WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise

( Télécharger le fichier original )
par Abdou Khadre LO
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CONCLUSION

Dans cette étude, nous nous posions un certain nombre de questions sur ce qui, jusqu'ici, est véritablement le fait marquant, de l'histoire politique sénégalaise d'après indépendance. En effet, comment ne pas se poser certaines questions sur ce qui au Sénégal a été vécu comme un fait historique et salué comme tel en dehors de ses frontières ?

Qu'est-ce qui a fait que le Sénégal qui a été longtemps cité en modèle de démocratie, dans le continent noir, n'ait réussi une alternance politique que lors des élections présidentielles de février et mars 2000, c'est-à-dire quarante ans après son accession à l'indépendance ?

Pourquoi les présidentielles de 1974, de 1978, de 1983 et de 1988 ou encore celles de 1993 n'ont jamais abouti à une alternance malgré que les observateurs internationaux et les partenaires économiques et politiques du pays aient toujours vanté « le modèle sénégalais » de démocratie?

Qu'est-ce qui en 2000, a été déterminant à l'heure où les sénégalais devaient confier les rênes du pays à l'homme qui doit les amener vers le troisième millénaire ?

Pourquoi ont-ils choisi de porter au pouvoir, le leader historique de l'opposition sénégalaise, après cinq tentatives et à soixante quatorze ans ? Telles étaient les questions auxquelles, il nous semblait important d'essayer d'apporter quelques élément de réponse.

En définitive, la première alternance politique ou « Sopi » jamais intervenue au sommet de l'Etat sénégalais, est tout sauf un phénomène fortuit et imprévisible. Il ne s'agit absolument pas d'une réaction spontanée à un régime politique qui serait devenu, subitement indésirable.

Si tous ceux qui s'intéressent à la démocratie et à son développement, en Afrique en particulier, ont salué la passation de pouvoir, sans heurts et par la voie des urnes, dans ce pays sub-sahérien, il fallait au delà de ce véritable événement (car une réelle alternance politique pacifique, consacrée par les urnes est toujours un événement politique exceptionnel, aujourd'hui encore en Afrique), essayer de saisir les mécanismes qui ont permis cette alternance.

Deux axes d'étude ont, retenu notre attention. En effet, il s'agissait de saisir, d'abord, les cadres politique et institutionnel de l'alternance pour ensuite nous intéresser aux conditions sociales du « Sopi ».

D'abord, la victoire de Abdoulaye Wade sur Abdou Diouf a été le fruit d'une longue évolution institutionnelle et politique. Il aura fallu un processus démocratique engagé par un - bras de fer entre le Président Senghor et Cheikh. Anta. Diop et / ou Mamadou Dia qui lui contestaient son hégémonie sur le pouvoir dès le lendemain des indépendances. Si Senghor a entrouvert les portes du multipartisme au Sénégal, les partis d'opposition qui se sont multipliés au fil des échéances électorales, ont fini par arracher à son successeur une reconnaissance et un véritable statut.

Par ailleurs, c'est en exerçant une pression continue sur les autorités que ces partis ont progressivement obtenu des modifications du système électoral telles que l'adoption d'un code qui imposera la détention d'une carte nationale d'identité, pour tout électeur dans les bureaux de vote. Et si ces partis d'opposition enregistraient, séparément à chaque élection présidentielle, une réelle percée, l'union que certaines d'entre elles ont prôné derrière le plus charismatique de leurs leaders ( Abdoulaye Wade) a sans doute été décisive.

A cela s'ajoutent le rôle éminent joué par l'observatoire nationale des élections et la présence d'un militaire (supposé neutre) au ministère de l'Intérieur.

Pour l'opposition, extrêmement soupçonneux à l'égard de l'administration, l'ONEL a constitué une sorte da garantie d'autonomie dans la surveillance des élections. Même si les leaders des différents partis ont stigmatisé par la suite, son manque de dynamisme. De même, ils ont vu (avant de le dénigrer pendant la campagne électorale) dans la présence d'un militaire au ministère de l'intérieur, une garantie de neutralité vis-à-vis du PS.

Enfin, la crise ouverte et les défections de certains cadres éminents du PS pour rallier l'opposition constituent une dernière évolution politique, non négligeable, quant à la compréhension des conditions du « Sopi ». Moustapha Niasse (avec 16,8% des voix au premier tour) ayant beaucoup pesé sur l'issue du scrutin.

Ensuite, le « Sopi » doit son avènement à des facteurs sociaux aussi déterminants sinon plus que cette évolution institutionnelle et politique.

En effet, la forte demande sociale, le déploiement des radios privées offrant une meilleure lisibilité et une meilleure visibilité des erreurs dont était coupable le régime socialiste ou encore le déclin progressif du « Ndiguël » sont des éléments qui ont rendu possible le « Sopi ».

La défaite de Diouf et du Parti socialiste sénégalais exprime, comme nous l'avons vu, une forte demande sociale de la population sénégalaise. Plus que le résultat d'une quelconque pression internationale (le contraire étant même plus plausible) elle traduit une grande volonté de la population de changer ses gouvernants après quarante de règne sans partage.

Pour beaucoup d'électeurs, l'année 2000 correspondait à l'année du « Sopi » ; suite aux nombreuses mutations politiques et institutionnelles qu'a connu le pays (l'implosion du PS, l'union d'une parti de l'opposition, la création de l'ONEL...) et les grandes difficultés économiques auxquelles ils étaient confrontés.

La volonté de changement était, dans une certaine mesure, proportionnelle, à l'écart entre la misère économique des électeurs et l'opulence des dirigeants politiques et de leurs proches. Les sénégalais excédés par la corruption dont ils soupçonnaient le pouvoir socialiste, ont décidé de sanctionner celui qui l'incarnait le plus, Abdou Diouf, en élisant son opposant de toujours, Abdoulaye Wade. Ce vote apparaissant comme un voté sanction. Comme l'exprimait un de nos interviewés, « On ne sait peut-être pas ce qu'on veut, mais on sait ce dont on ne veut plus.»

Les organisations non gouvernementales, les groupements de femmes, certains intellectuels ont exercé une pression sur le gouvernement de Diouf, dans le sens d'une transparence des élections tout en essayant de convaincre ceux qui pouvaient considérer que les dés du jeu politique étaient pipés d'avance et que par conséquent, se rendre aux urnes était une perte de temps, d'accorder du crédit à ce scrutin qui s'annonçait différent des précédents.

Par la surveillance des candidats et la dénonciation de leurs dérapages idéologiques (religieux) ou démagogiques ainsi que par le biais d'actions de sensibilisation sur le « devoir de voter » avec des slogans tels que « ma carte d'électeur ma force », certaines franges de ce qu'on nomme le société civile ont joué un rôle non négligeable dans l'issue du scrutin.

Les jeunes sénégalais ont saisi l'opportunité qui leur était offerte, par l'abaissement de la majorité électorale à dix huit ans, pour exprimer leur volonté de changement, autrement que par l'affrontement des forces de l'ordre. Ils ont parfaitement assimilé le slogan « ma carte d'électeur, ma force » pour l'associer à un autre « l'alternance ou la mort ». Ils ont voulu en s'inscrivant en grand nombre sur les listes électorales, voter massivement en faveur de l'opposition et sanctionner le gouvernement socialiste sénégalais en matière d'emploi et de politique de jeunesse.

Les médias privés par le biais de la presse écrite pour les citadins les plus instruits et grâce aux émissions radiophoniques en langues nationales (plus de 70% en wolof) ont aussi considérablement changé la donne lors du scrutin 2000. La population a été informée sur la dernière élection présidentielle plus qu'elle ne l'a jamais été auparavant. Ensuite les radios privées se sont évertuées à communiquer, en temps réels grâce à l'utilisation (pour la première fois dans la couverture et le compte rendu du dépouillement des bulletins) des téléphones portables. Ce qui compromettait toute tentative de modification des résultats des dépouillements.

Enfin, la perte de vitesse du « Ndiguël » (ou consigne de vote) des confréries religieuses est à prendre en considération pour toute tentative de compréhension de la première alternance politique, après des élections libres et transparentes au Sénégal. Les confréries, naguère omnipotentes, ont perdu de leur influence dans le domaine politique sénégalais. Certains khalifes généraux, pour éviter de perdre de leur crédibilité ou par pure neutralité, ont préféré ne pas donner de « Ndiguël » tandis que d'autres ont été désavoués par leurs talibés (disciples). Aussi la victoire de Abdoulaye Wade s'explique aussi par la crise du « Ndiguël » qui a atteint son périgée en 2000.

En réalisant, pour la première fois de son histoire, une véritable alternance politique que beaucoup d'analystes considéraient, jusque là, comme étant le chaînon manquant dans la « démocratie sénégalaise », ce pays est-il pour autant définitivement entré dans le cercle très fermé des pays dits de « grande démocratie » ? Au terme de cette analyse des conditions qui, à notre sens, ont été à la base de la première alternance politique au Sénégal, il importe de souligner les éléments qui nous semblent être les limites de la « démocratie sénégalaise ».

En effet, la personnalisation à outrance des campagnes électorales dépolitisées, la prolifération des partis politiques à la veille de chaque campagne avec des « transhumances » opportunistes nous paraissent être les tares de la « démocratie sénégalaise ».

La personnalisation des campagnes électorales dépolitisées

On s'accorde aujourd'hui à admettre que les Etats africains sont, dans leur grande majorité, confrontés à des situations de blocage politique nées d'une lente mais inexorable perversion du pluralisme. Certains d'ailleurs n'ont pas hésité à réclamer la suppression de l'élection présidentielle en Afrique, dans la plupart des cas détournée par les clans tribalistes et les intérêts privés45(*). Or on aurait tort de ne voir dans le recours aux urnes qu'une simple mascarade de dictature, tronquée et ethnicisée. Il faudrait donc aller voter parce que, même si les élections africaines sont trop souvent désespérément frauduleuses, c'est justement la concurrence réelle aux urnes qui fait le progrès, l'absence de concurrence réelle ne nécessitant aucune fraude.

Dans toute élection présidentielle au suffrage universel, l'équation personnelle joue un rôle déterminant, tout en dépolitisant le débat public au profit d'un affrontement d'hommes. Plus que le programme électoral des candidats, c'est la relation entre ces derniers et les électeurs qui se révèle décisive. On sait que l'un des défauts majeurs de l'élection du président au suffrage universel est la personnalisation excessive du mécanisme électoral dont l'attribut essentiel est pourtant la requête de bonnes institutions. Sous cet aspect, les scrutins présidentiels sénégalais ont toujours opposé de fortes personnalités dont le charisme ne laisse pas indifférents leurs partisans respectifs. Cette année encore, entre Diouf et ses adversaires, il s'agissait donc moins d'un combat politique de programme que d'une simple bataille d'hommes, exacerbée par de féroces inimités entre les différents candidats.

Comme toujours, le contenu réel des programmes a été totalement occulté par le débat politicien. Diouf proposait d'abord un « pacte de croissance et de solidarité », un renforcement de la lutte contre la pauvreté et le chômage, et un référendum pour asseoir un nouveau cadre constitutionnel. A la veille du second tour, il annonçait de nouveau « dix mesures immédiates pour changer le Sénégal », parmi lesquelles la formation d'un gouvernement de majorité plurielle de gauche, l'organisation d'un référendum sur la nature du régime, l'effacement de la dette du monde rural, etc. En bref, un peu plus de concrétisation, mais en fait, rien de nouveau, que le désir d'attirer l'électorat transfuge du PS sous l'influence de Moustapha Niasse et de Djibo KA.

De son côté, Wade envisageait de prendre, une fois élu, plusieurs « mesures de redressement sectoriel », qui prévoyaient, dans le domaine politique, notamment la dissolution de l'assemblée nationale, la modification de la constitution en vue d'instaurer un régime parlementaire, le démantèlement du sénat et la création d'une commission électorale nationale indépendante. Ensuite, pour ce qui est du domaine socioculturel, il se proposait, en sus d'une politique de « médecins sans blouses blanches », de mettre des ambulances et le téléphone à la disposition de chaque communauté rurale, de créer deux nouvelles chaînes de télévision, etc. Et finalement, dans le domaine agro-économique, l'installation d'une « Cité des affaires d'Afrique de l'Ouest » à la place actuelle de l'aéroport international de Dakar, la construction d'autoroutes et d'une usine de fabrication de plats préparés, l'aménagement des grands fleuves et une politique de reboisement. Bref, la campagne présidentielle sénégalaise est plus souvent l'occasion d'éliminer l'adversaire, par une surenchère de promesses que celle de convaincre.

* 45 Thierry Michalon, « Pour la suppression de l'élection présidentielle en Afrique », in Le Monde diplomatique, janvier 1998, pp. 24-25 ; Martine-Renée Gallois et Marc-Eric Gruénais, « Des dictateurs sortis des urnes », Le Monde diplomatique, novembre 1997.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand