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Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue

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par Corentin SIROU
Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011
  

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1.4. Des outils théoriques

Nous avons vu les difficultés que comportait la définition du public que forment les enfants en situation de rue. Ces définitions sont-elles maintenant à même d'aider à notre compréhension des différentes situations ? Si l'adoption d'un vocable approprié, ou du moins épuré le plus possible des stéréotypes qui peuvent l'accompagner, est nécessaire comme préalable, il nous faut désormais nous intéresser aux outils théoriques, qui vont aider à la lecture et à la compréhension des situations concrètes rencontrées.

Pour cela, nous pouvons nous appuyer en partie sur les travaux de Riccardo Lucchini. Il constate que très souvent, l'enfant en situation de rue est défini selon deux dimensions. D'abord la dimension physique : la durée de la présence de l'enfant dans la rue. Ensuite la dimension sociale : les liens qu'il entretient avec sa famille. Mais cette définition ne permet pas de décrire avec précision l'ensemble des carrières des enfants en situation de rue. Ainsi, pour nous permettre d'affiner la lecture des situations et donc approfondir notre compréhension de ce public, nous pouvons nous appuyer sur le système « enfant-rue »22. Selon lui, la définition bi-dimentionelle des enfants en situation de rue est limitée car elle ne permet pas, ni d'apprécier la diversité psychosociologique de ce public, ni de prendre en compte la complexité de la rue23. Plutôt qu'une définition figée, il propose donc un modèle évolutif24, composé de plusieurs dimensions. Chacune des dimensions, suivant les cas et les contextes, va prendre plus ou moins d'importance et se trouvera plus ou moins liée aux autres :

22 Riccardo Lucchini, Enfants de la rue. Identité, sociabilité, drogue, Genève, Paris, Droz, 1993, p. 22

23 Riccardo Lucchini. op cit, 1998, p. 348

24 Au fil de ses publications (voir R. Lucchini, 1993, 1996, 1998, 2001), l'auteur fera évoluer ce modèle, ajoutant, regroupant, scindant ou retirant des dimensions.

Socialisation / sous-culture (5)

Motivation (7)

Identité (6)

Illustration 1: Le système "enfant-rue"

Genre (8)

(1) Espace / Temps

(2) Opposition rue / famille

(3) Sociabilité

(4) Activité dans la rue

Les différentes dimensions du système « enfant-rue » définissant ainsi des thématiques regroupant chacune différentes questions.

1. Espace / temps : présence d'un ou de plusieurs territoires, le départ et l'éloignement avec la famille, la mobilité entre les différents lieux (famille, rue, institutions, etc) ;

2. Opposition rue / famille : image de la famille idéale, la rue idéalisée ;

3. Sociabilité : les formes de sociabilité (dyade, triade, groupe, réseau, bande hiérarchisée) des enfants dans la rue ;

4. Activité dans la rue : diversité et intensité des activités des enfants, contexte dans lesquels elles se déroulent ;

5. Socialisation / sous-culture : acceptation / initiation dans les groupes, règles de coopération, gestion des conflits ;

6. Identité : les références de l'enfant, ainsi que l'image de soi, et l'évolution de ces facteurs en fonction du temps et des circonstances ;

7. Motivation : la rue comme un moyen de résolution des problèmes pour l'enfant,

8. Genre : différence garçon/fille, modalités d'insertion des filles dans les groupes de garçons, prostitution ;

Adjacente à ce modèle, la notion de carrière permet une lecture plus « biographique » du parcours des enfants en situation de rue. Constituée de différentes étapes, elle va permettre une approche particulière des différentes dimensions proposées par le système « enfant-rue ». Elle va en effet permettre de voir l'importance de chacune de ces dimensions, ainsi que la manière dont elles influent sur le parcours de l'enfant. « La carrière devient ainsi l'élément central qui définit la place que l'enfant occupe dans la rue. Cette place diffère d'un enfant à l'autre en fonction de l'étape qui est la sienne à un moment donné ainsi que des étapes qu'il a déjà parcourues. On voit donc que les

enfants de la rue ne forment pas une catégorie sociale homogène sur le plan psychosociologique. Même s'ils sont nombreux à partager des histoires de vie semblables, ces histoires se traduisent de manière différente en termes d'identité, d'insertion dans le réseau ou le groupe, de compétences et de vécu »25. La carrière d'enfant de la rue comporte cinq étapes principales :

1. Le départ ou l'éloignement progressif. Soit l'arrivée dans la rue est immédiate, soit l'éloignement est progressif avec son milieu d'origine : famille, institution... ;

2. La « rue observée » et la « rue ludique » est une étape lors de laquelle l'enfant conserve une certaine distance avec la rue ;

3. la « rue alternance » ou ambivalente, où l'enfant assume son statut ainsi que la rue ;

4. la rue refusée : la rue n'offre pas de possibilités de débouchés ;

5. La sortie de la rue.

Cela étant dit, la carrière de l'enfant varie d'un enfant à un autre. En effet, chacun parcourt les différentes étapes à un rythme particulier, en avançant ou revenant en arrière dans la carrière. De même, les étapes présentées ici ne sont pas forcément valables pour tous les enfants, certains ne passeront jamais par certaines d'entre elles. Ainsi, selon Riccardo Lucchini, le parcours de chaque enfant, sa progression particulière dans la carrière de la rue, est influencé par un système de facteurs interdépendants :

1. Les modalités de départ dans la rue ;

2. Références et identifications ;

3. Compétences symboliques et instrumentales ;

4. Degré d'insertion/participation dans la vie sociale de la rue ;

5. Mouvement entre les différentes champs (famille, rue, institutions, travail informel, parenté ou connaissance, etc) ;

6. Besoins et motivations de l'enfant ;

7. Modalité de sortie de la rue ;

8. Regard adulte et institutionnel ;

En ce qui concerne la fin de la carrière, on distingue trois modes de sortie différents : la sortie
active, la sortie par déplacement forcé ou expulsion et la sortie par épuisement des ressources ou

25 Riccardo Lucchini, Carrière, identité et sortie de la rue : le cas de l'enfant de la rue, Déviance et Société, 2001/1, Volume 25, p. 81

inertie. La sortie active est liée à un projet qui va progressivement s'élaborer tout au long du processus de sortie de l'enfant dans la rue. La présence d'une alternative crédible est nécessaire à la sortie de la rue, dont l'enfant contribue en partie à en créer l'opportunité. On retrouve dans ces cas différentes modalités de sortie :

· la sortie auto-contrôlée : les contraintes qui freinent la sortie de la rue diminuent progressivement. La complémentarité entre les différents champs (école, famille, rue), qui jusque là faisaient partie d'un réel projet de vie dans la rue, est rompue ;

· on repère une deuxième modalité, dont l'identité sera l'élément central dans le processus de sortie. Ici, partiellement hétéro-contrôlée, le processus de sortie prends corps lorsqu'une complémentarité vient s'instaurer entre la rue et, par exemple, un programme d'insertion. Si la rue perd alors la place centrale qu'elle avait dans les références de l'enfant, il faudra un événement fort pour catalyser ce processus ;

· La troisième modalité, également partiellement hétéro-contrôlée, va donc nécessiter un appui externe pour que la sortie soit effective. Ici, la rue est vécue par l'enfant à la fois comme temporaire, donc susceptible de se terminer à tout moment, et comme cadre de vie global. Par conséquent, l'enfant est dès l'origine porteur d'un projet post-rue ;

· La dernière modalité est également fortement marquée par une composante identitaire. C'est en effet un changement dans les comportements et le regard des adultes envers l'enfant qui va initier le processus de sortie. Le refus d'une identité déviante va être moteur dans le processus de sortie ;

Ces quatre modalités différent légèrement, notamment en terme de rupture (plus ou moins marquée) et de perception de son passage dans la rue par l'enfant (durée indéterminée ou simple parenthèse), mais « l'existence d'un projet, d'une alternative crédible à la rue et d'une dynamique identitaire constituent le point commun entre les quatre types de sortie active de la rue. »26. La sortie par expulsion ou déplacement forcée est plus radicale. Ce sont par exemple les cas de placements forcés dans une institution (prison, etc). La famille n'est plus, et depuis longtemps, un recours pour l'enfant, et le retour dans la rue s'avère difficile après une longue coupure avec la rue. La sortie par épuisement des ressources marque sa différence avec la sortie active en cela que l'enfant n'a pas de projet post-rue, ni non plus d'alternative crédible à la rue. L'épuisement de ces ressources (matérielles, symboliques, affectives, sociales) peut être soit objectif, soit subjectif, c'est à dire perçu par l'enfant comme s'épuisant, alors que cela ne correspond pas à un épuisement objectif.

26 Riccardo Lucchini, Carrière, identité et sortie de la rue : le cas de l'enfant de la rue, Déviance et Société, 2001/1, Volume 25, p. 91

Dans ce type de sortie, la motivation est plutôt réactionnelle, et donc moins liée à un projet pour l'après-rue. Il y a donc plus de risque de voir des tentatives de sorties avortées dans ces cas que dans d'autres.

Ces outils, développés à partir d'études basées en Amérique du Sud et en Amérique Centrale, peuvent nous permettre de lire les situations des enfants en situation de rue. En effet, certains d'entre eux sont parfois réutilisés et adaptés à d'autres terrains, comme c'est le cas dans l'étude menée par Daniel Stoecklin en Chine27. Ces outils, accompagnés d'une prise en compte du contexte dans lequel vivent les enfants, doivent permettre de saisir les différentes dimensions du vécu de ces derniers.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld