WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La défense des intérêts américains en Iran par le discours idéaliste, de 1945 à  1954

( Télécharger le fichier original )
par Mickaël, Milad Jokar
Université Caen Basse Normandie - Master 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

c) L`approche discursive de Washington face aux pressions britanniques et iraniennes

. La rhétorique dans le discours public

Washington se retrouvait au milieu d`un conflit entre deux alliés qui avaient chacun des intérêts communs avec les Etats-Unis. La stratégie discursive de Truman était de respecter la neutralité entre ces deux pays, tous deux membres de la nouvelle Organisation des Nations Unis. Le président démocrate faisait très peu de commentaires sur la crise anglo-iranienne. Cette crise était mentionnée uniquement à travers quelques conférences de presse dans lesquelles ses réponses restaient brèves et non-détaillées. Il y exprimait son souhait de voir une « résolution satisfaisante pour les deux partis, et de manière équitable pour les deux partis ».167 Part ailleurs, il employait une rhétorique idéaliste qui lui permettait d`assurer une neutralité dans le conflit anglo-iranien : « je suis toujours pour une résolution pacifique partout dans le monde ».168 Les réponses de Truman montrent néanmoins le désir de maintenir une unité chez ses alliés membres du « monde libre ».

Le département d`État déclarait que le conflit entre l`Iran et la Grande-Bretagne concernait directement les intérêts des deux pays mais également ceux du « monde libre ». Il ajoutait que les États-Unis voulaient que cette crise se résolve à travers « des négociations amicales » sans qu`aucun parti n`entreprenne « des actions unilatérales ». Ce communiqué déclare que les États-Unis reconnaissaient pleinement le droit souverain de l`Iran d`accroître ses bénéfices provenant du développement de son pétrole. Par contre, le gouvernement américain « s`opposait fortement à l`annulation unilatérale des rapports

167Conférence de presse du président Truman, le 7 juin 1951. WEB 14 juin 2011. http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=13797&st=&st1=#axzz1PIW8nRLP 168 Conférence de presse du président Truman, le 27 septembre 1951. WEB 14 juin 2011. http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=13931&st=&st1=#axzz1PIW8nRLP

contractuels » avec l`AIOC -- en d`autres termes la nationalisation -- à cause des effets graves que cela aurait entrainé.169

L`administration américaine s`opposait fermement à la nationalisation de l`industrie pétrolière iranienne. Mais pour exprimer cela, elle devait utiliser une rhétorique idéaliste car le conflit anglo-iranien était devenu une cause nationale chez les Iraniens. Stephen Kinzer explique que le nationalisme était alimenté par une rhétorique anti-impérialiste de la part du Front National de Mossadegh dans un premier temps, et par des mollahs dirigés par l`Ayatollah Kashani dans un second temps. Ces derniers associaient la nationalisation à un « devoir sacré ». L`auteur ajoute que la nationalisation était « une grande cause " chez les Iraniens.170 Il était donc impératif pour Truman et son administration de ne jamais parler de « nationalisation " publiquement car ils étaient conscient que ce terme était devenu tres populaire dans l`opinion publique iranienne. Par conséquent, les décideurs à Washington devaient manier la rhétorique avec habilité afin de ne pas contrarier l`opinion iranienne et ainsi défendre les intérêts américains. En somme, qualifier cette nationalisation en utilisant d`autres termes permettait à l`administration américaine de ne pas donner une image qui soit en opposition directe avec les termes employés par la majorité pro-nationaliste en Iran.

Quelques jours après la signature de la nationalisation, le département d`Etat américain faisait part de ses remarques concernant ce qu`ils allaient désormais appeler « la controverse sur le pétrole iranien » (Anglo-Iranian controversy? ou the dispute?) :

The United States is deeply concerned by the dispute between the Iranian and British Governments over Iranian oil. [...]

We have stressed to the Government of both countries the need to solve the dispute in a friendly way through negotiation and have urged them to avoid intimidation and threats of unilateral action. [...]

In talks with the Iranian Government, we have pointed out the serious effects of any unilateral cancellation of clear contractual relationships which the United States strongly oppose.171

La position des Etats-Unis devait paraître neutre. La nationalisation allait à l`encontre des principes américains. Toutefois, la doctrine Truman s`effectuant sous la bannière de la liberté, la paix et la démocratie, le rôle de la rhétorique idéaliste était de présenter une façade de la politique étrangère de Washington. Les déclarations du département d`Etat font part d`une « controverse entre l`Iran et la Grande-Bretagne " ou encore de

169 Remarques du Département d`Etat américain, 18 mai 1951, United States Position in Talks With Iran and the United Kingdom, Department of State Bulletin p.851 - voir document annexe n°9

170 Stephen Kinzer, op. cit., pp.77-78.

171 Remarques du Département d`Etat américain. Op. cit. (Les parties en italiques ont été ajoutées par nos soins).

« l`annulation unilatérale des rapports contractuels transparents » au lieu de parler de la nationalisation de l`industrie pétrolière iranienne. Mentionner cette dernière aurait eu pour effet de mettre en danger les objectifs énoncés par le Program Point IV et le Mutual Assistance Act du président Truman.

Par ailleurs, le département d`Etat manifestait l`importance de la circulation du pétrole iranien dans le marché mondial et il faisait également remarquer à l`Iran trois objets de litige. En premier lieu, il exprimait des inquiétudes vis-à-vis la productivité du pétrole de la part de l`Iran dans le cas où la compagnie britannique serait exclue du pays. En deuxième lieu, la production et le raffinement efficace du pétrole iranien exigeait des connaissances techniques et du capital que l`Iran ne possédait pas. D`autre part, un rendement efficace exigeait du transport, de la logistique et de la vente d`infrastructures comme celles fournies par la compagnie. Enfin, des incertitudes étaient soulignées quant aux disponibilités futures de ravitaillements iraniens. Un manque causerait des inquiétudes chez les clients qui pourraient éventuellement changer leur source de ravitaillement. Le département d`Etat explique que ceci aurait pour conséquence une baisse des revenus pour l`Iran et que les compagnies américaines n`étaient pas disposées à entreprendre des opérations dans ce pays en cas « d`actions unilatérales contre les compagnies britanniques».172

Les États-Unis n`avaient pas intérêt à ce que l`Iran nationalise son industrie pétrolière car cela compromettait la stabilité des marchés et la garantie de sécurité des approvisionnements en pétrole à travers le monde. Cela allait contre le libéralisme et Truman ne pouvait accepter cet élan mené par Mohammad Mossadegh. Toutefois, une semaine avant son message au Congrès sur le Mutual Security Program, Truman ne pouvait pas afficher publiquement ce refroidissement entre Téhéran et Washington puisque son programme s`appliquait à l`ensemble du Moyen-Orient, Iran inclut. La stratégie discursive du président était de commenter le moins possible la nationalisation.

Une semaine plus tard, le 24 mai 1951, Harry Truman donnait une conférence de presse avant son discours au Congrès. Un journaliste demanda quelles étaient les intentions du président concernant « la situation en Iran ». Truman resta très discret sur ce sujet et se contenta de demander au journaliste de lire les commentaires fait la veille par son secrétaire d`Etat Dean Acheson. Lors de la conférence de presse de Dean Acheson déclarait :

172 Ibid.

We believe very earnestly that the controversy between the British Government and the Iranian Government is a controversy which can be and should be settled by negotiation between those parties, and we indicated some of the principles which we thought were important in controlling the general conduct of those negotiations... The United States is the friend of, and is deeply concerned in the welfare and strength of both parties to the controversy.173

Le secrétaire d`État maintenait la cohérence discursive de l`administration Truman concernant la crise anglo-iranienne. Un jour avant l`intervention du président devant le Congrès Dean Acheson continuait de parler de « controverse » et de « négociation entre les parties [le gouvernement britannique et le gouvernement iranien] ». La stratégie américaine était de stabiliser les pays à la frontière de l`Union Soviétique et de les aider économiquement pour protéger le libre échange. La nationalisation allait à l`encontre du libéralisme et le Congrès se serait posé des questions quant au soutien économique et militaire des États-Unis vers un pays qui risquait de ne pas faire circuler son pétrole dans le « monde libre ».

Cependant, le discours public du secrétaire d`Etat traitait d`une crise ciblée entre l`Iran et la Grande-Bretagne. Il ne faisait pas allusion à la menace communiste de l`Union Soviétique car il s`agissait avant tout d`une crise bilatérale. Pour défendre les intérêts américains devant les représentants du peuple américain, Truman se servait de sa stratégie discursive idéaliste comme une façade.

Le président démocrate défendait son Mutual Security Program lors de son message spécial au Congrès du 24 mai 1951 (soit un mois après la nationalisation de l`AIOC). Truman avait éludé la question iranienne lors de sa conférence de presse, mais l`Iran faisait toujours parti de la stratégie américaine dans le Moyen-Orient. Dans son discours, il incluait l`Iran dans une stratégie qui défendait les intérêts américains dans le MoyenOrient :

The countries of the Middle East are, for the most part, less developed industrially than those of Europe. They are, nevertheless, of great importance to the security of the entire free world. This region is a vital link of land, sea, and air communications between Europe, Asia, and Africa. In the free nations of the Middle East, lie half of the oil reserves of the world. No part of the world is more directly exposed to Soviet pressure. [...] In Iran, continuing military aid is required to help build internal security and defense, together with economic aid to help sustain the Iranian economy and

173Conférence de presse du président du 24 mai 1951. http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=13792&st=&st1= (6 juin 2011). Le texte de ses remarques à ce sujet sont imprimés dans le bulletin du Département d`Etat (vol. 24, p. 891).

give impetus to the much-needed longer-term process of economic development for the benefit of the Iranian people.174

Truman présente au Congrès les enjeux géopolitiques dans cette région : « lien vital de communications terrestres, maritimes et aériennes entre l`Europe, l`Asie et l`Afrique " et l`importance de cette zone géostratégique pour ses réserves de pétrole. Pour accréditer une intervention dans cette région, il présente le Moyen-Orient comme étant d`une « grande importance pour la sécurité de l`ensemble du monde libre ". Ainsi, il établit un lien entre le Moyen-Orient d`une part, et la sécurité du monde libre d`autre part. Puis, il inclut le « Moyen-Orient " dans le « monde libre " en disant : « dans les nations libres du MoyenOrient ". Cela a pour effet de présenter le Moyen-Orient comme une région qui peut -- ou doit -- bénéficier du soutien des États-Unis. Pour confirmer cela Truman insiste en expliquant que cette région est « exposée directement aux pressions soviétiques ". De cette façon, il joue sur les craintes du Congrès en utilisant à nouveau les procédés rhétoriques de « singularisation » et d`« essentialisation ". En effet, il nomme la menace soviétique dans une phrase courte mais chargée sémantiquement : No part of the world is more directly exposed to Soviet pressure?. Cette rhétorique a pour effet de réduire les problèmes complexes des événements qui traitent du pétrole dans la région à cette seule entité : le communisme soviétique. Pour cela il créé un lien entre « la moitié des réserves de pétrole dans le monde " qui repose « chez les nations libres du Moyen-Orient " et « les pressions soviétiques ". Ainsi, Truman alarme le Congrès et stimule son « ethos de chef " en l`incitant à suivre la stratégie de politique étrangère de son administration ; politique qui se présente comme étant « musclée " plutôt que « faible ".

Enfin, le président démocrate présente les développements économiques et militaires que les États-Unis peuvent apporter à l`Iran. Il présente une nouvelle fois les intérêts américains et ses objectifs par le biais de la stratégie discursive idéaliste. Pour ce faire, son discours inclut l`Iran dans « les nations libres du Moyen-Orient » en s`abstenant volontairement d`évoquer la nationalisation de l`AIOC. Cela signifie que malgré cette dernière, le président décide de maintenir sa stratégie globale de soutien et de stabilisation de chaque pays du Moyen-Orient dans le but de défendre les intérêts américains. Pour ce faire, il axe la vision de la politique étrangère américaine en Iran en termes de « développement économique pour le bénéfice du peuple iranien ", et ce, toujours sous le spectre des « pressions soviétiques ". Cette stratégie discursive idéaliste permettait à

174 Special Message to the Congress on the Mutual Security Program, 24 mai 1951 http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=13793&st=&st1= (6 juin 2011).

Truman d`établir une façade. En effet, son discours se basait sur sa doctrine trois ans auparavant i.e. l`opposition dichotomique entre les entités qui ont des sémantiques propres aux structures cognitives de l`auditoire américain : les « Soviétiques » d`un sens, les « nations libres du Moyen-Orient » de l`autre. Cette façade essentialisait la politique étrangère américaine sur cette dichotomie. Cela permettait à Truman de maintenir une stratégie politique en Iran en concordance avec sa stratégie globale dans le Moyen-Orient. Le but de cette façade était de poursuivre cette stratégie en Iran -- malgré le choc causé par la nationalisation -- sans que l`opposition républicaine ne tente d`en adopter une autre. La rhétorique idéaliste dans le discours public permettait donc à l`administration Truman de maintenir sa vision politique et de ne pas intervenir directement dans les affaires internes de l`Iran.

. La rhétorique dans le discours privé

Une semaine après la déclaration du Département d`Etat et le discours de Truman au Congrès, l`ambassadeur des États-Unis à Téhéran réaffirmait au ministre des affaires étrangères iranien que les « États-Unis ne souhaitent pas interférer dans les affaires internes iraniennes, ni de s`opposer au droits souverains de l`Iran » ou encore de contrôler le pétrole iranien. Mais l`ambassadeur américain exprimait dans cet aide-mémoire que « la controverse entre la Grande-Bretagne et l`Iran pourrait perturber l`unité du monde libre et l`affaiblir ». Il ajoutait que la résolution à travers « des négociations amicales » pourraient « satisfaire les désires du peuple iranien à contrôler ses propres ressources », cela « protégerait les intérêts légitimes britanniques » et « assurerait la circulation du pétrole iranien dans le marché mondial ». Enfin, il terminait, toujours avec la même rhétorique idéaliste, en disant que trouver une solution à ce conflit était « de la plus grande importance non seulement pour les deux puissances concernés mais pour l`ensemble du monde libre».175

L`aide-mémoire de l`ambassadeur montre que la rhétorique était à la fois idéaliste et réaliste. Le ton employé était réaliste lorsqu`il s`agissait d`exposer les besoins américains et du monde en pétrole iranien, le tout pour le développement de l`économie de marché

175 Aide-Mémoire de l`Ambassadeur Américain à Téhéran au Ministre des Affaires Etrangères Iranien, le 26 Mai 1951, United States Non-Intervention in Iranian Domestic Affairs, Department of State Bulletin, 4 Juin 1951, pp.891-892 (Voir document annexe n°10)

mondiale. De plus, l`ambassadeur américain réitérait dans ce document, avec un ton réaliste, la divergence mentionnée publiquement par son département d`Etat. Il est écrit dans cet aide-mémoire :

While the United States has urged upon both parties the need for moderation,
it has taken no position on details of any arrangement which might be

worked out. It has, however, reaffirmed its stand against unilateral

cancellation of contractual relationships and action of a confiscatory nature.176

La position des États-Unis est ferme. L`ambassadeur réaffirme les directives du département d`Etat américain en s`opposant à toute « annulation unilatérale des rapports contractuels ». Le mot « nationalisation » n`est toujours pas employé ; elle est qualifiée « d`action de nature confiscatoire ». Cela permet de montrer au gouvernement iranien que les États-Unis considèrent la nationalisation comme étant une politique de nature peu diplomatique, voir radicale puisqu`elle est unilatérale. Le message devait réaffirmer la position américaine tout en modérant la fermeté de cette opposition afin de conserver de bons rapports diplomatiques avec son allié.

Washington devait conserver de bonnes relations avec l`Iran car la crise entre ce dernier et la Grande-Bretagne s`intensifiait au fil des semaines. Ceci avait pour effet d`augmenter le risque de division du « monde libre ». Le document exprime ce risque de division et « d`affaiblissement du monde libre ». Pour modérer l`expression de sa divergence de vision politique, l`administration américaine camouflait cette opposition grâce à cette stratégie discursive idéaliste qui met en évidence le respect des droits iraniens dans cette crise. Toujours afin de tempérer, la rhétorique idéaliste formule la politique étrangère en termes de préservation de la « stabilité du monde libre » et de « maintien de l`indépendance et d`intégrité territoriale de l`Iran ». De plus, l`ambassadeur termine son message en rappelant que ces objectifs sont des « principes fondamentaux de la politique des États-Unis ».177 La vision américaine est en opposition avec la politique iranienne de nationalisation -- elle ne soutient pas pour autant la politique postcoloniale de la Grande-Bretagne -- et le discours idéaliste (qui fait parti de l`effort diplomatique) permet d`atténuer la divergence entre Washington et Téhéran.

Malgré cette approche discursive, les efforts diplomatiques ne menaient à aucun compromis de la part de Londres et Téhéran. Une bonne stratégie discursive idéaliste ne peut donc à elle seule arranger les choses. Dans cette crise, elle n`est qu`un outil qui

176 Aide-Mémoire de l`Ambassadeur Américain à Téhéran au Ministre des Affaires Etrangères Iranien, Op. cit.

177 Ibid.

permet de tenter de convaincre les parties de résoudre le conflit de manière diplomatique. La crise s`intensifiait entre les deux pays et le risque de voir le « monde libre » se diviser devenait la principale préoccupation de Truman. L`intérêt national américain passait davantage par le maintien de l`unité du « monde libre » que par la question du pétrole en elle-même. Stephen Kinzer explique :

Truman now saw greater peril than ever. To him, the question of who would control Iranian oil was only secondary. He was more worried that the argument between the United States and Britain over how to deal with Mossadegh might spiral out of control and split the Atlantic alliance.178

L`administration Truman devait maintenir une stabilité diplomatique entre l`Iran d`une part et son allié membre de l`OTAN179 et présent dans la guerre de Corée d`autre part. La compagnie avait commencé à évacuer le personnel britannique d`Abadan et un arrêt complet de la raffinerie était envisageable.180 Truman décida d`envoyer une lettre à Mossadegh afin de poursuivre les efforts diplomatiques engagés. Le président américain exprimait dans cette dernière la « compréhension » des États-Unis quant au « désire de l`Iran de contrôler ses ressources naturelles »181 et il insistait sur les enjeux de cette nationalisation :

Since British skill and operating knowledge can contribute so much to the Iranian oil industry I had hoped -- and still hope -- that ways could be found to recognize the principle of nationalization and British interests to the benefit of both. For these reasons I have watched with concern the breakdown of your discussions and the drift toward a collapse of oil operations with the attendant losses to Iran and the world. Surely this is a disaster which statesmanship can find a way to avoid.182

Deux éléments sont à relever. D`une part, plus la situation devient pressante, plus le discours de Truman est réaliste. En effet, Truman utilise désormais le mot « nationalisation ». Ceci montre que l`administration Truman avait fini par la reconnaitre, sans pour autant accepter le principe. En effet, le président relate les effets de celle-ci en énonçant les pertes causées par l`absence de savoir-faire britannique et oriente la position américaine vers une solution équitable entre les deux partis. Celle-ci est exprimée de manière indirecte puisque Truman ne donne pas de directive. Il explique qu`« il espère

178 Stephen Kinzer, op. cit., p.99.

179 Truman a signé le Traité de l`Atlantique Nord le 4 avril 1949 à Washington D.C.

180 Stephen Kinzer, op. cit., p.99.

181 Bulletin du Département d`Etat, 23 juillet 1951, pp. 129-130, Offer to Send a Presidential Personal Representative to Tehran : Message From the President of the United States to the Prime Minister of Iran, July 8, 1951. Le président Truman propose dans cette lettre d`envoyer un représentant (W. Averell Harriman) à Téhéran afin de régler le conflit. (Mossadegh accepta l`offre de Truman).

