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Culture et traumatismes psychiques; comprehension et prise en charge psychologique du PTSD

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par Simon NSABIYEZE
Universite Nationale du Rwanda - Licence en Psychologie Clinique 2004
  

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50
Deuxième partie : CADRE PRATIQUE

Chapitre IV. CONSIDERATIONS METHODOLOGIQUES
4.0. Introduction.

La méthodologie selon MUCCHIELLI (1996, p.129.cité par L. FERNANDEZ et M. CATTEEUW, 2001, p.40) « est la réflexion sur la méthode qu'il convient de mettre au point pour conduire une recherche. Une méthode qualitative de recherche est une stratégie de recherche utilisant diverses techniques de recueil et d'analyse qualitative dans le but d'expliquer en compréhension un phénomène humain ou social ».

Cette recherche se fait dans une approche qualitative. Selon L. FERNANDEZ et M.CATTEEUW (idem, ibidem) « les objets de recherche qualitative sont choisis pour leur complexité, leur instabilité, leur inscription dans l'expérience vécue subjective et contextuelle. Recherchant la compréhension plutôt que l'explication, la recherche qualitative est ainsi à visée descriptive et exploratoire ». La démarche qualitative quoique reprochée de ne pas disposer de modèles fixes comme dans les démarches quantitatives, son choix est justifié par la nature de notre étude : elle porte sur un phénomène psychologique donc qualitatif et non sur un phénomène s'apprêtant mieux aux quantifications statistiques.

Le présent chapitre donne les détails sur les participants à notre recherche et sur les méthodes et techniques utilisées dans la collecte, l'analyse et l'interprétation des résultats.

4.1. Description et présentation des participants.

Notre étude a porté sur trois catégories de populations dans le souci de diversifier les sources d'information sur la problématique étudiée. Il s'agit des patients souffrant du PTSD, des soignants s'en occupant et les personnes ressources (inararibonye) .

51
4.1.1. Les patients

Les patients faisant partie de notre échantillon d'étude sont de l'hôpital de Ruhengeri et du Service de Consultations Psychosociales. Le choix des deux institutions a été motivé par leur situation géographique et le statut socioculturel des patients accueillis. En effet, le SCPS est planté en milieu urbain et reçoit en majorité des patients citadins, l'hôpital de Ruhengeri est quelque peu rural et reçoit des patients issus des coins reculés du pays.

De même, eu égard à notre objet de recherche; la culture et les maladies mentales, Ruhengeri est historiquement connue comme région où se pratiquait plus qu'ailleurs et où se pratiquerait encore des rites traditionnels : Kubandwa, guterekera, kuvuza amahembe, etc. comme thérapeutiques des maladies mentales entre autres. Nous avons voulu d'une part confronter les récits des patients issus des deux écosystèmes et d'autre part rechercher s'il y aurait des patients ayant fait ou faisant recours à ces pratiques dans notre soucis justement d'esquisser une compréhension du PTSD dans un miroir culturel Rwandais.

Le critère d'inclusion principal ayant guidé le choix des cas étudiés a été le fait de souffrir du PTSD. Ce diagnostic devrait avoir été retenu par un soignant habilité travaillant dans l'institution en question. Le nombre de 5 cas a été motivé par le souci d'approfondir et bien analyser les cas suivis. De nombreuses situations cliniques suivies, il ressortait que certains renseignements étaient superposables d'où nous avons pris un cas pour chaque situation clinique spécifique. Ainsi ont été retenus trois cas les plus illustratifs des cas cliniques suivis à Ruhengeri et deux au SCPS.

4.1.1.a. Brève présentation du SCPS

Le Service de Consultations Psychosociales a été créé en 1999. Il est situé en Mairie de la Ville de Kigali. Il s'occupe de consultations psychologiques, Psychiatriques et reste une référence dans ce domaine aux côtés de l'Hôpital Neuropsychiatrique CARAES Ndera dont il est venu épauler. Il privilégié l'approche biopsychosociale et constitue un lieu de stage pour les personnes en formation dans le domaine de santé mentale. En ce qui concerne l'épidémiologie, le rapport annuel 2003 phase des troubles post traumatiques en quatrième position avec 5,3% des consultation après l'épilepsie (39%), les troubles psychiatriques (28,8%) et les troubles psychosomatiques (16,6%). Les mois d'avril, mai et juin voient les statistiques chuter considérablement .

4.1.1.b. Brève présentation de l'Hôpital de Ruhengeri.

L'hôpital de Ruhengeri est situé en Mairie de la ville de Ruhengeri dans la Province de Ruhengeri à 90Km de Kigali et 65Km de Gisenyi.Il a été construit en 1939 et depuis 1964 il bénéficie d'un appui de la coopération franco-Rwandaise. Avant 1994, celui-ci était au rang d'Hôpital de référence ,troisième après le CHUK et le CHUB. Il a été endommagé en 1994 et il se reconstruit et se rééquipe grâce aux interventions des ONG, de la coopération française et du MINISANTE. L'Hôpital a une capacité de 400 lits et dispose des services clés d'un hôpital sauf l'Ophtalmologie.

Le service de santé mentale existe mais ne fonctionne pas efficacement par manque de personnel compétent et de médicaments spécialisés ; ceci malgré un nombre élevé de malades mentaux qui y affluent. Ledit service est épaulé par celui de Trauma et counselling de FARG disposant d'un bureau dans les locaux de l'hôpital.

4.1.2. Les soignants

Dans le souci de recueillir le plus d'informations sur le PTSD au Rwanda, nous nous sommes proposé d'approcher les soignants. Ces cliniciens qui reçoivent au quotidien les patients souffrant du PTSD sont une source à ne pas oublier. Nous avons voulu aborder le plus de tendances et au total cinq soignants ont été rencontrés. Un entretien autours de 3 thèmes repris en annexe a été mené avec les soignants. Ils proviennent du SCPS, du CHU Butare, de CARAES Butare, de l'HNP CARAES Ndera et de l'Hôpital de Ruhengeri. Le tableau numéro 3 repris au chapitre des résultats en donne plus de détails.

4.1.3. Les personnes ressources

Nous avons appelé « personnes ressources » ceux que l'on pourrait nommer spécialistes -- `Inararibonye'. Nous avons inclus cette catégorie aux participants à notre recherche pour recueillir surtout des informations sur la culture Rwandaise. Des entretiens avec eux ont tourné autours de cinq thèmes repris en annexe. Le tableau numéro 1 retrouvé au chapitre des résultats nous en fait plus de détails.

4.2. Méthodes et techniques de collecte

4.2.1. Analyse documentaire

L'analyse documentaire, autrement appelée « recherche bibliographique » a été régulièrement utilisée dans la constitution des aspects théoriques de notre recherche. Il s'agit d'un processus de collecte d'information basée sur la lecture de livres et d'autres documents .

Cette technique a été utilisée dès le début de la recherche et nous nous en sommes servi dans la mise en épreuve et appréciation de nos postulats et hypothèses de recherche. La confrontation des données théoriques de différents auteurs avec les réalités issues des entretiens et notre réflexion personnelle nous ont servi dans les dernières parties de la présente recherche.

4.2.2. L'Entretien.

L'entretien clinique à visée de recherche a été notre principal instrument. En effet «l'entretien de recherche est un dispositif de face à face où un enquêteur a pour objectif de favoriser chez un enquêté la production d'un discours sur un thème défini dans le cadre d'une recherche. » (J.F. DOMINTON 1997, p.145).

Il est l'un des outils privilégiés de la recherche clinique dans la mesure où la subjectivité s'actualise par les faits de parole à l'adresse d'un clinicien. Il est en quelque sorte « la technique de choix pour accéder à des informations subjectives (histoire de vie, représentations, sentiments, émotions, expériences) témoignant de la singularité d'un sujet. [...]. Il est la technique permettant l'objectivation de la subjectivité.» (L. FERNANDEZ et M.CATTEEUW, idem, Pp. 74-75).

4.2.2.1. Caractéristiques de l'entretien de recherche.

La recherche en psychologie clinique a pour finalité d'améliorer les connaissances et non fournir des soins thérapeutiques. Nous admettons pourtant que dans l'entretien de recherche il y a l'échange et la parole qui font le pont sur le silence -souvent destructeur- et le récit qui des fois a un rôle thérapeutique s'il y a un vrai destinateur du récit (N. MUNYANDAMUTSA). D'ailleurs, le fait de parler FREUD l'a bien souligné «possède une fonction libératrice (abréaction) qui peut conférer à tout entretien un effet potentiellement thérapeutique » (J.L. PEDINIELLI 1994. p.40). Sans doute on peut se réjouir qu'un entretien à visée de recherche ait permis au sujet de se sentir soulagé, d'avoir perçu la nature de certains de ses problèmes, mais il ne serait être question de procéder comme si l'on était dans un cadre thérapeutique. Disons enfin avec J. L PEDINIELLI : « il y a certes des opérations intellectuelles dans l'activité clinique, mais "soigner" et "découvrir" sont deux opérations différentes. »(Idem p.112) .

De toutes ces considérations, nos entretiens n'avaient d'autres finalités que le recueil des informations relatives à notre recherche et non des finalités thérapeutiques .

4.2.2.2. Supports de l'entretien

Nos entretiens sont organisés en fonction des objectifs et des hypothèses de notre recherche. Nous nous sommes contentés des entretiens de type semi directifs. En effet, dans l'entretien semi-directif « l'attitude non directive qui favorise l'expression personnelle du sujet est combinée avec le projet d'explorer les thèmes particuliers. Le clinicien chercheur a donc recours à un guide thématique » (L. FERNANDEZ et M. CATTEEUW, idem, p.76).

Celui-ci permet somme toute, par l'intermédiaire du guide d'entretien, de recueillir des informations pertinentes relatives aux hypothèses.

Nous disposions de trois guides d'entretien. Le premier est destiné aux personnes ressources (Inararibonye). Il vise à récolter les informations sur la culture et le tissu social Rwandais, leur interprétation de ce qui s'est passé au Rwanda, ses éventuelles causes et enfin ses conséquences et la façon « Rwandaise » de les prendre en charge.

Le second guide est destiné aux patients. Il a été conçu en nous inspirant du DSM I> et de l'Echelle de gravité du PTSD de J.F. KATZ et J.AUDET (1997). Ce dernier étudie la souffrance psychique post traumatique et la baisse de la qualité de vie. Il est, selon ses auteurs, « l'un des meilleurs instruments qui permettent d'évaluer les mécanismes des pensées intrusives, les efforts d'évitement, les modifications des perceptions de l'entourage et l'ébranlement des valeurs » (J.F. KATZ et J. AUDET, 1999, p.250).

Nous nous sommes servi aussi dans l'élaboration du guide d'entretien avec les patients de « L'HOROWITZ » ou «Echelle révisée de l'impact de l'événement stressant de J. HOROWITZ ». Enfin, nous avons enrichi ces éléments par des considérations culturelles sur le sens de l'existence, la signification des pertes subies, la mauvaise mort, le deuil non fait ou mal fait etc.

Le guide d'entretien avec les patients s'articule autours de cinq thèmes et chaque thème regroupe un certain nombre d'informations à rechercher.

Le troisième et dernier guide d'entretien est destiné aux professionnels de santé intervenant dans la prise en charge des personnes souffrant de PTSD au Rwanda. Il vise à recueillir les informations sur la thérapeutique du PTSD, ses lacunes et sur d'éventuels remaniements contextuels à faire pour la prise en charge du PTSD au Rwanda. Il est aussi annexé à ce travail. Ces guides ont été objet d'un pré-test auprès d'une personne pour chaque échantillon; dans le but d'avoir l'idée sur le niveau de compréhension et de faire des réajustements si nécessaire .

4.2.2.3. Conduite des entretiens

Dans le déroulement de nos entretiens, nous avons essayé de nous situer dans une position de «neutralité bienveillante » c -à- d. que nos avis ou nos propres jugements ne devraient pas intervenir dans l'entretien.

Au début de l'entretien, commençaient les habituels exercices d'éthique et de courtoisie: présentation, explication de la raison de l'entretien, de l'usage de ce qu'ils nous auraient dit et demandons aux interlocuteurs s'ils veulent ou pas collaborer à la recherche.

A ceux qui acceptent de participer, nous demandions s'ils étaient pour ou contre l'enregistrement pour des raisons de bien analyser après l'entretien le contenu de ce qu'ils nous auraient répondu. Dans certaines circonstances, les entretiens devront être menés en présence des soignants -thérapeutes pour des raisons de bénéficier de l'alliance thérapeutique déjà existante.

Au total, le nombre d'entretiens de recherche a varié entre deux et cinq et l'examen du dossier du patient ainsi que les échanges avec les soignants de références des patients ont permis de compléter les informations issues des entretiens avec les patients

En ce qui concerne les entretiens avec les personnes ressources et les soignants, un guide d'entretien était donné au jour de demande de rendez-vous, ce qui permettait à l'interviewé d'avoir suffisamment préparé l'entretien. Une personne ressource a répondu par écrit, ayant été empêché le jour fixé pour l'entretien.

4.2.3. L'observation

Pendant les entretiens, nous avons eu recours à l'observation pour compléter les informations. M. REUCHLIN (1973, p.17) définit l'observation comme : « moyen de coder l'information recueillie afin de la mettre sous une forme qui facilite son emploi, qui lui confère une valeur heuristique plus grande ». Observer c'est en fait écouter, comprendre pour pouvoir décrire. C'est aussi interpréter ce que l'on voit. L'observateur doit regarder attentivement les événements qui se déroulent devant lui et interpréter ce qu'il voit. C'est enfin relater les faits dans leur chronologie et les mettre les uns en rapport avec des autres. Nous avons observés les émotions des interviewés face à l'une ou l'autre question, leur état d'âme en répondant, leur gesticulations et mimiques. Cela nous a permis une compréhension plus approfondie de nos patients et des ébauches d'interprétations des réponses fournies .

4.3. Traitement du matériel de recherch

Dans le traitement du matériel de recherche, trois opérations essentielles ont été effectuées :

-La condensation des données dans des fiches des données ;

-L'organisation et la présentation des données ;

-L'interprétation des données.

4.3.1. La constitution des fiches de données

Au terme de chaque entretien, une fiche de données était constituée sous forme de compte rendu de l'entretien. Pour chaque fiche, les idées principales ressortant de l'entretien étaient mises en relief par soulignement ou encadrement pour éviter l'oubli et faciliter la repérage durant le dépouillement.

Au terme des descentes sur le terrain et de rencontre avec tous les soignants et personnes ressources, une centaine de pages de fiche de données avaient étaient constitués et devrait suivre la mise en place d'une grille de dépouillement.

4.3.2. Analyse thématique de contenu

Le type de recherche ( qualitative), les objectifs et les hypothèses ainsi que la nature des données collectées nous ont permis de recourir à l'analyse thématique de contenu pour analyser ces données. Selon J. L PEDINIELLI dans son livre intitulé « Introduction à la Psychologie Clinique » (1994, p.115) « L'analyse thématique est avant tout descriptive et peut être associée à d'autres modes de dépouillement. Elle correspond à une complexification de la question simple " De quoi le sujet parle --t-il ? " Elle procède par découpage du discours et recensement des thèmes principaux et secondaires qui peuvent faire l'objet d'analyses différentes selon les hypothèses : typologies, comparaison de fréquences, genèse des thèmes, analyses de leur formulation, analyse des relations par opposition, ... » .

4.3.3. Thèmes et grilles de dépouillement

Le dépouillement des informations brutes que nous avions collectées a été guidé par quatre principes :

- La référence au cadre théorique, au modèle d'analyse et aux objectifs, questions et hypothèses de recherche ;

- La rétention de tous les aspects significatifs dans le cadre de la recherche et non seulement de ceux qui répondent à nos attantes et prévisions ;

- L'adéquation entre les indicateurs tels que pré-établis dans notre modèle d'analyse et le récit de l'interviewé ;

- La fréquence de l'information à travers le récit de différents interviewés.

Ainsi, comme nous disposions de trois guides thématiques d'entretien à raison d'un guide par catégorie d'interviewés, nous avons établi des indicateurs pour chaque thème et nous nous sommes mis à leur recherche dans le discours des interviewés, cela par soulignement ou encadrement de l'idée.

A titre d'illustration, le thème deux du guide d'entretien avec les patients a été subdivisé en cinq sous thèmes correspondant aux critères diagnostiques du PTSD. Et nous avons essayé de relever systématiquement ces critères dans le récit du patient. Ce qui est sortie de l'opération sera présenté aux chapitres consacrés à la présentation et analyse des résultats.

Conclusion du chapitr

Le chapitre sur la méthodologie a été une occasion de parler le cheminement de notre recherche. Nous nous sommes inscrit dans l'approche qualitative. C'est dans ce cadre que nous avons privilégié l'analyse documentaire, les entretiens à visée de recherche dans la collecte de données et l'analyse thématique de contenu pour les analyser.

