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Culture et traumatismes psychiques; comprehension et prise en charge psychologique du PTSD

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par Simon NSABIYEZE
Universite Nationale du Rwanda - Licence en Psychologie Clinique 2004
  

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Première partie : CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL
Introduction

Les événements traumatiques que traversent les groupes, les civilisations et les cultures façonnent leur destinée et influencent irrémédiablement le type de désordres psychiques que présentent les populations touchées par de telles catastrophes. En Afrique et au Rwanda en particulier, comme nous allons tanter de le prouver au cours de ce travail, la culture détermine la santé mentale individuelle et communautaire; la culture code donc l'appareil psychique. En effet, c'est elle qui trace des balises et détermine les critères de « normalité », de santé ou de maladie mentale.

Nous voudrions cadrer notre travail dans une logique éthnopsychiatrique. Nous entendons avec M-R. MORO et T. NATHAN l'Ethnopsychiatrie comme « La pratique de la psychiatrie réservant une part égale à la dimension culturelle du désordre et de sa prise en charge et l'analyse des fonctionnements psychiques » (1985, p.423). Nos postulats et hypothèses de travail s'inscrivent dans cette perspective.

Cette partie intitulée cadre théorique et conceptuel est une compilation de textes de grands chercheurs dans ce domaine que nous avons enrichi par nos commentaires et observations. Toujours dans le souci de mettre à l'épreuve nos hypothèses de recherche, nous avons choisi des recherches déjà faites ailleurs en Afrique et au Rwanda, qui servent de soubassement aux idées que nous avançons. La charpente de cette partie répond à cette exigence. Le l er chapitre est consacré à une large théorie sur la culture, et sur la culture Rwandaise en particulier. Le second porte sur le traumatisme psychique. Le dernier chapitre du cadre théorique est une discussion sur la culture et les maladies mentales ; elle s'achève par l'esquisse d'une compréhension du PTSD à partir des théories Rwandaises et africaines de la maladie mentale. Une synthèse faisant office de modèle d'analyse clôture la revue de la littérature .

Chapitre I. THEORIE SUR LA NOTION DE CULTURE

1.0. Introduction

La complexité et la diversité de la notion de culture sont incontestables. Elles semblent être les sources principales de la difficulté d'une action culturelle intégrée et efficace. En effet, le concept de culture qui est en circulation dans les média, dans les discours politiques, dans le langage populaire et dans le monde scientifique prête souvent à confusion.

Il est souvent confondu individuellement avec les manifestations culturelles; les traditions orales, des fois aux beaux-arts, à tout ce qui se rapporte au passé, etc. Pour mieux cerner cette notion, dans le présent chapitre, nous brossons les différentes conceptions de la culture avant d'en déduire une définition. Nous nous attardons sur la culture Rwandaise et parlons en long et en large de ses composantes majeures et de ses caractéristiques.

Avant de clôturer le chapitre en parlant du processus évolutif qu'a connu la culture Rwandaise, nous parlons de ce qui donne sens à la vie des Rwandais selon la philosophie et la psychologie Rwandaises.

1.1. Les conceptions de la cultur

1.1. a. La conception humaniste

Culture est un terme ambigu qui se réfère tout d'abord à une conception humaniste de l'homme; elle est définie comme : « Le développement particulier de certaines expressions de l'activité humaine considérées comme supérieures à d'autres : on dira d'un individu qu'il a de la culture pour désigner une personne ayant développé ses facultés intellectuelles et son niveau d'instruction. Dans ce sens, la notion de culture se réfère à la culture de l'âme ('Cultura animi', Cicéron) pour reprendre le sens original du terme latin 'cultura' qui désignait la culture de la terre ». (G.N. FISCHER, 1990, p4).

Au second niveau, la culture englobe l'idée de raffinement. On dira que quelqu'un est cultivé s'il possède de bonnes manières, signes d'une élévation de l'esprit : « Culture is the training and raffinement of mind » (HOBBES, 1958). La culture intègre sur ce plan un savoir qui traduit la bonne socialisation d'un individu .

C'est l'anthropologie qui donnera à la notion de culture une signification nouvelle pour désigner non plus les qualités personnelles à connotation humaniste, mais « des manières d'être en société qui varient selon les groupes et sont notamment déterminées par des valeurs, des usages et des représentations qui leur sont propres ». (G.N FISCHER, 1990, p.4).

1.1. b. La conception anthropologiste.

C'est à TAYLOR (1964) cité par G.N FISCHER. (1990, p.5) que nous devons une des premières définitions de la culture selon l'approche anthropologique. Il écrit : «La culture ou civilisation prise dans son sens ethnologique large est cet ensemble complexe englobant les connaissances, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes ainsi que les autres capacités et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société ».

MALINOWSKI, à partir de son expérience dans les îles Trobriandaises propose une conception presque similaire. Nous préférons pourtant celle de LINTON (1945,1968) qui montre que la culture est une totalité qui concerne l'ensemble des manières de vivre caractéristiques d'une société particulière. Il montre que la culture détermine les types de personnalité dont les expressions sont communes aux membres d'un groupe dans la mesure où les différents comportements sont organisés dans un ensemble modelé. Pour Linton donc «La culture et la configuration des comportements appris dont les éléments composants sont partagés et transmis par les membres d'une société donnée ». (LINTON, 1945).

1.1. c. La conception sociologique

Durkheim qui n'utilise pas le concept de culture donne à l'idée d'« activité sociale » le même contenu que celui que les anthropologues donnent à celle de culture : «l'activité sociale comporte les manières d'agir de penser et de sentir extérieures à l'individu et dotées d'un pouvoir de coercition qui s'impose à lui ». (E. DURKHEIM, 1978).

Pour lui, la culture est à concevoir comme le progrès intellectuel et social de l'homme en général, des collectivités, de l'humanité. Cette conception sera reprise par la sociologue américaine MERTON en 1940 qui définit la culture comme «l'ensemble des moyens collectifs dont dispose l'homme (ou la société) pour contrôler et manipuler le milieu dans lequel il vit ». (MERTON, 1940. cité par G.N FISCHER idem, p.7).

1.1.d. La conception psychanalytique

FREUD (1938) a donné à la notion de culture une définition qui l'apparente à celle du Surmoi. «La culture humaine (...) comprend d'une part tout le savoir et le pouvoir acquis par les hommes pour maîtriser les forces de la nature, d'autre part, toutes les organisations nécessaires pour régler les relations entre eux » .

Dans cette perspective, la culture se traduit par les diverses formes d'interdictions, qui s'établissent, notamment par rapport aux pulsions de mort ou de vie.

Sur un autre plan, la culture exerce un rôle de protection: d'une part contre les dangers et les forces de la nature, d'autre part, contre la fragilité de l'homme. A cet égard, un des éléments essentiels parait être, selon Freud, la religion; qui place les individus sous la protection bienveillante d'une providence fournissant par là --même un élément de consolation essentiel à la détresse humaine. Pour la psychanalyse, la culture apparaît ainsi à la fois comme un élément de maîtrise de la nature et du destin, en proposant un certain nombre de moyens pour se défendre contre les dangers et les menaces.

1.2. Vers une définition de la cultur

Il est de mise de parler de la culture un peu partout et à tout propos. Or, la notion de culture est l'une des plus vastes qui soient dans le domaine des sciences sociales et l'une des moins bien définies. Des dizaines de définitions qui se sont présentées dans le parcours de notre vaste bibliographie sur la culture, nous en retenons deux : La première parce qu'elle tire ses origines dans la sociologie et admise par beaucoup de sociologues, la seconde parce qu'elle donne le contenu, les fonctions de la culture et qu'elle est admise par biens de psychologues cliniciens dont Evelyne SECHAUD (1999).

