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Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue

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par Corentin SIROU
Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011
  

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Chapitre 4 : Problématique et questions de recherche

Basés sur ces rapports, nous pouvons dresser un panorama des enfants en situation au Sénégal. Ce travail peut nous éclairer sur le contexte, sur certains facteurs d'arrivées dans la rue et les activités de ces derniers. Toutefois, il ne permet pas de définir avec précision quels sont les freins qui vont empêcher ou retarder l'enfant vers sa sortie de la rue. Qu'est ce qui lie l'enfant à la rue ? Quels éléments rattachent l'enfant à sa situation de rue ? Comment un enfant arrive à sortir de la rue ? Pour répondre à ces questions, nous chercherons à voir ce que sont les références de l'enfant lorsqu'il est dans la rue. Ainsi, deux dimensions, intimement liées l'une à l'autre, sont à étudier en particulier. D'abord le processus de socialisation, puis l'identité de l'enfant.

4.1. La socialisation et l'identité

Généralement, la socialisation est définie comme un « processus d'intériorisation des normes sociales. [La socialisation] comprend la socialisation primaire, qui s'effectue généralement sous l'influence de la famille, puis de l'école, de la naissance à la "jeunesse". La socialisation secondaire s'effectue à partir de la socialisation primaire (métier, vie de couple...) et jusqu'à la fin de l'existence »91. Cette définition sociologique de la socialisation permet de rendre compte du processus d'apprentissage, d'intégration des normes collectives par l'individu. Le caractère holiste de cette approche masque une face plus subjective de la socialisation. Pierre Tap parle de la socialisation comme de deux catégories articulées entre elles. D'un côté, il y a donc l'intégration sociale, comme processus externe et centrifuge, qui commence par l'initiation de l'individu (les apprentissages nécessaires à l'entrée dans le groupe ou système social), puis se poursuit par son insertion (inscription de l'individu dans le système) et se termine par son intégration, c'est à dire l'« articulation coopérative des différences et des ressemblances avec les autres membres du système »92. De l'autre côté, il y a l'intégration psychique, processus interne et centripète, dans lequel l'individu va dans un premier temps identifier les acteurs sociaux et s'identifier à deux, puis va progressivement intérioriser leurs caractéristiques pour finalement se les approprier. Ce double mouvement est donc constitué à la fois d'un processus externe, dans lequel le groupe, le système ou la société va inclure progressivement l'individu en son sein, et d'un processus interne, où c'est l'individu qui va de lui-même s'approprier les caractéristiques de ce groupe, système ou société. Pierre Tap ajoute que « l'acteur social ne cherche véritablement à s'adapter à son milieu social, à s'y intégrer, que dans la mesure où il a le sentiment de pouvoir s'y réaliser, non pas seulement à travers la satisfaction de ses désirs, mais grâce à la possibilité d'y faire oeuvre, de transformer tel ou tel aspect de la réalité extérieure, physique ou sociale, en fonction de ses propres projets »93. Avec cette définition bipolaire et cette remarque, on voit déjà se dessiner les contours des liens entre la socialisation et l'identité.

La personnalisation est la construction de la personnalité. On entend ici par personnalité la structure permettant à l'individu de coordonner et hiérarchiser ses conduites en fonction du contexte (des nécessités de l'action, de l'environnement, etc). La personnalisation est donc processus d'apprentissage, d'unification, de coordination, de contrôle et de riposte en fonction des exigences spatio-temporelles et institutionnelles. On la décompose en cinq dimensions :

91 Philippe Ruitord, Précis de sociologie, Paris, PUF, 2010, p. 658

92 Tap Pierre, Socialisation et construction de l'identité personnelle, in (sous la direction de) Hanna Malewska-Peyre et Pierre Tap, La socialisation de l'enfance à l'adolescence, Paris, Puf, 1991, p. 52

93 Pierre Tap, op cit, p. 53


· la quête de pouvoir : c'est avoir une marge de manoeuvre dans la négociation avec autrui ;

· la quête du sens et de la signification. L'individu a besoin d'accorder du sens à toutes les dimensions de la vie (signification du monde, de la vie, de la mort, de la société, de la culture, mais aussi de l'autre et de lui-même) et ceci, en fonction de sa propre histoire, de ses origines et des désirs. Ce sens, il peut l'acquérir à travers des référents collectifs et dans les groupes auxquels il appartient et adhère ;

· la quête d'autonomie : l'individu veut se prendre en charge et construire ses propres limites, les règles de jeu qu'il accepte de se donner lui-même. Il accepte également de prendre en charge ce que l'on avait fait de lui ;

· la hiérarchisation de nouvelles valeurs : face aux situations conflictuelles qu'il rencontre, le sujet est tenu de "réorganiser les conduites personnelles, de les accorder ou de les opposer entre elles par les significations et le rôle qu'il leur prête dans le traitements de ses conflits". Ainsi, il est obligé d'opter entre différentes représentations réalisées ou idéalisées de soi, entre valeurs antagonistes ;

· la réalisation de soi : c'est réaliser pour se réaliser. Grâce à l'actualisation des quatre dimensions précédentes, le sujet en vient à se créer lui-même grâce aux groupes auxquels il participe et qui sont eux-mêmes des créateurs.

Pierre Tap dénombre également cinq dimensions à la socialisation : l'identification des modèles sociaux ; l'identification des styles, des images, des représentations et des valeurs sociales ; l'appropriation des règles et des compétences sociales ; l'initiation par le groupe : c'est la réorganisation des apprentissages et des statuts ; l'intégration sociale ou insertion dans de multiples réseaux. Pour lui, la socialisation est nécessairement liée à la personnalisation car ces deux éléments sont concourant dans la construction de la personnalité. Il établit ainsi une concordance dimensionnelle entre ces deux processus comme suit :

Socialisation

Personnalisation

intégration sociale

réalisation de soi

insertion réticulaire

orientation par le projet

initiation par le groupe

promotion par le pouvoir

appropriation règles et compétences

Estimation et hiérarchisation des valeurs

Intériorisation des styles, imaginaires, représentations, valeurs

Conscientisation, quête du sens, identisation, esprit critique

Identification, attachements et défenses

Autonomisation, liberté d'action, autocontrole

 

Tableau 1: Concordance entre la socialisation et la personnalisation selon Pierre Tap

Mais personnalisation n'est pas identité. Si ces deux notions sont liées, elles ne sont pas similaires. Le mot identité vient du latin idem, qui signifie « le même ». L'identité est donc ce qui fait qu'une chose est de même nature qu'une autre (on parle en effet de « contrôle d'identité »). L'identité chez l'enfant est en partie liée au développement affectif (voir page 10 et suivantes). Freud définit l'identification comme le processus par lequel l'enfant s'assimile à des objets ou des personnes extérieures. En sociologie, l'identification est liée à la théorie des rôles et des groupes de références (groupe auquel l'individu s'identifie, emprunte ses normes et valeurs sans pour autant en faire partie). L'identification est le processus central de la dynamique identitaire : identification aux images des parents ; des frères et soeurs ; des camarades ; aux idéaux et modèles de la famille et de la culture (à travers des personnages mythiques, les vedettes, les héros, etc). « Tout au long de son développement, il [l'entourage] lui inculque des normes et des modèles auxquels il est invité à se conformer »94. L'identité peut être saisie de plusieurs manières, via l'une de ses multiples composantes : le sentiment de soi (la façon dont on se ressent) ; image de soi (la façon dont on se voit, dont on s'imagine) ; représentation de soi (façon dont on peut se décrire) ; continuité de soi (ce que l'on est intérieurement) ; soi social (celui qu'on montre au autre) ; soi idéal (celui que l'on voudrait être) ; soi vécu (celui que l'on se ressent être), etc. La construction de l'identité personnelle se fait selon cinq processus successifs, mais intriqués :


· La subjectivation primaire : « l'individu-sujet est un acteur qui consomme et produit, et un interlocuteur qui communique et apprend, dans des rapports de savoir et de savoir-faire. Sur cette base l'enfant va pouvoir devenir cause de sa propre action et de son propre

94 Edmon Marc, « La construction identitaire de l'individu », in Halpern Catherine (coordonné par), Identité(s). L'individu, le groupe la société, Auxerre, Sciences Humaines Éditions, 2009, p. 32

changement »95 ;

· La socialisation : L'individu apprend à jouer des rôles, des personnages, des manières d'être. Il assimile des systèmes de communication et apprend à tenir compte des conditions d'extériorisation et d'ouverture à l'égard des personnes ;

· Identisation : c'est l'« histoire complexe de la continuité de l'image de soi dans le changement et de l'actualisation continue d'identifications multiples, enrichissant ou appauvrissant, selon les cas, l'image de soi »96. L'individu acquiert son identité à la fois dans l'histoire culturelle et dans son histoire personnelle. L'identisation peut être vue comme le développement progressif d'un « soi-même », d'un style singulier, à partir des styles collectifs, sans pour autant en déformer les traits caractéristiques (nous abordons la notion de style un peu plus loin) ;

· La personnalisation par auto-contrôle : coordonne et hiérarchisation des conduites en fonction des nécessités de l'action et du besoin interne d'intégration. Cela implique un effort d'unification, de contrôle et défense de soi, selon les circonstances ;

· La personnalisation par invention : ce sont les choix, les décisions, les orientations, c'est donner un sens à sa vie, aux objets, aux situations et aux relations.

Dans cette construction, à chaque processus est associé une structure. Ainsi, ce sont la « personnalité sociale (ensemble des personnages, rôles, identités sociales), identité et personne qui mobilisent, orientent et transforment la personnalité du sujet (acteur) »97. Pierre Tap propose donc un modèle de l'identité basée sur huit dimensions :

· la continuité dans le temps ;

· la cohérence (unité) : dans un double mouvement constructif (intégration psychique) et défensif (défense de l'intégrité) ;

· La positivité (valorisation, évaluation, estime). « tout individu a besoin d'une estime de soi construite dans l'action, la prise de position et de rôle. Il a besoin de se valoriser à ses propres yeux, aux yeux des autres ou de ses groupes d'appartenance. Il a besoin de se sentir digne d'amour et de confiance, d'être considéré dans sa valeur et dans ses compétences »98 ;

· la différenciation interne : c'est l'organisation dynamique interne du corps, des rôles et

95 Pierre Tap, op cit, p. 59

96 Pierre Tap, op cit, p. 59

97 Pierre Tap, op cit, p. 60

98 Pierre Tap, op cit, p. 67

statuts, des « nous », des idéologies, des valeurs vers une unité du « moi », nécessaire mais utopique ;

· La différenciation externe : l'identité se construit dans l'opposition au monde extérieur. Elle se reflète au niveau des sentiments (sentiment d'être cause, d'être responsable et autonome ou, au contraire, dépendance et sujétion) ;

· l'affirmation de soi : processus de défense par offensive ;

· l'originalité (unicité) : l'identité comme unicité incomparable (va jusqu'au refus de l'imitation d'un modèle, ou négation de toutes ressemblances). Ce sentiment coexiste avec celui de vouloir être conforme aux normes de son groupe.

· la relance : dans une situation difficile cela implique plusieurs stratégies : éliminer obstacle, le fuir, le contourner ou réduire/dépasser le caractère angoissant et démoralisant de la situation.

Certains de ces mécanismes peuvent être soumis à rudes épreuves, surtout chez les enfants en situation de rue, qui traverse un parcours semé d'événements parfois traumatisants. Or, « dans des situations de crises ou de ruptures (intrapersonnelle, interpersonnelle et/ou institutionnelle) ces mécanismes [régulation de la cohérence, continuité et positivité] peuvent s'avérer insuffisants »99

Dès lors, de ces éléments sur la construction identitaire et sur les différents aspects de l'identité personnelle, on peut dire que, à l'image du développement de l'enfant en général, que « l'identité se construit dans un double mouvement d'assimilation et de différentiation, d'identification aux autres et de distinction par rapport à eux »100. On voit clairement que l'identité est une construction complexe et dynamique, en tension entre l'individu et les différents collectifs (les groupes, les sociétés, etc) dans lesquels il est impliqué. La notion de style, empruntée à l'art, peut venir éclairer l'influence du collectif sur l'identité. Un style est un « système institué de code, de procédure et de recette permettant de définir, de recenser et catégoriser un oeuvre, une production, de la classer dans le genre dont elle fait partie et qui la spécifie. On pourrait ainsi dénombrer autant de style que de genre »101. Les identités collectives (de genres, familiales, nationales, régionales, ethniques, etc) peuvent se voir appliquer la même définition. Les individus souhaitant s'intégrer en viennent à adopter les styles du groupe en question. Ainsi, à l'image des styles, les identités collectives sont à la fois un moyen (l'emprise de institutions ou groupes socioculturels) pour situer les individus et les

99 Pierre Tap, « Identité et exclusion », Connexions, 2005/1 no 83, p. 65

100Edmon Marc, « La construction identitaire de l'individu », in Halpern Catherine (coordonné par), Identité(s). L'individu, le groupe la société, Auxerre, Sciences Humaines Éditions, 2009, p. 29

101Pierre Tap, op cit, p. 61

inciter à agir en fonction d'un cadre d'orthodoxie idéologique.

Le groupe est un élément important de la dynamique identitaire, surtout dans le cas des enfants en situation de rue qui se retrouvent détachés des figures familiales classiques, et n'ont donc parfois que la rue et leurs pairs comme principales références. « L'identité des enfants des rues se modèle en fonction des rencontres et des expériences vécues dans la rue »102. Pour Dominique Oberlé, un groupe se définit par les liens qui le traversent, et qui unissent ses membres103 : le lien imaginaire (les désirs, les rêves entrent en résonance, et le groupe prend forme) ; le lien fonctionnel (les techniques, les procédés, les savoir-faire) ; le lien normatif (l'adhésion à un système de valeurs, de règles). Il précise qu'un processus de différenciation est toujours à l'oeuvre lorsque qu'un groupe se constitue, mais il est plus ou moins marqué. En effet, on se construit toujours contre quelque chose, ou en réponse à quelque chose. Il ajoute que les différents éléments qui constituent un groupe sont ses membres, les buts du groupe, les valeurs, les normes, les modalités de communication et de commandements, les statuts et rôles des participants, ainsi que le manière dont tous ces éléments sont perçus par les participants, et les représentations qu'ils forgent. Pierre Tap précise que le groupe va plutôt permettre à l'individu de s'affirmer si ce dernier est en confiance, se sent en sécurité dans le groupe. Dans le cas contraire, l'individu aura plutôt tendance à se référer au groupe pour s'identifier104. Deux processus concernant les normes du groupe sont à l'oeuvre105. D'abord un processus de normalisation, dans le cas où les normes sont absentes au départ, on les crée au fur et à mesure. Ensuite, le conformisme, dans le cas où les normes pré-existent et sont soutenues par la majorité du groupe, et où un individu est donc amené à modifier ses opinions ou comportements pour y adhérer, ou y rester. Ce conformisme de l'individu se fait pour trois raisons différentes : par complaisance (conformisme utilitaire, on ne se fait pas remarquer, on ne veut pas de problème) ; par identification (pour concerner un relation positive au groupe, avec comme enjeu un « acceptabilité sociale ») ; par intériorisation (ainsi, l'individu n'a pas l'impression de se conformer, mais d'adhérer de son plein gré). Le groupe est donc central dans les processus de socialisation et les dynamiques identitaires des enfants en situation de rue. Les relations entre pairs vont en effet constituer une part importante des interactions de ces enfants en marge des sociabilités traditionnelles (famille, école, etc).

Dans la rue, la dynamique identitaire va donc évoluer, au fil des rencontres et des expériences.

102Fatou Dramé, op cit, p. 122

103Dominique Oberlé, Vivre ensemble. Le groupe en psychologie sociale in Halpern Catherine (coordonné par),

Identité(s). L'individu, le groupe la société, Auxerre, Sciences Humaines Éditions, 2009, p. 135

104Lecompte Jacques, « Marquer sa différence. Entretient avec Pierre Tap », in Halpern Catherine (coordonné par),

Identité(s). L'individu, le groupe la société, Auxerre, Sciences Humaines Éditions, 2009, p. 57 105Ibid, p. 140

L'observation de cette dynamique devra donc permettre d'apporter une perspective sur l'évolution et la fin de carrière des enfants. En effet, la sortie de la rue est parfois l'occasion d'un repositionnement identitaire : changement dans les relations avec les autres, dans les relations à sous-même, dans les lieux, etc. Il s'agit donc de quitter une position en marge, de laisser derrière soit une rue que l'on s'était approprié, en dehors des modes traditionnels de socialisation106.

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