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La mission du représentant Albitte dans l'Ain

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par Jérôme Croyet
Université Lumière Lyon II - Maîtrise d'histoire 1996
  

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B : motivations d'Albitte

Pour mieux comprendre la teneur de la politique mise en place durant la présence d'Albitte dans l'Ain, il faut se familiariser avec les motivations politiques du représentant et surtout leurs évolutions durant ce séjour de 3 mois. En effet, sous l'influence des commissaires civils et des Sans-Culottes, les idées politiques d'Albitte vont évoluer au gré des interventions persuasives de ces derniers.

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, Albitte est un homme de terrain plus habitué aux décisions militaires que civiles. Il a l'idée que son rôle est étroitement lié à la sauvegarde de la République et qu'à ce titre il ne peut pas être indulgent et doit apporter au peuple la justice et la sûreté de la loi : "la justice nationale doit se déployer aujourd'hui dans toute sa sévérité pour épouvanter les conspirateurs et ceux qui serait tenter de les imiter". Homme laborieux, il sait que son travail sera de longue haleine et difficile pour arriver au résultat escompté : la "besogne est laborieuse ici"483(*) écrit il à ses collègues à Lyon. A son arrivée, Albitte a déjà une idée précise de son rôle dans le département de l'Ain : "rendre les sans-culottes dans tout la force du terme" 484(*).

Albitte, comme Javogues, assimile facilement le terme de sans-culottes aux vrais patriotes. Ce programme simple, induit donc que toutes les oppositions aux sans-culottes doivent être réduites; en effet, dans la même lettre, Albitte explique par quels moyens il va mener cet objectif politique de "détruire le fanatisme. . .écraser les prêtres (et) dompter messieurs les ci-devant" 485(*). Cette idée précise de son rôle dans l'Ain, va mûrir et se modifier au contact des Sans-Culottes.

Dans un premier temps, Albitte cherche à s'entourer d'hommes fidèles et patriotes. Pour cela il ne juge pas par lui même (défaut de profession ? ). En effet, les signes de confiance des représentants précédents (Gouly excepté) envers les Sans-Culottes sont pour lui des preuves de la valeur de ces hommes. Il en va de même pour le soutien que les autorités, et surtout les sociétés populaires, accordent vis-à-vis de telle ou telle personne 486(*). Avec l'indécision d'Albitte, les sociétés populaires deviennent les garantes de l'opinion révolutionnaire, qui prend le pas sur l'avis des autorités constituées487(*). Albitte n'est pas avare de sa confiance aux hommes qu'il juge patriote. Ainsi Dorfeuille, Vauquoy, Merle où les officiers municipaux de Bourg, sont à ses yeux des patriotes488(*)

De son expérience aux armées, Albitte a gardé un sens poussé du devoir. Il a en haute estime la scrupuleuse obéissance à la loi. Mais il cherche aussi à imposer cette opinion aux personnes à qui il donne sa confiance, en les nommant à des postes : "Les citoyens ci-dessus désignés, sont investis dès ce moment au nom de la loi, des pouvoirs attachés à leurs fonctions, comptables envers la patrie de leurs talents et de leurs vertus, et sous la responsabilité terrible imposée par la loi aux fonctionnaires publics"489(*). Quand Albitte rédige sa proclamation du 5 pluviôse an II (24 janvier) au directoire du département, il montre clairement sa définition du gouvernement révolutionnaire, et ces attentes vis-à-vis des administrateurs sans-culottes pour l'aider à installer le gouvernement révolutionnaire :

"Citoyens,

La Convention Nationale a décrété l'établissement d'un gouvernement provisoire et révolutionnaire, il est la pièce d'attente sur laquelle sera posé l'édifice de la constitution que la République entière a acceptée, et qui doit faire son Bonheur.

La Convention nationale a envoyé cinquante huit de ses membres pour établir dans tous les départements ce gouvernement qui n'est que le précurseur d'un meilleur encore, et dont la durée, en dépit des tyrans et des esclaves doit être éternelle.

Pour y arriver, il faut des guerriers qui terrassent les ennemis du dehors : un million de nos frères les battent aux frontières; il faut des lois sévères qui compriment, punissent et écrasent au dedans les malveillants, les fanatiques, les aristocrates et les conspirateurs.

Ces loi existent.

Il faut des patriotes, des vrais sans-culottes, des hommes vertueux qui fassent exécuter les lois dans toute l'étendue de la République.

Citoyens, il en existe qui rempliront cette importante fonction.

Toutes les autorités constituées vont être, suivant la loi, réorganisées et régénérées en cet instant, sans destitution dans votre département.

Pourquoi ? Pour faire le bonheur du peuple trop longtemps négligé.

Que restera-t-il à faire ? Chacun son devoir.

Fonctionnaires publics, connaissez le votre, la loi inflexible est là.

Peuple le tien est de connaître les vrais amis et de veiller sans cesse au maintien de la liberté, qui n'est rien sans l'égalité."490(*)

Dans cette déclaration, Albitte par la confiance qu'il donne aux militants locaux, attend se reposer sur ces activistes pour l'aider à mener à bien sa mission de Salut Public et de Gouvernement Révolutionnaire provisoire.

Mais plus la mission avance, plus l'idéologie d'Albitte se fait impulsive et dure. Le 21 pluviôse an II (9 février), dans une lettre à la Convention, il donne une nouvelle définition du Gouvernement Révolutionnaire : c'est "un gouvernement qui détruit jusqu'au dernier germe de fanatisme, qui anéantit tous les restes détestables de la royauté et de la féodalité, qui ôte aux ci-devants tous les moyens de nuire, qui écrase les contre-révolutionnaire, les fédéralistes et les coquins, qui ranime les patriotes, honore les sans-culottes" 491(*).

On peut voir dans cette lettre d'Albitte que son programme est fortement inspiré des idéaux que les Sans-Culottes ont répandu dans leurs différents discours. Pour Albitte, le bon citoyen (entendons par là le sans culotte), l'homme nouveau, ne peut pas être un homme de l'Ancien-Régime. La conduite jacobine modérée d'Albitte à Marseille, devient durant le mois de pluviôse an II, plus hébertisante.

Pour Albitte, si le département de l'Ain est "intéressant pour la République par ses localités frontières" 492(*), il est néanmoins livré aux espérances des aristocrates et des modérés depuis que les patriotes sont emprisonnés. Dans une lettre du 11 pluviôse an II (30 janvier) au Comité de Salut Public, Albitte adopte la vision du département des Sans-Culottes. Il dépeint l'Ain comme "infecté de prêtres, de nobles de praticiens" 493(*). Dans cette lettre, Albitte aborde aussi le sujet de Gouly.

La vision qu'a Albitte de Gouly, et son évolution est tout à fait significative de l'affinage de ses idées. Le 3 pluviôse an II (22 janvier), dans son arrêté pour la libération de Blanc-Désisles, Rollet-Marat et Convers, Albitte trouve pour son collègue des circonstances atténuantes : "considérant que le représentant du peuple Gouly abusé sans doute par les séductions et les machinations ourdies par les malveillants, a imprimé dans ses contrées une marche rétrograde à l'esprit révolutionnaire" 494(*). Mais dans sa lettre du 11 pluviôse an II (30 janvier), la compassion pour Gouly est totalement absente, il le désigne comme celui qui" a ravivé le fanatisme et relevé les espérances des aristocrates et des modérés"495(*). Albitte rejoint l'idée des Sans-culottes sur Gouly, tout en se montrant néanmoins plus prudent que l'a été Javogues.496(*).

L'étude du vocabulaire des arrêtés du représentant durant sa mission montre bien la dérive des idées d'Albitte aux contact des Sans-Culottes jusqu'à la fin de pluviôse et le début de ventôse, puis la modération de ses idées jusqu'à son rappel.

Le 1er et le 2 pluviôse an II (20 et 21 janvier), Albitte emploie dans ses arrêtés les mots de "personnes déclarées suspectes"497(*) et de "personnes détenues" 498(*). C'est un vocabulaire général et plutôt distant que le représentant emploie pour parler de ce que les Sans-Culottes appellent déjà des "administrateurs infidèles, des scélérats voués aux tyrans coalisés. . . des fédéralistes. . .traîtres. . .brigands" 499(*). A ce moment Albitte reste assez loin des motivations des Sans-Culottes jusqu'à la libération de Blanc-Désisles, Rollet-Marat et Convers, le 3 pluviôse an II (22 janvier). A partir de ce moment Albitte rentre dans le jeu des Sans-Culottes, mais avec des réserves.

En reconnaissant l'utilité de ses trois hommes pour l'établissement du gouvernement révolutionnaire, Albitte se rapproche de leurs idées 500(*). Tout en se faisant désormais partisan du régime terroriste attendu par les Sans-Culottes, Albitte reste toutefois prudent; pour lui "si la justice nationale doit se déployer aujourd'hui dans toute sa sévérité pour épouvanter les conspirateurs. . .cette même justice doit aussi un prompt secours a des citoyens accusé et détenus à tord"501(*). Albitte au début de sa mission va jusqu'à mettre en cause "des erreurs momentanée" 502(*). Jusqu'au 10 pluviôse an II (29 janvier), il ne fait pas encore de différence parmi les détenus.

En effet, cette temporisation inhérente au caractère d'Albitte se trouve vite modifiée. Dès le 11 pluviôse an II (30 janvier), il fait réintégrer en maisons de détention toutes les personnes mises en liberté par ordre de Gouly. Cet arrêté aveugle, outre le fait de désavouer son collègue, répond à l'attente des Sans-Culottes, de pouvoir faire revenir la situation au moment où Javogues était là. Toujours le 11 pluviôse an II (30 janvier), dans la lettre à ses collègues de Commune-Affranchie, Albitte décrit son idée quand aux personnes qui sont suspectes; ces dernières sont toutes celles qui sont les ennemis des Sans-Culottes : prêtres, nobles, fédéralistes. Cette évolution se caractérise dès le 13 pluviôse an II (1er février), lorsque Albitte ressert l'étau autour du terme suspect. En effet, sont considérés suspects d'office tous les "administrateurs, hommes de loi, avoués, ex-nobles, ex-prêtres et ex-religieuses qui avaient été mis en état d'arrestation par ordre des représentants du peuple Amar, Merlino, Bassal, Bernard et Javogues, ou des autorités constituées"503(*).

Il est à remarquer qu'avec cet arrêté, Albitte légitime la venue de Javogues dans l'Ain, qui n'y avait pourtant aucun pouvoir; alors que simultanément, il cherche suivant la politique des Sans-Culottes à dénigrer Gouly, voir a nier ces pouvoirs dans l'Ain.

Le 20 pluviôse an II (8 février), la pensée d'Albitte au sujet des suspects se fait plus claire encore, lorsqu'il met en liberté des cultivateurs et des vignerons; Pour eux, il fait preuve d'une clémence504(*), qu'il ne fait pas aux personnes qui ne sont pas issues du peuple. De même quand Albitte parle de sans-culottes détenus, le terme de suspects ou de prisonniers est oublié et l'on y substitue celui de citoyens. Cet appui envers la partie du peuple reconnue saine et vertueux devient constant dès pluviôse an II quand il écrit à Rollet-Marat : "il faut autant que l'on peut rendre à la liberté le pauvre, le malheureux et l'agriculteur, qui, pour l'ordinaire ne font des fautes que par les conseils et les instigations perfides des riches, des intriguants et des ci-devants nobles" 505(*). Albitte, durant les deux premières décades de pluviôse an II, voit son idée des suspects modifiée par l'influence grandissante, que font sur lui les Sans-Culottes et les commissaires civils. De même, sa position vis-à-vis des "non sans-culottes" est sous l'influence de ses relations avec cet entourage. En effet, parmi les suspects, se démarquent rapidement les personnes fourvoyées ou innocentes, ainsi que les vrais ennemis de la Révolution. Ces derniers se regroupent dans trois ensembles. D'abord les prêtres et les fanatiques, qui travaillent par leurs actions à égarer le peuple, puis les nobles et les fédéralistes, qui sont le bras armé de cette contre-révolution, et enfin, les riches qui, par leurs égoïsme et leur amour de l'argent et de la propriété outrancière, privent la République et les sans-culottes du soutien financier qu'ils désirent pour vaincre les ennemis du dedans et du dehors.

En effet, Albitte rejoint l'idée des Sans-Culottes, que le peuple ne peut être fourvoyé que par la faute des ennemis de la Révolution : "que les patriotes soient fermes, qu'ils ne tremblent pas, qu'ils ne se laissent pas séduire"506(*) nous dit Rollet-Marat. Albitte, qui veut redonner force aux Sans-Culottes et ménager le peuple, va chercher, pour le plus grand bonheur des patriotes à détruire les nobles, les riches et les prêtres. L'arrêté du 8 pluviôse an II (27 janvier), obligeant les prêtres à "abdiquer leurs prétendus fonctions (et) abjuré leurs erreurs et remis leurs lettres de prêtrises" 507(*) montre que le représentant a là aussi, rejoint la pensée des Sans-Culottes. Les prêtres sont les"funestes apôtres. . .du fanatisme"508(*) qui ont joué avec l'ignorance du peuple509(*) pour amener ce dernier avec eux à devenir les ennemis de la Révolution. Albitte est convaincu que l'ignorance est la clef de voûte qui tient l'édifice de la religion; en cela, il rejoint Baron-Chalier, Rollet-Marat et Blanc-Désisles.

Ce qui est marquant durant cette mission, c'est la facilité avec laquelle Albitte fait des prêtres la cause des malheurs de la République; il parle de "prêtres perturbateurs qui forment la révolte."510(*) L'influence des Sans-Culottes est ici incontestable, lorsqu'on a en mémoire la lettre du comité de surveillance de Bourg à celui de Coligny, du 1er nivôse an II (21 décembre) (voir page 92).

Avec son arrêté du 10 pluviôse an II (29 janvier), Albitte montre qu'il fait face à deux types de prêtres. Il y a le bon prêtre, qui abdique et abjure sa foi suivant l'arrêté du 8 pluviôse an II (27 janvier), c'est à dire qui reconnaît publiquement avoir professé des mensonges et avoir commis des erreurs. De l'autre, il y a le mauvais prêtre, qui n'a pas prêté le serment, pour revenir dans le sein des citoyens. Ces derniers qui refusent le bras tendu (via l'acte d'abdication) qui les mène dans le cercle des citoyens ne peuvent être que des fanatiques. Malgré la possibilité de revenir dans le sein de la République que donne l'arrêté du 8 pluviôse an II (27 janvier), les prêtres restent des ennemis sournois de la Révolution, qui par leurs actions, leurs prêches, leurs correspondances, et surtout par leur existence en temps qu'homme d' église, ne peuvent que désirer la guerre civile. Albitte se méfie des prêtres, même si ces derniers ont prêtés serment : "Les . . .prêtres qui ont abdiqué sont tenus de rester dans le chef lieu du district et de se présenter tous les deux jours à la municipalité; ils ne pourront en sortir que lorsque les effets des impostures religieuses seront entièrement détruits dans l'Ain. . .où qu'après s'être mariés, ou avoir pris un métier utile à la République"511(*). Pour lui, la religion n'est pas l'ennemi du peuple, contriarement à ses représentants, qui dans l'Ain particulièrement sont doués pour séduire les citoyens peu instruit afin de rester maître : "ils cherchent à conserver surtout dans le département de l'Ain et du Mont Blanc, le fatal crédit qu'ils avaient usurpé sur les plus simples et bons de leurs habitants et à s'opposer à la destruction des préjugés, à l'établissement du Gouvernement Révolutionnaire. . .et au règne de la Raison"512(*). Albitte et son entourage ne cherchent pas à détruire la croyance en un seul Dieu513(*), mais à supprimer des intermédiaires inutiles et dangereux pour le peuple lui même et la République.

En effet, Albitte comprend vite que les religions et la puissance des Eglises, ne sont rien sans le support des prêtres qui la professent et des symboles que sont les bâtiments religieux et les objets des cultes. C'est pour cela qu'il prend son arrêté du 7 pluviôse an II (26 janvier), afin de détruire l'emprise morale qu'exerce les hommes du culte sur le peuple, par la démolition des bâtiments, symbole de la puissance de la religion en tant que moyen d'oppression des citoyens :

"Considérant que le peuple français ne reconnaît aucun culte privilégié et dominant, que tous les bâtiments, terriers, matériaux, métaux et ustensiles, ci-devants abandonnés aux usages des différents cultes, appartiennent à la République, et sont des propriétés nationales"514(*).

La pensée d'Albitte sur la propriété des biens des différents cultes, se veut une extension de la loi sur les biens nationaux et de la Constitution Civile de Clergé.

En effet, si les batiments sont la propriété du peuple, les objets et ustensiles et matériaux le sont de même. Le fait que les prêtres soient désormais et avant tout des citoyens qui se doivent donc d'obéir aux lois de la République avant celle de Rome pousse Albitte dans l'idée que les bâtiments "trop longtemps usurpés et envahis"515(*) sont à la République avant d'être aux cultes. En tant que représentant officiel de la République et du peuple, son devoir est donc de chasser cet envahisseur de biens de l'Etat et de les rendre à qui de droit.

Le 8 pluviôse an II (27 janvier) Albitte cherche à atteindre le culte, non plus dans la mystique des objets et des matériaux, mais dans ce qu'il a de plus physique et direct, le clergé. En effet, si les reliquaires, les ornements, les croix, les encensoirs et les cloches sont un aspect de la religion, les prêtres en sont les objets en contact direct avec la population. C'est donc à la population que les prêtres doivent montrer qu'ils n'ont professé que des mensonges. Le fait de prêter serment devant la foule engage le prêtre à se conformer à la parole donnée. Dans le texte du serment, la "fonction" de prêtre est remplacée par le mot métier. Albitte ne considère pas la fonction d'homme d'église comme le sacerdoce d'un homme vertueux et désintéressé, mais comme une profession qui a pour but de gouverner et s'enrichir aux dépens des personnes crédules et maintenues volontairement loin de toute instruction.

Après le développement des idées d'Albitte autour du culte, il intéressant de voir l'évolution de sa pensée vis-à-vis des nobles, des riches et des fédéralistes.

Si les prêtres sont la cheville sournoise de la contre-révolution, les nobles sont la partie émergée de la lutte contre la République qui, par leur contact avec les émigrés, ne sont qu'encore plus dangereux. La plupart du temps, Albitte assimile dans le même groupe, les nobles, les fédéralistes et quelques fois les riches.

Le 8 pluviôse an II (27 janvier), dans son arrêté stipulant la démolition des châteaux forts, tours et fortifications, Albitte cumule sous le terme général "d'esclaves" (des tyrans), tous les ennemis de la Révolution :

"tout récemment encore les château forts ont servi de refuge, de point d'appui et de ralliement aux fanatiques, aux fédéralistes et aux rebelles. . .et raniment les espérances plus coupables encore des aristocrates, des contre-révolutionnaires et des émigrés"516(*).

Pour lui, les nobles et leurs successeurs dans la contre-révolution ouverte que sont les fédéralistes, ne sont que des "incorrigibles partisans de la royauté, de l'aristocratie et du fanatisme, de la tyrannie et du fédéralisme"517(*). Albitte leur reproche leur conduite sous les siècles passés, mais aussi leur volonté de vouloir forcément nuire de par leur naissance à la République : "considérant l'immensité des maux dont ces êtres gangrenés de l'ancienne corruption, ont affligés la République et ceux qu'ils peuvent lui faire éprouver "518(*).

Pour Albitte, comme pour les Sans-Culottes, les nobles et leur avatars, les fédéralistes, n'ont aucune excuse; ils sont forcément contre la République, comme si le sentiment d'être contre-révolutionnaire était endémique au fait d'être né noble. Aveuglé par son entourage, les nobles, ne sont plus pour Albitte, des citoyens ou des êtres humains, mais une "race funeste"519(*), "une caste dévastatrice"520(*), qui par sa naissance s'élève de toutes les manières possibles contre la République. Les nobles, entité à la fois sans citoyenneté mais de dimension internationale, portent en eux "le germe de la lèpre féodale"521(*). Dans l'idée du représentant, le noble, (par son existence même), cherche naturellement à démolir les acquis révolutionnaires522(*) alors que tout le peuple travaille pour la Liberté et l'Egalité. Albitte (ou peut être Dorfeuille) va, le 23 ventôse an II (13 mars), jusqu'à inventer le terme de "nationalicide"523(*) pour qualifié le projet des nobles.

Si les nobles cherchent instinctivement la destruction de la République, les riches ou les propriétaires ne sont que des égoïstes qui enlèvent au peuple et à la patrie "la noble ressource de son industrie et de ses biens"524(*). Dans les deux cas Albitte, fait montre d'une politique de neutralisation, presque similaire.

En effet, dès le 15 pluviôse an II (3 février), Albitte s'attaque aux riches en tant que classe sociale, à circonvenir. Comme pour les nobles, Albitte, tente par deux arrêtés (celui du 15 pluviôse an II (3 février) pour les riches et celui du 13 pluviôse an II (1er février) pour les nobles, prêtres) de neutraliser "ces êtres irrévolutionnaires"525(*), en les faisant arrêter comme c'est la cas pour les nobles, ou, en les sommant de revenir dans les villes où ils sont domiciliés comme c'est le cas pour les "riches capitalistes et prorpiétaires de fonds"526(*). Après avoir réuni dans les prisons ou dans les villes du département, sous la surveillance des municipalités, ces "êtres irrévolutionnaires"; Albitte essaye de ciconvenir les ressources financières et matérielles des riches et des nobles en prenant un premier arrêté le 19 pluviôse an II, donnant le mode d'exécution des mises sous scellés des personnes déclarées suspectes. Dans cet arrêté, Albitte montre une férocité verbale qui tranche avec le ton calme mais néanmoins enflammé de ses lettres à ses collègues de Commune-Affranchie, ou au Comité de Salut Public :

"Considérant la profondeur de l'hypocrisie, la noirceur des trames, la perfidie des coalitions, la criminelle obscurité des correspondances et la continuité des intelligences contre-révolutionnaires des incorrigibles partisans de la royauté, de l'aristocratie et du fanatisme, de la tyrannie et du fédérlisme;

considérant la constante perversité de leur conduite liberticide, l'abondance funeste de leurs moyens corrupteurs, leur égoîsmes anti-social, leur amour insatiable des richesses et l'infâme usage qu'ils en font pour détruire la liberté et anéantir l'égalité qu'ils ont en horreur;

considérant l'immensité des maux dont ces êtres gangrénés de l'ancienne corruption ont affligé la République, et ceux qu'ils peuvent encore lui faire éprouver en leur laissant la libre disposition des ressources privilégiées que son indulgence leur a trop longtemps abandonnées et qui ne peuvent plus leur être laissées, sans exposer le sien de la patrie à ête encore déchiré par eux;

convaincu que ce serait en vain que ces ingrats seraient déclarés suspects, si les moyens de nuire et de se perdre eux-mêmes n'étaient pas soigneusement et sans délai écartés de leurs mains parricides."527(*).

Cet arrêté montre bien que c'est durant la seconde partie du mois de pluviôse an II, que les motivations d'Albitte sont de loin les plus violentes. En effet, la teneur de l'arrêté qui prive les suspects de leurs biens, s'il porte le sceau du représentant, ne semble pas par la violence du vocabulaire employé, être de la plume d'Albitte.

Ces motivations ne sont pas les seuls éléments qui régissent la conduite d'Albitte dans l'Ain. En effet, il vient aussi dans l'Ain pour s'occuper du ravitaillement de Commune-Affranchie528(*) suivant les réclamations en subsistances de ses collègues à Lyon. Ce ravitaillement ne s'arrête pas qu'aux besoins de la ville de Lyon, mais aussi aux armées. Albitte promet à ses collègues à Lyon d'agir dans ce but "je m'occuperai des bois de marines, des salpêtres. . .des grands moyens d'améantir la mendicité et de préssurer les égoîstes, et de punir les fédéralistes"529(*).

Albitte, plus que d'établir seulement le gouvernemnt révolutionnaire, cherche à faire marcher la machine de guerre sur un département reconnu fédéraliste.

Le conseil que lui donne le Comité de Salut Public de garder le contact avec les représentants à Commune-Affranchie pousse Albitte à leur envoyer systématiquement des copies de ses arrêtés, afin que ses derniers jugent de ses intentions.530(*) Mais cette correspondance va plus loin. Albitte demande conseil aux représentants à Lyon. Albitte tend donc à devenir un satellite de la politique exercée à Commune-Affranchie; il n'est pas une autorité autonome.

Bien qu'il demeure en constante relation avec la Convention et le Comité de Salut Public, Albitte, par l'intermédiare des représentans à Lyon et des commissaires civils qui l'accompagnent, garde un contact avec la Commune de Paris et le club des Cordeliers.

L'influence des voeux des représentants à Commune-Affranchie et les aspirations des Sans-Culottes de l'Ain façonnent rapidement l'idéologie d'un homme que la tourmente révolutionnaire a éloigné de sa prudence naturelle.

Durant sa mission dans l'Ain, Albitte est fermement soutenu en pluviôse an II par le Comité de Salut Public qui l'encourage à établir le gouvernement révolutionnaire531(*). Albitte se félicite de la marche révolutionnaire qu'il applique au département : "Frères et amis, je vous envoie les différents arrêtés que j'ai pris depuis mon arrivée dans ce département. Jetez les yeux, et vous verrez quels sont mes principes. Je me flatte que vous y trouverez les vôtres et que vous pourrez dire : Albitte fait son devoir"532(*). Mais ce soutien du Comité de Salut Public disparait en ventôse an II, quand les menées des Sans-Culottes sont désavouées par la députation de l'Ain à l'Assemblée.

Avec la présence d'Albitte dans l'Ain, les motivations des Sans-Culottes vont connaître une mutation qui va permettre la mise au point( grâce à l'appui non négligeable des commissaires civils) d'une politique hébertiste, très proche des idées des sections parisiennes. Même si cet entourage composé de personnes au caractère et aux idées influentes et convaincantes, guide les choix politiques, lorsque ces derniers sont à la portée du représentant, ce dernier n'en demeure pas moins responsable de ces actes, par l'apposition au bas des arrêtés de sa signature.

* 483lettre d'Albitte à ses collègues de Commune-Affranchie du 11 pluviôse an II. A.D.R 1L208.

* 484Lettre d'Albitte à ses collègues de Commune-Affarnchie du 11 pluviôse an II. A.D.R 1L208.

* 485Ibid

* 486Arrêtés des 3, 5, 24 pluviôse an II et des 3 et 5 ventôse an II. cette confiance qu'accorde Albitte aux sociétés populaires, est constante durant le premeier mois de sa mission.

* 487Le 5 pluviôse an II, dans son arrêté de réorganisation du district, Albitte motive sa décision "après avoir pris les renseignements les plus scrupuleux et les plus précis et consulté l'opinion de la société populaire de Bourg-Régénéré." A.D.A série L fonds non classé.

* 488 »j'atteste que Vauquoy m'a toujours paru un bon et loyal patriote » Lettre d'Albite au Comité de Salut Public, A.Aulard Receuil des Actes du Comité de Salut Poublic tome 12 page 657. Voir aussi A.Aulard, Ibid, tome 12 page 774.

* 489Arrêté du 5 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 490Registre du directoire du départemnt de l'Ain. A.D.A L88.

* 491Lettre citée par J.Gaudechot in les institutions de la France sous l'empire et la Révolution, Presse Universitaire de France, Vendôme 1985, page 293-294.

* 492Arrêyté du 3 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 493lettre citée par E.Dubois in Histoire de la Révolution. . .Op.cit, tome 4 pâge 150

* 494arrêté du 3 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 495Lettre d'Albitte au Comité de salut Public du 11 pluviôse an II, Ibid

* 496Le 16 pluviôse an II, Javogues écrit à Collot d'Herbois et lui demande "Pourquoi faut-il que le Comité de Salut Public envoie l'infâme Gouly pour établir la guerre civile, dans un département que j'avais mis au pas?. . .Le Comité n'est-il pas en pleine contrerévolution lorqu'il envoie le traitre Gouly pour casser tout ce que j'ai fait, pour incarcérer tous les patriotes et pour faire triompher l'aristocratie". Lettre cité par E.Dubois in Histoire de la Révolution. . ., Op.cit, tome 4 page 139.

* 497Arrêté du 1er pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 498Arrêté du 2 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 499Lettre de reydellet pour que Désisles, Rollet et Convers , ses amis, soient mis en liberté. A.D.A 2L56.

* 500" Cette incarcération a frappée de terreur les patriotes et relevé l'éspérance de l'aristocratie et du modérantisme".(Arrêté du 3 pluviôse an II, A.D.A série L fonds nn clazssé) "Leur incarcération fatigue les patriotes et relève trop la joie et l'éspérance des malveillants". Lettre de Reydellet, Ibid.

* 501Arrêté du 10 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 502Ibid

* 503Arrêté du 13 pluviôse an II.A.D.A série L fonds non classé.

* 504"l se trouve des individus aux quels on ne peut attribuer que des fautes et des erreurs qui n'ont pas eu de suite malfisantes, que plusieurs cultivateurs et vignerons n'ont été coupables qu'un moment que par une crédulité". Arrêté d'Albitte du 20 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 505Lettre d'Albitte à Rollet-Marat, du 18 ventose an II. A.D.A série L fonds non classé

* 506Principes révolutionnaires. . .Op.cit, article 36

* 507Arrêté du 8 pluviôse an II. registre du directoire du département de l'Ain, A.D.A L45

* 508Arrêté du 8 pluviôse an II. Registre du directoire du département de l'Ain. A.D.A L45.

* 509"considérant leurs constants efforts pour arrêter l'élan sublime du peuple vers la liberté pour perpétuer ses maux et l'ignorance profonde dans laquelle il avait su le replonger" Ibid.

* 510Arrêté du 10 pluviôse an II. A.D.A série L fonds non classé.

* 511cité par E.Dubois in Histoire de la Révolution.. . ., Op.cit, tome 4 page 348.

* 512Arrêté du 8 pluviôse an II, Ibid.

* 513"La croyance d'un Dieu seul est prouvée par la nature entière. Un scélérat seul peut en douter". Rollet-Marat Principes Républicains. . .. Op.cit.

* 514Arrêté du 7 pluviôse an II. Registre des représentzants en mission. A.D.A L98.

* 515Ibid

* 516Arrêté du 8 pluviôse an II. Registre des représentant en mision A.D.A L98.

* 517Arrêté du 19 pluviôse an II. Registre des représentnts en mission, A.D.A L 98.

* 518Ibid

* 519Arrêté du 23 ventose an II. A.D.A registre des représentants en mission.A.D.A L98.

* 520Ibid

* 521Ibid

* 522"l'infame usage qu'ils en font (de leur richesse) pour détruire la liberté et anéantir l'égalité qu'ils ont en horreur". Arrêté du 19 pluviôse an II.

* 523Ibid

* 524Arrêté du 15 pluviôse an II, cité par E.Dubois in Histoire de la révulotuion . . ., Op.cit, tome 4 page 257.

* 525Arrêté du 15 pluviôse an II, cité par E.Dubois in Histoire de la Révolution. . ., Op.cit, tome 4 page 257.

* 526Ibid.

* 527Arrêté d'Albitte du 19 pluviôse an II, registe des représentants en mission, op.cit.

* 528A.D.R 1L208.

* 529A.D.R 1L208

* 530Lettre d'Albitte à ses collègues de Commune-Affranchie, du 11 pluviôse an II. A.D.R 1L208

* 531"Il est important que la force du gouvernement révolutionnaire soit également sentie de tous les points de la République. Elle doit avoir une activité plus énergique sur ceux qui ont été boulversé par les factions royalistes ou fédéralistes". Lettre du comité de Salut Public du 10 pluviôse an II, citée par E.Dubois in Histoire de la Révolution dans l'Ain, Op.cit, tome 4 page 159.

* 532Lettre d'Albitte aux représentants à Commune-Affarnchie, du 22 pluviôse an II. Cité par E.Dubois in Histoire de la Révolkution dans l'Ain op.cit, tome 4 page 264.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille