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La diversité culturelle dans le procès international relatif aux droits de l'homme

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par Titine Pétronie KOUENDZE INGOBA
Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en Droits de l'homme et Action Humanitaire 2004
  

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B- Difficultés du juge à traduire juridiquement les faits

La justice pénale internationale « existe pour deux raisons principales : réprimer les crimes qui sont tellement monstrueux qu'ils exigent une intervention de la communauté internationale, et remplacer les systèmes de droit interne lorsqu'ils font défaut. » 97(*)Cette présentation de la justice pénale internationale par le professeur William A.Shabas démontre clairement l'impérieuse mission qu'a celle-ci de lutter contre l'impunité. Certes, la gravité des crimes nécessite une intervention à grande échelle, encore faut-il parvenir à articuler sans grandes difficultés, les crimes internationaux au contexte précis des violations en cause.

A la question de savoir si les violations massives des droits de l'homme commises au Rwanda constituaient un crime de génocide, le juge international s'est retrouvé dans une situation bien difficile, compte tenu du contexte culturel et historique dans lequel se sont déroulés les faits. Le paragraphe 2 de l'article 2 du Statut du TPIR (et 4 du TPIY) définit le génocide comme suit :  « Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel (...) ». Il ressort de cette définition que le génocide comprend explicitement un élément de discrimination, qui s'explique par l'intention de détruire (...) un groupe. «  Le TPIR a apparemment rencontré un certain nombre de difficultés afin de rendre compte de l'élément de discrimination dans les massacres perpétrés au Rwanda » 98(*)

En effet, il n'a pas été facile pour le juge de qualifier juridiquement les populations « Hutu » et « Tutsi ». Car comme le définit la Chambre de première instance dans l'affaire Akayesu : « Le groupe ethnique qualifie généralement un groupe dont les membres partagent une culture ou une langue commune » 99(*) Or, elle constate elle-même que : « on peut difficilement parler de groupe ethnique s'agissant des Hutu et des Tutsi qui partagent la même langue et la même culture. »100(*)On remarque clairement les difficultés d'adéquation de la norme internationale à une réalité culturelle précise. Le juge se voit donc obligé parce qu'il faut juger et condamner, de faire certaines adaptation pour parvenir à une qualification convaincante du crime. Cela implique que le juge s'imprègne de l'historique culturel du Rwanda, chose qui n'est pas toujours aisée. Se contenter des distinctions dites officielles entre Tutsi et Hutu, ne saurait constituer une qualification juridique au regard du droit international.

Cependant, même lorsqu'il se plonge dans l'histoire pour constater que la distinction est le fruit de la colonisation, le juge n'en ressort pas avec une conclusion assez convaincante; la Chambre conclut : « L'identification des personnes comme appartenant au groupe Hutu ou Tutsi (ou Twa) était (...) devenu partie intégrante de la culture rwandaise »101(*)Il est incontestable que le fait d'avoir intégré la culture, ne change en rien qu'ils soient de même culture et de même langue.

Ce tâtonnement conduit la chambre de première instance, à des analyses encore moins convaincantes. C'est ainsi qu'elle va tenter d'élargir la liste des groupes protégés par la convention en l'interprétant de la manière qui suit :  «Il apparaît à la lecture des travaux préparatoires de la Convention sur le génocide, que le crime de génocide aurait été conçu comme ne pouvant viser que les groupes « stables », constitués de façon permanente et auxquels on appartient par naissance, à l'exclusion des groupes plus mouvants, qu'on rejoint par engagement volontaire individuel, tels les groupes politiques et économiques. »102(*)

Cette interprétation de l'intention des auteurs de la Convention sur le Génocide du 9 décembre 1948, a été sévèrement critiqué, car comme le note Rafaïlle Maison : « Il est très délicat, dans le cadre du procès pénal, d'étendre la définition du Génocide par delà ses termes explicites »103(*), encore faut-il se demander si le groupe visé dans le génocide rwandais, les Tutsi, constituait véritablement un groupe stable et permanent. La chambre s'est contentée de l'affirmer, elle ne l'a malheureusement pas prouvé. Et cette affirmation peut-être remise en cause lorsque l'on observe ces nombreux mélanges entre Tutsi et Hutu. Qu'est-ce qui apporte la preuve qu'il existait encore lors du Génocide, des Tutsi et des Hutu de souches ? Pire encore s'il faut rappeler que ces distinctions sont l'oeuvre du colonisateur pour instaurer son autorité sur le Rwanda104(*). Ce fut la stratégie des colons belges au Rwanda, diviser pour mieux régner. La chambre de première instance s'est refusée à s'appesantir sur cette question, car cela soulève des aspects d'ordre politique qui pourtant sont importants. C'est ce qui peut expliquer la conclusion hâtive sur la question de la distinction Tutsi Hutu, d'origine coloniale.

Toute cette situation nous conduit à analyser un aspect intéressant, non pas l'incapacité du juge, comme nous l'avons déjà vu, de s'imprégner de l'historique des faits, mais plutôt son refus d'analyser profondément ces questions, de peur de s'y voir finalement impliqué. Le rapport du secrétaire général des Nations unies indique sur la compétence du Tribunal pénal international, ce qui suit : « Bien que la chute, la 6 avril 1994, de l'avion qui transportait les présidents du Rwanda et du Burundi soit considérée comme l'événement qui a déclenché la guerre civile et son cortège d'actes de génocide, le Conseil a décidé que la compétence rationae temporis du Tribunal débuterait le premier janvier 1994 de façon que la planification des crimes n'y échappe pas »(Rapport S/1995/134 ;§14)105(*) Cette limitation est tout à fait plausible, car elle permet de prendre en compte les préparatifs du Génocide. Cependant, il est des faits que l'on ne saurait exclure pour la compréhension d'un crime, il s'agit bien des causes lointaines, qui constituent en fait l'origine incontestable, la formation même du conflit, à laquelle il serait tout à fait logique de s'attaquer.

En effet, une analyse objective du conflit rwandais, aurait conduit le juge à examiner l'atmosphère qui prévalait à l'époque coloniale. Ce qui ne lui était pas possible, car cela reviendrait à faire le procès de la colonisation. Il s'agit certes de questions d'ordre politique, mais elles sont en réalité les seules qui peuvent véritablement expliquer le génocide, car là se trouve l'origine des divisions ethniques. La crainte d'une quelconque ingérence peut aisément expliquer le fait pour la chambre de contourner la question.

Par ailleurs, l'une des raisons pour lesquelles la Belgique s'est engagée à organiser le procès du Génocide est bien le fait qu'elle «  avait un lien avec le Rwanda en raison de son passé colonial »106(*). C'était là peut-être le meilleur moyen de dissiper le remord. Comment parler de justice lorsque l'on refuse d'ouvrir les yeux à des réalités incontestables et que l'on n'est pas suffisamment impartial ?

Dans l'affaire Tadic on a constaté que le juge a pris la peine de remonter le conflit à la période coloniale «  pour situer dans leur contexte des éléments de preuve ... »107(*) Ce qui n'a pas été le cas dans l'affaire Akayesu, encore moins dans l'Affaire du génocide devant les juridictions belges.

Au-delà des difficultés d'articulation de la norme internationale avec le contexte culturel des crimes, on constate que la justice pénale internationale est difficilement à l'abri des questions d'ordre politiques qui, si elles sont examinées avec plus d'intérêts, conduiraient indéniablement à la remettre en cause. La Cour pénale internationale devra tirer des leçons de toutes ces difficultés avant même d'engager un premier procès.

* 97W.A. SHABAS, « Justice pénale internationale : Dissuasion et lutte contre l'impunité », Institut international des droits de l'homme, 28è Session d'enseignement, Montréal, 1997, p. 124.

* 98R. MAISON, « Le crime de génocide dans les premiers jugements du Tribunal pénal international pour le Rwanda », RGDIP, n°103,1999, p. 129.

* 99TPIR, Le Procureur c/ Jean Kambanda, Jugement de la Chambre de première instance, 2-09-1998, §510.

* 100Idem, §120.

* 101TPIR, Le Procureur c/ Jean Kambanda, Jugement de la Chambre de première instance, 2 septembre 1998, §169.

* 102Idem, §508.

* 103R. MAISON, « Le crime de génocide dans les premiers jugements du Tribunal pénal international pour le Rwanda », RGDIP, n°103,1999, p. 129.

* 104R. MAISON, « Le crime de génocide dans les premiers jugements du Tribunal pénal international pour le Rwanda », RGDIP, n°103,1999, p. 130.

* 105H. ASCENSIO, « Les Tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda », H. ASCENSIO, E. DECAUX, A. PELLET, op.cit, p. 720.

* 106 P. MARTENS, « L'expérience belge de compétence universelle », H. ASCENSIO, E. DECAUX, A. PELLET, Droit international pénal, Paris, A.Pedone, 2000, p. 195.

* 107 TPIY, Le Procureur c/ Dusco Tadic, jugement de la chambre de première instance, 7 mai 1997, §53, p. 9.

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