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Le Paris souterrain dans la littérature


par Céline Knidler
Université Paris IV Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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I) Entre fantaisie et vérité : le paradoxe du souterrain

1) L'imaginaire du souterrain

a) Une représentation géographique fabulée

Les eaux souterraines :

On doit à Elie Berthet le fait de s'être renseigné très précisément sur le monde, les particularités, les anecdotes et même le vocabulaire des catacombes de Paris. Joseph Méry, à l'inverse, s'est sans doute davantage livré aux trésors de son imagination qu'aux richesses de la documentation. On dit de Joseph Méry qu'il avait un talent pour se transporter dans des pays qu'il ignorait complètement, preuve d'une imagination fertile. Et nous ne contredirons pas les critiques sur ce point là à en juger par la description fantasmagorique des souterrains dans Salons et souterrains de Paris. Il ne serait pas étonnant d'apprendre que Joseph Méry n'ait jamais mis le pied dans un de ces souterrains. Les héros de Salons et souterrains de Paris fréquentent quatre types de souterrains parisiens : il y a tout d'abord les catacombes, lieu souterrain de prédilection et qui encadre le roman. La description des anciennes carrières demeure cependant une des plus réalistes. Autres souterrains, ceux de l'hôtel Saint-Paul, des Tournelles, de la Bastille, de l'hôtel de Nesle, de l'abbaye Saint-Victor et de Saint-Germain des prés. Bien évidemment, l'auteur n'y a jamais mis les pieds, ces souterrains n'ayant pour la plupart jamais existé tels qu'ils sont dépeints. Mais les passages où le romancier fait pénétrer ses personnages dans les aqueducs sont sans doute les plus intéressants pour notre recherche. En effet, ces derniers offrent par la même occasion une description surréaliste de canaux enfouis de la Villette au centre de Paris qui, s'ils n'appartiennent pas au réseau des égouts ni à celui du service des eaux, appartiennent donc à l'imagination.

Le mythe des rivières enfouies sous Paris n'est pas un phénomène nouveau. Nous pouvons nous appuyer sur l'ouvrage d'Armand Jardillier, Une légende bien parisienne, la Rivière de la Grange-Batelière. L'auteur retrace ce mythe qui tout au long du 19ème siècle jusqu'à maintenant encore a la vie dure. Il fait notamment référence à Geoffroy, l'humble habitant de ce lieu dit de la Grange-Batelière qui légua son arpent de terre à l'Etat contre une place à l'hospice. L'imagination de certains auteurs le transforma donc en passeur sur la rivière du même nom, en vertu d'une transposition mythologique de Charon, passeur sur les rives de l'Achéron. Ce n'est donc pas pour rien que Armand Jardillier nomme Paris le « haut lieu du Royaume du merveilleux ».

Cette croyance tenace qui entoure la rivière de la Grange-Batelière a tout particulièrement nourri la légende du lac souterrain qui étendrait ses eaux sous l'opéra Garnier, légende immédiatement reprise et enrichie par Gaston Leroux dans le Fantôme de l'Opéra où l'anti-héros, le sinistre Erik, s'installe aux abords du lac souterrain. Certes, l'Opéra Garnier repose bel et bien sur une cuve noyée, mais l'eau provient d'une nappe phréatique sans lien aucun avec la légendaire rivière de la Grange-Batelière. Lors de l'édification du monument, l'architecte Garnier a dû ainsi pomper l'eau qui se trouvait sous terre pour asseoir son oeuvre, procédure qui dura près de huit mois, sans compter deux années pour l'assèchement. Mais il a conservé une partie de cette eau pour prévenir tout risque d'incendie dans l'Opéra.

L'existence de cette nappe d'eau, les trois étages de souterrains, le statut même de l'Opéra, haut lieu du lyrisme par excellence, offrent un décor idéal au fantastique. Qui plus est, la magnificence impériale, presque tapageuse, du monument, les sommes astronomiques qui ont été allouées à son édification, ont concouru à entretenir le mythe. Le roman de Gaston Leroux est ainsi fait que, s'adressant à un public populaire, peu familier de l'Opéra, son décor devient « une sorte de temple inaccessible », l'histoire elle-même se déroulant à huis clos. Et quel huis clos oppressant quand les deux héros se retrouvent sur les rives du lac, sous la surveillance tacite du fantôme de l'Opéra... La belle Christine Daaé, enlevée par Erik, décrit ainsi le lac : « Nous étions au bord d'un lac dont les eaux de plomb se perdait au loin, dans le noir... »2(*). Autant dire que par cette phrase, Gaston Leroux exagère l'étendue du plan d'eau, et transforme ces sous-sols humides en un univers à part entière, c'est-à-dire sans frontière.

On rencontre chez le même auteur, une autre référence à ces lacs souterrains : celui des Talpa, dans La double vie de Théophraste Longuet. Ce lac, « aux eaux d'une transparence cristalline », n'a pas grand-chose à voir avec celui du fantôme Erik. M. Milfroid n'en revient pas des « eaux enchantées de ce lac »3(*) où ses yeux croisent la nudité de ce que l'on pourrait de prime abord croire être une sirène. Description presque féerique qui nous aie exposée ici... Il faut dire, mais nous expliciterons ce sujet plus tard, que les eaux souterraines ont inspiré de nombreuses légendes. Mais à défaut de légendes, elles ont inspiré les romanciers qui ont empli ces souterrains d'une population merveilleuse.

* 2 Gaston Leroux, Le Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959) p. 161

* 3 Gaston Leroux, La Double Vie de Théophraste Longuet, (Paris, France loisirs, 1980), p.240

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