182 Ibid.

toujours » qu`un arrangement profitant aux intérêts de chaque parti sera trouvé afin d`éviter « un désastre » pour l`Iran et le monde. Pour arriver à cela, la rhétorique de Truman indique une volonté de continuer dans la voie des négociations.

La désignation de la crise se fait à présent de manière plus réaliste et la rhétorique idéaliste s`applique désormais pour encourager le gouvernement de Mossadegh à trouver une solution à travers la Court Internationale de Justice. Truman écrit :

I know how sincerely your Government and the British Government believe in the positions which you both have taken in your discussions. However, I am sure you believe even more profoundly in the idea of a world controlled by law and justice which has been the hope of the world since the San Francisco conference.183

Trouver un accord à travers « des négociations à l`amiable » entre les deux partis devenait de plus en difficile. Pourtant, Truman insistait en demandant au premier ministre iranien d`accepter la décision de la « court mondiale ». Il mettait toujours en avant les principes idéalistes (« la justice », « la loi », « l`espoir du monde ») mais il les exprimait cette fois ci à l`égard de la Court International de Justice. Truman espérait ainsi mettre un terme à cette crise grace à la décision d`un « organisme impartial, dédié à la justice et l`équité et à un monde en paix basé sur ces grandes conceptions »184. Son objectif était de mettre en place un arrangement équitable (comme c`était le cas en Arabie Saoudite avec les compagnies américaines et Aramco) 185 et Truman utilisait toujours la rhétorique idéaliste comme outil permettant d`atteindre cet objectif. Les États-Unis reconnaissaient désormais la nationalisation et tentaient à présent de trouver une solution à travers la Cour Internationale de Justice. Ce transfert de cible caractérise d`une part les tensions grandissantes entre la Grande-Bretagne et l`Iran, et d`autre part, c`est un indicateur des risques de division du « monde libre » de manière plus globale.

Quoi qu`il en soit, le président américain maintenait sa stratégie discursive idéaliste afin de montrer son souhait de trouver une solution diplomatique. Ses paroles s`accompagnaient d`actions puisque pour préserver l`unité du « monde libre » il terminait sa lettre en proposant d`envoyer un de ses proches conseillers pour tenter de trouver un compromis.186

183 Ibid.

184 Ibid. Truman exprimait ces mêmes objectifs à W. Averell Harriman. Voir annexe n°7.

185 Stephen Kinzer, op. cit., p.76 L`Arabie Saoudite détenait 50% des revenus pétroliers du pays et les compagnies américaines se partageaient l`autre moitié.

186 Il s`agissait de W. Averell Harriman (ses efforts de médiation ayant échoué, le Royaume Uni décida de faire
appel au Conseil de Sécurité de l`ONU le 28 septembre 1951 pour poursuivre sa plainte stipulant que l`Iran avait

Le deuxième élément est l`absence de la menace communiste dans les enjeux présentés par l`administration démocrate (qu`il s`agisse de l`ambassadeur ou de Truman lui-même). Ceci montre que la façade idéologique présente dans la stratégie discursive idéaliste ne s`applique plus dans les messages écrits envoyés à Mossadegh. En effet, la dichotomie entre les entités « monde libre » et « communisme » n`a pas lieu d`être dans cette lettre puisque celle-ci s`exprimait seulement dans les discours publics afin de persuader le Congrès et l`opinion publique américaine de soutenir le Program Point IV et le Mutual defense Aid en Iran.

? Intensification de la crise

La nationalisation de l`AIOC, qui provoqua une forte dégradation dans les relations irano-britanniques, entraîna la mobilisation mondiale de la Grande-Bretagne en faveur d`un boycott du pétrole iranien et un embargo économique qui fit chuter de façon spectaculaire le revenu pétrolier du pays. 187 Par ailleurs, la demande de soutien économique de Mossadegh auprès des États-Unis augmenta mais le président Truman livra seulement l`aide nécessaire aux intérêts américains. Stephen Kinzer explique que le refus d`apport économique de la banque mondiale et les aides insuffisantes de la part des américains pour faire face au boycott imposé par la Grande-Bretagne appauvrissaient la population iranienne de jour en jour.188 Les ressources pétrolières constituaient une part importante du produit intérieur brut iranien et l`embargo britannique avait pour effet d`appauvrir le pays mais également de créer une instabilité politique pouvant renverser Mossadegh en faveur d`un gouvernement Tudeh contrôlé par Moscou.189

Les États-Unis devaient donc faire face à la pression de Mossadegh qui urgeait plus d`aides économiques afin que les conditions de vie des Iraniens ne déclinent pas190, ce qui engendrait le risque que l`Iran trouve une solution en Union Soviétique. Cependant, l`administration Truman devait résister aux pressions de Londres.191 Winston Churchill remporta l`élection et remplaça Clement Attlee au poste de premier ministre le 26 octobre

échoué à respecter les « mesures provisoires » indiquées par la Cour Internationale de Justice en ce qui concerne son ordre du 5 juillet 1951).

Department of State, American Foreign Policy, Basic Documents, op. cit., p.2269.

187 William Bayne Fisher, Peter Avery, Gavin Hambly et Charles Melville, op. cit., p.441.

188 Stephen Kinzer, op. cit. pp.135-136.

189 Ibid. p.104

190 Gholam Reza Afkhami, op. cit., p.153.

191 Stephen Kinzer, op. cit., p.135-136.

1951 et l`un des arguments virulents de la campagne de Churchill fut le manque de fermeté d`Attlee face à Mossadegh. Kinzer mentionne dans son livre :

He [Churchill] told a crowd in Liverpool that Attlee had betrayed solemn undertakings? never to abandon Abadan. I don`t remember a case,? he thundered, when public men have broken their word so abruptly and without even an attempt at explanation.?192

L`arrivée au pouvoir de Churchill durcit le ton et compliqua davantage le processus de négociation. La crise anglo-iranienne était d`une importance majeure au niveau des enjeux géopolitiques puisqu`elle marqua la premiere nationalisation dans le tiers monde. Celle-ci envoya des ondes des chocs à travers la région et pour la Grande-Bretagne, cette crise représentait un risque d`intensification du rythme de la chute de l`Empire.193 La rhétorique idéaliste de Truman se confrontait au ton belliqueux de l`administration de Churchill qui ne se voyait pas perdre la raffinerie d`Abadan.194 Stephen Kinzer explique dans une entrevue sur Democracy Now que durant les années 1920, 1930 et 1940, le niveau de vie en Grande-Bretagne était subventionné par l`Iran, tous les camions et toutes les jeeps fonctionnaient à partir du pétrole iranien, les usines britanniques étaient financées par le pétrole iranien, la Royal Navy qui projetait la puissance britannique partout dans le monde -- fonctionnait à 100% avec du pétrole iranien.195 Winston Churchill s`opposait fermement à la montée du nationalisme en Iran et dans le monde arabe, lui qui avait dédié une grande partie de sa carrière dans la défense des colonies britanniques.196 Il voyait l`Iran comme une source de pétrole bon marché et ce pays représentait pour lui l`un des derniers avant-postes britannique qu`il ne fallait pas perdre puisque cela pouvait très certainement provoquer la perte de Suez en Egypte et d`autres avant-postes restants. Stephen Kinzer écrit dans son livre que « tenir position contre le nationalisme du tiers monde était l`une de ses grandes croisades et au crépuscule de sa carrière, il était déterminé à livrer une dernière bataille ».197

192 Ibid. p.125

193 L`empire Britannique souffrait déjà énormément financièrement à cause de la Seconde Guerre mondiale et elle lui était de plus en plus difficile de maintenir ses intérêts dans ses colonies. D`autres exemples du déclin de l`empire sont la partition de l`Inde et du Pakistan en 1947, puis la crise de Suez en 1956.

194 Stephen Kinzer, op. cit., p.125

195 Interview de Stephen Kinzer sur Democracy Now, le 14 juin 2010, http://www.democracynow.org/2010/6/14/steven_kinzer_on_the_history_of (6 juin 2011).

196 Stephen Kinzer, op. cit., p.131 L`auteur revient sur les débuts de Churchill en tant que soldat en 1898 où il défendait la colonie britannique du Soudan, puis sur la campagne de Gallipoli en Turquie lors de la première guerre mondiale, du maintien du contrôle de la Palestine et de la Mésopotamie, et de son refus de laisser l`indépendance à l`Inde.

197 Ibid. p.131

L`arrivée au pouvoir du premier ministre conservateur, Winston Churchill, durcit donc le ton et l`approche stratégique de la Grande-Bretagne vis-à-vis de l`Iran et des États-Unis. La Maison Blanche maintenait sa cohérence discursive à l`égard de Londres afin de protéger ses intérêts tout en préservant la Special Relationship. C`est pour cela que les États-Unis avaient décidé de soutenir une résolution de l`ONU appelant à la reprise des négociations en accord avec les principes de la charte des Nations Unis (en octobre 1951). Cette décision fut prise après la plainte de la Grande-Bretagne contre l`Iran à la Cour Internationale de Justice et aux Nations Unis198 en nommant la crise comme étant « la menace pour la paix et la sécurité internationale. »199

Cette crise a modifié les relations entre les deux partis. La Grande-Bretagne avait désormais un discours plus belliqueux à l`égard de l`Iran. Néanmoins, les États-Unis maintenaient leur cohérence discursive car leur stratégie visait toujours une solution à travers des négociations amicales entre ses deux alliés. Dans un premier temps, le discours public de Truman (au Congrès) servait de façade puisqu`il utilisait le spectre de la menace communiste dans le Moyen-Orient afin de fournir de l`aide économique et militaire à l`Iran, et ce, dans le but de stabiliser le pays (dans la logique du Programme Point IV et du Mutual Defense Aid). Dans un second temps, jouer sur les craintes dans la région ouvrait un espace en Iran où il était désormais possible d`actionner des leviers diplomatiques pour maintenir le « monde libre » uni et résoudre le conflit anglo-iranien de manière noncoercitive. L`administration démocrate avait en effet pour principe de ne pas intervenir politiquement dans les affaires internes iraniennes.

Enfin, la rhétorique idéaliste défendait les intérêts américains à travers le discours privé. Celui-ci tentait indirectement d`influencer les deux partis d`accepter un accord équitable afin que pétrole iranien continue de circuler dans le marché mondial.

198 Department of State, American Foreign Policy, Basic Documents, op. cit., p.2269 La note de bas de page de la section 52 Proposals For Settlement of the Controversy: Joint Message and Proposals From the President of the United States and the Prime Minister of the United Kingdom to the Prime Minister of Iran, August 30, 1952 explique la tentative de résolution par la Cour Internationale de Justice.

Voir également la discussion à la Chambre des Communes entre Churchill (alors chef de l`opposition) et le secrétaire d`Etat aux affaires étrangères britannique M. Herbert Morrison, le 1er mai 1951. Le document montre que les Britanniques ont eut recours à la court internationale de Justice de la Haye, comme les accords signés par Reza Shah en 1933 le prévoyaient en cas de litige.

http://hansard.millbanksystems.com/commons/1951/may/01/persia-anglo-iranian-oilcompany#S5CV0487P0_19510501_HOC_293 (6 juin 2011).

199 Extrait de l`article 36 [paragraphe 40] du Conseil de Sécurité des Nations dans le conflit entre l`Iran et la Grande Bretagne Art. 36, Repertory, vol. II (1945-1954) p.286 (voir document annexe n°11)

L`économie iranienne fut considérablement pénalisée par l`embargo et le boycott britannique du pétrole iranien. La crise anglo-iranienne s`est achevée sous l`administration Eisenhower par le coup d`État d`aoft 1953. Celui-ci va à l`encontre de la politique de Truman. Comment le président républicain a-t-il défendu discursivement sa politique en Iran ? Et quelle a été le rôle de la rhétorique idéaliste pour défendre l`intérêt national américain ?

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"