La première définition nous est proposée par G. N. FISCHER (1990, p.8) : «La culture est l'ensemble des modalités de l'expérience sociale, construites sur des savoirs appris et organisés comme des systèmes de signes à l'intérieur d'une communication sociale qui fournit aux membres d'un groupe un répertoire et constitue un modèle de significations socialement partagées, leur permettant de se comporter et d'agir de façon adaptée au sein d'une société ».

La seconde nous vient de J.P. MARTINON dans l'Encyclopédia Universalis s'appuyant sur KROEBER& KLUCKOHN (1952) qui utilise le concept de culture aussi bien pour décrire «Les coutumes, les croyances, la langue, les idées, les goûts esthétiques et la connaissance technique que l'organisation de l'environnement total de l'homme, c. à -d la culture matérielle, les outils, l'habitat et plus généralement tout l'ensemble technologique transmissible régulant les rapports et les comportements d'un groupe social avec l'environnement ». (1965) .

1.3. Les fonctions de la cultur

La culture remplie plusieurs fonctions psychosociales qui sont parfois distinctes et plus fondamentales que celles des autres institutions; car elles concernent une société dans son ensemble.

Une première fonction de la culture consiste à identifier ses membres à travers les manières de penser et de vivre qui leur sont communes et qui en conséquence, leur confèrent une identité collective.

La seconde fonction de la culture est de proposer à une société des modèles, c.-à-d. des matériaux à partir desquels elle construit ses modes de vie, en établissant les canaux qui ont présidé à son organisation comme des cadres qui façonnent les conduites de chacun.

Enfin, toute culture façonne la personnalité en lui imprimant des façons de se comporter, en orientant ses goûts, en lui dictant des préférences pour certains objets et une indifférence ou un rejet pour d'autres, etc. Dans ce sens, la culture apparaît comme la traduction de tous les faits et gestes, modulés par des codes sociaux en univers cognitifs qui déterminent les modes de communication (pathologique ou saine), les formes de reconnaissance des intérêts ou divergences et constitue ainsi une manière de vivre en société.

La culture donne donc une grande cohérence aux conduites des individus, en leur « conférant une personnalité de base constituée par l'ensemble des éléments culturels qui vont façonner les traits de personnalité de chacun ». (KARDINER, 1939 cité par G.N FISCHER idem p.15). Ainsi, ses composantes principales sont des systèmes de pensée en vertu desquels chacun agit sur la réalité; les systèmes de défense qui sont l'ensemble des moyens institutionnels permettant de résister aux angoisses crées par les frustrations de la réalité, le surmoi qui définit la tendance à être reconnu par les autres ; les attitudes religieuses, etc.

En conséquence, la culture a pour fonction de dynamiser les conduites de l'homme à travers le support cognitif et affectif qu'elle lui fournit. Elle est, somme toute, le déterminant principal de la santé et la maladie mentale des membres de la société et de la communauté toute entière .

1.4. A propos de la culture Rwandais

Dans l'avant propos de son fameux ouvrages Les sacrifices humains antiques et le mythe christologique, B. MANIRAGABA écrit : « Aucune culture n'est supérieure à une autre. Ce principe doit désormais présider à toutes les relations entre les hommes de différentes cultures. » (1983, p.3).

Ceci renforce l'idée que nous avons déjà émise que la culture est universelle mais pas une, que toutes les cultures sont égales et qu'il n'y a pas de « culture » et de «sous- culture ». Ce qu'il y a, qui fait la différence des peuples, c'est la manifestation de ces manières d'être, d'agir et de penser propres à un groupe donné dans une logique, un lieu, un espace et une époque déterminés. La culture s'exprime dans chaque communauté humaine à travers la diversité infinie des actes et des échanges par lesquels les hommes donnent un sens à leur vie et s'inscrivent dans l'histoire. Dans les paragraphes qui suivent, nous procédons à l'analyse de la culture Rwandaise, son contenu, son évolution etc. en lumière des théories et travaux déjà existant sur ce sujet.

1.4.1. Contenu et composantes de la culture Rwandaise.

La culture Rwandaise a plusieurs composantes qui sont propres aux Rwandais, les caractérisent et les distinguent des autres. Nous citons quelques-unes: attitudes, valeurs, croyances, rites et cérémonies, capacité de créativité, d'innovation et d'invention, mode de vie et coutumes, modes de pensée, sciences, technologie, langue et littérature, art, loisirs et folklore, mythes et symboles, histoire, la production et la distribution des biens matériels, etc.

B. MANIRAGABA termine son exposé sur la culture Rwandaise et ses composantes en montrant les attributs principaux d'un «Rwandais de culture ». Il s'agit d' Ubupfura (noblesse, grandeur d'âme ou de caractère, noblesse morale), Uburere bwiza (éducation, bonne moeurs), Ubunyangamugayo (sagesse-intégrité), Ubudahemuka (fidelité), Ubugabo(courage, bravoure), etc. qui devraient caractériser tout Rwandais qualifié d'intégré dans sa culture et en harmonie avec cette dernière .

Après avoir inventorié ces éléments composant la culture, il y a lieu de mettre au clair les quatre regroupements des composantes principales de toute culture :

· Une composante matérielle formée par les outils et les techniques de production : la culture matérielle,

· Une composante sociale constituée par l'ensemble des relations sociales, visant à assurer à la fois la reproduction et la subsistance des membres de la société Rwandaise ainsi que la coordination de ses activités,

· Une composante normative établie à partir des règles qui régissent le fonctionnement de la vie collective,

· Et une composante symbolique caractérisée par les croyances et les représentations.

1.4.2. Ce qui donne "sens" à la vie des Rwandais

Pour aborder ce paragraphe, nous nous proposons de parler de la philosophie Rwandaise de l'Etre à travers les oeuvres de deux grands penseurs et écrivains Rwandais : A. KAGAME et B. MANIRAGABA. Quoique que n'ayant pas exprimé avec les mêmes concepts leurs idées, il est clair qu'ils se complètent et parlent d'une même réalité : ce qui donne sens à la vie des Rwandais, ce que poursuit le Rwandais dans son existence, la fin ultime du Rwandais, etc.

1.4.2. a. La pensée de B. MANIRAGABA sur le sens de l'existenc et la finalité du Rwandais.

Dans une dissertation sur la conscience morale des Rwandais (Umutima mbonezamuco) qui pour B. MANIRAGABA « est ce qui prescrit à quelqu'un de faire du bien et l'interdit de faire du mal »(1987, p.58), cet auteur commence par montrer la nécessité de fouiller pour établir l'idéal d'existence, de bien - être intégral que poursuit tout Rwandais. Il le résume en quatre concepts : Kubaho (exister, vivre) kubyara(enfanter) gutunga (posséder) et gutunganirwa (vivre heureux, tranquille en paix, dans la prospérité).

Pour étayer son postulat, il cite M. d'HERTEFELT et A. COUPEZ dans leur ouvrage: «La royauté sacrée de l'ancien Rwanda; texte, traduction et commentaire de son rituel» (1964). Il montre un certain nombre de voeux de bonheur à l'intention des hommes, femmes, enfants, vaches, Roi et le Rwanda en général .

Il s'agit de huit éléments suivants que nous avons traduit en Français :

· Guhora ari isugi (rester immaculée, sans souillure morale, sans avoir perdu un membre de sa famille)

· Guhorana amata(avoir toujours du lait, demeurer prospère)

· Guhorana inturire n'ubuki (avoir toujours ce qui a bon goût)

· Guhorana ubuhoro(avoir toujours de la quiétude)

· Guhorana imbuto (avoir toujours de la progéniture)

· Kugira umutima (être de bon Coeur, de bons sentiments, avoir de la bonté)

· Kuba umurame (demeurer vivace, jouir d'une longue vie)

· Guhorana Imana (ku byerekeye umwami: rester sacré)

Dans la pensée philosophique Rwandaise, quand une personne réunit ces quatre éléments, qu'il vieillit et meurt bien, entouré des siens, on dit qu'il trépasse (atabarutse). Dans la vie de l'au delà il sera considéré comme parent (umubyeyi) ancêtre (umukurambere) et non comme défunt (umuzimu) ; il recevra igicumbi (siège réservé au seul maître de maison) et n'est jamais oublié, plutôt honoré.

1.4.2.b. La pensée d' A. KAGAME sur le sens de l'existence et la finalité du Rwandais.

Les idées d'A. KAGAME se retrouvent exposées surtout dans deux de ses ouvrages : La philosophie bantu- Rwandaise de l'être (1956) et La philosophie bantu comparée (1976). Dans les lignes qui suivent, il est question d'un bref exposé reflétant cette pensée, s'appuyant sur ces deux ouvrages mais aussi sur l'ouvrage écrit après KAGAME : Les perspectives de la pensée philosophique bantu- Rwandaise après A. KAGAME , par B. MANIRAGABA (1985).

A. KAGAME reconnaît l'universalité de la culture humaine : « culture de l'homme comme être doué de l'intellection et de la volition» mais n'ignore pas la particularité de chaque peuple. Il écrit par exemple : « chaque culture doit avoir un système régional de son expression philosophique, mais ce système est appliqué à un problème universel qui ne se limite pas à telle culture ou telle autre en particulier mais s'étend à tout ce qui est homme ou être doué de l'intelligence » (1956, p.79) .

A. KAGAME montre que l'homme a été crée pour servir et se servir des autres

créatures et fait une double conclusion sous forme de principes métaphysiques :

« Les facultés spécifiques de l'homme étant l'intelligence et la volonté dont les actes respectifs sont l'intellection et la volition (l'amour), l'homme a été créé pour connaître et pour aimer.

· Comme les êtres obvis de l'univers sont en fin de compte des tableaux explicatifs de la nature de leur Créateur, l'homme a été créé pour connaître et aimer Dieu ». [Qui s'observe à travers l'homme qu'il a créé en son image ajouterions- nous]. A. KAGAME prend un temps suffisant pour expliquer les états de vie. Il évoque les

notions d'abazima (hommes vivants), abazimu (hommes défunts), roho (âme) etc. et passe au

problème de la fin ultime de l'homme en philosophie bantu Rwandaise.

Concernant le pourquoi de l'« exister »de l'homme, A. KAGAME écrit : «Notre philosophie connaît certes le problème de l'immortalité et de l'éternité des esprits résolus et admis de vielle date. Or, cet «exister sans -fin » dont le Rwandais se sent le désir inné doit être incarné dans la réalité actuelle, comme les autres principes métaphysiques... ».

Ainsi, d'après lui, le plus grand bien que l'« existant vivant» puisse désirer étant la continuation sans fin de son «exister» qui permet la jouissance des autres biens, le Rwandais conscient de la nécessité de devoir mourir un jour, a adapté ce désir de l'exister- sans- fin à la possibilité qu'a l'homme de se survivre dans la descendance. A. KAGAME cite un parmi de nombreux dictons sur ce sujet : `Indishyi y'urupfu ni ukubyara' (le contre- poids de la mort c'est engendrer). De plus, cette philosophie est basée sur l'observation de la structure complète de l'homme qui est l'homme et femme et donc orientée vers la perpétuation par génération. Il conclut donc que le « but, la fin des deux sexes est la réalisation de la fin ultime de l'existant vivant d'intelligence ». (Idem, p.370-371) .

Passant à ce qu'il appelle «La formulation culturelle de la fin ultime de l'homme », A. KAGAME cite beaucoup de formules de voeux de bonheur, d'imprécations (ibitutsi) malveillantes et d'autres expressions de la vie quotidienne Rwandaise qui ont la fécondité, la stérilité ou la privation de la descendance par la mortalité pour centre d'intérêt. Reprenons quelques unes :

· Uragatunga (que tu sois grand propriétaire )

· Urakabyara (puisses-tu engendrer )

· Uragaheka (puisses-tu tenir un berceau )

· Gapfe utabyaye (que tu meurs sans avoir engendré )

Kavune urugori (que tu perdes un enfant au berceau)

Uragasiga ubusa (que tu laisses le rien pour descendance)

Apfuye bucike (il est mort déraciné)

Bapfuye barimbutse (ils sont exterminés sans laisser de rejeton)

Inzu yabo irazimye (leur famille devient cendre froide, s'est éteinte)

Etc.

(KAGAME A.1956 p.373 et MANIRAGABA B. 1985, p183) .

Pour se résumer, A. KAGAME affirme que la philosophie bantu Rwandaise établit

que : «

Les êtres ont l'homme pour fin ;

L'homme a pour" fin ultime " la perpétuation de son " exister vivant d'intelligence ", par le moyen de la procréation, ce qui revient à dire que la procréation est sa fin ultime"; Comme le plus grand malheur qui puisse arriver à un être, en toute philosophie, et de manquer sa fin ultime ; ainsi, le plus grand malheur qui puisse arriver à un existant vivant l'intelligence est de mourir sans descendance ». (idem, p.374).

1.4.3. Le processus de destruction de la culture Rwandais

En caractérisant la culture, il est dit que celle-ci est à la fois un phénomène social (c.-à-d. mettant en jeu les membres d'une société dans leurs productions et acquisitions sociales) et un modèle (c.-à-d. englobant des comportements, conduites, attitudes etc. standardisés construits en conformité à un modèle certes flexible mais normatif et efficace). La culture est décrite enfin comme un processus. En fait, en tant qu'ensemble de manières de vivre standardisées, la culture n'est pas le fruit de l'hérédité mais le résultat d'un apprentissage, qui se fait selon deux processus : la socialisation et l'enculturation.

Qu'en a-t-il été dans l'évolution de la culture Rwandaise si l'on tient compte de la récente histoire du Rwanda ? Examinons ce processus en nous référant aux différentes composantes et fonctions de la culture, ses caractéristiques, son contenu, mais aussi et surtout ce qui s'est passé au sujet du cheminement des Rwandais dans l'épanouissement et la réalisation de leur " fin ultime" et de leur conception du bien et du mal .

A. BIGIRUMWAMI nous présente du matériel d'analyse suffisant de la problématique dans son ouvrage «Imihango n 'Imigenzo n 'Imiziririzo mu Rwanda ». (1974). Si nous regardons d'un oeil critique et évaluatif ce qui s'est passé au Rwanda et la situation socioculturelle actuelle au Rwanda eu égard à ce qui est écrit par BIGIRUMWAMI, le constat s'avère très alarmant. La société Rwandaise est devenue quasiment anarchique en matière culturelle, la culture étant entendue comme ensemble de rituels, pratiques, us et coutumes, valeurs, etc. qui donnent sens à l'existence d'un peuple, le caractérisent et le distinguent des autres. En effet, la société Rwandaise a banalisé la naissance, la vie et la mort, le deuil et d'autres pratiques qui articulaient le tissu socioculturel Rwandais.

Les valeurs culturelles ont été foulées au pied, certaines pratiques suspendues, d'autres coutumes oubliées ou ignorées, des interdits (imiziririzo) ont été bafoués etc. C'était en quelque sorte le premier pas vers l'instauration d'une anarchie culturelle sans précédent avec des conséquences qu'on pourrait s'imaginer.

Certaines valeurs culturelles ont connu une dévaluation jusqu'à être, à un certain niveau, totalement oubliées. Par valeur, entendons selon G.N. FISCHER (1990, p.16) « Une conception explicite ou implicite du désirable à un groupe particulier à un individu ou caractéristique à un groupe et qui oriente les modalités et le sens de leur action ».

Les valeurs se présentent d'abord comme un ensemble d'idéaux qui servent de critères d'évaluation des individus, des conduites et des objets. Elles s'organisent autours d'objectifs occupant une place centrale dans le système et c'est à partir d'eux que s'ordonnent des objectifs secondaires dans un ordre hiérarchique désigné par le terme d'échelle de valeur. Elles s'expriment à travers des statuts et rôles sociaux.

A certaines époques de l'évolution de la culture Rwandaise, à certains moments et circonstances, les notions comme Ubupfura, Uburere bwiza, Ubunyangamugayo, ubudahemuka, Ubutabera, Ubwitonzi, ubugabo, ubutwari, etc. qui étaient des vertus fondamentales dans la culture Rwandaise ont été ébranlées. Elles se sont vues interprétées et manifestées dans leur envers, ce qui ne devait produire que des résultats à l'envers. Pour les mêmes causes, les mêmes effets.

Dans certaines circonstances, les droits et devoirs sociaux et culturels des uns envers les autres se sont vus piétinés etIou ignorés. Or, aucune culture digne de ce nom n'ignore les droits des siens. Les quatre piliers d'une vie digne, vivable et ayant du sens selon MANIRAGABA: Kubaho, kubyara, gutunga et gutunganirwa ont été, à certains moments et pour certaines gens, chose à quoi ils n'avaient plus droit, comme s'ils avaient perdu leur "rwandité" .

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1.5. A Propos du tissu social Rwandais

1.5.1. Introduction

Le concept fort complexe de tissu social peut être défini comme : « un ensemble de relations d'interdépendances et de dépendances qui relient les individus à l'intérieur de différents groupes auxquels ils adhèrent au sein d'une nation où ces groupes se forment tout en tenant compte des normes sociales et des modes acceptés et approuvés de la vie sociale organisée dans une communauté donnée. » J.C. GASHEMA (2000, p.26).

Dans les paragraphes qui suivent, nous asseyons de parler de ce qu était le tissu social Rwandais à la veille de sa destruction, de son processus de destruction ainsi que des indicateurs de cette destruction à la lumière des études déjà réalisées sur la problématique.

1.5.2. Le tissu social Rwandais à la veille de sa destruction et son processus d destruction

Pour comprendre l'enjeu de cette destruction que nous avançons, il faut d'abord saisir ce qu'était ce tissu à la veille de sa destruction. P. BIMENYIMANA (1999) fait une analyse intéressante, bien que parfois simpliste dans sa façon d'idéaliser le passé, des caractéristiques de la société puis de ses changements en partant de l'évolution socioéconomique du Rwanda pour la période de1900 à1994. Il montre que les valeurs traditionnelles Rwandaises sont « la générosité, l'abnégation, le renoncement, le sacrifice personnel, la bravoure, la vaillance l'assistance etc. » Il écrit « L'objectif ultime de cette solidarité des Rwandais traditionnels était la poursuite du bien général du groupe entier et non celui de l'individu pris isolement »(idem p1 1). Le concept d'individualisme s'effaçait au profit des notions de famille, de lignage et de clan. Les individus ne se suffisaient pas eux -mêmes, ils avaient besoin de la communauté. Pour des travaux pénibles on faisait appel aux voisins.

Citant l'Abbé MULANGO et D. NOTOMB, P. BIMENYIMANA (1999, p.92) écrit : « dans la vie pratique, tout l'effort des Banyarwanda tend au maintien de la solidarité entre les membres (vivants ou décédés) de la communauté, et à faciliter la communication et la circulation de la vie ».

E. MUNYURANGABO (1999, p.12) insiste également sur la force de la solidarité et de la collaboration dans la tradition. « Comme unité de vie, la famille assurait un équilibre et une protection à ses membres et réduisait le sentiment de solitude, et d'isolement. Par conséquent, le système était très bénéfique à la santé mentale individuelle et collective ».

Durant les jours sombres de l'histoire du Rwanda, les femmes, les enfants, les jeunes et vieux, les religieux, les enseignants, etc. se sont adonnées à des atrocités. Des personnes ont tué des amis, des collègues, des voisins jusqu'à des membres de leur famille nucléaire. Ceci a eu pour conséquence une perte de confiance fondamentale en autrui ce qui est un indicateur d'une déchirure du tissu social.

Le processus de destruction de la culture et du tissu social Rwandais a comme conséquences entre autres les évènements marqués par la violence depuis les années 1990, le point culminant a été marqué par le Génocide et ce qui s'en est suivi comme l'exil, la paupérisation générale, etc. Cette déchirure est à notre avis un aspect très important pour comprendre le Rwanda actuel et ses défis socio-économiques, sanitaires, etc.

1.5.3. Quelques indicateurs de cette destruction.

En plus de ce qui a été évoqué ci -haut tant sur la destruction des valeurs culturelles au Rwanda que sur le processus de destruction du tissu social, des recherches ont décrit des facteurs, causes de ces processus.

Dans un écrit intitulé : Rwanda : Destruction des liens familiaux et sociaux et tentative de reconstitution des liens substitutifs, J. KAGABO ( 1998) montre que « outre les massacres et les diverses vagues d'exils, d'autres facteurs ont contribué au déchirement du tissu social : L'appauvrissement des campagnes et l'exode rural, la déscolarisation et le chômage, la rancoeur entre les participants à la « Révolution- Hutu » ( 1959-1962) et ceux du coup d'état de 1973, ainsi que les faveurs régionalistes.(...) ».

J.C GASHEMA (2000) dans une recherche intitulée « Le rôle de la famille dans la reconstruction du tissu social au Rwanda de l'après guerre et génocide de 1994 » a interrogé 96 personnes sur « les causes de la déchirure du tissu social ». Les réponses ont été « la guerre et la violences ( 100%) l'injustice et l'impunité ( 56%) ; le régionalisme et l'exclusion ethnique ( 96%); un mauvais leadership ( 74%) ;L'ignorance ( 14,5%) ; la pauvreté (5%) ;la méfiance ( 28%) la jalousie et les intrigues (propos malveillants) 62,5%); la cupidité ( 48%) ; le mensonge et la haine ( 34%) ; le problème des prisonniers(44%) les fausses dénonciations ( 34%) ; les rumeurs (47%) ; l'isolement (3%) ;etc.» Cette liste ressemble à celle que l'auteur établit pour « les causes de la guerre, du génocide et des massacres » ce qui démontre bien que cette déchirure est en lien direct avec le vécu des Rwandais en 1990-1994. Les causes deviennent parfois aussi les conséquences .

J.C. GASHEMA (idem, p.99) a ensuite demandé quels étaient les « outils nécessaires dans la reconstitution du tissu social »et les personnes interrogées ont répondu : « la justice (jugements et non favoritisme) (100%) ; la paix et la sécurité(96% ; l'éducation formelle et informelle ( 87,5%) ; la vérité ( 61%) ; la solidarité ( 34%); la reconnaissance de la personne et de la valeur humaines (31%) ; la tolérance (28%) ; l'amour ( 21%) ; l'acceptation des différences (17%) ; l'unité ( 12,5%) l'assiduité au travail (4%) ;etc. ». Par rapport à la vérité; les personnes interrogées ont précisé qu'il fallait former la personnalité, l'esprit critique et le discernement pour lutter contre la crédulité et l'obéissance aveugle aux ordres.

Conclusion du chapitr

Le présent chapitre expose largement la théorie sur la culture. Le tissu social qui va de pair avec cette dernière est aussi évoqué. A travers ce chapitre, une idée sur la notion d'étiologie de la maladie mentale, plus particulièrement du PTSD se voit esquisser : destruction de la culture, du tissu social, de ce qui donnait sens à la vie et à l'existence des Rwandais, etc. Nous croyons que le lecteur a, après lecture du présent chapitre, des bases théoriques solides pour aborder les chapitres qui suivront. Comme le travail porte sur la culture et le PTSD, abordons dans la partie qui suit les théories sur le traumatisme .

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand