2.2.2 Une facette sociale
Place Des Rencontres
Les temples sont des « nouveaux » territoires
communautaires. Beaucoup d'activités y sont menées à part
les cultes : les écoles de dimanches, les différentes
réunions des sections de l'église (les chorales, les revivalistes
et autres regroupements). Pour mieux apprécier la valorisation de la
présence sur le Temple et la valeur du Temple et de ses
représentations, je pense singulariser trois expériences
vécues. A chacune de ces expériences, les leaders se montrent
être les acteurs principaux et gèrent les changements qu'y
prévalent.
La première expérience, est celle de l'accueil
des nouveaux membres. Pour les Malgaches de passage ou avec les convertis, les
premières présences au Temple sont toujours remarquables. En tout
cas les leaders tiennent à créer une sorte de moment particulier
pendant lequel, ils évoquent ces nouvelles présences. A CHAUCHAT,
les nouveaux inscrits sont priés de se lever pour être vus de
toute l'assemblée. A DANTON, le pasteur m'a offert une fiche à
remplir pour pouvoir être compté parmi les siens. Ces
comportements sont de véritables appels à l'adhésion qui
déterminent les prochaines participations.
La gestion des premières présences des nouveaux
venus par les leaders se fait donc par ces appels à l'affiliation. La
participation dans la communauté paroissiale est alors modulée en
plusieurs degrés, de la simple présence dominicale à la
présentation de soi devant l'assemblée, dans une réunion
de section ou avec un responsable du lieu. On peut participer aussi en tant que
responsable de section ou simple membre de ces sections. Les premiers temps,
les leaders savent que les gens ont besoins d'un maximum d'information sur le
Temple et les activités (participations) existantes. Dans ce rapport de
dépendance, les responsables cherchent avant tout à
fidéliser ces nouveaux venus.
Le Temple est présenté comme une place commune,
nouvelle pour celui qui est arrivé en dernier, mais aussi nouvelle par
le fait que le dernier occupant est arrivé là bas et il fait
partie de la communauté maintenant, ce qui renouvelle la
communauté toute entière. Le pasteur précisait que «
La présence des nouveaux donne toujours une nouvelle vie spirituelle
(aim-panahy vaovao ho an'ny fiangonana) à l'église
». Et par dessus tout, le Temple est une nouvelle place car il se trouve
« en terre étrangère » (an-tanin'olona).
Quelques caractéristiques du Temple sont
décrites dans le petit livret « Ce qui fait la FPMA ». Ce
livret qui est une présentation de la FPMA, démontre
l'identité voulue (une auto-définition) de l'institution FPMA .
« La FPMA est une église de mission et une église
universelle, on peut voir cela de deux manières :
géographiquement, l'église n'est pas déterminée sur
un
seul lieu car elle se trouve partout. Et puis, il est de sa
responsabilité de ne pas se fermer sur une seule mission (par exemple :
uniquement pour les affaires religieux) car elle concerne la vie toute
entière. Ces deux aspects évoquant son universalité sont
visibles dans la vie de la FPMA ».105Un regroupement des
anciens de la FPMA (Maintimolaly FPMA) est crée à Madagascar pour
continuer la perpétuation des valeurs de cette institution.
La deuxième expérience démontrant le
rôle particulier des leaders dans la création de ces lieux
concerne le processus de validation d'un regroupement d'une communauté
priante malgache par l'institution mère, la FPMA. Il s'agit de
l'expérience des communautés malgaches de la rue DANTON. Selon le
statut de la FPMA, il est du ressort d'un comité nommé Permanent
et d'une assemblée nommée Synode Géneral de proposer, de
décider de radier une paroisse. DANTON est une paroisse qui attend son
adhésion à la FPMA, elle est déjà reconnue comme
« assemblée » par l'institution mère. De nombreux
fidèles de DANTON, jeunes majoritairement, se trouvaient avant dans la
paroisse FPMA Montrouge (Val-de-Marne). Cette dernière était
radiée de la liste des Temples FPMA car les leaders locaux avaient
décidé de créer une nouvelle église en France, en
important telle qu'elle l'église réformé de Madagascar. Le
petit déplacement à DANTON est vu comme une grande chose
marquante pour les fidèles et surtout pour les leaders. Répondant
à ma question : « pouvez vous choisir deux ou trois
événements qui vous ont marqués, des moments historiques
de votre église? », le pasteur m'a répondu deux dates «
le trois septembre 1999 et le quatre juin 2000 ». Le premier est la date
du premier culte de ce qui va créer plus tard la communauté de
DANTON (ce culte n'était pas fait à DANTON). La seconde date est
l'ordination des pasteurs et la célébration du jubilée
(40e anniversaire de la FPMA). C'est la première fois que les pasteurs
de la FPMA ont été ordonnés. La première
réponse met en avant la naissance de la communauté priante et la
seconde valorise le poids symbolique des leaders des Temples, ce qui valorise
ensuite la communauté qu'ils dirigent.
Dans l'histoire des Eglises à Madagascar, on trouve
toujours cette image de Temple et avant- temple (ou « presque Temple
»). Les premiers missionnaires distinguaient déjà les
structures institutionnelles entre un « fiangonana » (église)
et les « preaching-stations »106. Les premiers ont une
durée et une permanence, les seconds sont provisoires .
Le pasteur de DANTON définit « l'assemblée
» comme différente des paroisses (dans le langage officiel et
folklorique, on a « Tafo » ou toit en français pour
désigner les paroisses et « assemblée » pour
désigner les communautés priantes qui ont émis la
volonté de devenir FPMA).
105 Dans « Ce qui fait la FPMA ». p14.
106 Voir RAISON-JOURDE (1993), KOERNER (1994).
« L'assemblée est une église qui a encore
besoin d'être dirigée (tantanana), elle n'a pas droit
normalement à avoir des diacres comme dans les paroisses. Nous sommes
sous encadrement du Temple de Paris (CHAUCHAT), mais on n'a jamais vu venir les
responsables de ce Temple par ici. Ils sont préoccupés par leur
problème ». Seuls les églises reconnues sont retenues comme
officielles. Et elles devraient être reconnaissantes107
à leur tour vis à vis de la grande structure de l'église
mère. Les leaders s'y impliquent pour pouvoir terminer le processus
d'adhésion à la FPMA.
La troisième expérience est aussi
démonstrative des rôles majeurs des leaders dans la mise en valeur
du Temple . Le Temple est un espace social source de divers conflits et de
problèmes sociaux pour la communauté qui s'y abrite. Je crois que
l'expérience du conflit à CHAUCHAT (« l'affaire CHAUCHAT
») mérite d'être exposée. « L'affaire CHAUCHAT
» a commencé par l'annonce des règles de l'élection
des nouveaux diacres, ces responsables officiels des paroisses, en septembre
dernier. Comme chaque paroisse à son propre Règlement
intérieur108, les responsables ont défini des
critères pour ceux qui peuvent voter et ceux qui sont éligibles.
Ces critères sont vus par une partie des membres comme exclusifs et non
démocratiques.
C'est à partir de là qu'est installée une
instabilité. L'élection n'a pas eu lieu et un groupe se
constituait en s'opposant au bureau en place. Ce groupe se constituait pour le
report d'une nouvelle éléction et le changement des
critères d'éligibilité et de droit au vote des diacres et
aussi pour le renouvellement du bureau. Mais, les premiers organisateurs de
l'élection se fixant sur le fait que la paroisse est indépendante
et reconnue comme une association indépendante devant l'Etat
français jouait sur cet élément pour limiter
l'ingérence des personnes qui mettaient en avant l'appartenance de
CHAUCHAT à la FPMA. Ils ont fait appel à la justice
française qui leur a donné raison, l'ancien bureau est remis en
place. Ils ont immédiatement organisé une élection en
avril 2002.
« L'affaire CHAUCHAT » est un exemple de conflit qui
impose son temps. Les leaders des deux groupes s'exprimaient devant la
communauté chaque dimanche pendant ces six mois. Soit à travers
des tracts distribués aux gens qui viennent au Temple, soit les cas
échéants dans l'église devant tout le monde. Les deux
parties s'échangeaient des mots durs. Chacun se proclamait
légale. Tout est pris pour justifier sa position. Quelquefois, les
« raisons » se trouvent dans le sermon. L'autre fois, une
107 Le pasteur RABARY, une des figures historiques du
protestantisme malgache écrivait dans le journal missionnaire
protestante malgache MPAMAFY, n°1 du janvier 1904 « Les fiangonana
sont encore des poussins nouvellement éclos, des enfants encore au sein.
L'époque actuelle est encore l'enfance pour ces Malgaches. S'il ya des
gens qui nous excitent à nous séparer de ceux qui nous
conduisent, ceux là nous trompent. Je vous dis chers membres des
fiangonana malgaches, que si vous vous séparez des missions qui sont
votre père/mère, vous resterez nains et finalement vous mourez
étant encore petits ». (KOERNER 1994p 138).
108 Selon le statut FPMA
personne âgée bousculée par une personne
du groupe adverse méritait d'être racontée à tout le
monde. On assignait à l'autre groupe tous les maux sensés le
représenter. Dans un des tracts1°9, je notais les mots
qu'un des groupes ont choisi et écrit pour assigner l'autre : «
direction intégriste », « agresseur », « fasciste
», « secte », « intolérance », « fanatisme
», « au temps des Talibans », « dictature », « ce
qu'ils appellent leur « guerre sainte» (hetraketraka
masina), « brigands », la liste est longue si on ajoute tous les
mots des autres tracts.
Dans ce conflit, les deux parties tentent d'influencer les
membres de la communauté priante réunis dans le Temple. Les
membres du Temple suivent tous ces événements, non pas uniquement
comme spectateurs mais aussi comme faisant partie prenante du
déroulement de ces événements. Une fois, alors qu'un des
leaders d'un groupe annonçait une nouvelle devant l'assemblée,
une partie des gens qui approuvaient ont applaudi. Une autre partie
rouspétait. C'était très animé et spectaculaire.
Je retiens de cette expérience quelques conclusions : le
conflit
interpersonnel dans ce Temple a été une source
d'interaction considérable. Les leaders créaient des moments pour
pouvoir communiquer avec l'assemblée et le groupe adverse. Ils
renforcent leur propre appartenance et attendent de l'autre une identification.
Toute la communauté se structure de la sorte, sur une base
conflictuelle. Les leaders tentent toujours à tout moment de l'existence
du Temple de transmettre des idées et des valeurs qui méritent
d'être défendues et peut-être aussi vécues. La
communauté priante vit cette transmission d'une manière fortement
conflictuelle comme ce qui s'est passé à CHAUCHAT. La
communauté est donc en structuration permanente et les
éléments figés dans les statuts ne peuvent pas annoncer la
face dynamique (constat) de la réalité de la communauté.
Le groupe dominant cherche à garder sa place dans l'adversité. Si
le conflit a l'apparence première de diviser les gens, ici, on remarque
que c'est ce conflit qui crée une dynamique de rassemblement.
Les conflits au sein des Temples existent aussi à
Madagascar. Il s'agit surtout des conflits entre ceux qui se disent «
fondateurs » du Temple et ceux qui par l'efficacité de leur
leadership ou par opportunité arrivent aux postes à
responsabilité au sein des Temples. Bref, un conflit à
l'intérieur d'une communauté d'immigrés est toujours
perçu comme différent d'un conflit qui aurait pu se passer dans
un temple quelconque à Madagascar. Leur résolution peut
être aussi différente11°.
109 Tract en avril 2002 distribué à la sortie du
Temple. Intitulé « F3'F » (fifankatiavana, fahamarinana,
firaisana : littéralement, amour, vérité, unité)
110 « Le patronage de l'élément andriana [de
la noblesse mérina] (pouvoir d'un leadership traditionnel historique),
était estimé essentiel dans la réussite du projet
(église) et on lui laissait entendre qu'il se devait de donner un
terrain et de se muer en Mpitarika [dirigeant le rite cultuel] de la
congrégation » RAISON-JOURDE (1993) p359.
Des Activités De Regroupement
Les deux Temples offrent des activités connexes aux
cultes dominicaux. A travers les sections et autres regroupements au sein de
chaque Temple. Ces activités ne se situent pas directement dans la
partie religieuse car elles cherchent plutôt à satisfaire les
désirs de regroupement communautaire des membres. Les chorales par
exemple se voient deux fois toutes les semaines, de même que les scouts.
Les Temples proposent aussi des rencontres hors du Temples comme les
excursions111. Ces moments sont remplis de commémorations. On
essaie de reproduire les manières de travailler à Madagascar et
les occupations de chacun dans les différentes sections. Mais quand les
gens reproduisent le contexte local, les contingences de l'histoire font qu'ils
produisent inévitablement des nouveaux contextes112.
La langue malgache reste la langue utilisée lors de ces
activités connexes. Les leaders cherchent à transmettre les
valeurs défendues par la FPMA, à savoir, en particulier, la
réalisation de la culture malgache. Cet aspect est aussi constatable
dans les quelques tâches réalisées par le pasteur pendant
la semaine : il s'agit de visiter les membres de l'église, de se mettre
en relation tous les membres, donc d'être une personne pivot de la
relation interpersonnelle dans le Temple. Relier chacun dans une « grande
famille » paroissiale (fianakaviambe) pour essayer de vivre une
idée de parenté universelle : le « fihavanana
»113.
Ces activités de raccrochement ont une importance pour
les protestants qui n'ont pas mis une importance fondamentale à la
pratique cultuelle114.j'ai remarqué que les gens arrivent
massivement au Temple pendant les grands événements uniquement. A
CHAUCHAT par exemple, un dimanche ordinaire regroupe entre 120 et 200 individus
alors que dans les dimanches où on prend la sainte cène, le
Temple peut arriver à regrouper jusqu'à 500 individus.
Ces activités de racrochement ne sont jamais
indépendantes des valeurs partagées sous le Temple. L'offre
sociale de l'institution religieuse s'aligne et se confond avec les autres
offres sociales existantes à Paris. La présence dans le Temple
est aussi donc une manière de vivifier ses autres filiations : les
amitiés, les mariages, les affaires commerciales et les réseaux
du marché de l'emploi se trouvent en partie dans les Temples. Une
étude plus approfondie des réseaux sociaux existants à
Paris
111 A CHAUCHAT, deux excursions ont eu lieu dans un intervalle de
temps de cinq mois.
112 Voir SAHLINS (1989) et aussi APPADURAI (1996)
113 Il est très difficile de définir cette notion
de fihavanana, mais elle contient généralement
l'idée d'amitié, d'alliance et de paix. C'est à la fois
une valeur que beaucoup de Malgaches croient et c'est surtout une idée
véhiculée dans les discours. BOUILLON (1981) critique aussi cette
notion : « Mais qu'est ce que ce « fihavanana »?
L'étranger avance le concept d'amitié, mais le fihavanana, lui
dit-on, est « autre et mieux » Alors est-ce du « parentalisme
»? En fait c'est moins et plus (c'est essentiellement du Fraternalisme
humanitaire) ». p344.
« L'assistance au culte n'ayant aucune caractère
d'obligation dans la théologie protestante »
WILLAIME (1998 p51)
114
permettra certainement de distinguer les différentes
stratégies d'affiliation des Malgaches dans la Capitale
française.
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