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Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise

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par Abdou Khadre LO
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001
  

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III / LE VOTE MASSIF DES JEUNES

Les élections présidentielles des 27 février et 19 mars 2000 auront donc été marquées par un fort taux de participation (61,12%) contrairement aux législatives de 1998 qui avaient été boudées par les électeurs avec seulement 39% de votants.

Les sénégalais ont été manifestement passionnés par ce scrutin qui a entraîné une forte mobilisation des militants et sympathisants de l'opposition et du pouvoir socialiste. D'ailleurs les observateurs avaient noté qu'aux premières heures des deux dimanches de scrutin, les files d'électeurs venus accomplir leur devoir civique ne cessaient de s'allonger. Affichant une sérénité à toute épreuve et dans une ambiance bon enfant, les électeurs se sont succédés en grand nombre dans l'isoloir, ensuite devant les urnes, pour exprimer leur choix. Il faut souligner que si les femmes ont été très nombreuses à avoir gagné les bureaux de vote, c'est surtout le déplacement massif des jeunes qui a été déterminant.

Il faut souligner que les femmes, d'un poids significatif dans l'électorat, ont aussi commencé à s'éloigner du PS dont elles constituaient jusqu'ici la principale force. Au vu du tassement, pour ne pas dire de l'effondrement de l'électorat de Diouf, dans les principaux centres urbains et dans certaines communes de l'intérieur du pays, le vote des femmes a basculé au profit de l'opposition, notamment de son principal chef, Abdoulaye Wade.

Maintenant, le fait nouveau est le vote des jeunes. Bon nombre d'entre eux n'étaient pas encore nés au moment où le président Abdou Diouf accédait pour la première fois au pouvoir en 1981. La conception du pouvoir et de la politique de cette génération est totalement différente de celle de ces devancières. Si leurs grand-parents et parents ont vécu les années de la colonisation et/ou d'indépendance sous Senghor, il n'en est rien pour cette génération. En effet, leurs repères politiques et leurs représentations du politique sont radicalement différents. Si les leurs grands-parents et parents entretenaient avec le pouvoir et les hommes politiques une relation distanciée, à la limite de la crainte et/ ou de la vénération, la « génération Abdou Diouf » a opéré une rupture avec cette relation gouvernants intouchables/ gouvernés soumis et fatalistes.

Il faut rappeler que pendant très longtemps, l'électorat sénégalais était « vieux » et essentiellement composé de personnes qui, pour la plupart, ont vécu les dernières années du système colonial ou du « Sénégal de Senghor »38(*)et parlent encore du Président de la République en terme de « Bour » (roi en Wolof), de « Boroom Rew Mi » (celui à qui appartient le pays) ou encore de « Boroom Ngour Gui » (Celui à qui appartient le trône).

Le Président de la République est perçu, aujourd'hui encore, par les plus âgés comme un « Bour » (roi) ayant, à sa disposition, un peuple assimilé à des sujets et non pas comme quelqu'un qui détient sa légitimité de la seule volonté populaire.

Or plusieurs facteurs ont contribué à ce que la jeune génération se soit forgée une mentalité citoyenne. Contrairement à ces devancières, elle a été bercée par les discours virulents de l'opposition, les revendications et les émeutes post-électorales.

Beaucoup plus scolarisée et ouverte sur le monde, c'est une génération qui a grandi dans l'explosion des télécommunications et des médias privés. De ce fait, elle a pu assister, sans censure, aux mutations qui sont intervenus sous des cieux lointains (la chute du mur de Berlin, la dislocation du bloc soviétique et la démocratisation de ses anciennes républiques, La rue chassant Milosévic en ex-Yougoslavie, etc) tout comme celles qui ont eu lieu sur le sol africain (les sorts de Moussa Traoré, Hussein Abré, Robert Gueï, etc). Donc elle a pu réaliser que ce sont les hommes qui font leur histoire et que les peuples pouvaient avoir un certain pouvoir.

Ces jeunes, dits de la génération Abdou Diouf, auront beaucoup pesé sur l'issue du scrutin. Incarnant le vote protestataire contre le régime en place, sous le charme constant du charismatique leader de l'opposition (Abdoulaye Wade), les jeunes ont voulu en s'inscrivant en grand nombre sur les listes électorales, voter massivement en faveur de l'opposition et sanctionner le gouvernement socialiste sénégalais en matière d'emploi et de politique de jeunesse.

Chaque année, quelques 100 000 jeunes atterrissent sur le marché de l'emploi avec le maigre espoir d'être insérés dans le circuit de production. Le camouflet qu'a subit le président Diouf est en grande partie dû au vote des jeunes qui tenaient ainsi à exprimer un certain ras-le-bol.

Sans conteste, la mobilisation de cette principale catégorie de la population sénégalaise (60% de la population sénégalaise a moins de 20 ans) aura lézardé la muraille socialiste au premier tour, en plaçant le candidat Diouf en très mauvaise posture, avant de la démolir au soir du second tour.

« Entre 1988 et 2000, il s'est passé douze ans, et ceux qui étaient en 1988 dans la rue à jeter des pierres ont eu la majorité électoral en 2000. Donc ils étaient conscients de leur poids. C'est le vote jeune qui a véritablement amené l'alternance. » (M. B. Diop, Le Témoin).

- « L'alternance ou la mort »

Si les sénégalais n'étaient plus prêts à accepter des élections aux modalités vaseuses, ils étaient pour beaucoup convaincus, et c'est un fait nouveau, que l'alternance politique était, en 2000, possible. C'était un facteur bien évidemment à hauts risques car en cas de défaite de l'opposition au président Diouf, bon nombre de ses militants auraient été convaincus que la victoire leur aura été volée. D'où le slogan, « l'alternance ou la mort », que l'on a pu voir poindre sur les affiches du candidat Diouf.

« Il fallait aller s'entretenir avec les jeunes du Parti démocratique sénégalais (PDS), du côté de Pikine, pour mesurer leur état d'esprit. Ils n'avaient que faire de l'âge du capitaine, en l'occurrence, les 73 ans de Wade. Ils n'avaient strictement plus aucun espoir d'une vie meilleure si rien ne changeait. » (Abou Abel Thiam, Wal Fadjri).

En effet, diplômés ou non, le lot commun de beaucoup de jeunes sénégalais, c'est le chômage, avec des conditions de vie sociale bien difficiles. Et, bien maladroit, le PS, conseillé par l'éminent Jacques Séguéla, a donné lui même le bâton à ses adversaires pour se faire battre, en ayant axé sa campagne électorale sur le thème du « changement ». Or pour les jeunes, le changement, le « Sopi » ne pouvait, en aucun cas, être incarné par Diouf.

Le candidat Diouf ayant déclaré au cours de son premier meeting de campagne : « Notre peuple aspire à des changements plus profonds et substantiels, je me suis présenté pour réaliser ces changements », les jeunes lui répondent sur les affiches. En effet, là où était écrit « le siècle change, signé Abdou Diouf », des mains anonymes avaient réécrit : « le siècle change, sans Abdou Diouf ».

Certains responsables PS ont aussi contribué à cet autodafé. « Quand un ministre annonce que le gouvernement va créer en l'an 2000 des milliers de points d'alimentation en eau à Pikine, une grande banlieue déshéritée de Dakar, c'est mettre le doit où ça fait mal . Diouf était au pouvoir depuis 1981 et que l'on sache, Pikine n'est pas sorti de terre la veille au soir. Un autre responsable socialiste, toujours à Pikine, a cru bon de déclarer en substance, et s'adressant à la jeunesse : « la solution à vos problèmes, l'emploi, etc., réside dans la politique d'Abdou Diouf.» Il est évident que les jeunes pouvaient se demander si Diouf était la solution ou la cause. » (Abou. A. Thiam, Wal Fadjri).

Aussi, les jeunes disaient-ils, à qui voulait l'entendre, à la veille du scrutin : « cette élection est celle de la dernière chance ». Ils ont beau lire et relire les publi-reportages commandités par la présidence dans la presse internationale notamment, les pourcentages ronflants sur le taux de croissance, ça ne leur donnait pas l'eau et encore moins du travail.  Les jeunes avaient compris que l'arithmétique populaire n'avait que faire des chiffres macro économiques. Le Parti socialiste avait bien conscience de cela et promettait, pendant les élections, de redistribuer les dividendes de la croissance. Ce qui peut paraître comme une étonnante et bien tardive prise de conscience.

« Peu importe les programmes »

L'échec socio-économique est tel, à la veille des élections, que si les sénégalais et surtout sa frange la plus jeune, veulent le changement, ce n'estt sûrement pas en fonction des programmes que leur agiteraient sous le nez les opposants. C'est d'abord et avant tout par rejet de la situation présente, un ras-le-bol d'un mal de vivre qui dure. Et c'est un état d'esprit bien difficile à canaliser.

Devant le forum civil, une instance représentant diverses catégories socioprofessionnelles, qui a auditionné chaque candidat sur son programme, Abdoulaye Wade a beau dire, tout, n'importe quoi et son contraire, lorsqu'il expose son programme de gestion s'il est élu, il est quand même applaudi par la salle. Peu importe s'il s'englue en voulant concilier son penchant pour le « libéralisme économique », avec les exigences de souveraineté et de politique sociale que lui réclament ses principaux alliés politiques, de gauche. Peu importe s'il ose dire qu'avec lui, le Sénégal sera sans doute plus vert que la Suisse, « un point d'eau naturel dans chaque village », des arbres à n'en plus finir le long des routes, de quoi attirer des touristes mexicains en manque d'ombre. Peu importe si son premier programme de gouvernement faisait les yeux doux à la Banque mondiale et au FMI et envisageait de tailler dur dans la fonction publique. Peu importe si son second programme de gouvernement, réécrit avec ses alliés de gauche, dit le contraire.

Quand il affirme être l'un des « presque sous hommes mal nourris » qu'il dit avoir rencontrés dans l'Est du pays, ça émeut l'auditoire. Et lorsqu'il enchaîne en assurant qu'il est capable de doper les exportations agricoles, de faire construire de gigantesques comptoirs frigorifiques pour l'industrie de la pêche, ou encore de créer des banques pour divulguer les petits crédits populaires, le public se mue en carpe, bouche bée. A qui la faute d'une telle attitude ?

Notre propos n'est pas de répondre à une telle question. Mais elle permet de voir à quel point la population sénégalaise semblait prête à accorder plus de crédit aux opposants (malgré des promesses invraisemblables) qu'à Diouf qui semblait être gagné par l'usure du pouvoir.

* 38 Tout jeune sénégalais a entendu à maintes reprises ses grands-parents ou parents lui dire « Temps woo Senghor.... (du temps de Senghor...) ».

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon