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L'art de la bifurcation : dichotomie, mythomanie et uchronie dans l'oeuvre d'Emmanuel Carrère

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par Mario Touzin
Université du Québec à Montréal - Maîtrise en Etudes Littéraires 2007
  

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Conclusion

Force est de constater que Emmanuel Carrère semble réellement fasciné par la figure du mythomane. Tel un leitmotiv, l'auteur fait bifurquer chacun de ses personnages dans un monde où le réel et l'imaginaire s'entrechoquent dans un perpétuel aller-retour. De La moustache à L'adversaire, la mythomanie prend d'assaut les personnages créés par Carrère. Chacun des héros carrèriens bifurque dans l'univers du mensonge pour atteindre un paroxysme mythomaniaque délirant, délaissant le monde réel pour un monde de fiction.

Que cette pathologie soit issue d'un monde d'étrangeté aux abords du fantastique, tel que représenté par le personnage d'Agnès dans La moustache ; qu'elle serve à cacher une double vie, où le mystère et la dissimulation sont au rendez-vous, comme avec Frédérique dans Hors d'atteinte ? ; ou qu'elle serve d'exutoire, de fantasme et de manipulation, comme c'est le cas du personnage de Nicolas dans La classe de neige, la mythomanie est avant tout l'irrépressible besoin de mentir. De plus, qu'il soit question d'Agnès, de Frédérique ou de Nicolas (et nous avons vu que c'est d'autant plus vrai avec Jean-Claude Romand), le mythomane ment pour se protéger, puisqu'il est incapable de faire face à la réalité. Comme tout bon mythomane, les personnages de Carrère confondent le réel et l'imaginaire. Ils vivent dans un monde fictionnel, un univers bien à eux, et créé par eux. En fait, le délire mythomaniaque est un délire construit, avec une logique interne qui n'obéit qu'à elle-même. Le sujet mythomane, et nous avons vu que c'est tout à fait le cas avec chacun des personnages de Carrère, oriente ses gestes et projets dans une seule direction, celle du thème de son délire.

Finalement, nous avons abordé la structure du personnage mythomane par excellence : celui de Jean-Claude Romand. Nous avons pu observer que cette pathologie remonte à l'enfance. Sa famille prône la vérité absolue, mais ne fait que mentir. Ainsi, Romand va lui emboîter le pas, et par de petits mensonges puérils, il va entrer progressivement dans l'univers du parfait mythomane. La mythomanie dont il souffre va également l'amener à avoir recours à l'imposture.

Prisonnier de son propre piège, Jean-Claude Romand a fait de sa fiction, une réalité, et du réel, une fiction. Boris Cyrulnik nous dit à se sujet qu'« en composant une belle image de lui-même, le mythomane enjolive ses relations avec autrui, entraîne ceux qu'il aime dans ses fictions et partage la mise en scène du bonheur imaginé.202(*) » En fuyant ainsi le réel, Romand a tiré profit de n'être apprécié et estimé que grâce à sa production imaginaire.

De plus, Romand va continuellement jouer sur les oppositions entre le vrai et le faux. S'appuyant sur des données réelles, il va consolider le mythe du faux médecin, passant des journées entières à la bibliothèque de l'OMS, ramenant des cadeaux lorsqu'il revient de ses (faux) voyages d'affaires, pleurant sur la mort de son (faux) patron, etc. Dès lors, comme tous les personnages créés par Carrère, Romand va mentir de nouveau afin de couvrir sa fausse existence. Evidemment, Romand sera tenté d'avouer la supercherie, mais la crainte du jugement, la honte va faire en sorte qu'il va préférer demeurer solitaire dans son univers fictif, convaincu que la vérité risque de lui causer plus de dommage que le mensonge.

Qu'il soit question d'Agnès dans La moustache, de Frédérique dans Hors d'atteinte ?, du jeune Nicolas de La classe de neige ou de Jean-Claude Romand, le mythomane de L'adversaire, ils ont tous attrapé la maladie du mensonge ; une maladie qui ne se guérit pas facilement, qui laisse des traces indélébiles et qui fait en sorte qu'un jour vous pénétrez dans un monde de fiction que vous croyez être la réalité.

Nous avons été en mesure d'observer les étranges corrélations entre l'auteur et le personnage et voir ainsi pourquoi Carrère semble en véritable symbiose avec Romand. Nous avons déjà vu comment L'adversaire s'inscrit dans la continuité d'une oeuvre où dominent les thèmes du secret, du rapport entre le vrai et le fictif, et de la bifurcation. Nous pouvons affirmer que Jean-Claude Romand est devenu un exutoire pour Emmanuel Carrère, une sorte de soulagement fantasmatique pour l'auteur, comme si ce dernier avait attendu la venue de Romand pour clore enfin ce cycle sur la folie, le mensonge, l'identité, commencé avec son roman La moustache. Carrère et Romand : l'un et l'autre, l'auteur et son héros. Entre eux, un lien secret. Mais entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière ?

* 202 Cyrulnik, op. cit., p. 15.

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