Chapitre V. PRESENTATION, ANALYSE ET COMPREHENSION
DES CAS ETUDIES

5.0. Introduction

Le présent chapitre se veut être l'un des principaux de ce Mémoire. Après une brève présentation des résultats des entretiens avec les personnes ressources, nous présentons les cas cliniques suivis. La présentation se fait comme suit : identification du cas, histoire familiale et personnelle, symptomatologie et l'histoire de la maladie. D'autres détails non mentionnés sont utilisés dans l'analyse et compréhension des cas.

Au total, cinq cas sont présentés. Ils sont tirés de plus d'une dizaine qui avait été suivis. Ils ont été retenus selon les critères d'inclusion évoqués au chapitre sur la méthodologie selon leur caractère d'adéquation avec notre objet de recherche. Le chapitre comprend en outre une analyse thématique du récit de ces patients suivie d'une tentative de compréhension de ces cas à partir de la théorie établie dans le première partie de ce travail et des autres théories développées dans ce sens. Au total huit thèmes sont présentés en articulant chaque fois récit du patient et théorie explicative.

5.1. Quelques résultats issus des personnes ressources.

Dans notre tentative de comprendre le PTSD dans un miroir culturel Rwandais, nous avons abordé ceux que nous aurions voulu appeler spécialistes de par leur formation, statuts et expérience. Le tableau qui suit montre de qui il s'agit.

Tableau N° 1. Les personnes ressources interviewées


du série

Niveau de
Formation

Domaine d'intérêt

Expérience

Institution

C 1

Maîtrise

Sces Humaines et Sociales

+ 10 ans

I R S T

C2

IIIème cycle

Théologie et Philosophie

+ 20 ans

A M I

C3

Humanités

Sces humaines & Sociales

+ 50 ans

Pensionné

C4

Licence

Chercheur sur la Culture

+ 40 ans

Inteko izirikana

C5

D4

Pédagogie et Psychologie

+ 40 ans

A R P A

En nous entretenant avec les personnes ressources, nous avions comme objectif de nous enquérir sur la culture et le tissu social, la maladie mentale au Rwanda : aujourd'hui et dans le passé, sur leur lecture des événements qu'a connu le Rwanda, sur les stratégies de reconstruction de la culture et du tissu social Rwandais et sur la prise en charge des conséquences sur la santé mentale de l'histoire récente du Rwanda.

Toutes les personnes interviewées, après avoir donné leur conception presque identique de la culture Rwandaise, elles nous ont affirmé le rôle de la culture dans la détermination du Rwandais, normal ou pervers, sain ou malade. A propos du processus évolutif de la culture, quatre personnes sur cinq ont montré qu'un processus de destruction de la culture Rwandaise a bel et bien existé. Interrogées sur les causes de cette destruction, elles nous ont parlé entre autres: la colonisation, la rencontre avec d'autres cultures, civilisations et courants économiques, l'influence des médias, le faible attachement de certains Rwandais à leur culture, les manipulations politiques, etc.

Nous reprenons ci-après un modèle d'interprétation du processus de destruction de la culture Rwandaise et de ses conséquences qui a été proposé par J.M.V SALAAM de L'Association INTEKO IZIRIKANA, une des personnes ressources interviewées.

Colonisation

Acculturation
Hybridisme culturel
Contradictions

Crises (Politique, économique,

Social, Religieux, unité etc.) Echecs sur tous les tableaux

Il affirme que le problème essentiel est culturel. A ce sujet, il a écrit dans une réflexion sur l'identification des principaux problèmes pendant et après la colonisation (2003, p.7) : « Le processus d'acculturation des Burundais et des Rwandais accompagné d'une mauvaise culture: de division, de haine, d'intolérance, d'exclusion chez les uns et de peur chez les autres sur fond de mensonges ont plongé les deux pays dans un génocide sans précédent» .

Son point de vue est essentiellement commun à toutes les personnes interrogées mais une d'entre elles dit ne pas accepter le concept d' « Itsembamuco » (« génocide culturel »), que d'aucuns utilisent pour désigner le processus de destruction de la culture Rwandaise. L'interviewé en question nous a déclaré en substance: « Je ne pense pas qu'il y ait eu une volonté manifeste, préparation et planification pour la culture Rwandaise ».

Les entretiens avec les personnes ressources nous ont été vraiment riches, instructifs et informatifs; nous y faisons recours dans nos réflexions tout au long du présent travail.

5.2. Présentation des cas étudiés

Tableau n° 2. Identification sommaire des cas étudiés

Appellation

Age

Fonction avant
le traumatisme

Fonction
actuelle

Etat civil

1

Mademoiselle A

19 ans

-

Elève

Célibataire

2

Madame B

41ans

Agent de l'Etat

 

Marié

3

Monsieur C

21 ans

-

Elève

Célibataire

4

Madame D

40 ans

Agent de l'Etat

Chômeuse

Veuve

5

Mademoiselle E

16 ans

-

Elève

Célibataire

5.2.1. Cas de Mademoiselle A 5.2.1.a)Identification

Mademoiselle A est une fille de 19 ans, élève en deuxième année secondaire, résidant dans la Mairie de la Ville de Kigali. Elle a repris de classe plus de trois fois. Nous l'avons rencontré au SCPS.

5.2.1.b) Histoire familiale et personnelle.

A

+94

+01

Légende : Homme

: Femme

+ 94 : Personne morte et année de décès (01= 2001)

C

: Patiente en question

: Personnes vivants sous un même toit

Mademoiselle A est une fille du second époux marié illégalement avec sa mère comme seconde femme après disputes et divorce avec son premier mari en 1983. Son petit frère vit chez son père, et Mademoiselle A reste avec sa mère et une ménagère dans une maison de location. En 1994, alors qu'elle était partie à Musambira avec son père et son demi frère visiter sa famille (son épouse et ses enfants légaux) qui vit à la campagne, le génocide éclate.

Ne connaissant pas les lieux, Mademoiselle A, alors 9 ans, aura des difficultés de s'enfuir et sera récupérée par des miliciens qui l'ont sauvagement battue. Elle a assisté au meurtre de son demi-frère et des personnes adultes avec qui elle fuyait et nous a déclaré avoir vu beaucoup de personnes blessées, mortes ou agonissant. Jusqu'en août 1994, elle ne savait pas où étaient ni ses parents ni ses demi frères et soeurs. Elle avait été hébergée par une vielle de Musambira qu'elle ne connaissait pas auparavant. Elle a été retrouvée par sa mère venue de Kigali pour chercher les traces de son mari et de sa fille en septembre 1994.

5.2.1.c. Symptômes présentés et histoire de la maladi

Elle est venue en consultation au SCPS début novembre 2004 mais cela était la 4ème et la plus grave crise. Son dossier médical nous a renseigné sur les symptômes qu'elle présentait : «peur exagérée, isolent, tristesse, idées envahissantes, insomnie, des fois mutisme, polypnée et hoquet et enfin reviviscence des événements traumatiques de 1994 ».

Elle nous a déclaré que la première crise est survenue il y a trois ans, elle était au dortoir. Les collègues chantaient des chants de deuil et nostalgie, elle s'est mise à chanter avec elle et quelques minutes après, elle a commencé à voir des images de ce qu'elle avait vu en 1994. Les images se sont intensifiées, elle a eu très peur, a commencé à suer et développé un hoquet intense. L'infirmière de l'école l'a endormie dans un milieu calme et quelques injections ont calmé la situation après deux jours .

La seconde crise est survenue suite à une coupure d'électricité. Les gens ont crié et elle a pensé que c'étaient des miliciens qui revenaient. Elle s'est caché et quand quelqu'une est passée à côté de sa cachette, elle a crié et perdu conscience ; elle ne se rappelle que de ce qui s'est passé après, quand elle était arrivé à Kigali dans une clinique privée endormie à côté de sa mère.

La troisième crise est survenue presque dans les mêmes conditions : coupure de courant qui n'a pas pourtant duré longtemps nous a t-elle dit. La récente et quatrième crise est survenue à la maison suite à une coupure d'électricité, la maman l'a appelée et demande de débrancher la télévision. En se déplaçant pour débrancher, elle a touché dans le vide et a failli tomber, elle a paniqué et crié et la crise a débuté et s'est aggravée avec la symptomatologie ci haut décrite. Dans son discours, nous avons facilement relevé un sentiment de peur et un désespoir quant à l'avenir. Ce désespoir s'est alimenté par son état de santé actuelle, ses imperformances scolaires et par sa situation socio familiale.

5.2.2. Cas de Madame B

5.2.2.a)Identification

Madame B est une femme de 41 ans, mariée à un alcoolique. Elle habite la Mairie de la Ville de Kigali, elle est actuellement sans emploi, probablement à cause de son état de santé mentale. Elle est suivie en ambulatoire par une soignante du SCPS pour une thérapie individuelle centrée sur le PTSD et thérapie du couple avec son mari par le Psychiatre psychothérapeute et la mère soignante du SCPS. Elle a été reçue pour la première fois en mars 2004 .

5.2.2.b) Histoire familiale et personnell

+01

+94

+94

+90

+94

B

+03

+02

+90

+90

+02

+94

Légende : Homme

: Femme

+ 94 : Personne morte et année de décès (01= 2001)

C

: Patiente en question

Madame B est mariée et mère de sept enfants dont deux sont morts, la première en 1994 et l'autre en 2002 suite à un empoisonnement « par la concubine de son époux » nous a t-elle déclaré. Elle sort d'une fratrie de dix dont six sont déjà morts. Trois pendant le génocide, un pendant les tueries des « complices du FPR `ibyitso' » en 1990 et deux d'une mort subite respectivement en 2002 et 2003.

En 1994, elle avait quatre enfants : une a été tuée sauvagement à ses yeux par les miliciens en 1994 et deux autres fragilisés par des coups et blessures qui les ont rendus handicapés moteurs. L'un d'eux est élevé actuellement au Centre des handicapés de Gatagara. Elle a été victime d'un viol en 1998 mais cela reste sous silence, je l'ai vu dans son dossier médical. Elle n'a pas voulu m'en parler. Son époux est très alcoolique et des disputes en famille sont au quotidien. Elle a été gravement blessée sur la tête où elle porte une cicatrice largement visible. Elle a passé beaucoup de jours dans un coma quasi mortel entouré d'autres personnes mortes et trois de ses enfants, l'une n'ayant pas survécue aux blessures des miliciens .

Quand elle a repris conscience grâce à l'aide d'un bienfaiteur qui s'en est occupé, elle s'est informée où était réfugié son mari. Arrivée avec deux enfants où se trouvaient son mari et son petit frère, ils ne l'ont pas acceptée et intégrée directement dans la cachette car elle portait un enfant qui hurlait de souffrances liées aux blessures. Cela a marqué considérablement notre patiente jusqu'aujourd'hui.

Au lendemain du génocide, le mari s'est livré à l'alcoolisme et ne s'occupait plus de sa famille, plutôt abusait des biens de la famille pour s'acheter à boire. Il a commencé même le vagabondage sexuel. Les relations de couple se sont détériorées et la femme a commencé à développer une symptomatologie qui l'a conduise en mars 2004 au SCPS, quelques mois après le début d'une souffrance psychique sans personne proche à qui la partager.

5.2.2.c. Symptômes présentés et histoire de la maladi

La patiente a été reçue pour la première fois en consultation début mars 2004 avec une symptomatologie composée par: les céphalées, l'insomnie, la pulsation s'accompagnant de bruits et parfois de vibrations, accès de colère envers certaines personnes et une détresse visiblement observable sur sa figure.

Elle a déclaré que depuis 1996 elle souffre de maux de tête intenses qu'elle attribuait à sa blessure sur la tête, mais quelques semaines auparavant elle avait eu un flash-back suivi d'une perte de connaissance. Sur son dossier médical, nous avons relevé qu'elle avait confié à sa soignante un jour ce qui suit : «J'ai des problèmes insupportables, difficiles à exprimer ( Sinzi aho nahera) et je préfère les garder seule car je n'ai plus confiance en mon entourage, même en mon mari ».

En ce qui concerne l'histoire de sa maladie ou du moins l'histoire des consultations, le dossier médical fait état de plus de 18 séances de consultation pour les neuf mois qu'elle est en thérapie. Les premières séances ont permis la collecte des informations et une action chimiothérapique pour améliorer son état psychosomatique à l'aide des anxiolytiques. Sa demande d'EEG justifiée par la cicatrice sur la tête a été acceptée et le résultat a été un tracé d'EEG normal. Et depuis, l'impression diagnostique de syndrome post-commotionnel a été rejetée au profit d'un état de Stress Post traumatique et un long processus psychothérapeutique a été amorcé.

Au bout de six séances, un inventaire de problèmes avait été établi :

-Difficultés liées aux pertes humaines pendant le génocide ;

-Maltraitance sexuelle et économique de la part de son époux ;

+93

+94

-Divers deuils mal vécus (de ses enfants morts ou handicapés contre toute attante, des frères) ; -Tendances homicides et suicidaires ;

- et Conjugopathies.

Une thérapie de couple incluant son mari a été envisagée parallèlement avec une psychothérapie individuelle. La femme avait exprimé entre autres besoins «... du moins pour pouvoir survivre en cohabitation avec mon époux et mes enfants ».

En présence du mari, au départ le couple semblait avoir des points de vue divergeants sur ce qu'il y a comme problème : L'époux alignant des problèmes financiers et la femme des difficultés relationnelles. Actuellement la thérapie de couple avance et le couple a amélioré ses conditions de vie relationnelles à partir des tâches proposées par le Psychiatre Psychothérapeute à chacun envers son partenaire. Certains signes d'Etat de Stress Post- traumatique diminuent progressivement.

5.2.3. Cas de Monsieur C

5.2.3. a. Identification

Monsieur C est un jeune garçon de 21 ans, originaire de l'ancienne commune de Mutura, sans domicile fixe car orphelin de père et de mère. Il vit à l'école ou dans l'une des quatre familles de tantes et oncles. Elève en quatrième secondaire, il est de la religion chrétienne, Eglise adventiste du 7 ème jour. Il a repris de classe deux fois en cinq ans.

5.2.3.b. Histoire familiale et personnell

C

+94

+94

: Homme : Femme

+ 94 : Personne morte et année de décès

: Patient en question

Légende :

C

Monsieur C est troisième d'une fratrie de six qu'il avait. Il a perdu ses deux parents, la mère lors des massacres des Bagogwe en 1993 et le père en avril 1994. La mère a été tuée fusillée en 1993 et enterré trois jours après. Le calme revenu, ils ont voulu s'exiler au Congo mais le grand père n'a pas autorisé. Ils sont restés au Rwanda.

Au lendemain du début du génocide en avril 1994, les miliciens sont venus et quand la famille de Monsieur C les a entendu, elle a fui en dispersion. Monsieur C a fui avec son grand frère qui sera tué quelques jours. En fuyant au troisième jour, Monsieur C et son grand frère sont passé à côté de la dépouille mortelle de leur père à côté de la rue. Il ne sait pas s'il a été enterré ou pas ni où il aurait été enterré. Monsieur C nous a déclaré avoir échappé miraculeusement à une attaque des miliciens dans un champ de sorgho où ils étaient cachés lui et son grand frère. Une balle a emporté ce dernier qui était à quelques centimètres de Monsieur C.

Depuis lors, il a commencé un calvaire de fuite et de sursaut de cadavre seul. Il croise en fuyant une famille voisine avec laquelle il s'est exilé au Congo. A Massisi, il a rencontré un oncle mais il a eu des difficultés d'intégration dans les groupes d'enfants des différentes tribus du congo. Il trouvera plus tard ses deux soeurs et son petit frère qui l'informeront de la mort de leur frère. Ils sont rentrés au Rwanda en 1995 avec d'autres anciens réfugiés Rwandais et les oncles maternels paternels. Il n'a pas de domicile fixe, de même que ses autres frères et soeurs restants. Des fois chez un oncle, chez une tante ou chez un ami de classe ce qui « désorganise la vie » a-t-il fait remarquer.

5.2.3.c. Symptômes présentés et histoire de la maladie.

Nous l'avons reçu pour la première fois avec un collègue stagiaire de Santé Mentale au KHI en juin2004 à l'Hôpital de Ruhengeri. Il était accompagné par son cousin de même âge. Visiblement fatigué, il avait des yeux mouillés de larmes et manifestait un vif souhait d'être soulagé d'une détresse qui était lisible sur son visage. Il se plaignait de l'insomnie quasi total depuis deux semaines entendre des voix de gens qui le poursuivent, des fois voir des gens venant le tuer puis crier et chercher à fuir. Des fois la nuit il voyait l'image de la dépouille de son père à côté de la rue et se mettait à crier. «Le jour suivant devrait être di~~icile », a-t-il dit.

Ces difficultés d'endormissement, flash-back et peur intense ont commencé progressivement après un film à la Télé lors de la dixième commémoration du génocide de 1994. Il avait suivi avec horreur et témoignages des rescapés. Depuis cette soirée -là, « les choses ont changé » nous a-t-il déclaré .

De retours à l'école, ces symptômes se sont accentués Début Juin, les autorités scolaires l'interne dans l'infirmerie scolaire mais les quelques comprimés reçus n'ont rien amélioré sur son état de santé. A l'école, Monsieur C avec un petit groupe de collègues s'étaient fait l'hypothèse que c'était un autre collègue d'origine congolaise issu d'une tribu kassaienne réputée avoir beaucoup de sorciers et empoisonneurs qui étaient à la base des problèmes de Monsieur C. A l'origine de cela en effet, une grande dispute avait opposé Monsieur C et ce Kassaien qui avait formulé des menaces de folie à Monsieur C.

Suite à l'intensification des symptômes, la direction de l'école décida son renvoie à la maison pour une prise en charge plus efficace. A Kigali chez un oncle, des deux nuits qu'il y a passées, il n'a dormi que moins de 40 minutes. Il entendait des gens voulant passer par le plafond pour venir le tuer. Il alertait souvent la famille qui ne constatait rien et il ne pouvait pas éteindre les lampes la nuit pour ne pas « être surpris » se disait-il.

Son oncle a décidé de lui changer de milieu de vie, il est venu à Ruhengeri chez une tante et les mêmes problèmes ont continué. Il passait la nuit en état de veille sans éteindre les lampes. Après plus de dix jours sans sommeil, les céphalées et une fatigue généralisée avaient rendu sa vie très pénible, c'est alors que les visiteurs de la famille l'ont orienté au service de santé mentale de l'Hôpital de Ruhengeri où il nous a rencontré.

Au terme de six séances d'entretiens psychologiques associés aux faibles doses d'anxiolytiques et tranquillisants, l'adolescent s'était remis considérablement. Beaucoup restait pourtant à faire et des rendez-vous réguliers sont fixés avec une infirmière formée sur les notions de Santé mentale a pris la relève à notre départ.

5.2.4. Cas de Madame D.

5.2.4. a .Identification

Madame D a quarante et un ans. Elle est diplômée en « Action sociale » et ancienne fonctionnaire de l'Etat jusqu'en 1994. Elle est mère de six enfants dont trois et son mari sont morts durant la guerre du Nord contre les infiltrés (Abacengezi). Elle est originaire de l'ancienne commune de Cyabingo actuel District de Bugarura, nous l'avons rencontrée à l'Hôpital de Ruhengeri .

D

5.2.4.b. Histoire familiale et personnelle.

+97

Légende :

: Homme : Femme

+ 97 : Personne morte et année de décès (1997)

+97

+97

+97

D

: Patiente en question

Madame D est née d'un père polygame qui odorait Nyabingi, avait des huttes d'adoration et immolait régulièrement des vaches ou chèvres pour toute circonstance d'importance. Les huttes se sont effondrées quand celui-ci s'est exilé au Congo. Mort du choléra aucun de ses fils n'a voulu continuer la pratique et elle s'est éteinte dans la famille.

Elle s'est mariée avec un époux intellectuel originaire d'une famille qui adorait aussi et faisait des sacrifices d'animaux régulièrement. Cette famille recourait souvent au 'Kuraguza' (divination) et pratiquait de ' Guterekera' (Invocation divine) pour chaque événement spécial. Dès son union, le couple s'est démarqué de ces pratiques jugées caduques et dépassées.

Le couple est chrétien pratiquant, vivait et travaillait à Kigali. Son beau père est l'un des rares de la région encore très convaincu de l'efficacité de ces pratiques. Il ne pratique pourtant presque plus des rituels de ' Guterekera' par manque de moyens (vaches et chèvres à immoler) et l'influence de la religion catholique bien implantée dans la région.

Madame D nous a affirmé qu'elle craignait toujours '4yabingi' et ' Ibitega' parce qu'elle avait vu des gens devenir fous à cause d'Ibitega. Son mari lui se disait invulnérable aux forces et pratiques dépassées. « Simfatwa n'ibibi » confiait il souvent à son épouse.

De retours de l'exil au Congo en 1996, la famille de Madame D sera obligée de s'installer à la campagne et non retourner à Kigali. Elle n'avait pas construit de maison à Kigali. Les conditions de vie à la campagne ne leur seront pas faciles sans emploi. C'est là où la guerre contre les infiltrés- 'Abacengezi' qui a trop sévi dans la région va emporter son mari et trois garçons de sa progéniture ; « les seuls que j'avais » nous a-t-elle déclaré. Elle a perdu aussi deux frères tués par les infiltrés et un troisième porté disparu .

Les deux premiers enfants furent tués pris entre deux feux rentrant d'une visite chez un oncle d'une colline voisine. Leur enterrement fut organisé quatre jours après, leurs corps restaient inaccessibles à cause des combats. Le troisième fils de cinq ans sera tué avec son père à la maison alors que Madame D avait échappé par l'autre porte avec sa fille cadette .

Madame D s'enfuira pour la ville de Ruhengeri chez une famille amie et le calme revenu après quatre jours, elle est revenu et a constaté que les voisins et beaux frères avaient enterré son enfant et son époux dans « des conditions indécentes » nous a-t-elle déclaré.

Madame D va vivre le veuvage et le deuil de son mari et ses enfants avec difficultés, sans emploi, non appréciée par ses beaux frères, etc. Les choses vont se détériorer un dimanche soir en mai 2002 après un vin de banane offert par son beau père. Une dispute avait éclaté avec ses beaux frères qui la qualifiaient d' « umuteramwaku » (porte malheur) car a fait perdre la famille de leurs fils : l'époux de Madame D et des petits fils : les enfants de Madame D. Ils l'ont accusé donc de vouloir éteindre la famille.

Toute la nuit, elle a ruminé ces accusations et injures et a commencé à faire des cauchemars et à se sentir très nerveuse envers ses beaux frères qui ne compatissaient pas à sa souffrance.

Des nuits qui suivront elle va commencer à entendre et voir des images de son mari qui lui faisait des remarques sur la conduite à adopter pour le reste de la vie sans son époux et de deux autres vieux très barbus qui l'accusait d'éteindre la famille.

Après une semaine, les flash-back, insomnie, céphalées et panique sans précédent s'étaient intensifiés. Elle avait commencé à développer un délire de persécution, disant que ses beaux frères lui envoient des esprits pour la tuer.

La famille décida contre son gré de l'amener chez un tradi- praticien habitant dans un district voisin. « Nous avons passé presque une journée de marche à pied » a t-elle fait savoir. Une poudre et un liquide à boire ont été données et le tradi- praticien a prescrit en plus d'immoler une vache car c'étaient «les anciens (Abakuru) qui manifestaient leur mécontantement » avait fait remarquer le tradi-praticien.

La famille a eu des difficultés pour trouver une vache à immoler et un arrangement a été fait pour trouver une vache à utiliser pour le cérémonial et revendre la viande non consommée. « Je n'étais pas convaincue mais j'ai laissé faire » nous a --t-elle dit en substance.

L'état de Santé de Madame D ne s'est pas amélioré et les deux parties ont commencé à se culpabiliser. Madame D se reprochait de n'avoir pas consciencieusement participé au rituel et les beaux frères se reprochaient d'avoir mal procédé dans le rituel .

Traditionnellement, la viande ne devait pas être revendue, elle devait être partagée à tous ceux ayant participé au rituel. Quant à eux, ils ont vendu plus de la moitié de la vache dans un centre de négoce voisin.

Madame D a continué avec sa souffrance, ce n'est qu'après plus de six mois à la maison avec la symptomatologie ci- haut décrite qui s'aggravait qu'une infirmière ami l'à visité et lui a proposé d'aller voir un infirmier formé sur les notions de Santé mentale dans un centre de Santé de la région. Ce dernier l'a transférée à l'Hôpital de Ruhengeri où nous l'avons rencontré après plus de trois mois d'approvisionnement régulière en anxiolytiques et tranquillisants.

5.2.4.c. Symptômes et histoire de la maladi

Les symptômes relevés sur son dossier médical sont les suivants : cauchemars, flash- back, insomnie, céphalées. Des fois, elle passait trois jours sans parler et de l'autre bord faisait un délire de persécution. Elle a une tristesse remarquable et est visiblement fatiguée.

A son arrivé à l'hôpital, elle a été hospitalisée pendant trois semaines suite au paludisme dont elle souffrait. Elle vient régulièrement s'approvisionner essentiellement en médicament, le service n'ayant pas de personne compétante et disponible pour des psychothérapies. Elle a reçu entre autres molécules : le propanolol, les antidépresseurs tricycliques (Anafranil et Tofranil) et un thymorégulateur : le tégretol à des doses variées.

5.2.5 Cas de Mademoiselle E

5.2.5.a. Présentation

Mademoiselle E est une fille de 16 ans, apparemment de 12ans si l'on tient compte de sa taille. Elle est élève irrégulière étudiant avec difficultés en cinquième primaire. Elle est originaire du District de Cyanzarwe, vit chez sa tante maternelle dans les périphéries de la ville de Ruhengeri. Nous l'avions rencontrée pour la première fois à l'Hôpital Neuropsychiatrique de Ndera durant notre stage de Mai- Août 2003. Nous l'avons rencontrée à nouveau et reconnue à l'Hôpital de Ruhengeri quand elle était venue pour une provision régulière en médicaments .

E

5.2.5.b. Histoire familiale et personnelle.

+9

+97

+97

+98

: Homme : Femme

+ 98 : Personne morte et année de décès (1998)

Légende :

E

: Patiente en question

Mademoiselle E est seconde fille d'une fratrie de quatre comme le montre ce génogramme. En 1994, sa famille s'est exilée misérablement au Congo et est retournée fin 1996. De retours, ils ont vécu une situation socio-économique précaire durant quelques mois. Son père (Agronome) a eu de l'emploi et la vie dans la famille a repris de plus belle jusqu'aux événements de 1997-1998 (attaques des infiltrés) qui ont emporté ses parents et frères. En 1997 à neuf ans, elle était élève très brillante en 3 ème année primaire.

La majorité des informations que nous reprenons ici ont été récoltées en 2003 à Ndera quand nous étions son référent principal en co-thérapie avec notre maître de stage. L'entretien de recherche tenu à Ruhengeri a porté essentiellement sur des thèmes non évoqués à l'époque et sur les compléments de ce qui nous était connu. Ce cas avait d'ailleurs été présenté dans notre rapport de stage 2003, nous avons requis de nos archives l'essentiel du récit.

Dans un des entretiens qui ont porté sur son histoire traumatique, elle nous a confié

« La première attaque est survenue dans la matinée ; des hommes en uniformes très sales sont venus, ont enlevé mon père et cruellement poignardé ma mère. Je me rappelle de la crosse de Kalachnikov qu'on lui a fait dans le dos. Ils sont partis avec Papa ligoté les bras derrières. Après leur départ, les voisins nous ont aidé à évacuer notre maman vers l'Hôpital de Gisenyi. De retours le soir, nous avons retrouvé la dépouille mortelle de mon père à coté de la rue. Nous l'avons enterré le lendemain sans ma mère qui était hospitalisée » .

L'entretien de ce jour avait était suffisamment révélateur d'informations. Elle nous a déclaré par la suite : « Quelques mois après, étant rentrée de l'Hôpital maman a mis au monde une petite fillette. Après quelques jours, des hommes armés sont revenus et ont tiré sur ma mère à notre présence au salon. Nous avons eu très peur et depuis lors nous n'avons plus vécu dans cette maison. Le bébé a été élevé par ma grand- mère. C'est moi qui la portait au dos vers 3 mois, il est mort car on n'avait pas de lait à lui donner, c'était dans l'insécurité ».

Quand une collègue soignante a voulu en savoir plus sur la mort de son petit frère, elle a pleuré et la collègue l'a prise dans ses bras, l'entretien s'est arrêté. J'ai appris un peu tard en 2004 que le petit frère était mort du paludisme.

En 1998, la grand mère a voulu que la petite « E » aille continuer sa scolarité à Konombe près du camp militaire chez un oncle. C'est de là qu'elle a eu les 1 ères crises. Et elle est allée au Centre National de Traumatisme en 1999, puis au CARAES Ndera où nous l'avons rencontré pour la première fois. Depuis février 2004, elle vit chez sa tante à Ruhengeri.

5.2.5.c. Symptômes présentés et histoire de la maladie.

A la 1 ère consultation, il avait été relevé ce qui suit : « elle sursaute quand elle entend des coups de fusil ou tout autre grand bruit, elle est insomniaque, parle durant toute la nuit de sa famille et surtout de ses parents et frères morts et de son grand frère dont elle est actuellement séparée. Elle est agressive se sent toujours poursuivie par des hommes en armes, elle est triste, instable et manifeste de l'errance ». C'était début 2003.

La première crise date de 1999 et n'a pas durée longtemps. Elle a été soignée au Centre National de Traumatisme. La seconde, qui l'a fait arriver à l'HNP CARAES Ndera date de 2003. Elle a durée plus de trois mois.

A la seconde hospitalisation, le médecin avait noté : « agressivité, errance, insomnie délire de persécution, déshabillement, déchirer ses habits, mordre les autres enfants et l'entourage, cauchemars nocturnes et hyper vigilance ».Une batterie de psychotropes avaient été donnés et la symptomatologie s'estompa.

Beaucoup de choses ont été constatées durant une série d'entretiens réguliers menés durant son hospitalisation dans l'unité des enfants. De même, lors des groupes parole régulièrement tenu par les patients et leurs soignants au CARAES Ndera, nous avons retenu beaucoup d'informations. Elle faisait des reviviscences, des cauchemars presque chaque nuit .

Quand je lui ai demandé si elle avait rêvé pendant la nuit, elle n'a répondu : « Oui, je rêve étant au salon avec ma famille en mangeant un repas copieux ». Une autre fois, elle a appelé une collègue soignante pour lui montrer et lui faire entendre son père qui l'invitait à quitter l'hôpital pour le rejoindre à la gare routière puis visiter ensemble les amis de Byumba! Elle avait peur et transpirait cette fois là.

Le dernier entretien à Ruhengeri nous a fait connaître deux autres courtes hospitalisations jusque là après lesquelles les familles ont décidé de la mettre dans un milieu de vie quelque peu proche de celui où elle a grandi : chez sa tante à Ruhengeri. Elle nous a dit qu'elle ne se sentait pas à l'aise dans un milieu où il y a des hommes en uniformes comme Kanombe-Kigali, elle se dit bien intégrée chez sa tante malgré les difficultés scolaires et la maladie qui ne guérit pas définitivement.

5.3. Analyse thématique et compréhension de cas étudiés.

Une analyse approfondie et la confrontation des cas cliniques décrits dans la partie précédente permettent de relever un certain nombre de thèmes. Dans la partie qui suit, nous essayons d'en parler en nous appuyant sur des théories déjà développées dans ce sens.

5.3.1. La problématique du deuil.

Les récits de quatre sur cinq patients suivis reviennent sur les pertes subies et sur les relations cauchemardesques entretenues avec les leurs qui sont morts. Cela témoigne de deuils mal vécus ou non vécus. En effet, comme nous l'avons suffisamment débattu dans notre cadre théorique, un deuil terminé devrait permettre de se séparer du défunt et nouer de nouvelles relations avec les vivants. Le défunt ne devrait revenir qu'en bonne mémoire et non hanter et déstabiliser le restant. En fait, faire son deuil, permet de tourner la page et vivre autrement sans celui qui est mort.

Madame B parle de ses frères morts en 1994 et de son enfant décédé en 1994 qu'elle n'a pas enterré. Leurs images lui reviennent régulièrement en esprit. Monsieur « C » évoque avec douleur et nostalgie son père dont il n'a connu que ses premières 11 ans de vie. Il déplore n'avoir pas connu ses funérailles ni sa sépulture. Du moins avec sa mère qu'il a enterré, les choses ne sont pas trop dures. Madame D, a un grand problème de deuil. Son mari a été enterré dans des « conditions indécentes » et à son absence. Aucun rituel n'a été organisé. Et bien d'autres .

Au Rwanda, nous assistons à la même situation comme celle décrite par A. SPIRE cité par J. AUDET & J.F KATZ (1999, p.366) : « Pas de tombe, pas de fleurs, pas de souffrance fixées en un lieu ou à un instant, seulement le vide.. » Nous sommes dans une éternelle absence. C'est aussi une carence de rituels. Ceux-ci facilitent le dialogue permanent entre les vivants et le défunt parti sur le chemin du royaume des morts ou des ancêtres. JF KATZ & J. AUDET affirment que " dans de nombreuses cultures les rituels du deuil participent aux épreuves qui rachètent le passé du défunt et permettent ainsi à ce dernier, d'accéder à une vie spirituelle. Les rites sont la symbolisation de passage d'un seuil, de la libération de l'âme, du non-retours des morts » (Idem p. 367). C'est en quelque sorte la réalité Rwandaise.

A partir des théories développées par T. NATHAN, L.V Thomas, A. V. GENEP, G.V. SPEJKER, R. HERTZ, J. BOWLBY et bien d'autres que nous avons compilées au chapitre II sur la problématique du deuil, il est incontestable que la clinique Rwandaise du PTSD telle que le montrent ces quelques vignettes traduit des lacunes à ce sujet.

5.3.2. Une violence impensable et indicibl

L'un des thèmes abordés avec les patients lors de nos entretiens de recherche tourne autours de « l'histoire traumatique du patient ». Tous les patients nous ont fait part de leur calvaire. Mademoiselle A parle de ses courses dans les collines de Musambira qu'elle ne connaissent pas bien poursuivie par le feu sortant des canaux des miliciens armés jusqu'aux dents. Elle parle de personnes tuées devant ses yeux à l'âge de neuf ans.

Madame B témoigne avec difficultés des jours passés en agonie entre les morts avec des enfants qui pleuraient et qu'on faisait taire en les achevant ! Monsieur C nous fait part de la mort par balle à côté de lui, de son frère dans un champ de sorgho où ils étaient cachés à deux et des nuits passées en se cachant contre les miliciens qui venaient de mal tuer son père.

Madame D relate la mort de son époux et de son fils fusillés et agonisant jusqu'au dernier soupir dans une chambre alors qu'elle se cachait dans un corridor avant de se sauver en sortant par l'autre porte. Et Mademoiselle E parle avec barrages et larmes aux yeux de la crosse de Kalachnikov qui fit tomber sa mère et du ligotage de son père sous son assistance par un groupe d'hommes armés jusqu'aux dents. Elle n'avait que huit ans à l'époque .

C'est exactement ce que G. N. FISHER (1994) décrit dans son livre intitulé « Le ressort invisible, Vivre l'extrême » quand il parle des « visages de l'extrême ». C'est justement cette extrême et inimaginable violence que N. MUNYANDAMUTSA décrit en montrant le caractère inhumain et la spécificité du carnage au Rwanda quand il écrit : « En majorité, ces vies se sont éteintes avec des moyens artisanaux, sans recours à aucune arme de destruction massive. Ceci implique un effort, une organisation et un rythme d'une violence inouïe. C'est aussi son extrême férocité : les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards ne furent pas seulement exterminés, mais violés, torturés, dépecés, brûlés vifs, jetés dans les latrines. On a obligé des maris à tuer leurs femmes et les parents à assassiner leurs enfants. La férocité a manifesté la haine, et la déshumanisation des victimes ». (2000, p.6). Il faut noter enfin le caractère national de ce crime.

5.3.3. La somatisation.

Au Rwanda, la façon populaire préférée de demander à quelqu'un à propos de sa souffrance est « Urababara he ? » (Où soufres-tu ? »; Pour dire que l'on s'attarde en premier lieu à localiser, à situer la souffrance. Au Rwanda, le corps est souvent en avance par rapport à l'esprit et la souffrance psychique, pour susciter le plus d'attention se manifeste à travers des troubles somatoformes de tous genres. Et le patient, pour être entendu et aidé, manifeste inconsciemment sa souffrance par le corps, ce dernier qui est observable et palpable à l'opposé de l'esprit, lui qui est matériellement inaccessible.

Dans la symptomatologie présentée par tous les cas suivis, on relève les signes comme hoquets, céphalées, difficultés respiratoires, pulsation accompagnés de bruits et parfois de vibrations, de douleurs somatiques de tous genres. Madame B vient pour EEG car disait-elle « Je voudrais qu'on regarde ce qui ne va plus dans ma tête ». D'autres patients, et il sont nombreux, réclament des examens à caractère somatique: épigastomie en cas de somatisation par douleurs gastrites, d'autres veulent « des médicaments » pour tel ou tel symptôme.

Cela dénote certes de la culture Rwandaise. Elle traduit aussi l'avance de notre corps sur le psychisme qui l'habite comme l'écrit Albert CAMUS « Nous habitons notre corps longtemps avant de pouvoir le penser. Notre corps a ainsi sur nous une avance irréparable ». (N. MUNYANDAMUTSA, idem, p.27) .

76
5.3.4. Rupture, Désordre, Incomplétude.

Dans un paragraphe sur les théories locales du PTSD, nous avions postulé le PTSD comme une maladie de l'incomplétude et de la rupture. Notre rencontre avec les patients a conforté notre manière de voir les choses.

Au lendemain du génocide, une rupture, un désordre et une incomplétude se sont installés. Des fois ils sont non vus ou sous estimés par les observateurs. Une femme d'une quarantaine d'année voyant une jeune de 20 qui pleurait parce qu'elle n'a pas de maman à amener car convoqué à l'école disait « qui n'a pas perdu de parents pendant ce maudit génocide ? » Mais ! Si elles ont toutes les deux perdu des parents, l'une les a perdu au moment où elle en avait plus que jamais besoin.

Mademoiselle E a perdu son père et sa mère à l'âge de huit ans. Un âge, si l'on en croit les psychanalystes détermine le reste de la vie affective de l'enfant qui est en pleine liquidation de complexe d'oedipe par le processus d'identification.

Monsieur « C » n'a plus rien de l'ordre familial ou communautaire, sa famille nucléaire n'existe plus ; il a oublié même où était construite sa maison familiale qui servait de contenant et de repère matériel et de repère matériel dans le tissage de l'humain.

Pour ces jeunes patients rencontrés, « les mythes et les rites qui assuraient une circulation liquidienne dans les lignages, les générations, les communautés, se sont étiolés puis éteints » (C. BARROIS, 1994, p.168), pour faire place à quelque chose d'autre, allant jusqu'à inversion totale des valeurs, aux bouleversements des significations et des affects universellement échangeables. Les choses et les relations jadis signifiants pour la continuité des cycles de vie ne sont plus, le sens des choses a été bâclé, et il s'est installé ce que l'on a l'habitude de nommer le « traumatisme du non-sens ».

Pour C. BARROIS (1994, p.159) « le traumatisme psychique est l'effondrement de l'illusion du sens et des significations autrefois échangées, stabilisées, dont l'immense treillis se prêtait généreusement à tous ».

Notons pour finir avec cet élément, que la rupture le désordre et l'incomplétude qu'a installé l'évènement traumatique se traduit chez la majorité des patients souffrant de PTSD. Il y a rupture et désordre dans l'organisation de la famille et de la société, plus rien ne fonctionne comme avant. Certains adultes ne peuvent plus rien relatif à ce statut, d'autres parmi les enfants ne le sont plus car on est enfant par rapport à l'adulte, etc .

77
5.3.5. Le complexe du survivant

Nous empruntons ce concept à B. BETTELHEIM (1995) pour désigner un syndrome que nous avons constaté chez trois de cinq patients suivis. Pour Madame B, Mademoiselle A et Monsieur C, il revient dans leur récit des idées comme quoi survivre est immérité et inexplicable vu des situations qu'ils ont vécues. Madame B, qui a passé des jours endormie parmi les morts, considérée comme morte par ses tortionnaires, car ayant été mortellement blessée à la tête, nous a déclaré regretter être survécue. Elle se demande pourquoi elle est survécue pour encore souffrir. « Peut-être que ceux qui sont morts seraient plus en paix » a-t-elle dit une fois.

Pour B. BETTELHEIM, cité par S. AUDET& JF KATZ (1999, p.63) ses situations extrêmes et le traumatisme qui en résulte provoquent « une désintégration de la personnalité et un anéantissement de la structure sociale ». Il faut noter selon G.N. FISHER (1994, p.62) que « le syndrome des survivant se réveille souvent dans des situations de crise causées par des évènements extérieurs ou des problèmes personnels impliquant une menace existentielle ».

Le cas le plus parlant de cet état des choses est celui de madame B qui a des difficultés dans sa relation conjugale et des problèmes socioéconomiques qui suscitent tout ce questionnement sur le sens de sa survivance.

5.3.6. Traumatisme second et /ou facteurs aggravants

Mademoiselle A parle de coupures d'électricité répétées, Madame B parle de difficultés conjugales et socioéconomiques, Monsieur C montre des problèmes de demeure non fixe et d'images funèbres à la télévision, et bien d'autres. Tels sont des éléments qui concourent à l'aggravation de l'état de stress post traumatique. J.F. Katz & J. AUDET (1999, p.230), P. LALONDE (1999, p.284) et C. BARROIS (1994) ont dressé un long inventaire de ces éléments.

Pour C. BARROIS (idem), suite aux effets pathogènes liés au milieu après l'événement, le patient peut aggraver une symptomatologie d'état de stress post traumatique. Il montre que la solitude, la détresse, l'impression de rejet ressentie par la victime vis à vis de son entourage se rangent premiers sur cette liste de facteurs.

«Le traumatisme second est donc directement lié aux attentes non satisfaites de consolation et de réparation de la victime. L'incongruence entre l'attente et la réponse est le fondement même de cette problématique.

Le besoin de réparation est important alors que les réponses familiales et sociales s'épuisent ou se détournent vers d'autres priorités. Un sentiment d'abandon se développe, aggravant le risque dépressif, l'hostilité, le rejet et le repli » J. F KATZ & J. AUDET (1999, pp.231-232) .

D'après C. BARROIS (idem, p.160), cet abandon, qu'il nomme : « deuxième abandon » est responsable de l'aggravation de la symptomatologie post traumatique. Cette seconde rupture est sociétale.

5.3.7. Perte de repères

La problématique de repères perdus se retrouve dans le récit de tous les patients suivis. Mademoiselle E, Monsieur C et Mademoiselle A n'ont plus de repères. Madame B s'est actuellement déconnectée de sa famille à cause des querelles avec ses beaux frères qui l'accusent d'éteindre leur famille.

Ecrivant à propos de la perte des repères, A. NANIWE (1999, p.126) nous dit : « La plupart des rescapés de ces affrontements et de ces tueries sont devenus aujourd'hui des 'sans demeure', des 'sans racines' et des 'sans identité'. Des ' aliénés' tout simplement, car ils n'ont plus rien, ayant perdu leurs différents repères : physiques, culturels et symboliques ». Elle décrivait le contexte burundais mais la situation décrite se retrouve aussi au Rwanda.

C'est de ses repères perdus que S. BAQUE (1999, p.157) parle en disant : « Beaucoup d'enfant non accompagnés de l'après génocide ne sont pas seulement des orphelins, ils sont hors génération. Or, s'il est possible à un enfant de surmonter la perte de ses parents nous pensons qu'il lui est impossible de grandir sans se situer dans la génération et la filiation ». Mademoiselle E, Monsieur C qui errent de familles en familles ne pouvant plus vivre avec les frères ou proches de leurs âges illustrent ce propos.

A propos des repères justement, le Dr Naasson MUNYANDAMUTSA (2000) montre qu'ils sont des balises incontournables pour vivre en société et nous interpelle sur les repères qui devraient lier l'individu avec son groupe d'appartenance, avec sa tradition, culture, famille et communauté; avec son passé, présent et futur, avec sa société et avec son histoire. C'est une panoplie de pertes dans ce sens qui s'observent à travers une analyse fine des récits de ces quelques cinq patients suivis .

79
5.3.8. Rêves, cauchemars, flash-back et intrusion.

Durant les entretiens avec les patients sur le thème des « symptômes dominants », tous les patients nous ont fait part de flash-back, de souvenirs intrusifs, d'images floues relatives aux traumatismes vécus, et plus particulièrement de rêves et cauchemars pendant la nuit.

Pour R. KAES dans son préface de l'ouvrage intitulé « Rêves et traumatismes ou la longue nuit des rescapés » de M-O. GODARD, ces rêves sont les bienvenus à certaines conditions et bien sûr exploitables pour le bien du patient. Il écrit : « les survivants ont besoins de produire des symptômes tels les cauchemars, les rêves traumatiques. Pourvu qu'il y ait quelqu'un pour entendre, contenir, sinon corêver avec eux, au moins entendre l'horreur et progressivement l'intégrer ne plus l'éviter ». (2003, p.4). La même auteur précise la nécessité d'un contenant pour ces manifestations écrit à ce sujet : « Lors du cauchemars à la différence du moment traumatique où un ou plusieurs bourreaux étaient présents, le rescapé est seul, et il se sent seul responsable de ce qu'il rêve. Introduire un tiers dans cette configuration peut l'empêcher de tomber dans la folie, la colère ou le désespoir »(idem, p.14) .

5.3.9. Rêver, au delà du principe du plaisir.

S. FREUD a émis au départ une théorie du rêve centrée sur le plaisir, sur la libido. Dans l'interprétation des rêves (1900, p.110 cité par M-O GODARD, idem, p.37). FREUD disait « Le rêve expose les faits tels que j'aurais souhaité qu'il se fussent passés, son contenu est l'accomplissement d'un désir, son motif un désir ». Quoique imprécis sur la genèse et le motif du rêve à l'époque, Freud ne doutait pas sur sa finalité du rêve : « Le rêve joue pour le cerveau surchargé, un rôle de soupape, de sûreté. Les rêves ont un pouvoir de soulagement, de guérison ». (FREUD, 1900, p.75).

Plus tard, FREUD constate que les cauchemars, les compulsions de répétition, les rêves traumatiques, etc., échappent à ce principe et énonce une seconde théorie du rêve appelée « Au delà du principe du plaisir ».

Pour rendre claire la pensée de FREUD à ce sujet citons un extrait d' «Au delà du principe du plaisir, 1920, p.74) repris par la même auteur (idem, p.46-47). « Si les rêves de la névrose d'accident ramènent si régulièrement les malades à la situation de l'accident, ils ne sont assurément pas par là au service de l'accomplissement de désir, même si la production hallucinatoire de celui-ci est devenue leur fonction sous la domination du principe de plaisir )...).

Ces rêves ont pour but la maîtrise rétroactive de l'excitation sous développement d'angoisse, cette angoisse dont l'omission a été la cause de la névrose traumatique ». Ici, conclut M.O. GODARD, ce qui est désespérément recherché c'est l'angoisse - angoisse protectrice-, l'angoisse capable d'éviter les tourments de la surprise qui a tellement fait défaut pour prévenir.

C'est ne pas en fait du ressort du « principe de plaisir » quand Mademoiselle E rêve de sa famille assise autour d'un repas copieux au salon ou quand elle revoit dans ses rêves les images de la mort de son père. Quand Madame D rêve recevant des instructions de son mari pour la conduite à tenir à son absence, ou voit deux vieux barbus l'accusant de vouloir éteindre leur famille, il ne s'agit pas de la satisfaction des désirs refoulés comme le prétendait FREUD. Sa famille la croit possédée par ' abazimu' (esprits) et se propose de voir le tradipraticien ou consulter le devin qui, eux ont le pouvoir d'interpréter ces rêves au Rwanda. A côté des devins et tradipraticiens, dans la culture Rwandaise, des moments particulier permettaient qu'on raconte ses rêves : le soir autour de l'âtre et dans les veillés où se mêlaient aussi comtes et devinettes. Cela n'existe presque plus. Nous pensons que ces pratiques, une fois réintroduites et sublimées, pourraient constituer des moments à effet thérapeutique où l'on se raconte et partage ses rêves traumatiques.

Cela permettrait justement l'extériorisation des contenus de ces rêves traumatiques étant donné que « c'est parce qu'elle sont internes qu'elles reviennent, c'est parce qu'elle ne sont pas réelles que le sujet ne peut pas s'en défendre, car impréparation il y avait au moment du traumatisme et impréparation il y a au moment du rêve ». (M-O. GODARD, idem, p.50) .

5.3.10. Pour rassembler les éléments

Le présent chapitre aura été le plus volumineux mais aussi le plus significatif eu égard à son contenu pratique. Nous décrivons des cas cliniques suivis et essayons de les commenter en nous inspirant de textes et théories qui éclairent ces vignettes cliniques. L'analyse thématique a permis de regrouper des éléments pour une meilleure compréhension des cas dans une logique de double balancement entre théorie et clinique.

La clinique montre que les patients ne répondent pas toujours aux critères diagnostiques internationalement reconnus. Il y a expression de certains symptômes sous forme d'une théâtralisation du vécu traumatique, il y a expression cathartique et retours au temps zéro comme si tout s'arrêtait complètement .

Les patients expriment leur vécu dans un langage culturel : somatisation et mise en scène du corps, persécution et paranoïa traduisant la capacité de l'autre de nuire à la victime et la subjectivation de la victime par cet autre durant le génocide. Le contexte de violence est traduit par les manifestations symptomatiques des patients. La méfiance est de mise, l'ennemi est redouté partout, le patient se sent persécuté et ne sait pas qui est son bourreaux ou qui ne l'est pas..

Au bout de l'analyse des cas suivis, des interrogations de plus s'ajoutent à celles que nous avions au début de notre recherche. Comment grandir sans parent et comment garder bon souvenir des parents qui ont été atrocement tués à ses yeux ? Comment faire le deuil quand il n'y a pas eu de rituel funéraire et quand on ne connaît même pas la sépulture des siens ? Comment entreprendre une vie nouvelle alors que le corps, en avance de notre esprit, accuse des souffrances diverses que la communauté ne s'attelle pas à soulager et face aux quelles certains soignants paraissent désarmés ? Et enfin comment envisager un avenir meilleur quand on n'est sans repères et qu'on est déconnecté tant du groupe d'appartenance, de la tradition, de la culture, de la famille que de sa société et de son histoire ? Telles sont et bien d'autres des questions que soulève la clinique post-traumatique au Rwanda, aux quelles tout élément de réponse serait le bienvenu. Nous pensons que la présente recherche aura permis d'en éclairer quelques unes .

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon