2.2 Trois facettes de l'offre institutionnelle
2.2.1 Une Facette Religieuse
Une Ritualité
« La FPMA a ses pratiques cultuelles, utilise une
liturgie rituelle et des cantiques fixés par le règlement
»95. Je prends trois pratiques où le rituel est
fortement marqué. Il s'agit de la pratique de la liturgie, l'utilisation
des différents postes à responsabilité au sein d'un Temple
et les réunions cultuelles quasi-liturgiques des
revivalistes96 (fifohazana), une section au sein du Temple
de la rue CHAUCHAT.
La liturgie protestante suivie par les Malgaches protestants
des deux Temples combine deux traditions majeures, celle des protestants
réformés de Madagascar (FJKM) et celle des luthériens
malgaches. Les chants et les manières même de réaliser un
dimanche suivent ces deux tendances.
A CHAUCHAT, la liturgie est formalisée et chaque membre
a une feuille dans laquelle est imprimée la séquence des moments
liturgiques entre autres les chants, les prières et la quête. A
DANTON, la feuille pour la liturgie est publiée et distribuée
tous les dimanches. Le pasteur cherche à diversifier les tendances : un
dimanche, ils suivent la liturgie luthérienne et le prochain dimanche
celle qui se rapproche des réformés.
Mais la liturgie proprement dite a son préliminaire,
c'est l'accueil et la préparation du lieu. Les responsables s'affairent
pendant ce temps là à terminer leurs tâches avant le
commencement du culte.
Dans mes notes d'observation j'écrivais «
À DANTON, le Temple a la surface triangulaire, les gens observaient le
silence tout en se regardant.
95 L'article 6 du statut de la FPMA, intitulé :
« rites et pratiques »
96 Jean BAUBEROT décrit les Réveils dans
son livre « Histoire du Protestantisme » (1998,) pp86-99.
Ils se saluent doucement en malgache ou en
français. Une personne essaie de répéter sur les claviers
de l'orgue les chants qui vont probablement être chantés tout
à l'heure. On est treize dans la salle et le pasteur vient de retarder
pour quelques temps le commencement du culte. Sur les bancs se trouvent les
feuilles qui annoncent le déroulement du culte. Je prends une des
feuilles qui se trouvait par là et voici mes descriptions. La feuille
est une moitié d'une feuille A4 avec en haut le logo de la FPMA, la date
et l'adresse, tout est écrit en malgache. Pour chaque séquence de
la liturgie est marquée la section responsable, pour aujourd'hui, la
section jeune va lire avec la section musique la Bible. Une personne de la
section Eveil va prier etc.... En bas de la feuille se trouvent la date,
l'heure et le lieu où va se dérouler le culte pour la semaine
sainte. Les chants sont référencés selon le numéro
et le titre dans cette feuille. Les bruits du clavier m'empêchent
d'entendre la conversation des gens».
Dans la liturgie on constate une forte gestion de la
participation de tous. C'est le pasteur qui a rédigé la liturgie
à suivre. J'ai eu l'impression que les gens qui se trouvent à
DANTON se sont rencontrés depuis longtemps. Ils se connaissent c'est
peut être parce qu'ils sont peu nombreux (ils étaient au maximum
47 individus). Mais ceci vient aussi du fait de les avoir fait participer lors
des liturgies.
Le culte à travers la liturgie est une
cérémonie religieuse. « A CHAUCHAT, l'emplacement des
gens est significatif: les maîtres de la cérémonie se
trouvent devant, ils sont composés de diacres habillés ou non
d'un costumes appropriés (de couleur blanche). La chorale se place dans
les premiers bancs. J'ai mainte fois vérifié que les gens ont
tendance à garder les mêmes places (a droite, à gauche,
devant, derrière). Le pasteur monte à la chaire pour faire le
sermon et uniquement pour le sermon. La salle est sonorisée. Les gens
sont endimanchés »
L'aspect religieux des rites est marqué dans les lieux.
La religiosité et son maintien sont dictés par l'offre
liturgique. La répétition de la liturgie fait que les gens
incorporent des habitudes et des manières d'être dans les
Temples.
La participation des gens lors de la liturgie est une forme
des participations possibles offertes par les Temples. A CHAUCHAT, les sections
ont des tâches d'intérêt général comme le fait
de balayer l'église après les cultes. Chaque section a son tour.
Mais les tâches de chaque section sont déjà
identifiées et identifiables par les réglementations
intérieurs de chaque temple.
A travers des postes à responsabilité, les
membres97 sont appelés à adhérer. Le discours
commun étant celui tout le temps répéter : « pour le
Temple ».
Des membres sont élus pour être membre du
diacre98 et ils sont invités pour être responsables de
section ou pour être chorale. Les postes à responsabilité
sont nombreux. C'est ce qui donne une variété de
possibilité de participation pour les membres. La réalisation des
responsabilités pour le Temple est facilement observable et
contrôlable pour les leaders qui gèrent la communauté. La
religiosité se démontre ici par la pratique et la prise de
responsabilité.
Le rituel, intitulé Travail et foi (asa sy
finoana), est un rite mené par la section d'Eveil99, tous les
deuxièmes dimanches du mois dans le Temple de CHAUCHAT. C'est une sorte
de deuxième culte après le culte. L'expérience que j'ai
vécue une fois dans le cadre de cette recherche m'a fait voir que le
culte des revivalistes est très fort en émotion et pleinement
riche en religiosité. Je notais dans mon carnet : « les
personnes habillées en blanc se trouvent devant et ils se tiennent
debout, une vingtaine. Ils lisent quelques versets en malgaches puis la
traduction séquentielle par une autre personne. Deux trois chants et
puis ils avancent vers le public (une trentaine) en criant tous vade retro
satana (« Miala ny satana »). Je crois que c'est le moment fort de
cette réunion- culte. Il y a tellement de cris, de pleurs et de
mouvements. Après, ils reviennent avec leur cri et au retour deux
personnes se trouvent sur le sol pour une séance individuelle
d'exorcisme. Ces personnes me font rappeler les gens possédés par
des esprits (en particuliers ceux des ancêtres) à Madagascar.
Cataplexiques. Après la séquence de l'exorcisme, c'est un temps
plus calme : les revivalistes distribuent la bénédiction en
mettant leurs mains sur la tête de quelques membres qui vont
volontairement un par un devant eux pour demander une
bénédiction. Pathétique».
La religiosité s'exprime ici par un partage
d'émotion forte et la pratique de l'exorcisme. La scène est
terriblement spectaculaire. Ce partage d'émotion renforce la
cohésion du groupe et de la communauté. Les leaders responsables
de cette réunion tiennent leur discours sur l'aspect spirituel de leur
pratique.
97 Il existe deux catégories de membres
selon le statut de la FPMA les membres simples (a reçu le baptême,
est inscrit sur la liste, reconnaît et adhère à la FPMA),
et les membres responsables ou à part entière (admis à la
sainte cène, ont suivi une instruction religieuse adéquate, voix
délibérative dans les activités du Temple,
responsables)
98 Un des rôles des diacres selon RAISON-JOURDE
: « il est enfin reconnu que les diacres doivent mettre leur aisance
personnelle au service de la paroisse : le diaconat est une institution de la
redistribution que les plus démunis attendaient déjà de la
famille large comme un devoir des parents riches à leur égard
». (1992) p364.
99 4 mouvements d'Eveil existent à Madagascar,
chaque mouvement porte le nom du lieu de leur centre : Ankaramalaza, Soatanana,
Manolotrony, et Farihimena. A CHAUCHAT, les revivalistes sont d'Ankaramalaza
dont le centre en France se trouve à Gardagne.
Des Dispositifs Visibles Et Constatables
Pour qu'un rite trouve bien sa ritualité et dans cette
recherche sa religiosité, il faut observer les dispositifs visibles et
constatables mis en oeuvre. Je prendrais comme faisant partie de ces
dispositifs : les chants, une revue publié par la FPMA (le « vatsy
»), et les temps des actions particulières.
Les chants constituent un dispositif particulier pour faire
vivre le rituel cultuel. A travers les chorales, certainement, mais aussi par
le fait que les Malgaches peuvent chanter ensemble et en langue malgache
dans les Temples à Paris. Chaque chant exécuté
ressemble à une performance communautaire. HUYGHUES-BELROSE Vincent
(2001, p339) trouve dans son livre cette importance des chants religieux pour
les Malgaches : « deux facteurs ont concouru à donner au chant
religieux une importance exceptionnelle à Madagascar : les dispositions
culturelles et le goût des Malgaches pour le chant choral d'une part, la
technique d'enseignement et conversion des missionnaires et leur propre
arrière-plan culturel et religieux d'autre part ». Ce ne sont peut
être pas les seuls facteurs qui expliquent cette ritualisation des chants
religieux. Il y a aussi le fait que ces chants sont tout le temps
modelés pour être exécutés dans une autre version
plus folklorique : le 100zafindraony. Tout cela
semble être fait pour faire sentir dans chacun présent dans les
cultes un sentiment malgache.
Aussi, la FPMA s'est dotée d'une revue « vatsy
»101. Une revue rédigée en malgache et en
français pour les membres. Cette revue regroupe des nouvelles venant des
Temples FPMA, mais aussi elle informe sur l'histoire des Temples choisis et les
idées religieuses de la FPMA.
Lors des liturgies, il existe des moments particuliers. Ce que
j'ai appelé le temps des actions particulières. Il s'agit du
temps de la quête, du temps des informations et du temps des voeux. Ces
moments sont remarquables. Pour la quête, tout le monde se lève
à CHAUCHAT, pour apporter sa contribution devant et quelquefois il y a
deux quêtes pour un seul dimanche. C'est un temps pour voir les gens qui
sont présents et donc un temps aussi pour marquer sa présence.
Le temps des informations est aussi capital car c'est
là que les activités à réaliser et
déjà faites sont rapportées. La participation de chacun
peut être nommée lors des informations. Chaque nouvelle porte un
verset de la Bible ou un extrait de texte de chants protestants. C'est un temps
mémorable qui a une portée historique. Les
événements comme les décès, mariage, baptême
sont rapportés lors des temps des informations. C'est aussi un temps du
devenir car les activités et projets du futur sont annoncés.
C'est un temps pour les appels à la construction.
100 Nom d'un style de chant originaire du centre de
Madagascar, particulièrement dans la région de Fianarantsoa, une
région à forte implantation de congrégations catholiques.
Une dizaine de chants protestants existent, à ma connaissance,
actuellement en zafindraony. RAISON-JOURDE définit le Zafindraony comme
« l'art du chant métissé ». (1991). p546
101 Publié à 500 exemplaires.
Enfin, il y a le temps des voeux (voady). Qu'on
veuille faire un voeux ou qu'on ait vu réaliser son voeux, le temps des
voeux qui se trouve juste après le temps des informations marque une
autre forme de participation au rite liturgique. Chaque voeu est
accompagné d'une somme d'argent et quelquefois de son attribution
(exemple : tel pourcent pour le pasteur et tel autre pour une autre section).
C'est aussi un moment particulier pour celui qui le fait, car il s'agit de
reconnaissance si le voeu est exaucé et d'acte de confiance s'il est
à exaucer. Je rappelle que les Malgaches sont des gens qui font beaucoup
de voeux à travers des rituels divers102. Faire un voeu se
valorise dans les cultes comme un temps religieux, un temps sacré parce
que c'est un engagement vis à vis des autres, de toute la
communauté présente et vis à vis de Dieu.
Un Espace Du « Donné à Croire »
« Les institutions religieuses ne sont pas les seules
à offrir du « donné à croire » » (Willaime,
1998). Ceci est vrai dans le sens où riche de croyances traditionnelles,
les gens qui débarquent dans les Temples ont la possibilité de se
retrouver dans une « fidélité paradoxale » à ces
traditions ou avec d'autres croyances. Ceci est vrai pour les Malgaches et
rappelons- le encore au passage que la religion traditionnelle est majoritaire
à Madagascar et que le fait de s'affilier à la religion
chrétienne ne signifie nullement que la référence aux
valeurs des ancêtres soit impossible.
Les Temples sont des lieux où se réalise , pour
reprendre l'expression de Michel de Certeau (1984)103, un «
mouvement de l'espace vers la place ». Toutes les
références se façonnent pour être incarnées
dans les rites cultuels. A la fois, les Temples se refèrent aux messages
de l'Evangile mais aussi ils se réfèrent aux caractères de
la spiritualité attendue par la FPMA, aux valeurs de cette institution.
Ce qui ne peut pas être forcement contradictoire mais plutôt
complémentaire et cumulatif.
On peut voir la religiosité ici dans son aspect
essentiel qui est le contenu de la croyance. La valeur des croyances est mise
en scène lors des présences dans les cultes. Pour certains, la
valeur de la malgachitude, de l' « âme malgache » est aussi
importante que la valeur du protestantisme. Pour d'autres c'est plutôt
l'inverse. Ce propos veut juste faire admettre une possibilité.
Là où, d'autres voient réaliser un mouvement de l'espace
communautaire malgache vers la place religieuse104, certains voient
un mouvement de l'espace religieux vers la place communautaire. En tout cas
c'est un mouvement où la répétition et la
commémoration tiennent leur place respective.
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