manga, non adepte d'une intellectualisation à outrance de la bande dessinée et qui peut s'offusquer qu'on lui impose une catégorisation manichéenne entre bons et mauvais récits.

* 28 Guillaume Prieur, directeur artistique des éditions Casterman et concepteur de la ligne graphique d'Écritures, Castermag n°4.

* 29 Stéphane Jarno, « Le manga se lève à l'ouest », Télérama n°2875, 16 février 2005.

* 30Jiro TANIGUCHI in Romain Brethes, « Nourri à la BD européenne », Bang ! n°1, mars 2005.

* 31 Source : Catalogue papier Sakka de septembre 2004.

* 32 L'intégralité du manifeste est consultable sur le site personnelle de Frédéric Boilet, www.boilet.net. Les citations qui suivent sont extraites de ce texte (sauf indications).

* 33 J'aborderai ce point dans le paragraphe suivant intitulé Sakka : une nouvelle manga ?.

* 34 Bien souvent, les éditeurs français reçoivent le manga relié et doivent le découper page par page pour le flashage (cf. 4. La traduction/ adaptation et la fabrication d'un manga).

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault