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Crimes sexuels sur enfants en Indre-et-Loire à  la fin du XIXème siècle

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par Timothée Papin
Université François-Rabelais (Tours) - Master 2 Histoire contemporaine 2011
  

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Chapitre II : Le rôle de l'expertise judiciaire

Les crimes sexuels ont une particularité qui les rend si difficiles à juger : les traces ne sont pas légion, sont effacées ou bien absentes. Bien souvent le personnel judiciaire et le jury doivent statuer en dépit de preuves formelles. Petit à petit, la conviction que la justice doit s'appuyer sur des séquelles constatables et non plus uniquement sur des témoignages verbaux commence à prendre du poids. Les tribunaux, et ce dès le début du siècle, recourent de plus en plus à des experts de tous horizons professionnels101.

L'expertise légale au service de la justice

Dès le début du XVIIIème siècle est évoquée la nécessité d'une expertise médico-légale pour les femmes violées102. Le développement de la discipline est a l'évidence a mettre en parallèle avec les innovations scientifiques qui se succèdent au XIXème siècle. En effet, dans la première moitié du siècle les praticiens se fient le plus souvent à leur odorat, à la couleur et au goût des liquides, ainsi que leur quantité et leur forme, alors que dans la seconde partie apparaissent le microscope et le précipité chimique103. Ceci explique les progrès tardifs dans ce domaine, car l'expertise légale y nécessite un état avancé des savoirs médicaux104. De nombreux traités sont rédigés, de nouvelles revues paraissent. Les experts en médecine légale parmi lesquels s'illustre le célèbre Ambroise Tardieu, n'oublient pas l'objectif de leurs travaux : servir la justice et la société, par une meilleure description des crimes pour mieux les surveiller et les endiguer105. Son apparition remonte a l'Antiquité, mais on ne la considère comme une science distincte qu'à partir de la fin du XVIème siècle, oü l'État en formalise la pratique106. Jamais dans les différentes versions du code pénal le mot de médecine légale n'est prononcé, et elle n'est pas

101 Frédéric CHAUVAUD, Les experts du crime : la médecine légale en France au XIXème siècle, Paris, Aubier, 2000, p. 17.

102 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 336.

103 VIGARELLO (1998), p. 166.

104 Gabriel TOURDES, Edmond METZQUER, Traité de médecine légale théorique et pratique, Paris, Asselin et Houzeau, 1896, p. 26. L'ouvrage est consultable en intégralité sur le site Gallica.

105 Georges VIGARELLO, « La violence sexuelle et l'oeil du savant », préface à Ambroise TARDIEU, Les attentats aux moeurs (1857), Grenoble, Jérôme Millon, 1995, p. 7-8. Une version amputée de quelques pages est disponibles sur le service Google Books.

106 Michel PORRET, « La médecine légale entre doctrines et pratiques », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2010, juin, n°22, p. 3-15, p. 3.

obligatoire. C'est le code d'instruction criminelle de 1808 qui en pose le principe, dévolu aux médecins107. Toutefois la direction prise par cette discipline en expansion va plutôt aux crimes de sang, a travers l'autopsie notamment, ou aux empoisonnements, par le biais de la toxicologie108.

Dès 1812, le ministère de la Justice insiste auprès des procureurs généraux pour qu'ils sélectionnent a l'avance des hommes expérimentés pour les futures expertises109. Disposition assez emblématique des relations tumultueuses qu'entretiennent l'institution judiciaire et la société de la médecine légale, puisqu'elle n'est traduite en décret qu'en 1893, ce dernier obligeant les cours d'appel a dresser des listes d'experts110.

La législation est pourtant loin d'être immobile et évolue dans les années 1830, puisque seuls les docteurs en médecine ont la possibilité d'expertiser pour le compte de la justice. Cette initiative est loin d'être anodine puisque le manque de discernement n'est pas rare chez les médecins ordinaires. En 1883, celui qui examine la jeune Armantine annonce dans son rapport qu'elle est déflorée, mais quelques jours plus tard l'expertise ordonnée par le tribunal infirme ce point111. Le praticien de la localité est donc convoqué pour une nouvelle observation, laquelle ne révèle pas de déchirure de l'hymen. Raison invoquée : les organes ne sont désormais plus gonflés. Toutefois jusque dans les années 1850 on trouve encore des sages-femmes pour visiter les petites filles dans les affaires de moeurs112. Au vu de l'affaire Mauclerc, qui se déroule pourtant en 1898, on ne peut que donner raison au législateur : la jeune victime est visitée en premier lieu par l'une d'elles, qui annonce que l'enfant est déflorée113. L'examen ultérieur ordonné par le parquet ne révèle qu'une légère vulvite ainsi que des petites lèvres rouges et tuméfiées. Rien n'est donc véritablement fixé dans les règles, et il faut attendre la fin du siècle pour voir

107 Article 43 : « Le procureur impérial se fera accompagner, au besoin, d'une ou de deux personnes, présumées, par leur art ou profession, capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou

délit ».

108 En effet, l'article 44 du même code, qui évoque tout particulièrement les « officiers de santé », ne stipule leur convocation que dans les cas d'une mort suspecte, ou dont la cause est inconnue et suspecte.

109 CHAUVAUD (2000), p. 21.

110 Ibid., p. 44.

111 ADI&L, 2U, 625, affaire Beauvais.

112 CHAUVAUD (2000), p. 22.

113 ADI&L, 2U, 754, affaire Mauclerc.

l'aboutissement de la réforme de la profession médicale. Celle-ci stipule en 1892 que l'exercice de la médecine est dévolu aux seuls docteurs114.

Le milieu du siècle correspond également au développement de la littérature médicolégale. Précédemment l'expertise légale se faisait dans un flou assez dramatique pour une discipline qui tend à la perfection scientifique. Faute de véritable manuel pratique, les hommes de l'art se trouvaient parfois fort dépourvus au moment de rendre un verdict que l'exigence scientifique voudrait incontestable. Sous le Second Empire les publications se multiplient sous l'impulsion de Tardieu, dont l'approche nouvelle fait école jusqu'au milieu des années 1880115. Néanmoins pendant longtemps, ce dernier ainsi que ses confrères ne se sont intéressés aux crimes sexuels sur enfants que dans les cas où elle relevait de l'homosexualité116. Ce qui constitue tout de même un progrès notable puisque jusque-là c'était un tabou difficile a surpasser pour les légistes. Une nouvelle fois Tardieu fait office de précurseur à travers la septième édition de son Étude médico-légale sur les attentats à la pudeur, datée de 1857117. A partir des années 1880 le rythme augmente encore, et les parutions se diversifient118.

Pourtant, si abondance de biens ne nuit pas, encore faut-il savoir les vulgariser de façon à être compris des profanes que sont le juge d'instruction et le procureur, ainsi que le jury populaire. Au début du siècle, François-Emmanuel Fodéré se fait écho de l'inintelligibilité des rapports médicaux, qui déroutent les magistrats plus qu'ils ne les instruisent119. Cela dessert l'influence qu'ils peuvent avoir lors du procès, autorité d'autant plus prééminente que la défense ne peut lutter à armes égales avec le médecin sur le terrain purement scientifique120. Néanmoins, si les jurés peuvent être un peu sourds aux remarques des médecins, l'accusation y est dans l'ensemble sensible. Ainsi un procureur de Tours réagit

114 Ibid., p. 43.

115 Denis DARYA VASSIGH, « Les experts judiciaires face a la parole de l'enfant maltraité : le cas des

médecins légistes de la fin du XIXème siècle », Revue d'histoire de l'enfance « irrégulière ~ [En ligne], Numéro 2 | 1999, mis en ligne le 30 juillet 2010. URL: http://rhei.revues.org/index34.html, p. 97-111, p. 100.

116 SOHN (1996-a), p. 57-58.

117Ibid., p. 13.

118 CHAUVAUD (2000), p. 40.

119Ibid., p. 79. 120Ibid., p. 231.

positivement à la constatation de l'homme de l'art, puisqu'il poursuit en disant « *qu'elle+ indiquait, sans permettre de doute, *...+ un acte criminel »121.

L'irrésistible ascension de la médecine légale entraîne un relatif déclin de l'importance des preuves orales que sont les aveux et les témoignages, prédominants au début du siècle dans les procès. On conteste leur réalité de preuve, leur opposant les preuves scientifiques supposées irréfragables122. Hélie dresse par ailleurs un répertoire distribuant les preuves entre cinq catégories : la première d'entre elles est le déplacement sur les lieux du crime, la suivante l'interrogatoire du prévenu et de la victime, puis viennent l'audition des témoins, l'examen des pièces a conviction et enfin l'expertise123. L'histoire ne nous dit pas si la place occupée par chacun des groupes avait dans l'esprit de leur auteur une signification particulière quant à leur intérêt.

C'est dans cette perspective que se développe paradoxalement un domaine de la science médico-légale qui repose en grande partie sur l'examen de données immatérielles : l'étude du psychisme et des comportements. Au début du siècle les jurés prêtent peu d'attention à la folie, sans cesse réfutée. Il faut attendre la fin des années 1820 pour constater un changement124. Cet attachement à la personnalité de l'agresseur sexuel s'est fortement développé à compter de la monarchie de Juillet, l'expertise médico-légale tentant de faire le lien entre déviances sexuelles et aliénation mentale125. L'accroissement du nombre d'examens psychiques, on le doit a l'intérêt croissant qu'y porte le jury depuis l'apparition des circonstances atténuantes en 1832126. Le développement de cette spécialité a suivi le même cheminement que la médecine légale un peu plus tôt, elle le doit a l'essor de la psychiatrie qui fait évoluer les conceptions de la folie, dont une nuance est l'aliénation mentale qui n'est pas toujours perceptible pour le juge, lequel requiert alors une expertise127. La parcimonie avec laquelle les tribunaux ont recours à celle-ci tient selon Lanteri-Laura aux objectifs même de l'institution judiciaire. Le comportement pervers n'est condamné que par ses conséquences, et la médecine n'est consultée le plus

121ADI&L, 2U, 612, affaire Deballon.

122 CHAUVAUD (2000), p. 172-172.

123Ibid., p. 175.
124Ibid., p. 121.

125 Georges LANTERI-LAURA, Lecture des perversions : histoire de leur appropriation médicale, Paris,

Masson, 1979, p. 29.

126 CHAUVAUD (2000), p. 60.

127GUIGNARD, L'Atelier du Centre de recherches historiques, 05 | 2009, [En ligne], § 6.

souvent que dans le but de constater les dégâts sur la victime, et non pour en trouver les causes dans la tête de l'accusé128.

La psychologie apporte donc la nuance qui manquait dans le code pénal et que les révisions de 1832 et 1863 n'ont pas su corriger, laissant le texte en l'état.

Article 64 : Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister.

Le texte induit que l'irresponsabilité pénale ne peut être pondérée d'aucune manière, l'accusé étant soit fautif à 100%, soit fou à 100%. Aucune définition n'est proposée pour ladite démence, aucun critère juridique n'est présenté afin de permettre au juge de l'identifier129. Il s'en remet donc a l'expertise médicale qui doit apporter une gradation de l'aliénation mentale, prélude a l'attribution de circonstances atténuantes130. Elle se décompose en trois figures : l'imbécilité, la démence et la fureur131. Le célèbre docteur lyonnais Alexandre Lacassagne distingue les deux première d'une remarquable formule : « Le dément est un pauvre d'intelligence qui a été riche, l'idiot a toujours été pauvre »132. Chauvaud introduit dans le contexte judiciaire la personne de l'aliéné : « Le fou, pratiquement assimilé aux animaux dans le code pénal, aux mineurs dans le code civil, n'est ni capable ni coupable »133. Ce « mouvement de subjectivisation »134 correspond à une individualisation des peines en fonction de « l'élément moral )), qui s'ajoute a la traditionnelle « matérialité des faits » pour constituer la « culpabilité »135. En effet, peu importe finalement au magistrat le degré d'aliénation ou d'imbécillité du prévenu, ce qui l'intéresse est de savoir s'il est fou et rentre dans le cadre de l'article 64, ou s'il est d'une intelligence bornée suffisante pour lui accorder des circonstances atténuantes136. Ainsi, « la définition de l'aliénation mentale importe moins que la description du malade »137. En fin de compte, après des années d'une lente et chaotique progression, la question de

128 LANTERI-LAURA (1979), p. 17.

129 Gilles TRIMAILLE, « Criminalité et folie, XVème - XIXème siècles », in Benoît GARNOT (dir.), Ordre moral et délinquance de l'Antiquité au XXème siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1994, p. 303-310, p. 308. 130GUIGNARD, L'Atelier du Centre de recherches historiques, 05 | 2009, [En ligne], § 20.

131 CHAUVAUD (2000), p. 114.

132 Alexandre LACASSAGNE, Précis de médecine légale, Paris, Masson et Cie, 1906, p. 234. Consultable en intégralité sur le site de Gallica.

133 CHAUVAUD (2000), p. 114.

134GUIGNARD, L'Atelier du Centre de recherches historiques, 05 | 2009, [En ligne], § 16. 135GUIGNARD, L'Atelier du Centre de recherches historiques, 05 | 2009, [En ligne], § 7.

136 CHAUVAUD (2000), p. 139-140.

137 Ibid., p. 143.

l'aliénation intermédiaire et de la responsabilité limitée qui en découle s'impose dans les habitudes judiciaires sous la IIIème République138. Elle est aidée par l'émergence au même moment d'une véritable « science du sexe » menée notamment par Krafft-Ebing dont l'ouvrage de référence Psychopathia Sexualis est publié en France en 1886139.

Les missions de l'expertise

Nous l'avons vu, les magistrats ont de plus en plus recours a l'expertise, et dans le concert des professions convoquées, les médecins sont loin d'être majoritaires. Dans les affaires de moeurs ils le sont en revanche, officiant aux côtés des pharmacologues voire des architectes. De la même façon que dans les affaires d'un autre type, leur convocation n'est pas obligatoire et relève du bon vouloir du juge d'instruction, lequel mande l'expert au moyen d'une ordonnance du parquet. Outre la prestation de serment qu'elle requiert de la part de l'homme de l'art, elle annonce les objectifs de la future expertise a travers une série de questions. On note ici qu'elle n'est nullement obligatoire, et peut être refusé par la victime140, ou par les parents de celle-ci141. Ce n'est pas là l'unique manière de procéder a un examen. Nous l'avons dit, il peut être pratiqué par le docteur de la commune sur demande des parents, à la requête du prévenu142, ou sur instruction des forces de l'ordre. Il peut y avoir pour une même personne plusieurs examens de praticiens différents, pour confronter les avis en cas de doute sur les résultats d'une première observation, ou pour mesurer l'évolution des conséquences physiques de l'attentat. Dans un cas, nous avons même une autopsie de la victime143. Notre corpus comporte 136 prévenus, dont 28% ont été observés par un médecin légiste. Cette visite est d'ordre physiologique dans 73% des cas et psychique dans 24%144.

138 Ibid., p. 151.

139 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 365.

140 ADI&L, 2U, 698, affaire Moret. Les parents de la victime annoncent au légiste commis par le tribunal que celle-ci refuse de se prêter à tout examen.

141 SOHN (1996-a), p. 141.

142 ADI&L, 2U, 739, affaire Fillon. C'est l'accusé lui-même qui a demandé au commissaire de faire visiter la jeune fille, ajoutant : « Cet enfant a en effet tous les vices. »

143 ADI&L, 2U, 739, affaire Fillon.

144 Les 3% restants sont a mettre a l'actif d'un cas oü l'accusé subit les deux types d'examen.

Pour le médecin, deux voire trois champs d'investigation existent dans le cas d'un examen physiologique : la victime, l'accusé et dans certains cas particuliers, un témoin145. En ce qui concerne les jeunes victimes, il lui est demandé d'examiner en premier lieu les parties sexuelles. Outre la conformation générale à première vue, l'expert doit manipuler lesdits organes afin d'approcher au plus près les séquelles plus profondes. C'est là que débute véritablement son rôle de médecine légiste, car les constatations extérieures et préalables ont parfois déjà été faites soit par les proches de la victime directement, soit par le médecin de la commune. Pour l'aider dans son travail, Tardieu a élaboré en 1857 un tableau des symptômes physiques de violence sexuelle, à partir de 400 observations146. Il a également définit une sorte de protocole de l'examen composée de vingt-quatre questions auxquelles l'expert doit répondre147. Sa vision est novatrice, il milite pour que le médecin repère les marques positives de l'attentat et non plus, comme c'est souvent le cas en pratique, les signes négatifs148.

Commençons par l'attentat sur un garçon, dont l'examen est supposé plus simple car plus ciblé et limité. En revanche, il est assez rare, puisqu'il ne concerne qu'à peine le quart des cinquante victimes de sexe masculin de notre corpus. La raison est logique, car s'il n'est pas toujours facile de déceler des traces d'attentats sur une jeune fille, le constat est d'autant plus vrai pour un garçon, même si la situation à la fin du siècle fait apparaître une augmentation des examens149. Cela ne tient pas tant au sexe mais plutôt au type d'atteinte réalisé : par exemple, la masturbation ne laisse que rarement des marques identifiables par l'expert légiste. Concrètement, le travail de ce dernier se concentre sur deux régions, les organes génitaux ainsi que l'anus.

Pour la première, il se contente d'observer la verge, puis le frein, le prépuce et la forme
du gland, en cas d'attouchements ou de masturbation. L'orifice urétral peut être examiné

145 ADI&L, 2U, 631, affaire Leclerc, ainsi que 762, affaire Heurtevent. Cette dernière possibilité, exceptionnelle, nous l'avons rencontrée a deux reprises dans notre corpus : chaque fois, le médecin - et le pharmacologue dans l'affaire Heurtevent - doit examiner le témoin pour savoir s'il possède les caractéristiques d'une maladie vénérienne. Les seuls cas rencontrés sont donc issus d'affaires dans lesquelles la victime a contracté a la suite de l'attentat une maladie « honteuse ~. Dans l'affaire Leclerc, le médecin examine l'amant de l'inculpée pour savoir s'il a contracté l'urétrite contagieuse dont souffre sa partenaire. Dans le procès Heurtevent, le juge ordonne l'examen du père de la victime, pour être sûr que ce n'est pas lui qui a attenté a sa fille.

146 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 340.

147 Ibid., p. 343.

148 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 340. Un exemple de signe négatif : « On ne remarque aucune déchirure ».

149 Ibid., p. 357.

en cas de soupçon sur une possible maladie vénérienne ou syphilitique. Quant à la zone anale, elle est parfois inspectée même lorsque l'agresseur ne s'y est pas attaqué. Le légiste examine le pourtour tout d'abord, puis les plis, la muqueuse et enfin la tonicité du sphincter anal. Il y recherche toutes sortes de vestiges de l'attentat : ecchymoses, excoriations, fissures etc. Les mêmes examens peuvent être pratiqués sur une fille, parfois même sans aucune suspicion de tentative de sodomie.

Dans le cas d'une victime féminine, dont les deux tiers des 233 cas ont été examinés, le docteur écarte les grandes lèvres, dont l'état général peut déjà donner des indications sur la violence du fait présumé, et observe les diverses parties qui composent la vulve : petites lèvres, clitoris, méat urinaire, vestibule du vagin, fourchette. L'examen préliminaire a trait à la puberté, le médecin observe le pubis et les grandes lèvres afin d'y relever la présence ou non de poils et à défaut de duvet.

Pour la vulve, même constat que pour les grandes lèvres, le praticien peut en apprécier l'aspect global grâce aux couleurs, la forme, la fermeté et la réaction au toucher. Le mode opérationnel reste le même pour les petites lèvres. Le clitoris a une signification particulière pour les médecins, puisque leurs constatations peuvent être à charge pour l'accusé comme pour la victime. Pourtant l'observation reste la même, ayant pour but de déceler une couleur mais surtout une taille anormale, sous-entendu non-conforme pour l'âge de la victime, du clitoris150. Nous reviendrons sur la controverse qui y est associée dans un chapitre ultérieur, cependant nous pouvons déjà dire que l'interprétation semble suivre des chemins peu scientifiques. En effet, une même constatation peut aboutir à deux jugements diamétralement différents, annonçant que l'enfant a bien été victime d'attouchements obscènes, ou bien diagnostiquant une tendance à la masturbation. C'est d'ailleurs là une question fréquemment posée par les juges dans les ordonnances d'examen médical : les parties du sujet révèlent-elles des traces d'onanisme ?

Le méat urinaire n'est pas particulièrement une victime directe des violences sexuelles, mais il s'avère être la gêne la plus répandue chez les fillettes consécutivement à un attentat. Il est souvent le siège d'inflammations dues à des écoulements résultant d'un contact inapproprié avec un objet extérieur - pénis, doigt, morceau de bois, etc. Pour le

150 ADI&L, 2U, 719, affaire Fillon : « Le développement du clitoris et la flétrissure des petites lèvres semblent dénoter des habitudes d'onanisme. »

médecin légiste, le vestibule du vagin n'a qu'un intérêt limité car le plus important est audelà, cependant dans les cas de violence extrême elle peut être déchirée, tout comme la fourchette située a l'extrémité arrière de la vulve, près du périnée.

Bien entendu, le vagin est la zone de convergence de toutes les interrogations en matière de violence sexuelle. Si tous les attentats n'ont pas pour but une pénétration complète comme partielle, la disproportion des corps en présence engendre bien souvent des conséquences inattendues, tout du moins pour l'agresseur. La disparité de taille entre les organes sexuels de l'enfant et le doigt, la main ou le pénis de l'adulte peut facilement engendrer des séquelles au niveau du vagin, quand bien même celui-ci n'était pas l'objectif premier. Pour son examen, l'expertise nécessite l'introduction d'un doigt, souvent l'index, laquelle produit plusieurs indices : la manière dont se fait l'intromission, si elle se fait aisément ou péniblement avec l'auriculaire ou l'index, si elle provoque une douleur chez le sujet, sont autant de renseignements utiles au diagnostic. Celui-ci doit permettre d'être au fait de la possibilité d'introduire un doigt ou un membre viril dans le canal vaginal. Quelquefois la nuance va plus loin : « Le vagin est peu développé et ne pourrait admettre qu'un membre pénien petit »151.

Assurément il reste encore le plus important, a savoir l'hymen, dont une connaissance approfondie depuis le deuxième tiers du XIXème siècle perfectionne les examens152. La mince membrane est revêtue d'une importance capitale dans les attentats visant les enfants, pour la simple raison qu'à la différence d'un viol sur adulte, il y a présomption de virginité. Quelquefois il est impossible de pratiquer un quelconque examen sur celle-ci car l'entrée du vagin est très gonflée153. Le médecin s'attache en premier lieu a décrire ladite membrane quand elle est présente, à en donner la forme, dans la grande majorité des cas annulaire, parfois plus étrange154. Au contact du doigt, il en définit la souplesse, paramètre important puisque dans certains cas, l'introduction de l'objet extérieur ne rompt pas la membrane du fait de sa dilatation : c'est ce qui est communément appelé au XXème siècle l' « hymen complaisant »155. Même lorsque les relations sont répétées un

151 ADI&L, 2U, 750, affaire Allain.

152 VIGARELLO (1998), p. 167.

153 ADI&L, 2U, 612, affaire Deballon.

154 ADI&L, 2U, 619, affaire Arnault. L'examen d'une jeune victime révèle un hymen si mince qu'il en est transparent.

155 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 355-356.

grand nombre de fois, plus de cent en l'espace de sept ans pour le cas de la jeune Juliette : « L'hymen n'est pas déchiré, mais très élargi, aminci, et permettrait facilement l'introduction du membre viril. Cette jeune fille a dû avoir des rapports sexuels répétés, mais probablement assez ménagés pour que la rupture complète de l'hymen n'ait pu se produire »156. Dans d'autres cas l'expertise offre de précieux enseignements car beaucoup de jeunes filles ont l'impression d'avoir été complètement violées alors que la réalité est plus nuancée : « En avant et au-dessus de l'hymen existe une petite excavation en forme d'entonnoir, une sorte d'infundibulum dans lequel l'extrémité du membre viril aurait pu s'engager, en refoulant la membrane hymen sans la rompre »157. L'enfant a été en quelque sorte trompée par ses propres sensations158.

La question de la défloration occupe une place prépondérante dans l'esprit des magistrats comme du jury, et les questions posées à ce propos sont multiples. L'expert doit donc expliquer si la perte de l'hymen est récente ou remonte à une période plus ancienne, et si possible, la dater. L'examen permet de temps a autre de mesurer l'étendue des progrès de la médecine : la jeune Céline, âgée de treize ans, a été violée le 16 février 1882. L'enfant se tait, mais quand l'affaire remonte aux oreilles de sa mère, la décision est prise, elle l'emmène chez le docteur, le 20 mars : celui-ci constate alors effectivement que la demoiselle est déflorée, et fait remonter le crime à « au moins trois ou quatre semaines »159. Son rôle est ensuite de déterminer le moyen employé pour la défloration : simple attouchement avec le doigt, intromission complète de la verge ou encore d'un objet de même taille ? La forme et la dimension de la déchirure constituent les indices

156 ADI&L, 2U, 717, affaire Desouches.

157 ADI&L, 2U, 606, affaire Douel.

158 Ouvrons ici une parenthèse sur le sujet des pratiques à employer et des symptômes à rechercher sur la victime. Force est de constater que les examens médicaux contemporains ont peu changé de ce point de vue, seul le vocabulaire semble avoir évolué, et encore. Appuyons nous sur l'ouvrage suivant, déjà cité : MANCIAUX, GABEL, GIRODET, MIGNOT, ROUYER (2002), p. 252-253. Lors d'un examen médico-légal, on recherche sur la fille des lésions traumatiques de la vulve - oedème, ecchymose, ulcération, plaie, lésion d'irritation ou cicatricielle. Dans un deuxième temps on cherche les symptômes pouvant évoquer une maladie sexuellement transmissible : écoulement purulent, vésicule, ulcération. Puis on vérifie l'intégrité de l'hymen avant de se mettre en quête de possibles lésions au niveau du col et de la paroi vaginale. Pour un examen pratiqué sur un garçon, on examine en premier lieu le prépuce, le frein de la verge, le gland, l'orifice urétral, la verge puis le scrotum, a la recherche de plaies, d'ecchymoses, de traces de liens ou de lésions évoquant une maladie sexuellement transmissible - vésicule, écoulement purulent, crête-de-coq. Dans les deux cas, on observe l'anus pour y détecter de possibles ulcérations ou fissurations. Il faut également apprécier la tonicité du sphincter anal pour déceler une hypotonie.

159 ADI&L, 2U, 618, affaire Ledoux.

recherchés, en témoigne cette note : « La défloration n'est pas due a un pénis car il aurait fait plus que cette déchirure »160.

Cette dernière interrogation fait le lien avec l'examen du prévenu, puisque celui-ci peut avoir pour but de déterminer si la conformation du pénis ou d'un doigt161 de l'accusé lui aurait permis de pénétrer sa jeune victime. « Ces enfants déclarent que j'en ai gros comme le bras et je n'en ai pas du tout bien au contraire », jure un homme qui précise qu'il n'en a pas plus gros que le petit doigt162. Le juge d'instruction lui fait alors remarquer que le médecin l'a déclaré de taille conforme. L'inspection du sexe de l'accusé doit également permettre de relever des anomalies sur ou autour des organes génitaux, telle qu'une hernie a l'aine163, et d'observer la forme du gland. En cette fin de XIXème siècle, la médecine légale pense détecter les signes de la « pédérastie active )) a l'aide de cette analyse. Si le gland est de forme conique, c'est-à-dire « comme celui d'un chien », les habitudes de sodomie active sont confirmées, de même si on y trouve des lésions caractéristiques. Dans une certaine mesure il en va ainsi de Marcellin Authier, accusé de sodomie sur plusieurs jeunes garçons, dont la forme conique du sexe « rappelle celle que l'on rencontre habituellement chez les individus adonnés depuis longtemps a la pédérastie active *
·
·+ »164. Mais dans une certaine mesure seulement, puisqu'elle « n'est pas assez prononcée pour permettre une conclusion formelle ». Pire encore, de l'aveu même des experts ces conclusions restent sujettes à caution : « Ces signes font le plus souvent défaut même quand ces habitudes sont invétérées »165. Il arrive aussi que l'ordonnance du tribunal demande dans le même temps de rechercher d'éventuels signes de pédérastie passive.

L'autre partie des observations pratiquées sur le sexe de l'accusé est sensiblement la même que sur les victimes : l'urètre est scruté dans les cas oü l'examen préalable de l'enfant aurait décelé une possible maladie vénérienne. La syphilis et la blennorragie, aussi appelée « chaude-pisse », constituent les principaux maux de ce qui devient à partir

160 ADI&L, 2U, 683, affaire Grimault.

161 ADI&L, 2U, 625, affaire Beauvais, ainsi que 614, affaire Petit. Ce type d'examen reste toutefois rare.

162 ADI&L, 2U, 648, affaire Besnard.

163 ADI&L, 2U, 739, affaire Jabveneau. Selon le médecin, la hernie très volumineuse gêne l'accomplissement des rapports sexuels, mais ne les empêche pas.

164 ADI&L, 2U, 644, affaire Authier.

165 ADI&L, 2U, 635, affaire Fournier.

de la décennie 1870 la grande peur de la fin du siècle, associée à un discours médical comme politique alarmiste166.

L'état du corps de l'inculpé nécessite quelquefois un examen supplémentaire, mais cette fois-ci dans le but d'établir une preuve formelle de sa culpabilité. C'est le cas quand la victime a imprégné sur la peau de son assaillant les stigmates de sa défense acharnée et désespérée. Le cas le plus représentatif a lieu le 4 décembre 1881 dans le parc du château d'Azay-sur-Cher167. Marie, quatorze ans, garde ses vaches au bord des douves quand un employé de la maison l'y entraîne de force et la viole. L'enfant a le temps d'égratigner son agresseur au niveau de la joue droite. Le docteur chargé d'examiner ce dernier remarque effectivement a l'endroit indiqué quatre petites croûtes « qui représente[nt] assez exactement la forme d'un coup d'ongle ». Le fait prend toute son valeur au vu de l'article 332 du code pénal qui punit le viol, lorsque l'on sait que pour être caractérisé la victime doit s'être défendue.

Celle-ci a également droit dans les cas de viol ou d'attentat avec violence a un approfondissement de la visite médicale avec pour objectif de découvrir les vestiges d'une lutte. Toujours dans la même affaire, Marie déclare au magistrat instructeur avoir été blessée autour de la bouche. Trois jours après son agression elle est examinée par le même docteur qui révèle qu'elle porte bien trois petites excoriations sur le nez. Le praticien cherche bien souvent, si contrairement à Marie la victime ne donne pas de précisions sur les séquelles corporelles qu'elle a gardées, les traces caractéristiques de la violence. Il cherche par exemple au niveau des cuisses, sur les muscles adducteurs et l'aine, témoins d'un écartement forcé, au niveau des bras qu'on aurait serrés trop fort ou encore autour du visage. Il arrive que le docteur donne aussi son impression générale sur la morphologie de la victime afin de la comparer a celle de l'accusé, comme dans l'affaire de la jeune Marie, décrite comme « peu robuste, et hors d'état de soutenir une lutte contre un homme vigoureux ».

Puisque chaque attentat a ses spécificités, il en est qui ne relèvent pas nécessairement du
crime sexuel, mais qui l'accompagnent parfois. Le médecin est quelquefois amené a
diagnostiquer telle infection ou telle maladie, dommage collatéral de l'agression. Tel est

166 SOHN (1996-a), p. 109.

167 ADI&L, 2U, 616, affaire Chollet.

le cas de la jeune Anasthasie, régulièrement victime depuis trois ans des agissements coupables de son grand-père qui la bat avec une violence inouïe lorsqu'elle se refuse a lui168. Il la frappe si fort que lorsqu'enfin les voisins se décident a réagir, ils trouvent la pauvre enfant sur son lit, tout juste rouée de coups, crachant du sang. Le médecin dépêché sur place reconnaît là les signes d'une tuberculose pulmonaire, doublée d'une affection cardiaque qui la rend alitée.

Enfin, à une place à part, les examens ayant pour objectif de renseigner le tribunal l'évolution du traitement de la victime, voire même dans deux cas sur ses chances de survie. Pour l'un de ceux-ci, les conséquences du viol de d'une fillette de sept sont telles qu'elle ne peut quitter son lit, obligeant le médecin légiste à faire une seconde visite huit jours après la première, avec pour conclusion « la vie de la jeune [victime] est en ce moment hors de danger »169. Le second exemple est a mettre au crédit d'un buveur notoire dont l'état ne laisse pas forcément le médecin très optimiste le jour de son arrestation, d'autant plus que les gendarmes l'ont trouvé « ivre mort »170. L'ivrogne se réveille le lendemain mais le médecin qui l'a examiné confie au juge qu'il a lui aussi pensé qu'il allait mourir.

Pendant ce temps, l'intérêt pour la personnalité du criminel supposé gagne les tribunaux, bien qu'en Indre-et-Loire les chiffres montrent que la pratique évolue encore à la fin du siècle, avec quatre cas pour la décennie 1880 et six pour la suivante. Mais elle prend bien plus d'importance quand on la compare avec l'évolution inverse qui touche les examens physiologiques, au nombre de vingt-et-un pour la première période contre seulement six pour la seconde. Mais il ne faut surtout pas oublier que le nombre de procès de crime sexuel sur enfant est en diminution progressive en cette fin de siècle, en Indre-et-Loire comme ailleurs : sur le département, nous avons recensé quatre-vingts cas dans les années 1880, quand la décennie suivante n'en compte que cinquante-cinq. La remarque atténue d'autant la portée des résultats statistiques menés sur les examens physiologiques qu'elle renforce ceux obtenus avec les observations du psychisme.

168 ADI&L, 2U, 744, affaire Robin.

169 ADI&L, 2U, 721, affaire Cosson.

170 ADI&L, 2U, 610, affaire Frileux. Le praticien déclare au juge d'instruction : « Aussitôt qu'il sera sain, s'il revient à la vie, je le ferai transférer devant vous ».

La mission de l'expertise psychique est d'évaluer le degré de responsabilité de l'accusé, afin d'influer sur le verdict soit par le biais de l'article 64 du code pénal, soit par l'octroi de circonstances atténuantes. En cas de doute sur les facultés mentales du prévenu, le juge d'instruction a la possibilité de mandater un expert, comme dans l'affaire Magloire, lequel est tombé d'une charrette l'année précédente, ce qui selon la population locale l'aurait quelque peu secoué171. Même raisonnement pour le cas d'un jeune cultivateur de dixhuit ans ayant reçu cinq ans plus tôt un coup de sabot à la tête, ce qui à en croire la rumeur n'aurait pas arrangé sa situation intellectuelle172. C'est une cause semblable qui est a l'origine de l'examen d'un jeune domestique réputé pour sa faible intelligence et son histoire pathétique : privé très tôt de sa mère, il n'a que peu fréquenté l'école et a eu une enfance très abandonnée173.

Parfois les raisons de l'examen sont a chercher dans les interrogatoires, comme dans celui d'un jardinier de cinquante-neuf ans qui avoue avoir attenté à la pudeur de trois petites filles. Alors que le juge d'instruction, sans doute pris d'un doute, questionne l'accusé sur sa vie, celui-ci lui déclare entre autres que sa mère a été a l'hospice de fous, tout comme deux de ses soeurs qui sont « à peu près folles »174. Le docteur consigne dans son compte rendu que l'examen médical de l'état mental du prévenu a été jugé nécessaire « non par son attitude, ses réponses ou ses actes, mais seulement en raison de certains antécédents de famille ».

On trouve également l'âge avancé comme motif d'examen, de la part d'un juge visiblement très au fait de l'approche psychiatrique de l'expertise175. Krafft-Ebing plaide en effet en faveur d'un examen mental pour les vieillards accusés de crimes sexuels176. Le médecin qui a examiné l'homme aux soixante-quatorze printemps note dans son compterendu :

« Le magistrat instructeur était préoccupé de savoir en raison de l'âge de [l'accusé] si ce vieilard n'avait pas agi sous l'influence d'une de ces perversions morbides des instincts et des sentiments affectifs, lesquelles sont liées à un affaiblissement sénile de toutes les facultés. »

171 ADI&L, 2U, 710, affaire Magloire. L'accusé est finalement déclaré entièrement responsable de ses actes.

172 ADI&L, 2U, 691, affaire Gombert.

173 ADI&L, 2U, 648, affaire Besnard.

174 ADI&L, 2U, 739, affaire Fillon. L'examen médical ultérieur révèle que trois autres de ses soeurs - au total, l'accusé en a sept, ainsi que deux frères - « on toujours été d'un caractère bizarre, fantasque ».

175 ADI&L, 2U, 638, affaire Mathieu.

176 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 366.

A ce sujet il serait réducteur de penser que l'atténuation des facultés mentales, ou plutôt la présomption qu'en font les juges, ne concerne que les sujets d'un âge très avancé. Sur notre période les dix cas recensés comportent tout de même trois mineurs de dix-sept, dix-huit et dix-neuf ans177.

Enfin, la dernière raison est d'ordre médical. Jean Bigot, trente-neuf ans, est sujet à des crises d'épilepsie depuis une dizaine d'années et ces derniers mois leur fréquence a augmenté. Quand une de ses filles l'accuse de l'avoir violée pendant six ans, et une autre de lui avoir fait des attouchements en état d'ivresse, le juge d'instruction établit le parallèle avec la maladie et ordonne une expertise178.

Une fois le médecin convoqué, le supposé malade se voit interrogé sur des sujets divers et variés. Le praticien commence à la manière dont le juge termine parfois son interrogatoire de l'accusé, à savoir en demandant au patient de lui narrer les étapes de son existence, car il est primordial de laisser parler le sujet, sous les aspects d'une conversation banale, pour le mettre en confiance179. S'ensuivent des exercices scolaires basiques comme déchiffrer les lettres de l'alphabet ou épeler les syllabes les plus simples, puis on grimpe dans la difficulté avec de la lecture d'un texte et de l'heure, ainsi que du calcul, tout cela pour déterminer si le sujet a une « infirmité mentale » - imbécilité ou idiotie180. Là encore l'expert peut nuancer son propos, parlant, sans perdre de vue l'objectif de ses observations, d' « intelligence restreinte mais suffisante »181. La manière d'écrire, de former les lettres ou les phrases avec plus ou moins d'étrangeté peut également faire partie de l'observation182.

Dans un seul cas le médecin s'est intéressé a la morphologie de son patient, cherchant une asymétrie faciale ainsi que des apparence et attitude suspectes183. Un autre s'est penché sur l'éventualité de lésions des centres nerveux. La suite se concentre déjà beaucoup plus sur le psychisme du prévenu, le médecin cherche à savoir si les idées de

177 Nous avons également deux accusés entre trente et cinquante ans, deux entre cinquante et soixante, et enfin trois dans la catégorie des plus de soixante ans.

178 ADI&L, 2U, 731, affaire Bigot.

179 LACASSAGNE (1906), p. 235. Il s'agit ici du résumé d'un article d'un de ses confrères paru en 1879.

180 ADI&L, 2U, 674, affaire Hardion.

181 ADI&L, 2U, 691, affaire Gombert.

182 LACASSAGNE (1906), p. 235.

183 ADI&L, 2U, 692, affaire Léothier. L'homme de l'art a décelé « un air sombre et sournois ».

celui-ci s'enchaînent avec logique et raison, s'il n'est pas sujet a des hallucinations, des délires ou des illusions, si ses sentiments affectifs sont normalement développés et s'il n'est pas atteint de névrose convulsive. L'analyse suivante porte sur les instincts, y compris sexuels, et sur leur développement afin d'apprécier s'ils n'ont pas une prédominance excessive. Le point suivant, l'élément moral, revient dans la majorité des examens : l'accusé discerne-t-il le bien du mal ?A-t-il conscience de la gravité des faits qui lui sont reprochés ? C'est manifestement la question centrale, en témoigne la conclusion d'un rapport portant sur un homme accusé d'avoir tenté de sodomiser une enfant de deux ans184 :

« [L'accusé] est d'une infériorité intellectuelle manifeste [...] mais son niveau intellectuel n'est pas tellement abaissé qu'il ne puisse avoir une notion morale du bien et du mal. Il ne saurait être considéré comme un imbécile entièrement dépourvu de la conscience de ses actes [...]. »

En somme, la question est de savoir si le patient a franchi la limite morale qui sépare l'humain de l'animal. Cela se traduit également par un retour a l'observation physique qui recherche une altération des mouvements et de la sensibilité générale, de la même façon que des traces d'alcoolisme ou d'épilepsie185. On retrouve ces préoccupations à travers des questions sur la vie antérieure du sujet : a-t-il connu des névroses au cours de son existence ?186 La sénilité semble occuper une place un peu à part puisqu'elle nécessite de chercher les signes d'une « déchéance morale )) à travers les actes, le langage et l'état physique de l'inculpé187. Le garde des Sceaux en personne accorde une valeur de première importance a la sénilité, a l'origine selon lui de nombreux attentats. Il caractérise le crime sur enfant de « dépravation morbide et souvent sénile qui lui est propre ))188.

Enfin, dernier type d'expertise médicale visiblement rare puisque rencontré une seule et unique fois, l'analyse des empreintes dans le but d'affirmer l'identité de leur propriétaire. Elle peut être double : empreinte digitales ou traces de pas. Les travaux sur les marques de main sont très récents et de suite exploités par la criminologie qui utilise nombre de

184 ADI&L, 2U, 692, affaire Léothier.

185 L'examen n'est pourtant pas celui de l'affaire Bigot cité un peu plus haut, prouvant ainsi que la recherche des symptômes de l'épilepsie a pu être faite sans indice préalable a ce sujet.

186 LACASSAGNE (1906), p. 236.

187 ADI&L, 2U, 638, affaire Mathieu.

188Compte général de l'administration de la justice criminelle en France, année 1895, Paris, Imprimerie nationale, 1897, p. X.

procédés chimiques pour les révéler189. Mais dans le cas qui nous intéresse, une fois de plus tiré de l'affaire Chollet, il s'agit de traces de pas laissées dans les douves du château, et remarquées par les magistrats lors de leur examen des lieux du crime. Le médecin est alors dépêché sur les lieux et scrute les quatre trous remplis d'eau, car fort heureusement en ce jour de décembre les douves sont très humides et rendent les traces facilement analysables. Lacassagne prescrit d'en faire un moulage, mais dans notre cas l'homme ne l'art s'en passe très bien pour livrer ses conclusions sans appel190. Les deux premiers trous proviennent de deux sabots enfoncés dans le sol par leur partie antérieure, qui correspondent exactement a ceux que portait l'accusé. Un peu plus loin, une troisième empreinte est elle aussi attribuée a l'un des deux sabots du prévenu. Enfin a côté des traces précédemment citées on distingue une quatrième qui semble être celle du pied dénudé de la victime.

Il arrive que la présence d'un médecin légiste ne soit pas suffisante pour démêler une affaire, dans ce cas le parquet peut recourir à une expertise pharmacologique. Si la visite médicale requiert un docteur le plus souvent en poste a la faculté de médecine, l'examen des tissus est dévolu au simple pharmacien. Il est présent dans le dossier judiciaire de 13% des affaires jugées sur notre période, mais est en régression avec quinze cas avant 1890 et quatre après. Une nouvelle fois, n'oublions pas de pondérer ces propos en rappelant la baisse générale du nombre de procès entre les deux décennies.

La matière première d'un examen de ce type est le tissu, allant de la chemise de la victime au pantalon de l'accusé en passant par le linge de lit. Il peut avoir trois objectifs, à déterminer au préalable, à savoir dans la majorité des cas découvrir des traces de sperme, d'écoulement blennorragique ou syphilitique, ou plus rarement, de sang voire de boue. En ce qui concerne la première visée elle doit permettre de prouver qu'il y a eu éjaculation, même si au final cela ne prouve rien quant a la réalité de l'attentat. Pour la seconde on se rapproche déjà plus de la preuve formelle, puisqu'elle doit établir le lien entre la maladie contractée par la jeune victime et une éventuelle infection du prévenu. Le but de la troisième est d'étayer la thèse de la défloration constatée par l'examen

189 Le savant britannique Sir Francis Galton publie en 1892 l'ouvrage de référence, bien que des recherches plus anciennes aient débuté au XVIIème siècle.

190 LACASSAGNE (1906), p. 207.

antérieur du médecin légiste, et celui de la dernière est de mettre en adéquation le lieu du crime et les vêtements des protagonistes.

Cette observation n'est souvent qu'un approfondissement d'une quasi-certitude des magistrats et son objectif est d'apporter une preuve irréfutable. C'est au vu du nombre d'expertises totalement négatives - quatre, soit 22% du total - que l'on mesure leur importance dans la lutte contre les erreurs judiciaires. Le parquet y a très souvent recours dans les affaires de viol sur enfant, en témoigne cette statistique : sur les sept affaires de viol ou tentative jugées pénalement comme telles, cinq comportent une analyse de ce type. Ce n'est pas là le seul élément intéressant a ce propos : dans notre corpus les juges semblent y recourir dans le cas d'affaires complexes oü ils ont également dû ordonner un examen de l'accusé191. Attention toutefois à ne pas tirer de conclusions hâtives, car n'oublions pas que la demande d'expertise naît de la volonté du juge d'instruction. Nous avons donc peut-être seulement des juges qui y recourent de façon assez systématique.

Le tissu a examiner est le plus fréquemment saisi par les forces de l'ordre dès que l'enquête s'amorce et conservé comme pièce a conviction. Son observation à proprement parler, dont le compte-rendu est toujours extrêmement détaillé à la différence des examens médicaux, se compose de deux étapes, et utilise comme matériau de base une série de bandelettes de tissu sur lesquelles on a apposé le produit incriminé. La première a pour discipline la physique et utilise principalement le microscope, la seconde est d'ordre chimique et tire profit des précipités.

L'inventaire des cas classiques nécessitant une expertise pharmacologique est le suivant : pour les taches de spermes, l'examen se fait à partir de tissus provenant dans la majorité des cas de la chemise de la victime ou des draps de son lit192. Il a pour but de détecter la présence de spermatozoïdes. Quand l'objectif est de trouver des traces d'une maladie vénérienne, l'examen est de nature bactériologique et quand la suspicion porte sur la blennorragie - rappelons que nous n'avons dans notre étude aucun cas de syphilis - il

191 En attestent les chiffres suivants : sur les dix-huit affaires concernées par un examen pharmacologique, treize ont également nécessité une observation du prévenu, soit près des trois quarts. Ce qui est considérable quand on rappelle que seulement 13% des affaires jugées ont réclamé un examen de l'accusé.

192 Sur les dix-neuf analyses de sperme recensées, l'examen de la chemise de la victime est présent onze fois, celui de la literie quatre. Ensuite, quatre éléments ont été évalués une fois : le pantalon de la victime, celui de l'accusé, les mouchoirs du prévenu ainsi que sa chemise. Pour les trois autres types d'examens, les matériaux d'origine sont sensiblement les mêmes.

doit révéler des gonocoques de Neisser, caractéristiques de la maladie193. L'examen du sang doit détecter la présence de globules rouges et déterminer l'origine du liquide. En effet il ne faudrait pas confondre le sang issu des menstrues avec celui provenant d'une écorchure, une déchirure ou une plaie ouverte194. Enfin dans le cas de traces de boue, le pharmacien se contente de relever leur emplacement sur le tissu afin de déterminer si cela correspond avec la description du crime195.

Après avoir défini les deux expertises naturellement associées au crime, reste une dernière qui appuie les propos de la victime plus qu'elle n'apporte de preuves réelles : l'expertise de l'architecte. Celle-ci, très usitée dans les procès au civil, se compose dans l'immense majorité des cas d'un plan des lieux du crime. Ceux-ci ne sont pas toujours à mettre au crédit des architectes puisque le plus souvent, cette mission est confiée aux forces de l'ordre, peut-être par soucis d'économies. En toute logique le résultat n'est pas vraiment comparable, mais cela reste souvent sans importance puisque la démarche des magistrats semble parfois inutile tant l'affaire est simple. Toujours est-il que l'expert en la matière dresse un ou plusieurs plans de tailles pas toujours identiques, horizontaux le plus souvent ou bien verticaux, parfois superbes.

D'ordinaire le but avéré est de confondre les mensonges des uns et des autres ou d'étayer les propos d'une des parties. C'est dans cet esprit qu'a été ordonnée l'élaboration d'un plan du jardin du dénommé Jabveneau, accusé d'y avoir violé une petite fille196. Celle-ci a fait des lieux une description si détaillée que cela en a frappé l'esprit du juge, qui se saisit de la possibilité d'une expertise pour en avoir le coeur net. Une autre fois, l'examen médical a permis de contourner le mensonge de la victime qui prétendait que ses saignements provenaient d'une chute sur un morceau de bois197. Après la visite médicale le soir même, l'homme de l'art constate les traces d'un viol et interroge de nouveau la petite fille qui lui révèle les circonstances de l'attentat dont elle a été l'objet. Dans un cas particulier, l'architecte départemental, excusez du peu, est

193 ADI&L, 2U, 762, affaire Heurtevent. Le procès a lieu en 1899, soit vingt ans après la découverte de la bactérie.

194 ADI&L, 2U, 707, affaire Moreau, ainsi que 616, affaire Chollet.

195 ADI&L, 2U, 707, affaire Moreau. La jeune victime déclare que son agresseur l'a mise a terre dans un champ, d'oü l'examen des traces de boue sur la partie postérieure de sa chemise.

196 ADI&L, 2U, 739, affaire Jabveneau.

197 ADI&L, 2U, 754, affaire Montault.

mandaté pour effectuer un travail non moins spécial, devant vérifier la version d'Étienne Chollet, encore lui, qui prétend que ses blessures à la joue ne sont pas le fait de la défense de la victime mais d'une chute. Il est monté sur le râtelier de la cave lorsque la structure de bois vermoulu s'est effondrée, et qu'il s'est griffé le visage sur le mur en tombant. La conclusion que l'expert tire de son étonnante esquisse ne souffre d'aucune contestation : l'accusé n'aurait pu avoir des marques a l'endroit oü elles sont en chutant de cette façon. Par ailleurs une dernière expertise médicale a été commandée, et là encore le légiste est formel : la blessure a été faite de haut en bas et non de bas en haut comme s'il était tombé.

Les limites de l'expertise et la réticence des hommes de loi

Bien entendu tout n'est pas si simple dans le monde de l'expertise légale. Nombre d'éléments imputables au crime en lui-même ou aux institutions freine cette volonté d'apporter la preuve irréfutable faisant basculer le procès d'un côté ou de l'autre. Malgré les progrès scientifiques et médicaux, certaines lacunes restent un obstacle a l'affirmation et la suprématie de l'expertise sur les autres preuves. On peut les organiser en cinq catégories : en premier lieu, la difficulté d'établir des symptômes physiques appréciables, dans un deuxième temps les complexités d'ordre temporel, ensuite les limites de la pharmacologie ainsi que les conceptions parfois discutables de la médecine légale. En guise de conclusion, les réticences du monde de la justice.

Les affaires de viols et attentats à la pudeur sur enfants sont des cibles faciles pour les esprits critiques qui ne manquent pas de mettre en exergue son point faible, le témoignage, car il repose sur la parole de jeunes personnes dont on remet en cause la sincérité. De ce point de vue la médecine légale apparait comme le sésame dont doit se saisir la justice pour éclairer d'une lumière empirique les zones d'ombre de l'instruction. Seulement les crimes sexuels sont pour de nombreuses raisons délicats à expertiser, leurs conséquences étant insuffisamment identifiables. « Personne est capable de s'en être aperçu ~, déclare un accusé qui n'a enfoncé que très légèrement ses doigts dans le vagin de sa victime198. Les viols sont eux facilement reconnaissables physiquement puisque la

198 ADI&L, 2U, 721, affaire Boizard.

totalité des sept cas - tentatives comprises - a donné un examen positif199. Pourtant, un médecin exprime toutes les peines de la science à authentifier un tel acte200 :

« La conservation de la membrane hymen n'est pas une preuve qu'il n'y ait pas eu violence, car elle n'est presque jamais détruite dans une tentative de viol, l'entrée de la vulve et du vagin étant trop étroite pour que même l'extrémité du gland puisse atteindre le point d'insertion de la membrane hyménale. »

Pour les attentats cette difficulté se ressent dans les chiffres car sur un total de 165 examens plus de 53% s'avèrent négatifs201. Aucune découverte scientifique majeure ne semble affecter les résultats obtenus attendu que la proportion d'observations négatives ne varie pas tout au long des vingt années qui délimitent notre étude. Ce ratio peut être expliqué par un autre, à savoir celui entre les attentats avec et sans violence. Les premiers ne représentent qu'une faible partie du total, c'est-à-dire à peine plus de 7% du total, la proportion passant a 9,5% sur l'ensemble des crimes202. Dans le cas d'un attentat sans violence et consistant en de simples attouchements, Tardieu se résigne à avouer que « le médecin n'a a consigner que des signes négatifs »203. Ce découragement se retrouve chez ses contemporains Briand et Chaudé qui affirment qu'il est tellement difficile d'expliquer véritablement les causes d'une trace de violence sexuelle, qu'il leur faut se borner a les décrire204. Ils trouvent écho de leur théorie dans les tribunaux, puisque dans tous les cas oü l'on n'a pas procédé a un examen médical de l'enfant on ne suspecte que de simples attouchements. Un petit bémol tout de même : beaucoup d'affaires oü apparaissent des tentatives de viol ou de sodomie ne sont pas concernées par un examen, bien qu'on puisse soupçonner des dégâts. Tardieu énonce tout de même quelques éléments positifs, avançant que l'âge des victimes, la délicatesse de leurs organes ainsi que la brutalité des

199Il convient tout de même d'ajouter une nuance d'importance : nous ne parlons ici que des viols ayant été jugés comme tels, car la majorité d'entre eux, bien que prouvés par l'examen médical, arrivent au tribunal sous l'appellation d'attentat.

200 ADI&L, 2U, 605, affaire Ferbeuf.

201 Dans son étude de 1857, Tardieu arrive à des chiffres légèrement en dessous : sur les 261 exemples soumis a son examen, 118 se sont révélés négatifs, soit 45%. On pourrait pour l'expliquer avancer une hypothèse : son expérience étant antérieure à la loi de 1863 qui modifie le code pénal, la proportion d'attentats avec violence de son échantillon doit nécessairement être plus importante. Et par conséquent, le nombre de crimes comportant des traces physiques visibles a l'examen.

202 Comme dans le code pénal, nous avons considéré le viol comme un attentat nécessairement commis avec violence.

203 TARDIEU (1995), p. 52.

204 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 339.

attouchements font que souvent les marques de l'attentat sont nettement visibles205. A condition donc que l'attouchement ait été un minimum violent, on en revient au même problème. Après la mort de Tardieu en 1879, ses successeurs sont de plus en plus sceptiques sur la possibilité de prouver un attentat à la pudeur206. Le constat n'a pas évolué quelques années plus tard, en 1896 un médecin note encore : « [La victime] ne porte pas de trace d'attentat a la pudeur, ce qui n'exclut pas la possibilité d'un attentat »207.

Nous avons déjà mentionné le faible nombre d'examens accordés aux victimes de sexe masculin. Il s'agit bien là d'une marque de clairvoyance de la part de juges qui connaissent bien les difficultés que rencontre l'expertise médicale puisqu'en effet les deux tiers des examens pratiqués se révèlent positifs. Les magistrats l'utilisent donc a bon escient, principalement dans les affaires impliquant la sodomie, plus à même de laisser des séquelles208. L'absence de marques est aussi inhérent au type de crime perpétré sur les garçons : la masturbation concentre la majorité des cas, et ne laisse que peu de traces d'autant plus qu'elle est le plus souvent perpétrée non sur la victime mais sur l'accusé luimême, par l'intermédiaire de l'enfant. Bien sûr cette remarque vaut également pour les petites filles.

Celles-ci n'offrent pas non plus des examens de tout repos pour les praticiens. En premier lieu, les impondérables de la condition féminine : grossesse et menstruation. Bien que dans la seconde moitié du XIXème siècle ces dernières n'apparaissent en moyenne qu'à quinze ans209, certaines jeunes filles sont plus précoces et entravent à leur corps défendant le bon déroulement de l'analyse, ce qui peut même amener a cacher a l'expert des indices essentiels, et à nécessiter une examen ultérieur210. Le problème est un peu

205 TARDIEU (1995), p. 52-53.

206 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 349.

207 ADI&L, 2U, 739, affaire Fillon.

208 Les deux tiers des examens pratiqués l'ont été dans une affaire oü l'enfant a été sodomisé. Mais constater les traces de celle-ci n'est pas forcément aisé puisque sur les quatre résultats de visite négatifs, trois l'ont été dans le cas d'une pénétration anale.

209 Jean-Claude FARCY, La jeunesse rurale dans la France du XIXème siècle, Paris, Éditions Christian, 2004, p. 67. Cet âge a tendance à diminuer au fil des siècles.

210 ADI&L, 2U, 750, affaire Allain, ainsi que 748, affaire Lendemain. Une des jeunes victimes examinées par le légiste n'est toujours pas réglée bien qu'elle soit âgée de dix-sept ans. La seconde, à tout juste onze ans, présente déjà les premiers signes de la puberté.

différent en ce qui concerne les grossesses, puisqu'en fait de compliquer l'examen, elles l'annulent purement et simplement211.

La question ô combien sérieuse des infections sexuelles contagieuses n'échappe pas a la difficulté comme le démontre l'analyse de Marie-Louise Leclerc, poursuivie pour des attouchements sur son petit voisin de six ans212. Le médecin diagnostique une urétrite contagieuse qui semble être à l'origine de la blennorragie de l'enfant, seulement l'examen antérieur du compagnon de l'accusée n'a révélé aucune maladie de ce type. L'homme de l'art se trouve bien embarrassé et tente de l'expliquer par un phénomène admis par la profession bien qu'exceptionnel, qui est de contracter une blennorragie avec une femme pourtant saine. Malgré cette dérobade qui lui est offerte, il ne croit pas en cette hypothèse et persiste a en échafauder d'autres. Soit le mal que porte cette femme n'existait pas a l'époque de l'attentat et la victime a contracté lors de celui-ci une infection non présente chez l'accusée, soit elle était déjà malade mais n'a pas contaminé son amant. Finalement, le médecin ne va pas plus loin que ses suppositions, laissant le soin au jury d'en déduire ce qu'il veut. Mais gare à ne pas porter un regard trop sévère sur ces flottements : Tardieu met en garde contre la tentation de passer outre la rigueur scientifique afin de satisfaire pleinement le juge, « il ne faut pas transformer le rôle de l'expert en celui de témoin »213.

Au chapitre des conclusions hésitantes, signalons celle de ce médecin qui éclaire dans son rapport les difficultés que comportent les écoulements. Lors de son examen d'une jeune fille de neuf ans, il remarque entre autres un écoulement jaunâtre, mais fait preuve d'humilité en avouant ne pouvoir dire s'il s'agit d'une vulvite née spontanément, ou due a des attouchements214. Effectivement chez les petites filles de cette époque les cas de vulvite « naturelle » ne sont pas rares et imputés par les praticiens à un tempérament

211 ADI&L, 2U, 746, affaire Destouches, ainsi que 674, affaire Hardion. Dans la première, la jeune fille a quatorze ans et a été abusée par son père, qui ne serait pas, selon ses dires, le père de son enfant. Dans le second cas, la victime a dix-neuf ans et l'enfant a naître est celui de son géniteur.

212 ADI&L, 2U, 631, affaire Leclerc.

213 TARDIEU (1995), p. 47. Cité dans AMBROISE-RENDU (inédit), p. 343.

214 ADI&L, 2U, 698, affaire Moret. Fort logique face a cette incertitude, le juge d'instruction décide d'une nouvelle observation, sur l'accusé cette fois, afin de déterminer s'il est atteint d'une quelconque infection vénérienne. Le résultat s'avère négatif, mais prouve que parfois l'examen amène plus de questionnements qu'il n'apporte de réponses.

lymphatique ou à une hygiène trop légère215. Ces signes peuvent amener les juges au fait des conséquences d'un attentat a tirer des conclusions hâtives, aussi dans ce cas l'examen de l'expert est indispensable, même si parfois il n'apporte pas la précision souhaitée.

Ces entraves a la quête de la vérité sont d'une importance bien moindre que celles relatives à la question du viol216. En effet celle-ci agite la communauté scientifique depuis les premières décennies du siècle, et trouve à partir des années 1880 un second souffle. Cette théorie affirme qu'en dessous d'un certain âge, le viol est impossible - au-dessous de six ans, et exceptionnel en dessous de dix217. La raison tient dans la disproportion des organes sexuels de l'adulte et de l'enfant, qui rend impossible l'introduction complète du membre pénien218. Ainsi puisque l'affirme la médecine légale, le viol sur une petite fille n'existe pas, sauf dans des cas extrêmement rares.

Cependant notre corpus nous offre plusieurs exemples de petites filles déflorées malgré leur jeune âge. On doit tout de même préciser qu'une bonne partie présente des traces de défloration incomplète, ce qui accrédite ici la thèse du cercle des médecins légistes. La violence employée semble être a l'origine de ces accomplissements, et les deux plus jeunes victimes de tels actes - elles ont toutes deux sept ans - ont eu droit à un procès pour viol, et non pour attentat. Il faut dire que les faits ont été chaque fois dénoncés avec une telle rapidité que les examens pratiqués ont donné des résultats incontestables. Ces deux exemples rentrent dans le cadre du discours des célèbres juristes Chauveau et Hélie, qui notent dans les années 1880 que « la défloration d'un enfant au-dessous de onze ans, sans violence, n'est qu'un attentat a la pudeur »219. C'est la raison pour laquelle dans nos

215 On la trouve plusieurs fois dans notre corpus, sous différentes appellations telles que la leucorrhée ou l'écoulement catarrhal.

216 En 1847 la cour de cassation donne du viol la définition suivante, très générale : « Le fait d'abuser d'une personne contre sa volonté soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée a son égard, soit qu'il réside dans tout autre moyen de contrainte ou de surprise, pour atteindre en dehors de la volonté de la victime le but que se propose l'auteur de l'action ». (Michèle BORDEAUX, Bernard HAZO, Soizic LORVELLEC, Qualifié viol, Paris, Éditions médecine et hygiène, 1990, p. 16.).

217 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 349.

218 Ce n'est pas là la seule bizarrerie que l'on doive a la médecine légale : jusqu'au début du XVIIème siècle celle-ci réfute l'idée qu'une femme puisse tomber enceinte après un viol, car « il faut un minimum de consentement à la conjection physique : il n'y a donc plus de viol, car consentement ». (André LAINGUI, Arlette LEBIGRE, Histoire du droit pénal : I, le droit pénal, Paris, Cujas, 1979, p. 160.).

219 Cité dans AMBROISE-RENDU, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2009, n°4, p. 174.

dossiers d'archives toutes les déflorations effectuées sans l'appui de la violence physique ont été qualifiées d'attentat a la pudeur.

Le temps est un aussi précieux allié pour le criminel qu'un adversaire redoutable pour l'expertise. Et dans les affaires de moeurs, il joue un rôle prépondérant : nombre d'entre elles, nous aurons l'occasion d'y revenir, ne sont révélés que plusieurs années après leur accomplissement, particulièrement dans les cas d'inceste. Les preuves matérielles se sont bien souvent effacées avec le temps : l'expertise médico-légale ne peut plus prétendre à son rôle probatoire220. C'est ce que remarque le médecin qui s'est employé en vain a visiter Ernestine, victime a plusieurs reprises depuis pourtant moins d'un an de l'amant de sa mère : (( Je ne saurais être plus affirmatif a ce sujet, l'examen ayant été pratiqué trop longtemps après le fait incriminé »221. Même cas de figure pour Adélaïde sur qui les derniers crimes remontent a trois ans, et qui fait dire au docteur qu' (( en pareil cas toutes les traces disparaissent généralement d'une manière complète au bout d'un certain temps »222. C'est ce qui est effectivement arrivé a la jeune Hortense, laquelle, lors de l'examen commandé par le juge, ne présente rien qui puisse prouver un quelconque attentat à la pudeur223. Celui pratiqué quatre jours plus tôt, soit une semaine après l'agression, avait pourtant relevé une petite déchirure que le médecin faisait remonter à cinq ou six jours. Quand le juge l'interroge sur cette contradiction, il affirme qu'il est possible que l'entaille ait cicatrisé.

Attention toutefois à ne pas généraliser car les attentats, incestueux notamment, s'ils sont longs a dénoncer, n'en durent pas moins longtemps. Aussi quand ils le sont certains outrages peuvent être prouvés par l'expertise, comme l'évoque Tardieu pour qui le caractère répété d'actes pourtant anciens donne des signes particulièrement distinctifs224. Deux médecins ont donc eu paradoxalement cette chance : celui de la jeune Marie Allain, abusée par son père dès l'âge de six ans et dont les relations forcées ont

220Fabienne GIULIANI, (( L'écriture du crime : l'inceste dans les archives judiciaires françaises (1791-1898) », L'Atelier du Centre de recherches historiques, 05 | 2009, [En ligne], mis en ligne le 02 octobre 2009. URL : http://acrh.revues.org/index1582.html, § 8.

221 ADI&L, 2U, 688, affaire Champigny. De la a y voir un quelconque lien avec l'acquittement de l'accusé, il n'y a qu'un pas...

222 ADI&L, 2U, 618, affaire Besnard.

223 ADI&L, 2U, 613, affaire Cathelin.

224 Ambroise TARDIEU, Les attentats aux moeurs (1857), texte présenté par Georges VIGARELLO, Grenoble, Jérôme Millon, 1995, p. 52.

continué jusqu'à ses quinze ans, qui n'a révélé les faits que deux ans après l'arrêt de celles-ci ; ainsi que l'exemple de Marie Bigot, elle aussi victime à partir de ses cinq ans des agissements de son géniteur qui ont duré six longues années, et qui ensuite en a mis trois pour les dénoncer225. Par conséquent, réduire le rôle de l'expertise a la recherche d'une trace matérielle ne serait pas convenable si l'on omettait d'y attacher la datation du crime. En somme, peut importerait qu'il y ait la preuve s'il était impossible de la situer dans le temps.

Dans un cas particulier la datation du crime entraîne un imbroglio dont l'instigateur aurait pu être Alfred Jarry, tant le juge lui-même semble prendre le parti de l'absurde. Et personne ne sera étonné d'entendre une nouvelle fois parler de l'affaire Chollet, décidément très délicate à bien des égards. Restituons donc rapidement les faits : Marie a été violée le dimanche 4 décembre 1881 et accuse le dénommé Chollet. Le lendemain à quatorze heures est pratiqué sur ordonnance un premier examen, par le docteur Gaultier, qui confirme la version donnée par la jeune fille. Deux jours plus tard, soit le 7 décembre, une nouvelle observation par le docteur Saintou appuie les résultats de la première, soulignant que la défloration ne remonte pas à plus de deux ou trois jours. L'enquête se poursuit tant bien que mal jusqu'au 11 février lorsque Marie révèle au juge d'instruction que le jour suivant le crime elle a été, à huit heures du matin donc préalablement à la visite ordonnée par le parquet, examinée par un certain Huret, médecin n'ayant remarqué que « bien peu de choses », dixit la victime. Saisi d'une louable incertitude, le magistrat convoque les trois praticiens pour discuter de leurs conclusions contradictoires. Un quatrième examen les met d'accord : Marie a bel et bien perdu sa virginité. Mais le docteur Huret campe sur ses positions quant au premier examen, entraînant le juge dans un raisonnement par l'absurde.

« Si l'enfant n'était pas déflorée à huit heures mais bien à quatorze heures, il faudrait en arriver à cette impossibilité ou plutôt à cette monstruosité morale que [la victime] après avoir simulé un viol, le dimanche s'est présentée à l'examen d'un médecin voyant que l'imputation dirigée contre Chollet ne pouvait pas être matériellement constatée aurait fait appel à un tiers qui l'aurait déflorée ou se serait déflorée elle-même pour assurer la punition d'un homme auquel elle ne porte aucun sentiment de haine. »

225 ADI&L, 2U, 750, affaire Allain, ainsi que 731, affaire Bigot. Il convient de préciser qu'en raison de l'âge des deux victimes au moment de l'enquête, respectivement dix-sept et quatorze ans, le magistrat aurait pu s'abstenir d'un examen car des relations sexuelles consenties et ultérieures avec d'autres hommes deviennent à cet âge une possibilité.

L'analyse saugrenue du magistrat a le mérite de provoquer une remise en cause du trio d'experts, qui estiment que la défloration n'a pu être provoquée que par un tiers. Le docteur Saintou évoque la possibilité « qu'au moment de la première visite les lèvres de la membrane hymen déchirée étaient collées l'une a l'autre par le liquide visqueux qu'elle ne secrétait encore qu'en très petite quantité et qu'alors a défaut d'écartement suffisant de la vulve la membrane hymen eût paru intacte ». Elle recueille les faveurs du docteur Huret qui précise que « par délicatesse, et par crainte de produire quelques désordres [il n'a+ pas écarté les grandes lèvres avec toute l'énergie *qu'il+ aurai*t+ pu y mettre ». Le docteur Saintou termine en disant que « des médecins légistes des plus distingués se sont quelques fois fait illusion sous ce rapport ». Interrogé sur les divergences nées de l'établissement de l'heure du crime, Gaultier déclare que lorsqu'il a examiné la jeune fille le 5 décembre à quatorze heures, le viol remontait à vingt-quatre heures, et il est impossible qu'il ait pu remonter a deux ou trois heures car le vagin de la victime aurait été encore sanguinolent. Finalement un témoin met fin au suspense en racontant qu'après la visite du docteur Huret la jeune Marie était avec les autres domestiques et il est impensable qu'elle ait pu être violée a ce moment-là. De l'importance des témoignages oraux, donc.

L'affaire n'en reste pas là car le juge profite de la réunion pour explorer d'autres zones d'ombre. L'examen microscopique et chimique pratiqué sur la chemise de l'enfant n'a pas pu révéler de traces de sperme, bien qu'il ait attesté leur présence sur celle de l'agresseur. A la question du magistrat, Huret répond qu'il est possible que la semence n'ait pas touché le linge de l'enfant si elle s'est relevé aussitôt le fait accompli, le liquide ayant pu tomber directement à terre ou couler le long des cuisses. Sur ce point, les trois médecins sont de nouveau d'accord.

Toutes les branches de l'expertise livrent donc des conclusions sujettes a caution. La pharmacologie n'échappe pas au même phénomène et montre ses limites en s'en remettant parfois à des indices peu empiriques. Deux exemples relèvent de cette constatation, le premier concerne les écoulements, décidément difficiles à analyser. Le pharmacien constate les taches sur la chemise de la victime, mais reste prudent en annonçant que celles-ci ne permettent pas de déterminer si l'écoulement est de nature vénérienne ou leucorrhéique. Il a tout de même son avis sur la question car il conclut que

l'abondance de l'écoulement fait penser a une origine vénérienne226. Une autre fois l'analyse du pantalon de la victime penche en faveur de la présence de taches de sperme mais ne peut toutefois l'affirmer car aucun spermatozoïde n'a pu être retrouvé dedans227. A cela s'ajoute l'état de saleté du linge de la jeunesse qui n'arrange pas les affaires de l'expert, qui se perd parmi la multitude de taches de diverses origines. Les filles portent leurs chemises plusieurs semaines voire plus, et ce de jour comme de nuit228. L'excès inverse a des conséquences similaires et rend inutile toute tentative d'examen : bon nombre de parents, à la vue du linge souillé de leur enfant, ont le mauvais réflexe de le laver.

A regarder de plus près certaines modalités de l'expertise médicale, on est même en droit de se demander si ce ne sont pas simplement certaines connaissances ou plutôt croyances - non, le mot n'est pas trop fort - scientifiques qui amènent les hommes de l'art a des conclusions un peu trop hâtives. Vigarello souligne qu'à partir de la seconde moitié du XIXème siècle les médecins créent de toutes pièces des symptômes qu'ils croient être la conséquence d'un attentat a la pudeur229. Ainsi au XIXème siècle les médecins disaient reconnaître l'impuissance aux caractéristiques suivantes : cheveux blonds ou blancs, figure imberbe, teint pâle, chair molle et sans poil, voix claire, aigüe et perçante, yeux tristes et mornes, formes arrondies, épaules étroites. Les testicules peu volumineux, comme flétris, pendants et sans fermeté, cordons spermatiques grêles, gland ridé et peu sensible sont autant d'indices supplémentaires, de même que la lâcheté230. Souvenonsnous également que certains prétendent déterminer l'homosexualité d'un sujet masculin à partir de la forme de son gland. Un certain Boizard rentre tout à fait dans ce schéma d'après l'examen qu'on a fait de ce lui, seulement les attouchements dont il est accusé ont été commis sur une petite fille231. Sans aucun rapport mais pour l'anecdote, ce

226 ADI&L, 2U, 641, affaire Durand. L'examen ultérieur de l'accusé montre qu'il est atteint d'une blennorragie.

227 ADI&L, 2U, 637, affaire Musnier.

228 Jean-Clément MARTIN, « Violences sexuelles, étude des archives, pratiques de l'histoire », in Annales. Histoire, sciences sociales, 51ème année, n°3, 1996, p. 643-661, p. 646. L'article est disponible en intégralité sur Persée.

229 VIGARELLO (1998), p. 170.

230 Laure ADLER, Secrets d'alcôve : histoire du couple (1830 - 1930), Bruxelles, Éditions Complexe, 1990, p. 43.

231 ADI&L, 2U, 721, affaire Boizard. L'un n'empêche sûrement pas l'autre, mais les probabilités sont sans doute faibles.

médecin qui dit a la mère d'une enfant idiote qu'en devenant une jeune fille elle changerait peut-être et même pourrait guérir232.

Bien sûr les magistrats ne sont dupes des diverses lacunes de l'examen médical. A fortiori si celui-ci est commis en premier lieu par le médecin local. Il n'est pas rare de le voir désavouer le premier expert, ce qui amène deux cas de figure : soit l'observation amène un résultat semblable233, soit le juge a été bien inspiré par sa méfiance vis-à-vis du docteur de village. Dans le procès Alsace, le premier examen de la victime évoque des grandes lèvres légèrement rouges234. Alors qu'il instruit une affaire d'attentat avec violence dans laquelle il y a suspicion de viol, le magistrat semble dubitatif face à ces conclusions peu sévères. Il en ordonne donc un second trois jours plus tard, qui révèle cette fois-ci, outre l'inflammation déjà constatée, des érosions a la partie supérieure des grandes lèvres, synonyme de frottement.

Mais parfois la bataille d'égo entre juges et experts semble se faire au détriment de la justice. La faute à un manque de considération de chacune des parties, toutes deux se targuant de pouvoir obtenir la vérité sans les compétences de l'autre. Très tôt, les médecins légistes sont blessés dans leur orgueil par le manque de reconnaissance de leur aptitude particulière. François-Emmanuel Fodéré, le plus célèbre d'entre eux a l'amorce du siècle, est un ardent militant de cette cause car selon lui « la médecine a toujours éclairé la jurisprudence »235. En substance, prééminence du scientifique sur le juriste, quand on constate l'inverse aux procès, ou l'expert n'est entendu qu'en qualité de témoin236. Cette soumission finale répond a celle contenue dans l'ordonnance de l'expertise, qui détaille tous les points que l'examen doit aborder. La justice tient donc a encadrer strictement le travail de la médecine légale, et n'en fait qu'une preuve parmi d'autres237. A ce manque de reconnaissance et de légitimité s'ajoute l'aspect ingrat de la fonction qui est d'autant plus insupportable aux légistes que leur responsabilité morale

232 ADI&L, 2U, 748, affaire David.

233 ADI&L, 2U, 721, affaire Boizard. Le premier examen décèle bien des traces d'attentats, mais surtout la présence de gouttes de muco-pus. Cela a dû amener le juge d'instruction a se demander si leur origine ne pouvait pas être imputée à une blennorragie, et donc à ordonner une seconde observation de la victime comme de l'accusé, cinq jours plus tard. Finalement ceux-ci donnent des résultats identiques aux deux premiers.

234 ADI&L, 2U, 619, affaire Alsace.

235 CHAUVAUD (2000), p. 19-20.

236 Ibid., p. 24.

237GUIGNARD, L'Atelier du Centre de recherches historiques, 05 | 2009, [En ligne], § 30.

est engagée238. Les vacations sont mal rémunérées et beaucoup de médecins refusent la réquisition judiciaire239. En conséquence de quoi ce sont les jeunes médecins qui se font inscrire sur les listes des experts de tribunaux, car les plus expérimentés préfèrent la tranquillité de leurs affaires lucratives240.

La méfiance, voire même la défiance, s'est installée très tôt dans le siècle, a cause de luttes d'influences mais pas seulement. Le monde judiciaire est a ce moment préoccupé par les erreurs judiciaires qu'on impute volontiers aux médecins et aux limites de l'expertise241. Vers la fin du Second Empire le nombre de bévues de ce genre augmente fortement car le rythme soutenu des découvertes dans les domaines de la physique et de la chimie a engendré une foi aveugle en leur valeur242. On pardonne d'autant moins leurs fautes aux hommes de l'art qu'ils vantent sans cesse la fiabilité a toute épreuve de leur science. Pour le baron Taylor, c'est toute la relation entre justice et expertise qu'il faut revoir, et il ne cache pas son animosité envers cette dernière qu'il accuse de dénaturer le procès : « Comment sera-t-il possible de réprimer ce que la société s'accorde a considérer comme un crime odieux, si on admet les experts médicaux à discuter les degrés d'intromission pour la constitution du crime ? »243. L'émergence de l'expertise psychiatrique qui s'attache a la personnalité du criminel tend a rendre l'examen plus difficile encore et s'attire les réprimandes de certains magistrats et jurisconsultes, qui de plus la trouvent trop envahissante244. Ces derniers s'en méfient également car elle fait trop fréquemment usage a l'article 64 du code pénal qui absout l'accusé s'il est déclaré fou245. Les médecins légistes font alors leur mea culpa, ils doivent connaître et reconnaître leurs lacunes et ne pas s'enfermer dans un système afin de se préserver d'éventuelles erreurs246.

Malgré tout les tensions montent encore sous la IIIème République où chacun se rend coup
pour coup. Le garde des Sceaux propose en 1879 un projet de loi pour limiter l'influence

238 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 339.

239 CHAUVAUD (2000), p. 31.

240 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 336-337.

241 CHAUVAUD (2000), p. 63.

242 Ibid., p. 231.

243 VIGARELLO (1998), p. 170.

244 CHAUVAUD (2000), p. 11-112.

245 LANTERI-LAURA (1979), p. 17. 246CHAUVAUD (2000), p. 181.

des experts, car dit-il « il est toujours a craindre qu'entraînés dans une certaine voie, dirigés par une idée fixe ou dominés par un système scientifique exclusif, ils ne négligent quelques-uns des éléments qui doivent les conduire à la vérité ». L'entreprise est toutefois abandonnée247. Trois ans plus tard l'offensive se poursuit avec une ébauche de loi visant à organiser une expertise contradictoire pour chaque procès afin de lutter contre les erreurs judiciaires, mais elle en reste à ce stade248.

Gabriel Tarde, précurseur de la criminologie moderne, propose en 1885 de modifier radicalement le visage de la justice française en remplaçant purement et simplement les jurés par les experts, représentants de la science impartiale et infaillible249. Paul Brouardel, figure éminente de la médecine légale de l'époque et alors commissaire du gouvernement, est plus mesuré et demande la création d'un diplôme spécial qui a défaut de les combler, apaiserait les praticiens en leur offrant la reconnaissance qu'ils réclament depuis longtemps. Mais la proposition ne trouve pas de soutiens suffisants dans sa propre famille et est abandonnée250.

Brouardel s'illustre de nouveau en 1892 grâce a l'adoption le 30 novembre de la loi sur l'exercice de la médecine, projet qu'il a porté pendant vingt ans, et qui instaure l'obligation d'être titulaire d'un diplôme de docteur pour exercer. En contrepartie de cette reconnaissance, le texte précise que la justice peut requérir d'urgence n'importe quel médecin251. L'année suivante, afin de rendre plus attractive l'expertise légale du point de vue financier, les vacations sont revalorisées pour la première fois depuis le Premier Empire252.

Ces avancées destinées à motiver les médecins ne changent strictement rien au moment du procès, ils restent entendus comme simples témoins. Et leur rôle n'y est pas des plus faciles. L'expert doit avoir une bonne éloquence, « être crédible sans pérorer et convaincre avec chaleur »253. L'un d'eux s'en plaint encore en 1892 : « A quoi bon avoir des experts si leur voix n'a pas plus d'autorité que celle du voisin qui ne connaît pas la

247Ibid., p. 62. 248 Ibid.

249Ibid., p. 54.
250Ibid., p. 45.
251Ibid., p. 44.

252 Ibid., p. 31.

253 Ibid., p. 89.

question ? »254. Le président de la cour d'assises de la Seine conçoit que la tâche soit délicate et la résume de la façon suivante255 :

« Le rôle du médecin légiste qui expose devant des jurés le résultat de ses constatations est très complexe ; il faut qu'il fasse des leçons, sans en donner, car les jurés doivent apprendre par lui ce qu'ils ignorent, mais ils se cabreraient s'ils apercevaient une velléité de leur dicter une opinion ; il faut cependant de l'autorité dans la parole, car si le médecin doute, qui croira ? Il faut, tout en restant l'homme de l'art, inspirer la pitié pour les souffrances d'autrui et savoir émouvoir : un médecin romanesque et trop sensible déplaît, mais un praticien sans entrailles, dont la parole fait sentir le bistouri, révolte... »

Un véritable rôle de composition. C'est parfois ce a quoi se résume l'expertise légale, même si la majorité des exemples montrent un examen sans faille. C'est de certitudes dont les juges ont besoin face à la volatilité des témoignages. Ils ont donc à leur disposition un éventail élargi d'expertises afin d'éclairer le jury sur les circonstances comme les conséquences de l'attentat. Dans la moitié des cas ils s'appuient dessus, et quand ils ne le font pas c'est que l'instruction leur a laissé penser que ce n'était pas indispensable. En effet la répression des attentats à la pudeur pâtit grandement de la complexité a prouver le crime, si bien que nombre de médecins de renom estiment qu'il est impossible ou presque d'y apporter une preuve irréfutable. Malgré la fragilité des orages sexuels due a l'âge de la victime, le praticien ne trouve pas toujours de trace imprimée par l'agresseur, et s'il en découvre une, rien ne garantit que le jury prenne en compte son avis.

Comme pour toute chose, il faut se garder de toute généralisation. Les dissensions qui se font jour au niveau national n'affectent pas véritablement la justice a l'échelle locale. Celle-ci voit les forces en présence s'équilibrer globalement, et parfois même les magistrats ne sont pas en accord sur la procédure à adopter. « *L'accusé+ ayant avoué le fait dont il est accusé et la mère de l'enfant victime de l'attentat ayant déclaré qu'il n'y avait pas de traces de violences, j'ai cru qu'il était inutile d'envoyer un docteur sur les

254 Albert DECHAMP, « L'affaire Achet au point de vue médico-légal », Archives d'anthropologie criminelle et de criminologie et de psychologie normale et pathologique, tome VII, Lyon, Storck, 1892, p. 23. Cité dans CHAUVAUD (2000), p. 23.

255 Bérard des GLAJEUX, Souvenirs d'un président d'assises. Les passions criminelles, leurs causes et leurs remèdes, Paris, Plon, 1893. Cité dans CHAUVAUD (2000), p. 89.

lieux », répond un juge de paix au procureur qui semble lui reprocher son manque de discernement256.

Ainsi, même s'il faut reconnaître que parfois le juge d'instruction semble se méfier du médecin convoqué en ordonnant un nouvel examen, sorte de contre-expertise qui ne dit pas son nom, l'expertise est appuyée par le procureur dans l'acte d'accusation. Il la mentionne dans les cas où elle a sans conteste apporté la preuve recherchée ce qui satisfait sur ce point l'accusation.

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Finalement l'expertise dans les affaires de moeurs ne dépasse pas l'importance que lui accorde l'institution judiciaire. Elle est outil certes appréciable, mais dont la fiabilité est trop souvent remise en cause pour pouvoir prétendre à un autre rôle. Comment faire d'une discipline le noeud central du procès quand elle se trompe occasionnellement et s'avoue stérile dans certains cas ? En somme, ce n'est pas l'expertise qu'il faut remettre en cause, mais bien son aptitude à statuer dans les procès pour crime sexuel. Elle se révèle inadaptée a ce type particulier d'affaire, et quand elle tente de le faire, c'est au détriment de la vérité scientifique qui doit pourtant lui rester inaliénable.

256 ADI&L, 2U, 673, affaire Petit. Le juge de paix semble ne considérer les attentats que sous l'angle de la violence, comme si le code pénal de 1810 n'avait pas été depuis modifié. Nous aurons l'occasion de voir dans un développement ultérieur que des aveux de l'accusé ne sont pas nécessairement synonymes de condamnation. Le procureur semble avoir la volonté de rassembler le plus de preuves possibles, qui seront à même par leur accumulation de convaincre le jury. Pour information, un examen médical sur la fillette a été finalement effectué, et s'est révélé négatif.

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