IX. Les croyances parentales
en une normalité possible de leur enfant
................... P 74
1. Les typologies parentales ....................
p 74
2. Une construction « idéaltypique »
de
la famille de l'enfant handicapé mental
.................... p 75
3. Le mythe du progrès ....................
p 76
3.1. La situation d'incertitude ....................
p 76
3.2. Le mythe du progrès dans
sa relation à la temporalité
.................... p 77
3.3. Le paradigme de KUHN ....................
p 78
4. Le modèle cognitiviste appliqué
aux croyances parentales ....................
p 80
CONCLUSION .................... p 84
BIBLIOGRAPHIE .................... p 86
INTRODUCTION
« Une science empirique ne saurait enseigner
à qui que ce soit ce qu'il doit faire, mais seulement ce qu'il
peut et - le cas échéant - ce qu'il veut
faire. » Max WEBER.
Ce mémoire de DEA s'intéresse à la
problématique des parents d'enfants handicapés mentaux. Il est le
fruit d'un travail de recherche mené depuis l'année de licence
dans le cadre de nos recherches de sociologie à l'Université de
Nancy 2. La réflexion élaborée au cours des pages à
venir n'est pas seulement issue de l'imagination du chercheur. L'année
passée, en maîtrise, nous avons pu interpeller les parents au
cours d'entretiens afin de comprendre leur univers et nous avons pu nous faire
une première idée sur leur situation.
Cette année a été une phase de
théorisation importante afin de percevoir les mécanismes de
construction d'un univers social particulier. Nous ne sommes pas isolés
sur notre îlot avec notre seule vérité et nos seules
certitudes ; nous faisons le constat que la recherche n'a de sens que si
elle est partagée. Certes, les théories de certains auteurs ne
nous ont pas semblé pertinentes, ce n'est pas pour autant qu'elles en
sont dénigrées. Nous n'adoptons pas leur point de vue, c'est
tout. Les théories d'autres auteurs, par contre, ne pouvaient ne pas
être débattues et exposées. Elles intéressent notre
objet sociologique au premier chef et nous ont permis un détachement
nécessaire par rapport à nos a priori.
Nous l'avions soulevé l'année passée,
notre profession est intimement liée à notre objet de recherche
puisque nous le côtoyons au quotidien, dans notre pratique
éducative. Le questionnement sur notre état reste sous-jacent,
à savoir, quelle est la place d'un
« éducateur-sociologue » au sein d'une structure
d'accueil de l'éducation dite spécialisée. Pour l'heure,
nous n'avons pas trouvé de réponse mais existe-t-il vraiment une
réponse ? Ce qui nous semble incontestable, c'est que notre
perception sur la chose « handicap » à
évoluer ; elle devient désormais plus lisible, comme plus
transparente devant nos questionnements. Peut-être sommes-nous enfin
prêt à comprendre le monde du handicap et non plus uniquement
vivre une routine professionnelle à ses côtés ? Le
regard du sociologue se détache de la perception immédiate de
l'éducateur, la réflexion s'allie à la pratique mais
n'est-elle pas en train de la dépasser ? Nous pouvons nous demander
si l'action ne met pas à mal toute réflexion et qu'à trop
s'inscrire dans le « faire » nous en oublions de regarder
ce que nous sommes professionnellement.
Au-delà de nos propres inquiétudes, nous
recherchons à comprendre un autre monde fait également
d'incertitudes, celui des parents de l'enfant handicapé mental. Comment
peuvent-ils parvenir à être et vivre dans un univers
détruit à l'apparition du handicap ? Quelle force les anime
et les pousse à poursuivre malgré tout ? C'est vrai que ses
questions sont souvent présentes à notre esprit et nous
pensons que les parents se les posent également. En cherchant à
les comprendre peut-être parviendrons-nous à leur faire comprendre
leur situation ?
Sans leurs témoignages, ce travail n'aurait pas pu
exister ; leur investissement dans cette recherche est réel et
laisse supposer qu'ils souhaitent être soutenus. Il y a une part de
curiosité qu'ils cherchent à assouvir : savoir comment cela
se passe chez les autres avec un enfant handicapé. Savoir s'ils font
bien, s'ils s'en sortent, s'ils sont de bons parents, surtout lorsqu'on n'a pas
l'expérience du handicap. Tous ces questionnements rejoignent les
nôtres même s'ils sont d'une nature différente : nous
avons cet avantage sur eux d'être hors de l'objet de recherche alors
qu'ils y participent pleinement.
Nous investirons cet objet de l'intérieur ; il
nous faut le pénétrer pour le démanteler et le donner
à lire aux individus. Les théoriciens appréhendés
nous aident dans notre mission de
« compréhension » ; nous leur devons de nous
interroger sans cesse et de ne pas nous laisser séduire par un fait
plaisant susceptible de valider immédiatement nos questionnements. Il
faut se méfier de l'immédiateté des faits surgissant comme
autant de réponses satisfaisantes ; leur validité est
plutôt cachée. Le chemin qui mène à la
découverte est souvent long et tortueux, c'est ce qui le rend
passionnant.
Notre rédaction se décompose en neufs chapitres
qu'il faut suivre comme un fil qui nous mènera jusqu'à notre
futur travail de recherche. La problématique et la méthodologie
vous exposent le choix des auteurs et des concepts retenus ainsi que la
procédure d'enquête que nous souhaiterions mettre en oeuvre
ultérieurement. Nous pouvons déjà situer le lecteur en lui
disant que notre conception théorique repose sur la sociologie
compréhensive de Max WEBER et sur l'individualisme méthodologique
de Raymond BOUDON.
Ces définitions nous mènent au chapitre 4 dans
lequel nous appréhendons la construction de l'identité sociale de
parents d'enfant handicapé mental de manière originale.
L'originalité relève du fait que nous avons interrogé
cette construction du point de vue de la sociologie des professions. Nous
posons comme préalable que les individus épousent une
carrière de parents d'enfant handicapé dès que ce dernier
paraît. Cette carrière, élaborée autour du handicap,
nous semble différente d'une carrière
« normale » de parents. Les théories
interactionnistes nous sont apparues d'une grande utilité pour nous
éclairer sur ce processus.
Les chapitres 5 et 6 vous invitent à lire le handicap
et ses représentations sociales. Le handicap est
appréhendé comme un objet qui interroge les normes sociales. Nous
évoquerons sa relativité, c'est-à-dire que nous estimons
qu'il est une autre norme sociale possible, mineure mais bien présente.
Le sujet handicapé est tributaire des représentations que les
individus projettent à son encontre ; il est un être
stigmatisé mis au ban de la société. Nous interrogerons
également les représentations qu'ont les parents du handicap
mental et comment elles s'imposent à eux.
Nous ne pouvons traiter de la famille de l'enfant
handicapé sans en étayer une définition. Dans le chapitre
7, nous développons l'idée que le handicap a
« contaminé » le milieu familial. Les parents sont
déstabilisés et perdus ne sachant que faire et pourtant, il faut
bien agir. Ils doivent passer par une reconstruction de leur
« moi » mis à mal et fissuré par le handicap
mental.
Les individus mettent en place des stratégies pour
surmonter le déterminisme de situation dans lequel le handicap les
plonge. Il faut parvenir à « jouer » avec la
société un jeu de dupe pour faire croire à l'autre et se
convaincre que tout demeure possible. Le chapitre 8 propose au lecteur de
mettre à jour les règles du jeu implicites qui se
dévoilent dans les rapports sociaux (les interrelations) entre les
parents et les autres individus.
Nous pensons que la famille de l'enfant handicapé
mental est une famille idéaltype, au sens que lui donne Max WEBER,
c'est-à-dire qu'elle peut être définie selon des
caractères communs et spécifiques. Ce type d'agencement social
positionne les acteurs parentaux dans une situation sociale les amenant
à adhérer à des croyances communes. Ils croient en un
progrès toujours possible de leur enfant malgré des
difficultés objectives et réelles qu'il a à être
comme les autres. La sociologie de Raymond BOUDON interroge les situations
d'incertitude et nous émet des hypothèses sur « l'art
de se persuader ». Comment l'acteur parvient-il à
adhérer à des idées douteuses ou fausses et à
parvenir à mener une existence à travers elles ?
Notre recherche de DEA ne saurait répondre à
toutes ces questions cependant nous jetons quelques hypothèses sur la
manière dont nous souhaitons les appréhender. Petit à
petit, au fur et à mesure de nos investigations, nous rechercherons
surtout à comprendre ce qui permet aux acteurs sociaux de parvenir
à vivre même dans les situations les plus extrêmes.
|