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Culture et traumatismes psychiques; comprehension et prise en charge psychologique du PTSD

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par Simon NSABIYEZE
Universite Nationale du Rwanda - Licence en Psychologie Clinique 2004
  

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Chapitre II. THEORIE SUR LE TRAUMATISME PSYCHIQUE


2.0. Introduction

La notion de traumatisme psychique est très vaste et a été objet de plusieurs recherches. Son évolution dans l'histoire l'a portée de «Névrose traumatique »et plus tard au « trouble psychique de combat » jusqu'à l'avènement du DSM qui consacre le terme de « Post-Traumatic stress Disorder ».

Dans le présent chapitre, nous parlons de son historique et de son étiopathogénie. Nous nous attardons sur l'une des formes de traumatismes psychiques épidémiologiquement la plus décrite:le PTSD. Nous parlons des théories générales du PTSD et dans une logique éthnopsychiatrique et de psychiatrie transculturelle, nous parlons des théories locales du PTSD.

2.1. Historiqu

Depuis l'Antiquité, le traumatisme psychique ou du moins les troubles psychiques de combat étaient connus. Par exemple les vieux livres de Psychiatrie mentionnent le cas d'un guerrier athénien Epizelos, qui, lors d'une bataille perdit la vue sans avoir été frappé ni de près ni de loin. [...] Epizelos racontait qu'il avait dû faire face à un ennemi de grande taille pesamment armé et dont la barbe ombrageait tout le bouclier... C'est un cas rapporté par Hérodote dans son livre IV écrit vers 450 avant Jésus Christ !

Beaucoup d'écrits du Moyen Age et du XIVème siècle parlent de ce genre de troubles. Shakespeare en parle dans deux de ses pièces : Henri IV et Roméo et Juliette. Dans Henri IV, Lady Percy reproche à son mari de la délaisser pendant la nuit car passant toute la nuit faisant des cauchemars et hallucinations en rapport avec le combat qu'il avait mené. Dans Roméo et Juliette, Mercurio évoque Mab, la fée des songes, légère comme une plume, qui peut aussi bien galoper toute la nuit que de se poser sur le coup d'un soldat endormi pour lui faire revivre la bataille [...] .

La Révolution Française a laissé ce que PINEL dans sa Nosographie philosophique (1808) appelle idiotisme, manie, mélancolie, hypocondrie et plus particulièrement « névrose de circulation et de séparation » préfigurant les névroses de guerres des années 1950 décrites par L. CROCQ dans son ouvrage « Traumatismes psychiques de guerre » (1999) .

H. DUNANT, fondateur de la Croix-Rouge, dans son ouvrage « Souvenir de Solferino » (1862) en parlera aussi et quelques années après lui, le médecin des armées Nordistes dans la guerre civile de sécession américaine Jacob MENDEZ DA COSTA décrira ce qu'il a appelé « Soldier 's heart » (Coeur du soldat) ce qui prendra peu après lui le nom de `Syndrome du coeur irritable', ou « Syndrome de Da Costa » après sa mort. C'est JANET qui, en 1889, fut le premier à étudier et traiter le stress traumatique plus particulièrement les syndromes hystérique et dissociatifs (P. Lalonde, 1999, p.380) .

A la suite de la seconde guerre mondiale et plus récemment la guerre du Viêt-Nam, de nombreuses études furent entreprises auprès des rescapés de la Shoah (génocide des juifs) et des vétérans présentant diverses réactions psychologiques associées au combat et à leurs vécu stressant. Ces études ont contribué à préciser les critères diagnostiques du trouble que constitue l'Etat de Stress Post- Traumatique (ESPT I PTSD) qui fut reconnu comme telle dans la troisième version de la classification diagnostique américaine des maladies mentales

DSM III en 1980.

La dixième classification des maladies de l'OMS (1992) développe trois concepts : - La réaction aigue à un facteur de stress

- L'état de stress post traumatique (PTSD selon le DSM)

- La modification durable de la personnalité qui est une des caractéristiques majeures des conséquences de l'expérience traumatique.

C'est le PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder) qui nous préoccupe tout au long de cette recherche.

2.2. Théories générales sur le PTSD 2.2.1. Symptômes et critères diagnostics

Le diagnostic du trouble Etat de Stress Post-Traumatique (ESPT) s'organise autour de six axes (de A à F) dans le DSM- IV (APA, 1994, p.503-504). Le premier critère (A) est un critère étiologique : la personne a vécu ou a été témoin d'événement (s) grave (s) ( mort, blessures graves, atteinte à l'intégrité physique ou leurs menaces) auquel (s) elle réagit avec une forte peur, impuissance ou honneur. Le critère B consiste à revivre de façon persistante l'événement (souvenirs répétitifs et envahissants, cauchemars de l'événement, impression ou agissement soudain « comme si » l'événement se reproduisait -sentiment de revivre l'événement, flash-back, illusions, hallucinations, détresse psychique intense ou réactivité physiologique en présence de stimuli associés au traumatisme) .

Le Critère C est défini par l'évitement des stimuli associés à l'événement et par l'émoussement de la réactivité générale (évitement de pensées, de sentiments et de conversations au sujet du traumatisme, évitement d'activités, de situations, de personnes associées au traumatisme, amnésie d'un aspect important de l'événement, diminution de l'intérêt ou de la participation à des activités autrefois plaisantes, sentiment d'être détaché ou étranger face aux autres, diminution de la capacité à ressentir des émotions- particulièrement celles liées à l'intimité, à la tendresse et à la sexualité, sentiment d'un avenir « bouché »). Le critère D est formé de symptômes d'activation neurovégétative non présents avant le traumatisme (difficultés d'endormissement ou de maintient du sommeil -- pouvant être provoqués par des cauchemars répétitifs, irritabilité ou accès de colère, difficultés de concentration, hyper vigilance, réactions exagérées de sursaut). Un symptôme est demandé pour remplir le critère B et respectivement trois et deux pour les critères C et D. Ces symptômes doivent être présents durant plus d'un mois (critère E) et ils doivent entraîner « une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants » (critère F) (APA, 1994, p.504). Le trouble peut de plus être spécifié aigu, chronique ou avec survenue différée.

Le CIM-10, contrairement au DSM-I>, ne requiert pas obligatoirement des symptômes d'activation, ceux-ci pouvant être remplacés par l'incapacité de se souvenir d'éléments importants du traumatisme. Le CIM-10 ne spécifie de plus pas la durée minimale des symptômes et donne une définition plus vague des événements pouvant provoquer un PTSD : un événement « exceptionnellement menaçant ou catastrophique, qui provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus » (OMS, 1994).

En plus de ces groupes de symptômes, de nombreux symptômes associés sont liés au PTSD. La majorité des personnes souffrant de PTSD représentent des symptômes dépressifs et anxieux (JOSEPH, WILLIAMS & YULE, 1997). Des difficultés au niveau du fonctionnement cognitif et mnésique accompagnent fréquemment le trouble. Plusieurs recherches ont montré que le PTSD est accompagné d'une baisse de l'évaluation subjective de la santé physique, d'un accroissement de la demande de soins somatique et de diverses souffrances somatiques : «fatigue, maux de tête, douleurs à la poitrine, troubles gastro- intestinaux, cardiovasculaires et rénaux, problèmes respiratoires, maladies infectieuses ainsi qu'un affaiblissement du système immunitaire » (JOSEPH et al. 1997 cités par B. STOCKLI, idem, p.10). Non seulement ces personnes seraient plus vulnérables aux maladies somatiques,

mais elles présenteraient aussi un plus fort taux de mortalité (FOA, KEANE& FRIEDMAN, 2000 cités par B. STOCKLI, idem, ibidem) .

L'exposition à des événements traumatiques risque, de plus, d'affecter le bon fonctionnement des relations sociales. Mc FARLANE (1987, cité par B. STOCKLI, idem, p.10) a trouvé que les familles affectées par des catastrophes présentent un niveau d'irritabilité, d'isolement et de disputes plus élevé et qu'elles retirent un moins grand plaisir des activités en commun. GOENJIAN (idem, ibidem.) décèle également, chez des survivants arméniens d'un tremblement de terre, un accroissement des disputes conjugales et des violences intrafamiliales. Par rapport aux affects, en plus de la dépréssivité et de l'anxiété, beaucoup de personnes ont des sentiments de honte, de culpabilité, de rage et de colère. Ces émotions négatives peuvent déclencher des conduites destructrices, comme l'abus de substances, dans le but de les atténuer.

JOSEPH et al. (idem) font remarquer que une rémission spontanée n'est pas rare, mais ils montrent que « pour certains événements, particulièrement ceux impliquant des morts et des destructions massives ainsi que des actes humains malintentionnés, les symptômes ont tendance à être plus persistants et à se chroniciser ». Ce qui est le cas dans la clinique Rwandaise actuellement.

2.2.2. Théories étiologiques du PTSD. 2.2.2. a. Introduction

Bien de chercheurs ont proposé des modèles étiologiques du PTSD. Nous citons entre autres le modèle proposé par l'APA et l'OMS dans le DSM et le CIM, le modèle cadre multifactoriel de MAERCKER, le modèles des structures de peur de FOA et KOZAL, les modèles du traitement de l'information comme celui de JANOFF-BULMAN, le modèle des schéma cognitifs modifiés de J. HOROWITZ, etc.

Dans les paragraphes qui suivent nous développons le modèle proposé par l'APA et l'OMS ainsi que celui des schémas cognitifs modifiés de J HOROWITZ. Le premier est retenu parce qu'il est le plus vulgarisé et le second car il s'inscrit dans l'approche cognitivocomportementale, une approche intéressante dans la prise en charge du PTSD .

2.2.2.b. Le modèle de l'A.P.A et de l'OMS

Comme le signalent les dernières classifications des troubles mentaux (DSM IV et CIM 10), le premier facteur étiologique du PTSD est la présence d'un événement stressant d'intensité extrême qui est vécu par la personne avec détresse.

Il est reconnu que cet événement provoquera un trouble semblable chez une bonne partie des gens qui y sont exposés.

Pourtant certains auteurs : YEHUDA et Mc FARLANE (1995) cités par P. LALONDE et col. (1999, p.380) remettent de plus en plus en question le lien causal postulé entre un événement stressant et l'apparition d'un tel état. «Il semble que l'existence d'une vulnérabilité personnelle pré traumatique soit un facteur nécessaire pour que s'installe un état de stress post-traumatique », défendent ces deux auteurs.

P. LALONDE et col. (1999) distinguent les facteurs biologiques, les facteurs psychologiques et les facteurs socioculturels. S'agissant des facteurs biologiques, ils montrent que suite à un événement stressant il y a libération des neurohormones (noradrénaline, adrénaline, vasopressine, etc.) en réponse ; ce qui aident l'organisme à mobiliser l'énergie nécessaire pour faire face au stress.

Concernant les facteurs psychologiques, les facteurs sociaux et culturels, ils écrivent : «l'expérience traumatisante bouscule les fondements psychologiques normaux : coutumes, valeurs, habitudes, régularité, etc. d'où l'apparition de l'insécurité et de l'inconfort. Elle brise les attantes du sujet quant à l'avenir d'où incertitude, elle défait les adaptations présentes, abolit les significations personnelles liées aux relations humaines. Or, l'attachement émotionnel est essentiel à la bonne santé mentale des enfants comme l'est le sens de l'existence pour les adultes. » P. LALONDE (1999 p.382). Ces auteurs regroupent les facteurs du PTSD en facteurs pré- trauma, les facteurs péri- trauma et les facteurs post- trauma.

Dans le cas du Rwanda, comme nous aurons à le signaler dans les chapitres qui suivront, les facteurs comme la nature de l'événement, les circonstances et la durée de victimation, le degré d'exposition, la signification, le degré et l'intensité de la menace (les gens étaient durant le génocide menacés d'extermination et pourchassés partout); mais aussi le manque de soutien socioculturel, exposition à d'autres événements stressants scènes ou situations rappelant le vécu stressant sont quelques-uns de ceux qui rendent le PTSD au Rwanda plus particulier et épidémiologiquement prononcé. C'est ce modèle qui établit les symptômes et critères diagnostics comme nous les avons relevés dans les pages précédentes .

2.2.2.c. Le Modèle des schémas cognitifs modifiés de J. HOROWITZ

Le modèle de John HOROWITZ (1976I1997) ; cité par MAERCKER, 2003 et B. STOCKLI, 2004, p.14) de même que les autres modèles du traitement de l'information comme celui de Janoff-Bulman (1985 I1995 ; cité par MAERCKER, 2003) considère qu'une modification des schémas cognitifs enregistrés en mémoire provoque le trouble. Ces modèles permettent une bonne explication des sentiments de détachement, d'étrangeté vis-à-vis des autres et d'avenir bouché, ainsi que des symptômes d'intrusion et d'évitement. Des schémas cliniquement importants qui peuvent être modifiés sont les schémas sur soi, sur les personnes proches, sur le monde. Par exemple, le schéma de l'image de soi d'une personne sûre d'elle pourra se transformer en quelque chose comme «je suis faible et vulnérable ». Pour J. HOROWITZ (1976 I1997 cité par B. STOCKLI, 2004) le changement du schéma de soi et de ses propres rôles est crucial. Lors de la phase d'activation des représentations schématiques, les symptômes intrusifs surviennent, provoquant une forte charge émotionnelle.

Pour contrer cette charge, des mécanismes de contrôle et de défense sont mis en place : évitement, déni, émoussement affectif, etc. Si ce contrôle cognitif n'aboutit pas pleinement, des intrusions surgiront, provoquant une plus forte charge émotionnelle et de nouvelles tentatives d'évitement.

Les nouveaux schémas restent activés en mémoire tant qu'ils ne sont pas intégrés à d'autres schémas, grâce aux liens faits par l'obtention de nouvelles informations et leur traitement. Le rétablissement ne survient donc, pour J. HOROWITZ, que si un travail intensif est accompli sur ces nouveaux schémas. Ce travail pourra aboutir spontanément si les mécanismes de contrôle ne sont pas trop forts, sinon une psychothérapie sera nécessaire. Pour reprendre l'exemple précédent, le schéma restera activé tant que la personne n'aura pas accepté le fait que dans certaines circonstances, et pas toutes, elle est effectivement faible et vulnérable .

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2.2.3. Le drame Rwandais dans l'étiologie du PTSD

« Lorsque l'ordre suprême ou l'extrême désordre érige l'assassinat de l'hôte, du parent, de l'être sans défense, du vieillard, de la femme et de l'enfant au rang de vertu cardinal, la folie meurtrière des hommes est alors à son apogée avec laquelle aucun animal, même le plus carnassier ne saurait rivaliser » M. MINARD & E. PERRIER (1999, p.17).

Les jours sombres de l'histoire du Rwanda débutent un vendredi 6 avril 1994, peu après le crash de l'avion présidentiel qui donna le coup d'envoie à un carnage sans nom : le génocide des Tutsi et les massacres des Hutu modérés. Cela fit un nombre horriblement record entre 800.000 et un million de morts, soit plus de 10% de la population du pays avec une moyenne de plus de huit mille morts par jour car le carnage aura duré seulement 100 jours !

Ce génocide était d'un aspect particulier comparativement aux autres : arménien, cambodgien et des juifs. En effet, il ne s'agit pas d'une race qui s'est mise à tuer une autre, d'un peuple contre un autre, c'était au sein d'une même population qui partageait la langue, la culture, la vie et la mort, bref qui partageait tout sauf rien . C'était des voisins, des amis, des compagnons de travail, de beaux-parents ou beaux enfants, des enfants ou des parents que le tortionnaire est incroyablement sorti.

Le bourreau n'a pas était nécessairement celui que la victime aurait soupçonné, mais souvent celui à qui on aurait pu confier son enfant pour lui donner à manger ou à boire ou pour le cacher une nuit car poursuivi par des extrémistes. Ce n'était pas un envahisseur étranger, mais souvent un voisin proche qui a tué.

En préface au livre sur le génocide Rwandais écrit par C. CALAIS, Patrick de St EXPERY écrit : « ... "Un crime sans nom " comme le disait Winston Churchill, innommable parce que justement il échappe à l'entendement en raison de son caractère officiel, parce qu'il est le fruit naturel d'une criminelle logique élaborée au coeur d'un Etat ? Parce que il est mis en scène, justifié, programmé, financé et finalement réalisé non par un homme mais par un appareil ? Qu'ils soient arméniens, juifs, cambodgiens ou Rwandais, tous ont été exterminés sur ordre d'un Etat ». (1998, p.2).

Ecrivant à propos du génocide Rwandais et ses conséquences, N. MUNYANDAMUTSA nous dit : «Rien ni personne n'a été épargné. Femmes, enfants, vieillards ont été exterminés non pas pour quelque chose qu'ils auraient fait, mais pour ce qu'ils étaient ». (2001, p.1) .

Les violences sexuelles ont été utilisées comme armes dans le but d'humilier la femme et de l'avilir, la déprécier afin de la faire souffrir tant moralement culturellement que psychiquement. La Fédération Internationale des droits de l'homme dans son rapport de 1997 consacré à ce sujet en donne les détails. «Le viol était largement répandu, les femmes furent violées individuellement ou en groupe, avec des objets tels que des bâtons ou des canons de fusil, tenues en esclavage sexuel ou encore sexuellement mutilées. Dans la plus part des cas, ces crimes furent infligés à des femmes après qu'elles aient été témoins de la torture et/ou du meurtre de leur famille et la destruction ou du saccage de leurs maisons. Certaines femmes furent forcées à tuer leurs propres enfants avant ou après avoir été violées ». (p.226).

Certaines situations avaient pour but de faire souffrir moralement la femme, son mari ou ses enfants. Il s'agit entre autres du viol de la femme devant son mari et ses enfants, viol des enfants devant leurs parents, le cas de garçon à qui l'on donnait l'ordre de violer leur mère ou soeur sous la menace des armes, etc.

Tout cela représente une impensable absurdité dans la culture Rwandaise où la pudeur et la discrétion sont de rigueur et où la sexualité même normale c. à d. permise est sujet entouré de mystères et tabous dans les relations parents- enfants.

La particularité des conséquences socioculturelles et sur la santé mentale individuelle et communautaire trouve aussi sa source dans la nature de la souffrance que la victime a vécue et comment il l'a vécue. C'est le cas par exemple d'avoir été jeté dans un charnier avec des cadavres de sa famille ; avoir été enterré vivant et avoir été miraculeusement sauvé par quelqu'un les ayant entendu pleurer ou crier car non achevés ; avoir échappé au massacre de la famille car ils étaient mieux cachés ou absents au moment des tueries.

Pour bon nombre de ces personnes, la survie est vécue comme un cauchemar, une sorte de trahison, marquée toujours par le complexe etIou la culpabilité du survivant (J. AUDET & J.F. KATZ, 1999). Les enfants en particulier ont des troubles traumatiques de tous ordres suite par exemple au fait d'avoir été trouvé mourant collé au cadavre de leur mère en décomposition ; avoir été trouvé vivant après plusieurs jours de solitude parmi les cadavres ; avoir été témoin de viol de ses parents ou de sa fratrie dans un état d'impuissance complète, etc.

Ces événements dramatiques traumatisants qu'ont vécu plusieurs personnes durant le génocide, la guerre et les massacres ont entraîné une souffrance psychique extrêmement complexe et compliquée qui embrasse le champ de la Psychiatrie et de la Psychopathologie .

En plus des réactions de mauvaise humeur, d'anxiété généralisée, de colère, d'isolement, de régression affective et intellectuelle, de dépression, de cauchemars, de peur intense, etc. qui se manifestent chez bon nombre d'entre eux, on assiste à une diversité de troubles psychiatriques associés au traumatisme. Ces troubles vont des troubles anxieux aux phobies diverses, les troubles de l'humeur, les troubles psychotiques, les troubles du comportement et surtout les troubles somatoformes et hystériformes qui, comme nous l'a confié un professionnel de santé mental au Rwanda interrogé constituent une des particularités de la clinique Rwandaise du PTSD.

Ecrivant à propos de cette problématique de santé mentale au Rwanda de l'après génocide, N. MUNYANDAMUTSA (2001, p.2) écrit : «La fin des massacres en juillet 1994 n'a toute fois pas représenté la fin des épreuves pour les Rwandais. Les disparus, les camps de réfugiés, les milliers de prisonniers, la lenteur de la justice, la paupérisation générale, les mines, l'insécurité représentent autant de facteurs peu propices à la guérison tant de la société que des individus. [ ...] Par ailleurs au niveau des individus, la mort des proches et des parents a entraîné la perte du ' confident' et augmenté autant la souffrance liée à un vécu compliqué par une extrême solitude » .Avant d'ajouter : «La situation a été compliquée par le fait que les lieux traditionnels de refuge, tels les hôpitaux et les églises n'ont pas non plus échappé à la folie meurtrière qui les a souvent transformés en charniers ».

Il déplore que ceux qui souffrent ne réalisent pas souvent leurs problèmes : « ...souffrance le plus souvent indicible, parfois même impensable car irreprésentable, la plus part des victimes ne se rendent pas compte de leur traumatisme, bien qu'elles présentent tous les signes caractéristiques de ces troubles : cauchemars, insomnie, maux de tête, crise d'angoisse etc. » (idem, ibidem).

Nous postulons que ce carnage Rwandais est au paroxysme d'un processus de destruction des valeurs, droits et devoirs qui caractérisaient la culture Rwandaise : la protection de la vie, de la femme et de l'enfant, la pudeur, la mutualité, la solidarité, etc.

Il est donc la cause principale des troubles psychiatriques divers et d'une destruction du tissu social dont le PTSD- maladie de l'incomplétude et de la rupture, traumatisme du non-sens -- constitue un des indicateurs les plus parlants .

2.3. PTSD, maladie de l'incomplétude et de la ruptur 2.3.1. Introduction.

Les Rwandais ont leur façon d'appréhender divers phénomènes qui se présentent à eux. Dans le domaine des maladies mentales, ils établissent différentes pathologies qu'ils attribuent à des étiologies diverses : possessions démoniaques, empoisonnements, ancêtres non honorés, malédictions etc. comme nous en parlerons au chapitre sur la culture et les maladies mentales.

Dans le cas précis du traumatisme psychique, qui paraît endémique au Rwanda, les Rwandais ont eu du mal à mieux cerner la problématique et à décrire, nommer la souffrance d'Etat de Stress Post- Traumatique. Ils ont parlé d' « /bisazi » (folie) de « Guhahamuka » (être dans la confusion) et actuellement de « Guhungabana » (être psychiquement déstabilisé). Ce dernier concept semble le plus commode et mieux exprimant cette réalité.

Dans les lignes qui suivent nous nous proposons de partir de ce qui donne sens à la vie des Rwandais pour décrire comment s'installe le non-sens traumatique. Nous esquissons un semblant de « cycle de vie » d'un Rwandais et montrons qu'à chaque étape où il arrive un événement qui empêche la poursuite du cycle, il s'installe un gap, et si cette incomplétude, cette rupture ne sont pas surmontées pour continuer le cycle normal, il y a diverses pathologies mentales dont le PTSD que nous appelons « Maladie de l'incomplétude et de la rupture » dans ces cas bien précis.

2.3.2. Esquisse d'un cycle de vie du Rwandais.

Les Rwandais croient et affirment qu'avant la naissance l'être humain existe. Cela est témoigné par des pratiques et rituels à l'égard d'une mère enceinte, au bénéfice de l'enfant en milieu intra-utérin. A l'arrivé au soleil, l'individu entre dans le monde des vivants qu'il quitte à la mort pour mener « une vie après la vie » (Raymond Moody). A. KAGAME (1979) parle de deux états de vie : Umuzima et Umuzimu et montre qu'il y a interaction, influence et même communion entre les personnes vivant ces deux états.

Cela se matérialise dans les pratiques de Kubandwa, guterekera. (B. MANIRAGABA, 1982). Les deux états de vie se traduisent dans les trois étapes existentielles selon le même auteur : kuvuka (naître), gukura(grandir, se développer) et gupfa (mourir) .

2.3.2.a. La naissance

Par manque de concept consacré pour désigner l'étape d'avant la naissance, disons seulement que c'est un état et une étape cruciale pour le reste de la vie de l'individu. (E. ERIKSON). Au Rwanda, les rituels et pratiques prénatales garantissent le bien être tant mental, intellectuel, physique, psychique et socio affectif du futur - né. Paradoxalement, durant le génocide et massacres et dans les camps des réfugiés, rien ne se faisait dans ce sens. Les femmes enceintes vivaient dans des cachettes, étaient poursuivies sous menaces de mort, tiraillées par la faim et le froid, sans espoir du lendemain, etc. Ce qui a eu des effets néfastes sur la santé mentale des générations qui sont nées après.

La naissance, qui signe le passage et l'arrivée dans le monde des vivants (abazima), est ponctuée, rehaussée au Rwanda, par des rituels et pratiques divers (A. BIGIRUMWAMI , 1974).Il s'agit entre autre de Kugenya(couper le cordon ombilical), gusiga (onction de nouveau-né), kwita izina (attribution du nom), kurya ubunnyano( communion dans le repas au cours de l'attribution du nom) etc.

Durant le drame Rwandais, presque rien ne s'est fait. Certains enfants sont nés dans des cachettes, dans les situations où l'on avait pas droit au plaisir pour le nouveau venu. Pour d'autres enfants, les parents ont été tués après la naissance, pour d'autres il n'y avait point de moyens matériels pour quoi que ce soit. Ces enfants sont sans repères. Ils n'ont pas de repères identitaires et n'ont pas été accueillis et intégrés dans la société : Les noms leur ont été donnés dans des orphelinats, n'ont aucune information relative à leur parenté ou à leur fratrie, n'ont pas bénéficié du maternage parental. Quelle devra être leur santé mentale si la société ne leur sert pas de cadre d'appartenance efficace ?

2.3.2.b. La puberté.

L'enfance détermine les autres étapes de la vie de l'individu. La croissance et l'éducation des enfants durant les jours sombres de l'histoire du Rwanda ont été les plus déplorables. A l'âge où ils devaient être éduqués aux valeurs humaines, à la morale et aux coutumes Rwandaises des enfants ont vu des gens tuer, massacrer et violer les femmes, si eux aussi n'en étaient pas les cibles. Ils se sont vus tués, blessés, maltraités dans leur innocence.

D'autres part, au lieu de bénéficier de bons exemples de la part des modèles adultes, certains enfants ont vu les adultes tuer, violer, maltraiter leurs collègues et voisins. L'enfant qui, à cet âge, est à la recherche du sens et de la signification des choses par l'exploration du milieu et l'explication des adultes, a vu s'installer dans son psychisme encore fragile et vulnérable, du « non sens » .

2.3.2.c. Le mariage

Dans la culture Rwandaise, le mariage est une cérémonie qui a pour finalité principale

d'unir et élargir les familles. GASARABWE dans son ouvrage «Le rituel du mariage coutumier au Rwanda» (1976) décrit ces étapes : kurambagiza, gukwa, ... kurongora. Cette dernière est le noeud de la cérémonie, elle est marquée par la consommation du mariage à travers le rapport sexuel des conjoints.

Les tristes jours de l'histoire du Rwanda nous ont fait vivre l'impensable. Certaines filles se sont faites épousées uniquement pour trouver refuge et protection, d'autres se « sont données » pour survivre un jour de plus. L'acte sexuel a perdu ses nobles finalités de plaisir pour les conjoints et de procréation; il a perdu son essence et a été banalisé. Le viol a été utilisé pour humilier la femme et la fille et les faire souffrir moralement.

L'extrait du rapport de la Fédération Internationale des droits de l'homme (1997) que nous avons cité illustre bien nos propos. Les violences sexuelles ont laissé des séquelles physiques et psychiques inséparables à plusieurs femmes en plus des troubles mentaux liés au stress du viol, il y a certaines femmes qui portent le VII-1ISIDA suite au viol qu'elles ont subi.

2.3.2.d. La mort

2.3.2.d. A. Tentative de description des rites post-mortem au Rwanda.

Le cérémonial entourant la mort contient des rituels et pratiques d'une grande

importance tant pour le défunt, les survivants que pour la cohésion et l'harmonie socioculturelle du groupe. Dans la partie qui suit, nous abordons en bref les rites funéraires au Rwanda tels que décrits parA. BIGIRUMWAMI (1974) et G. V. SPIJKER (1990). Les rites du cérémonial sont décrits selon trois phases : la phase de la mort, la phase du deuil, et la phase qui commence par l'enlèvement du deuil. (G.V SPIJKER. 1990, p.51).

A. 1 La phase de la mort.

Cette phase débute par kuraga (les dernières volontés) : quand un père de famille

sent ses forces diminuer et s'approche la mort, il réunit sa famille et fait son testament. Il s'ensuit l'annonce de la mort (kubika) qui consiste à annoncer le décès aux amis et connaissances. Les meilleurs amis et la famille étroite se réunissent et il y a préparation à l'enterrement qui consiste à « plier le cadavre » ( gupfunya) puis « Gusiga » « oindre » ou embaumement qui se fait après la toilette du défunt .

Après l'acte de dépouiller le défunt ( gucuza), il y a son habillement ( Kwambika ) qui est suivi par l'acte de traire en l'honneur du défunt ( Gukamira) et la phase de la mort se termine par creuser la tombe ( gushaka ishyamba) et enfin déposer la corps du défunt ( gushyingura). Chaque étape est un cérémonial riche de signification pour toutes les parties en jeu : le défunt, les survivants et toute la société comme nous en parlons plus largement dans les lignes qui suivent.

A.2. La phase du deuil ( Kwirabura)

Kwirabura : être noir, le noir étant la couleur qui symbolise la tristesse et le malheur est la seconde phase qui consiste en une vie menée à l'absence du défunt qui ne joue plus son rôle actif. Cette phase se caractérise par une série de prescriptions et d'interdits valables pour les membres de la famille nucléaires et pour l'entourage qui prennent fin par le rituel de Kwera (Blanchir).

A. PAGES, A. BIGIRUMWAMI, et A.KAGAME s'expriment longuement sur cette phase. La phase commence par le rite de raser la tête ( kogosha) selon lequel les frères du défunt rasent entièrement les cheveux des enfants et de la veuve. [Ce rite ne se fait plus actuellement]. Le rite de brûler l'arbre ( gucana igiti) s'ensuit . Ceci est signe qu'on veut écarter le noir, les ténèbres, le malheur. Les plaisanteries les plus ludiques pour soulever les rires traduisent aussi la volonté et le besoin de sortir de cet état.

Patienter ( kwihangana ) et l'abstention des rapports sexuels marque toute la phase du deuil qui se caractérise aussi par le chômage( igisibo). Après le décès, la famille étendue (umuryango), les amis et voisins jouent un rôle de réconfort et thérapeutique. L'entourage vient en aide (gutabara), apporte secours aux endeuillés et les jours suivants, les visites sont nombreuses, l'entourage vient alors présenter ses condoléances (kuyaga). Les visiteurs apportent de la bière spécifiquement appelée ibiyagano.

A.3 Levée du deuil (uiwera/ kwera)

Quoi que cette cérémonie ne se pratique plus comme décrit par A.BIGIRUMWAMI, A. KAGAME et G. V. SPIJKER, elle garde son sens et son importance actuellement. Cette phase de kwera (blanchir) signe la reprise des activités qui avaient été suspendues. Ainsi il y a reprise des rapports sexuels, des travaux champêtres et les vaches retournent aux abreuvoirs .

Pour clarifier ce qui vient d'être écrit ci haut qui ressort des recherches d'A. PAGES A.KAGAME, (1954), A.BIGIRUMWAMI (1990,1974), F. DUFAYS (1938) et PAUWELS (1958); faisons un certain nombre de remarques avec G. V. SPIJKER (1990, p.86) : « La forme de certaines rites a subit un changement, ou l'intervalle entre deux rites a diminué, les rites connaissent une tendance à la privatisation justifiée par diverses raisons ; les familles chrétiennes ont ajouté souvent de nouveaux rites introduits par l'Eglise. Des rites ont été supprimés ou remplacés par d'autres, surtout dans les manières de traiter le défunt. Mais tout cela n'a pas fait disparaître le sens et la signification socioculturels des rites funérailles au Rwanda ».

2.3.3 Interprétation des rites funéraires

Pour E. DURKHEIM, « les rites sont nécessaires pour véhiculer et revivifier la conscience collective des membres de la société et fonctionnent comme une garantie de la continuité de la société » (DURKHEIM, E., cité par G. V. SPIJKER 1990, p.103).

Cette conception de DURKHEIM a inspiré bien de recherches, celles qui intéressent notre sujet sont de R. HERTZ (1881-1915), d'A. Van GENNEP (1973- 1977) et de L. V. THOMAS (1988).

2.3.3.a. La contribution d'Arnold Van GENNEP

A. V. GENNEP a montré que les étapes importantes de la vie humaine (naissance, puberté, mariage et mort) sont marquées par toutes sortes de rituels qu'il a appelé des « rites de passages ». L'individu doit franchir un seuil entre deux phases de sa vie, seuil qui marque un changement du rôle qu'il est appelé à jouer dans la société. Les rites aident les individus au moment de cette transition et les préparent aux nouveaux rôles qu'ils doivent assumer dans une nouvelle étape de la vie.

Les rites de passage aident la société à assumer les changements provoqués par la naissance, l'initiation ou le décès des individus, les positions des membres de la société sont modifiées, remaniées et de nouveaux rôles sont répartis.

A. V. GENNEP a entrepris de déterminer le déroulement particulier de ces rites. Selon lui, il est toujours possible de distinguer trois moments dans ces rites de passage : la séparation, la marginalisation et l'intégration (dans sa terminologie : la séparation, la marge et l'agrégation) .

Les rites de séparation aident l'individu à se dégager des obligations et des rôles de la phase qui s'achève. La marginalisation est une étape intermédiaire où l'individu et le groupe se préparent à la nouvelle phase, et les rites d'intégration aident les participants à s'installer dans leurs nouveaux statuts. Pour des jeunes initiés par exemple, trouver leur nouvelle place, pour une famille endeuillée, reprendre les rôles que la société lui attribue, etc.

Ceci observé dans l'angle de notre sujet de recherche, il y a lieu de s'interroger d'un coté sur comment les membres de la société Rwandaise ont franchi ces différentes étapes de naissance, de puberté, de mariage et de mort. D'un autre coté, on interrogerait sur comment la société Rwandaise s'est comportée, comment elle s'est organisée au sortir de ces rites de passage qu'elle a franchi brutalement. Cela laisse postuler à des pathologies psychosociales de tous ordres, tant sur la dimension individuelle que communautaire. Des troubles qui résultent des dysfonctionnement qui ont marqué le passage mal fait de l'un ou l'autre de ces phases durant le drame qui a endeuillé le Rwanda.

2.3.3.b. La contribution de R. HERTZ

Dans ses recherches, R. HERTZ (cité par G. V. SPIJKER 1990, p.104) montre que les rites mortuaires ne peuvent pas être interprétés correctement si l'on comprend la mort comme un terme (une fin) de l'existence corporelle et visible d'un être vivant. Il fait remarquer qu'ils ne peuvent se comprendre que si l'on considère l'individu comme un « être social greffé sur l'individualité physique auquel la conscience collective attribue une importance, une dignité plus au moins grande ». (R. Hertz, 1907, p.128).

C'est la société qui a constitué l'être de l'individu et c'est elle qui lui a attribué une valeur sociale par des rites de consécration. La mort porte atteinte à la société qui, selon Hertz, « se croyant immortelle, est secouée par la mort de l'un de ses membres, ce qui remet en question la pérennité de la communauté ». Après la mort d'un individu, la société « traumatisée » doit donc retrouver l'équilibre et les rites servent à cela. Il est bien compréhensible qu'à l'intérieur d'une même société, l'émotion provoquée par la mort varie extrêmement en intensité selon le caractère social du défunt, les circonstances de sa mort, etc.

Qu'en est-il être dans la société Rwandaise qui a perdu les siens (enfants, femmes, adultes et vieillards) dans un carnage qui a emporté plus d' 1I10 de toute la population dans une centaine de jours, où certaines membres de cette même société étaient devenus des machines à tuer pour leurs semblables ?

R. HERTZ constate encore brièvement qu'il existe une analogie remarquable entre les rites funéraires et les rites de naissance ou du mariage. Tous ces rites expriment la transformation d'une existence (état de vie) en une autre, la transition d'un groupe à un autre. La naissance accomplit, pour la conscience collective, la même transformation que la mort, mais en sens inverse : à la naissance, l'individu quitte le monde invisible et mystérieux où son âme habitait pour entrer dans le monde des vivants. Phénomène inverse pour la mort.

Le mariage fait sortir la fiancée de son clan ou de sa famille pour l'introduire dans le clan ou la famille de son mari. Ces transitions ou transformations supposent toujours un renouvellement profond de l'individu, elles sont marquées partout par des rites, tels que l'imposition d'un nom nouveau, le changement de vêtements ou de statut social. Ici rappelons des interrogations que nous avions soulevées au sujet du mariage et de la sexualité durant le génocide et les massacres, et ce qui devait en être les conséquences.

En interprétant les recherches de A.V.GENNEP et de R. HERTZ, avec G.V.SPIJKER faisons remarquer trois notions en ce qui concernent les rites funéraires au Rwanda :

· L'idée de la mort comme phénomène social : Hertz fait une distinction entre l'individu physique et l'être social selon lui, ce qui provoque les rites ce n'est pas la mort de l'individu en tant que personne physique mais la mort de l'être que la société a reconnu tout au long de son existence par des rites de consécration.

La disparition d 'une personne adulte par exemple influence la société toute entière : comme père ou mère de famille, la mort est toujours une atteinte à toute la famille qui les a connus et à toute la société qui leur a attribué des rôles précis.

· L'idée que la mort induit à la fois une phase de transformation pour le défunt correspondant à une phase de transition importante pour les survivants : il y a transition d'un état d'umuzimu (esprit) ou roho pour les chrétiens à un état de parent protecteur (umukurambere) ou saintI patron ou ange gardien pour les chrétiens.

· Et enfin, l'idée de la structure des rites de passage selon laquelle les rites se déroulent en trois étapes : séparation, mise à l'écart et intégration .

2.3.4. La problématique du deuil dans l'étiologie du PTSD 2.3.4.a. Théorie sur la notion de deuil.

S. FREUD dans son ouvrage « Deuil et mélancolie »(1915, p.103) écrit à propos du deuil : « le deuil est régulièrement la réaction à la perte d'un être cher, d'une abstraction mise à sa place : la patrie, la liberté, un idéal etc. L'action de ces mêmes événements provoque chez de nombreuses personnes pour lesquelles nous soupçonnons de ce fait l'existence d'une prédisposition morbide, une mélancolie au lieu du deuil. Il est aussi très remarquable qu'il ne nous vient jamais en l'idée de considérer le deuil comme un état pathologique et d'en confier le traitement à un médecin, bien qu'il s'écarte sérieusement du comportement normal. Nous comptons qu'il sera surmonté après un certain laps de temps et nous considérons qu'il serait inopportun et même nuisible de le perturber ».

Plus tard (1938) à cette définition du deuil proposée en 1915, FREUD ajoutera que «Le deuil s'avère la réaction à la perte d'une personne aimée, comporte le même état d'âme douloureuse, la perte de l'intérêt pour le monde extérieur (dans la masure où il ne rappelle pas le défunt), la perte de la capacité de choisir quelque nouvel objet d'amour que se soit (ce qui veut dire que l'on remplace celui dont on est en deuil), l'abandon de toute activité qui n'est pas en relation avec le souvenir du défunt... » .

J. BOWLBY, dans « Attachement et pertes » (1980, p.86), définit le deuil comme étant un « ensemble de processus psychologiques conscients et inconscients, déclenchés par une perte » Il ajoute « le deuil sain est la tentative réussie chez un individu d'accepter l'existence d'un changement dans son environnement extérieur, suivi de la modification corrélée de son mode de représentation interne et de réorganisation voire la réorientation de son comportement d'attachement » (idem ibidem). Il décrit quatre phases que vont traverser les individus endeuillés : la phase d'engourdissement, phase de languissemment (manque), phase de désorganisation et de désespoir et enfin la phase de réorganisation.

E. KÜBLER- ROSS (1969) a étudié également les étapes habituelles du processus de deuil. Reprenons-les ci-après tel qu'inventoriée par E. GOLBETHER (1999 p.103). Il s'agit de : « le Déni, la Colère, le Marchandage ou Négociation, la Dépression et l'Acceptation ». Bien d'autres auteurs parlent du deuil, de son évolution et de son impact sur la structure de la personnalité ; de ces effets sur la santé mentale individuelle et communautaire ainsi que de ses revirements pathologiques. Il s'agit entre autres de M. HANUS (1994), J. JACQUES (1998), MOMBOURQUETTE (1994), Sir JACOBS (1993), M. L. BOURGEOIS, etc .

Dans la clinique Rwandaise de l'après génocide, guerre et massacres, nous rencontrons beaucoup de personnes qui souffrent de troubles mentaux divers liés en l'un ou l'autre de type de deuil vécu. S'il y a eu deuil normal, (ayant bien passé par les quatre phases) souvent il n'y a pas de pathologie. Mais en cas de deuil compliqué ou dysfonctionnel, de deuil pathologique, de deuil problématique ou de deuil compliqué (absent, différé ou retardé, deuil tronqué, deuil chronique ou deuil non terminé, on assiste à plusieurs pathologies mentales pouvant dégénérer en troubles psychiatriques graves. Parmi les troubles psychopathologiques pouvant apparaître suite au deuil, on peut rencontrer la manie, la mélancolie, la confusion mentale, le délire, les habitudes obsessionnelles, les phobies, la dépression , le PTSD etc.

Selon la phase à laquelle le blocage du processus de deuil a eu lieu, on peut trouver chez des personnes ayant perdu les leurs de symptômes suivant : absence de réaction à la perte, identification à des traits personnels du décédé, développement d'une maladie somatique, colère extrêmement exagérée, culpabilité, complexe du survivant, souffrance persistante sans raison apparente, cauchemars réitérés avec présence du défunt souvent) flash- back, réviviscence de certaines étapes de la vie avec le défunt, évitement phobique :par exemple, ne plus vouloir passer par tel ou tel lieu où il a vécu ou a eu lieu son meurtre, ne plus vouloir rencontrer des personnes soupçonnées être impliquées dans son assassinat, etc.), attaques de panique (par exemple être persuadé qu'un autre décès imminent vous menace ou menace les membres de sa famille), réactivation des symptômes aux anniversaires, troubles du comportement social (démission, isolement, absentéisme), alimentaire( anorexie, boulimie, alcoolisme) etc.

Dans « Deuil et mélancolie », S. FREUD (1915) réalise que comme tout ce qui suit un traumatisme (quelle qu'en soit la cause), une élaboration psychique est indispensable pour opérer une liaison entre les différents événements qui ont submergé le Moi du sujet. Le travail de deuil est donc un processus qui permet de rompre avec l'objet perdu et d'investir de nouveaux objets. C'est le couple « désinvestissement- investissement » ou « détachement- attachement » qui signe l'aboutissement du processus de deuil.

A l'occasion d'une perte d'un être cher, en plus de l'énergie psychique ou de l'économie psychique (S. FREUD, idem), la prise en charge de l'individu par la communauté le console et apaise ainsi sa douleur et son chagrin .

A ce sujet, T. NATHAN et col. dans « Rituels de deuil, travail de deuil » (1988, p. 39) écrivent : « En Afrique noire traditionnelle, on assiste à une prise en charge par le groupe du chagrin (ou de la douleur) du survivant. Le deuil social envahit en quelque sorte le deuil psychologique qu'il entretient, codifie et régularise ». Nous y revenons au sujet des travaux de L. V. THOMAS (1988).

Paradoxalement, le deuil social n'a pas été possible lors du génocide, guerres et massacres et exil au Rwanda. Des rituels de deuil comme nous en avons évoqués n'ont pas été possibles. Les événements ont fragilisé les individus (deuil et traumatisme de la perte) et les communautés (blessures communautaires). Et à l'absence des ressources individuelles et communautaires pour contenir les dégâts psychiques que devait entraîner le carnage, c'est le pire qui prévaut : les pathologies mentales de tous ordres dont le PTSD.

2.3.4.b. Contribution de Louis Vincent THOMAS et Tobie NATHAN

Dans un ouvrage collectif intitulé « Rituels de deuil, travail de deuil », T. Nathan et col. exposent leurs idées sur la problématique du deuil, et L. V. THOMAS consacre une grande partie à cette notion en Afrique noire. Il essaye de réfléchir sur la finalité des rites funéraires et leur tonalité affective. Il décrit les rites de deuil et de lever de deuil, questionne enfin le sens de ces rites et les leçons qu'on en tire. Ces interprétations révèlent l'aspect thérapeutique des rites entourant la mort tant pour le défunt, les endeuillés que toute la communauté en général.

L'auteur consacre une grande partie de son article à la discussion sur les concepts « d'être en deuil », «faire son deuil » et «porter son deuil ». Le premier désigne une situation de celui qui a perdu un être cher, le second l'ensemble des états affectifs que vit l'endeuillé et le voulant signaler son état par des marques extérieurs socialement imposées et reconnues. L.V. THOMAS explique que dans un processus de deuil bien passé, ces trois dimensions doivent être observées. De là, il distingue le deuil social, le deuil mental et le deuil psychologique .

2.3.4.c. Fonctions principales des rites

Pour les défunts : les rites sont de grande importance. « /l s'agit tour à tour, après l'avoir materné lors du mourir (ce qui facilite le travail du trépas) d'assurer sa présentification réelle ou symbolique afin de l'honorer, de l'interroger et de lui montrer à quel point on le regrette, de le purifier par la toilette, de le célébrer par des chants inventés à son propos, puis de lui convaincre que les rites sont parfaitement accomplis et de lui signifier son départ » (L.V. THOMAS. Idem, p.20).

Etre privé des funérailles ou n'avoir droit qu'à des funérailles tronquées (comme il a été le cas au Rwanda dans plusieurs circonstances) soit qu'on décède au loin (des substituts devraient être envisagés), soit qu'on meure de mauvaise mort, constitue la pire des choses : dévalorisation sociale pour les suivants proches qui n'ont pas pu accomplir ce qu'ils devaient faire et privation de survie pour les défunts.

Telles étant les deux issues redoutables comme nous l'avons évoqué dans la philosophie bantoue Rwandaise avec A. KAGAME, au sujet de la finalité de tout « exister ».

Pour les survivants : la finalité est aussi noble. «Le but essentiel des funérailles demeure sans conteste la codification et la réglementation du chagrin, donc la régulation du travail de deuil. (..). Une fois que l'on s'est acquitté envers le défunt de l'hommage que l'on leur devait et qu'on s'est soi-même libéré de l'angoisse par l'expression adéquate et réglée de ses sentiments, il ne faudra plus pleurer les morts mais les faire revivre en leur abreuvent par des sacrifices, en leur donnant des descendants, en travaillant aux récoltes futures, etc.» (L.V. THOMAS idem, p.21-22). A bien des égards, le rite funéraire devient une liturgie thérapeutique, surtout s'il s'agit d'un parent qui est décédé.

Pour le groupe: la finalité des rites s'exprime de deux façons : « tout d'abord, on doit permettre à la collectivité de transcender le désordre causé par la mort en assurant la punition des coupables (mourir est presque toujours le produit d'une agression) en apaisant les génies en courroux (en colère), en donnant satisfaction aux ancêtres, bref en feignant l'irruption du numineux impur. Ensuite, on peut dire des funéraires négro africaines qu'elles constituent une véritable remise à neuf de la société » (L. V. THOMAS, idem, p.22) .

L'auteur montre les objectifs du deuil à savoir : permettre au survivant d'expier son crime imaginaire (il aurait inconsciemment désiré la mort de l'autre), préserver les survivants d'éventuelles vengeances du défunt et enfin, ceci vaut tout simplement pour la veuve- le deuil constitue à bien des égards une conduite d'accompagnement pour le défunt. L'auteur cite un proverbe ivoirien qui justifie la situation : « si tu sèvres trop vite un jeune enfant, le froid le prend et il meurt : de même, si tu quittes trop vite ton conjoint mort, tu meurs à ton tours » (idem, p.38). L. V. THOMAS explique les différentes pratiques durant le deuil et la levée du deuil dont le boire et le manger et donne l'exemple des Nyamwezi de Tanzanie qui boivent ce qui ils appellent « la bière du deuil ».

Pour les Rwandais, cette conduite de boire et de manger s'explique comme suit :

« Manger, c'est vivre en donnant la mort, puisque manger donne la vie, tout en détruisant ce qui est mangé » (idem, ibidem). La mort, source de vie, tel est justement le principe dans lequel la société africaine et Rwandaise en particulier puisent la force de se revigorer avec l'appui du rituel funéraire.

Pour terminer avec les travaux sur le deuil et les rituels de deuil, disons que les défunts ayant été honorés et mis à « leur place », ne reviennent pas perturber l'équilibre psychique des survivants. Les différents rites et pratiques entourant la mort et mettant ensemble tous les gens de tous âges pour honorer et faire des adieux au défunt requièrent une étonnante efficacité thérapeutique tant individuelle que communautaire.

Conclusion du chapitr

Disons en guise de conclusion au présent chapitre que beaucoup de théories et recherches ont été développées sur le PTSD. Ce chapitre a essayé d'en faire une synthèse tout en proposant une tentative de théorisation s'inspirant des réalités Rwandaise et africaine. Nous concluons qu'une compréhension contextuelle du PTSD doit effectivement puiser de ces théories, lesquelles devront influencer aussi la prise en charge .

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Chapitre III THEORIE SUR LA CULTURE ET LES MALADIES MENTALES
3.0. Introduction

L'OMS définit la santé comme « Un état de complet bien être physique, mental et social et non seulement une absence de maladie ou d'infirmité » A partir de cette définition globale de la santé, nous pouvons dire que la santé mentale ne se réduit pas non plus à l'absence de pathologie ou de trouble mentaux, mais qu'elle constitue un état positif de bien être mental, bref, elle correspond à un état de bien être psychologique. Par là, nous pouvons facilement comprendre ce qu'est la maladie mentale. Cette dernière peut se comprendre selon J. THUILLIER comme:«... pas forcément un trouble de l'intelligence mais une difficulté à s'intégrer dans le monde par une perception erronée du monde». (1998, p15) .

La culture fait référence à « un ensemble de comportements et de coutumes, de valeurs, de croyances et d'attitudes, de règles de conduites implicites, de types de famille et d'organisation sociale, de tabous et de sanctions qui sont tous partagés par un groupe de gens qui ont une identité commune basée sur une unité ethnique et parfois territoriale. »

(De SILVA, 1999, cité par B. STOCKLI, 2004).

D'après ces définitions, il est incontestable qu'il y ait une étroite liaison entre la maladie mentale et la culture. La première s'exprime selon un langage et une logique culturelle données comme l'ont affirmé bien d'ethnopsychiatres et anthropologues.

Les spécialistes de la psychiatrie transculturelle et de l'ethnopsychiatrie donnent suffisamment d'épreuves sur le rapport entre culture et maladie mentale. Dans le présent chapitre, nous nous référons à G. DEVEREUX (1970,1972 et 1980), I. SOW (1977, 1982,1984), H. COLLOMB (1985), F. LAPLANTINE (1982), De SILVA (1999) et à bien d'autres auteurs ayant écrit sur ce sujet.

L'Ethnopsychiatrie est à entendre selon F. LAPLANTINE partant des idées du père fondateur G. DEVEREUX comme : « une recherche pluridisciplinaire qui s'efforce de comprendre la dimension ethnique des troubles mentaux et la dimension psychiatrique de la culture en évitant le double écueil qui consisterait l'un à relativiser toute la psychiatrie, l'autre à psychiatriser toute la culture » (1982, p.12). Il ajoute après G. DEVEREUX sa conception de l'ethnopsychiatrie. « Qui consiste en des pratiques psychologiques, sociales religieuses et des rituels à visée thérapeutique qui ne doivent absolument rien à des facultés de Médecine » (idem, p. 12) .

3.1. Conception africaine de la maladie mentale.

Dans les sociétés dites traditionnelles africaines, la maladie d'un individu est diagnostiquée par le devin ou le guérisseur comme le signe d'un déséquilibre et d'une perturbation des relations que le groupe entretien avec lui-même, avec le groupe et avec ses membres vivants ou disparus et qui se situe en dehors du malade. L'action thérapeutique qui est engagée dans ce cas est essentiellement collective, jouée par l'efficacité d'une parole consacrée, au travers d'un culte : elle consiste dans une tentative de rétablissement de l'équilibre menacée. Résumant son écrit, F. LAPLANTINE postule trois modèles de compréhension de la maladie mentale « soit sociologique: qui s'exprime à travers les représentations qui sont toujours religieuses, soit biologique : la perception de la maladie mentale en terme somatique et enfin soit les deux à la fois » (1982, p.15).

I. SOW, dans « Psychiatrie dynamique africaine », consacre une longue dissertation sur la conception de la maladie mentale et de sa thérapeutique en Afrique Noire. Il montre

« la nécessité d'une certaine conception de la notion de maladie mentale en fonction d'une certaine théorie de l'organisation et de la dynamique de la personnalité ; c. à- d. à partir de la conception que l'on a de sa structure intime, de sa genèse, de ses motivations, buts et finalités » (1977, p.8).

Il se pose la question de l'existence des faits psychiques humains à l'état brut ; le « fait brut » en question n'est -il pas nécessairement déjà pré- élaborée par le patient, puis en tant que tel, repris et « systématisé » par le praticien ( avec une marge d'incertitude ) s'interroge- t-il ? Il affirme à la même page qu' « il ne pourrait exister un méta système qui engloberait d'emblée et tout à la fois, les totalités méta théoriques occidentale, hindoue, africaine etc. ». En effet, chacun des système anthropologiques globaux développe, avec une technicité plus ou moins élaborée, une doctrine et une théorie de la personnalité (normale, perverse ou pathologique) en cohérence avec les faits des conduites réelles, imaginaires etc. d'ordre psychique total.

Se faisant une hypothèse de travail sur la conception du trouble mental dans son ouvrage « Psychiatrie dynamique africaine », I. SOW écrit : « En Afrique Noire traditionnelle, le trouble mental au plan du statut notionnel, est désordre par opposition à l'ordre culturel, car c'est une violence subie par un Ego (Moi) qui est conçu comme une totalité ordonnée, et constituée par une triple dimension polaire qui se situe :

- Verticalement : dimension phylogénétique : par rapport à l'Etre Ancestral (pôle majeur) sur « Lui » repose tout le reste.

- Horizontalement dimension socioculturelle par rapport au système des alliances et à la communauté élargie.

- Ontogénétiquement : dimension de l'Existant : par rapport à son individualité étroitement liée à son lignage et à la famille restreinte » (1977, p29-30)

Ces trois dimensions polaires fondamentales (verticale, horizontale, ontogénétique) permettent de situer, avec précision, la place de l'Ego, respectivement dans son Etre, dans son Identité et dans son Existence. « L 'Etre, l'Identité et l'existence définissent la consistance des éléments constituants de la personne --personnalité » (idem, P .30) .

Le trouble mental, somme toute, « c'est l'Ego violenté par la rupture, provoquée par une altérité agressive, de l'un ou l'autre de ses biens, issus des pôles fondamentaux constituants » (idem, p.30) .

Après le parcours de cette théorie d'I. SOW sur la conception de la maladie mentale, il y a lieu de jeter, un coup d'oeil sur l'étiopathogénie du PTSD. En fait, durant le génocide, les massacres et les guerres, la vie physique était menacée, l'existence aussi et il y a, comme nous l'avons évoqué, destruction des repères identitaires, rupture individuelle et communautaire, ce qui n'est pas loin de cette théorie d'I. SOW sur l'étiologie de la maladie mentale en Afrique.

3.2. Conception occidentale de la maladie mental

Ce qui est exposé ci haut est quelque peu opposé à ce qui se retrouve dans les sociétés occidentales. En effet, dans son ouvrage : « L'homme coupable, la folie et la faute en occident » (1992) E. PEWZNER expose la conception occidentale de la maladie mentale, qui, selon elle, « tire ses racines dans la culture judéo-chrétienne : dans le développement de l'individualisme du sens du péché ». La thématique de culpabilité est centrale dans la maladie mentale en occident, ce qui se traduit dans les troubles à dominante dépressive et mélancolique et la fréquence du suicide.

I. SOW s'exprime à ce sujet en parlant « d'une morale de la culpabilité latante, diffuse, permanente et inconsciente qui est constitutive de toute une psychologie de toute morale et d'une manière plus générale, de toute praxis fondée sur une anthropologie individualiste du sujet »(I. SOW ,1977. . 33) .

3.3. Esquisse d'une compréhension du PTSD à partir des théories Rwandaises et africaines sur la maladie mentale.

Il serait faire le naïf, dans le cas qui nous concerne, de chercher à interpréter et comprendre le PTSD dans une logique purement occidentale. En effet, comme nous avons essayé de le démontrer dans la littérature précédente, la culture doit être le socle à partir du quel doivent se faire les diagnostics et des propositions thérapeutiques en matière de santé mentale.

Au chapitre sur PTSD maladie de l'incomplétude et de la rupture nous montrons comment l'évènement stressant, hors du commun, fait irruption dans un cycle de vie normal, perturbe la continuation des choses, fait rupture, et installe par-là, une incomplétude, un traumatisme psychique dont la compréhension devrait absolument passer par l'élucidation de ce qui a été interrompu et de comment les membres de la société, et la société dans son ensemble s'y sont pris.

3.3.1. Première hypothèse de compréhension.

De notre point de vue une première théorisation du PTSD au Rwanda est à proposer. Il s'agit de comprendre le PTSD comme une brouille psychique, psychologique et socioculturelle à effets individuels et communautaires qui s'est installée dans un cycle de vie auparavant sain et a déconnecté, disjoint les maillons de la chaîne que constituait ce cycle de vie individuel d'une part et les relations inter-humaines d'autre part. La symptomatologie décrite en cas de ce qui est nommé PTSD -- dans la terminologie occidentale- serait donc une manifestation, un des indicateurs de cette brouille, de cette incomplétude, de ce non-sens qu'a installé l'événement stressant.

Eu égard à cette première hypothèse de compréhension du PTSD au Rwanda, il y a lieu de faire une liaison avec les critères diagnostics du DSM I>. Des critères comme réduction nette de l'intérêt pour les activités importantes, sentiments de détachement d'autrui ou de sentiment d'étrangeté, restriction des affects (exemple : incapacité à éprouver des sentiments tendres) sentiment d'avenir « bouché » (par ex : penser ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie ) etc. se trouvent justifiés .

En effet, étant déconnecté d'une chaîne dont on était maillon parmi tant d'autres, on n'a plus espoir de continuer à faire route, on éprouve un sentiment d'étrangeté par rapport aux autres, on ne peut plus avoir d'affects ou émettre des sentiments tendres envers des gens dont on ne sent plus l'appartenance au groupe.

Ayant connu un blocage, un arrêt à un moment précis dans son cycle de vie normal : un enfant bloqué à l'enfance, un adulte condamné à être toujours mineur et dépendant à cause des séquelles du traumatisme etc. vivra toujours un sentiment d'avenir « bouché » ; ne peut pas entreprendre des projets, faire carrière, se marier, n'espère plus à avoir un cours normal de la vie, etc.

3.3.2 Deuxième hypothèse de compréhension du PTSD

Au chapitre sur la problématique du deuil dans l'étiologie du PTSD, nous avons montré comment le manque de rituels entraîne des conséquences incalculables sur le plan sociocommunautaire et mental. Il est évident, comme nous l'avons montré, que l'équilibre psychique et socioculturel, après toute mort, repose sur la quiétude de toutes les parties impliquées : le défunt ; les survivants et la communauté au sens global, quand ''ils ne se font point de reproche au sujet de ce qui n'aurait pas été bien réglé''. Nous avons montré ce qui s'est passé dans le cas précis du Rwanda où presque rien des rites post-mortem n'a été fait. Et nous postulons que les symptômes de culpabilité et de complexe du survivant, de flash-back, de hallucinations en rapport avec les circonstances traumatiques, de peur intense, de sentiment d'impuissance et d'horreur, de reviviscence de l'événement traumatisant, des stimuli associés au traumatisme, etc. décrits par le DSM -I>, reflètent le fait de n'avoir pas « réglé » ce que l'on devrait régler pour ou avec le défunt. Par exemple lui réserver des rituels dignes et complets ; d'où remord et sentiment de culpabilité. Cela traduit aussi, comme nous l'avons souligné à propos des phases du processus de deuil, que son deuil se serait bloqué à l'une ou l'autre de ses phases et que le processus de « désinvestissement- investissement » de « détachement --attachement » (FREUD) n'est pas fait .

3.3.3. Troisième hypothèse de compréhension du PTSD

Se référant aux théories de A. KAGAME, A. MANIRAGABA, I. SOW, et F. LAPLANTINE on peut se permettre d'avancer une autre hypothèse de compréhension du PTSD au Rwanda, complémentaires aux deux premières-. En effet, le trouble mental étant compris comme « désordre par opposition à l'ordre culturel, car c'est une violence subie par un Ego (personnalité telle que construite par la culture de l'individu) qui est conçu comme une totalité ordonnée... » (I. SOW, idem, p.29) ; le PTSD se comprendrait comme désordre par opposition à l'ordre culturel, l'ordre culturel qui n'est plus, suite au processus de destruction de la culture et du tissus social comme nous l'avons montré.

3.3.4. Quatrième hypothèse de compréhension du PTSD.

A un autre point de vue, partant des idées de A. KAGAME et de B. MANIRAGABA sur la philosophie bantou Rwandaise de l'Etre, le sens de l'Existence et la finalité de la vie

c. à- d. la fin ultime pour les Rwandais ; ce qui donne sens pour les Rwandais ; les valeurs fondamentales de la culture Rwandaise, la conscience morale, les quatre piliers de la philosophie existentielle Rwandaise (kubaho, kubyara, gutunga & gutunganirwa) etc. nous avons connu leur pire figure et cela s'est traduit selon diverses pathologies mentales (individuelles et communautaires) culturelles et sociales. A un point de vue à la fois philosophique et psychologique, nous postulons donc que le PTSD est un « syndrome » indicateur de cet état des choses.

Conclusion du chapitre

Pour conclure le présent chapitre, disons que la complexité de la souffrance des Rwandais au lendemain du génocide, guerre, exils et massacres au Rwanda est telle, qu'elle peut s'expliquer de plusieurs manières selon les points de vue choisis. Une tentative de compréhension- quoique non exhaustive apporte du plus dans la voie de recherche des solutions, de thérapeutiques pour soulager tous ceux qui portent une impensable souffrance leur induite par l'absurdité de leurs semblables. Cette opération s'avère pourtant délicate et pas facile.

Les quatre modèles hypothétiques de compréhension du PTSD au Rwanda que nous proposons ici, ne sont que le fruit d'une modeste réflexion visant à éclairer la problématique du PTSD dans le contexte Rwandais. Dans les pages qui suivent, présentons le modèle d'analyse faisant office de synthèse, avant d'entamer la partie pratique du travail .

En guise de synthèse : MODELE D'ANALYSE.

Echecs et problèmes sur tous les plans: Social
Politique, Economique, Culturel, etc.

Guerres, Génocide, Massacres, Exil,
Paupérisation, etc.

Al'

A2'

A3'

A4'

A5'

-Méchanceté

 

-Tueries

-Foyers

-Perdre ses

-Isolement

-Sauvagerie

-Massacres

détruits

biens

-Stigmatisa

-Divisions

-Mauvaise

-Stérilité

-Vol

tion

-Mensonge

mort

-Etre non

-Indigence

-Inquiétude

-Escroquerie

-Etre mal

Prolifique

- manque

-Désespoir

-Egoisme

enterré ou

-Etre

de droits

- Rancunes

-Indécence

non enterré

parent ou

aux siens

-Haines

-etc.

-Mourir

enfant

-Vol

-Mésentante

 

loin des

indigne

-Non

-Discordes

 

siens

-Rester

assistance

-etc.

 

-Perdre les

sans

matérielle

 
 

siens

Proches

-etc.

 
 

-etc.

-Etc.

 
 

La culture et le tissu social au sortir du processus de destruction.
Ce sont les indicateurs de ce processus qui se traduiront à travers des problèmes de
tout genre dont les maladies mentales.
(ii)

BREF COMMENTAIRE

- Les rapports entre culture et maladies mentales s'observent (Hypothèse générale) ;

- On établit à partir de ce modèle d'analyse un rapprochement, un parallélisme entre les

indicateurs du processus de destruction de la culture et tissu social et ceux du PTSD;

(première hypothèse opérationnelle);

- La prise en charge du PTSD (iii) doit consister à éradiquer (ii) en puisant dans (i), en sublimant ou rétablissant les éléments de (i) détruits.( deuxième hypothèse opérationnelle)

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein