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Le processus électoral au Cameroun

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par Mbassi BEDJOKO
Université Catholique d'Afrique Centrale - Master droit de l'Homme et Action Humanitaire 2004
  

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B - La pauvreté et le «réalisme »

La pauvreté au Cameroun est d'abord financière et matérielle. Elle limite l'exercice du droit de vote en ce sens que le citoyen ou le paysan démuni ne peut se déplacer sur de longues distances pour aller mettre un bulletin dans l'urne.

L'autre frein au droit de vote vient du « réalisme » des citoyens qui n'y voient pas toujours un gain personnel, précis et immédiat et ne comprennent pas pourquoi tant de mobilisation autour d'une question qui n'a, à leur égard, qu'un caractère accessoire. C'est en ce sens qu'un commerçant rencontré à Douala et un pêcheur interviewé à Edéa répondent : « ce n'est pas le vote qui fait fonctionner ma boutique. Puisque la loi nous oblige à fermer, je préfère rester chez moi et attendre la clôture des bureaux de vote pour relancer mes activités »121(*). Et le pêcheur de renchérir, « pourquoi aller voter, le temps d'y aller combien de poissons aurais-je manqué »122(*) ? Certainement beaucoup !

Ainsi, le temps mis pour aller voter apparaît encore pour bon nombre de citoyens comme du temps perdu.

Paragraphe 2. La corruption politique et la fraude électorale

Deux situations peuvent expliquer le désintérêt pour ce droit fondamental : la corruption et la fraude électorale.

A. La corruption politique

Le Cameroun a été classé plus d'une fois en tête des pays les plus corrompus de la planète123(*). Aucun secteur de la vie publique n'est épargné. C'est dans ce cadre que s'inscrit le phénomène de la corruption politique.

Il n'est pas rare de voir les électeurs corrompus qui bradent leur droit de vote contre de l'argent et/ou des substances alimentaires124(*). Ce phénomène s'est malheureusement accentué et s'est étendu aux partis politiques. On peut facilement classifier la corruption sous deux formes : la corruption alimentaire selon qu'elle concerne les électeurs et les partis politiques puis la corruption par la promesse selon qu'elle touche l'intelligentsia et la société civile.

Aux termes de notre enquête, les personnes interrogées sur l'existence de la corruption au Cameroun, ont répondu presque unanimement, soit 87, 17%, que celle-ci existe bel et bien et qu'aux dernières élections elle s'est manifestée de la même manière que lors des précédentes. L'exemple qui suit est édifiant à ce titre car il reste d'actualité selon une autre enquête menée à Bayangam en 1994125(*). Lors de la présidentielle de 1992 à l'Ouest Cameroun, à Bayangam, M. André Sohaing, baron du Rdpc distribuait argent, nourriture, pagnes, tricots, etc. aux citoyens. Chaque personne qui se présentait au lieu du partage recevait de deux à cinq litres d'huile de palme, cinq à dix kilogrammes de viande de boeuf, un à cinq kilogrammes de riz, un à trois savons de deux cent cinquante grammes (...) ; on en distribuait dans toutes les associations, etc.

Il convient cependant de prendre cet exemple avec précaution dans la mesure où il y a risque de confusion entre la campagne électorale à « l'africaine » où ce type de comportement, encore que les bénéficiaires de ces dons ne sont liés par aucune obligation de voter pour Sohaing ou son parti, et la corruption qui réclame un résultat immédiat et précis, avec les garde- fous pour en garantir la réalisation.

Plus intéressante sera donc la distribution des billets d'argent le jour du scrutin après vote en faveur du parti ou du candidat corrupteur.

Lors des élections couplées du 30 juin 2002, à Douala, des responsables des partis politiques toutes tendances confondues se sont prêtés à ce jeu.

Un électeur de Deido raconte : « le jour des élections, un billet de banque de 5 000f CFA était offert à quiconque, après son passage dans l'urne venait présenter les bulletins de vote des autres candidats ». Et un autre d'ajouter : « c'était devenu pour tous les jeunes du quartier, en particulier les désoeuvrés un business surtout que l'encre utilisée était non indélébile nous permettant de voter plusieurs fois... »126(*).

La corruption des acteurs électoraux touche aussi bien les responsables des partis politiques que les membres formant l'intelligentsia camerounaise et la société civile. Elle se manifeste notamment par les promesses faites aux uns et aux autres soit pour leur entrée dans le gouvernement soit pour leur promotion à d'autres hautes fonctions de l'Etat ; recteur d'Université par exemple. Il s'en suit que les concernés perdent leur liberté d'esprit et leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.

Si on s'attarde sur les partis politiques, il ressort qu'au lendemain des dernières élections, les membres de l'opposition réunis autour de John Fru Ndi du Sdf avaient pris la ferme résolution de boycotter leur entrée à l'Assemblée nationale et de ne point siéger dans les municipalités qu'ils avaient gagnées. Tous criaient alors à la fraude généralisée avec un doigt accusateur pointé en direction du parti au pouvoir. Mais très vite l'Upc de F. Augustin Kodock prit tout le monde de court annonçant sur les ondes de la CRTV que son parti allait siéger à l'Assemblée nationale. Cette prise de position lui a valu dans les jours qui ont suivi, sa nomination comme ministre d'Etat chargé de l'Agriculture à la faveur du remaniement ministériel post-électoral. Selon un rapport de Gerddes-Cameroun, la corruption politique est également très courante dans les bureaux de vote. A ce titre, «les mandats des représentants des partis politiques dans les bureaux de vote sont régulièrement échangés contre de l'argent, à des responsables de partis politiques concurrents ». Et de préciser, «il a été fait cas de la corruption des membres des commissions électorales par le versement des sommes d'argent sans reçu »127(*).

Ainsi, vénalité et corruption transforment le droit de vote en une marchandise, en un vote alimentaire et non en un choix libre conscient et désintéressé. Elles consacrent la politique du « ventre ». Au-delà de la corruption, la fraude électorale vide le droit de suffrage de toute sa substance, dénature les résultats des élections et donnent au droit de vote un caractère purement fictif.

* 121 Enquête, Douala, 26 novembre 2002.

* 122 Enquête, Edéa, 27 novembre 2002.

* 123 Cf. Le journal Le Messager, n°1436 du 6 novembre 2002, p. 7.

* 124 Sur la question, lire aussi : M. Chemillier-Gendreau, «La démocratie pluraliste en Afrique », , in G. Conac (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, Economica, 1993, p. 109 ; I. Nguema, « Pratiques et conceptions africaines de la démocratie : expériences vécues », in G. Conac (dir.), op. cit., p. 165 ; P. Dongmo Nguekeu, «Le Cameroun : la démocratie représentative malade du « parachutage politique », Annales de FSJP de l'Université de Dschang, PUA, tome 4, 2000, p. 105.

* 125 Cf. J. P. Nguémégné, op. cit., pp. 58-59.

* 126 Ces deux propos ont été recueillis lors de notre enquête à Douala, le 18 novembre 2002.

* 127 Cf. P. Titi Nwel (dir.), De la corruption au Cameroun, Gerddes-Cameroun, 1999, p. 55.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand