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Le marché des restes humains. Etude sur le fétichisme politique à  Libreville

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par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo Libreville - Maà®trise en sociologie de la connaissance 2008
  

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Section 1 : Objet et champ de l'étude

1- Le fétichisme politique comme objet d'étude

« Construire l'objet sociologique, c'est deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser les bonnes questions ».6

Cette étude portant sur le rapport entre fétichisme et pouvoir politique est adossée à l'idée qu'il existe un marché des restes humains à Libreville. L'existence de ce marché explique la profanation des tombes, notamment à l'approche des élections politiques. L'émergence de ce marché peut être saisie à partir de ce que dit Florence BERNAULT, selon qui « la sorcellerie moderne en Afrique équatoriale, au Gabon singulièrement, a lentement émergé au coeur des batailles juridiques et morales amorcées pendant la période postcoloniale. Ce que l'on entend aujourd'hui par "sorcellerie" ou "fétichisme", mots fortement teintés par la connotation réductrice et négative de leur origine coloniale, n'est, pour le cas du Gabon qui nous intéresse ici, qu'une partie d'un ensemble religieux et sacré qui modelait la plupart des représentations mentales et des stratégies sociales et matérielles cultivées par chacune des sociétés locales ».7

Aussi, nous essayons de saisir le « fétichisme politique » à Libreville comme expression de l'usage et du commerce « des pièces détachées »8 au sens de Joseph TONDA. Il convient de préciser que le fétichisme politique est mis en relief, durant les périodes électorales, par la profanation des tombes à Libreville, précisément au cimetière de Mindoubé, en tant que moment de la collecte des « pièces détachées » pour les mettre en vente sur le marché des restes humains.

6 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11ème éd. 2001, p.384.

7 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon in Mama Africa : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, p.1.

8 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.5.

Ces profanations des tombes s'accompagnent de crimes rituels ou découvertes macabres de corps privés de certaines parties9 à Libreville et ce, à la veille des élections. Il va s'en dire que c'est à chaque fête de Toussaint que les parents des défunts constatent ce phénomène et le cimetière de Mindoubé en est victime. De plus, il n'y a pas que la profanation des tombes que nous étudions, il y a aussi la profanation des cadavres que l'on retrouve mutilés à Libreville sous la rubrique « crimes rituels ». En outre, la profanation des tombes et celle des cadavres est révélatrice a priori d'un marché des restes humains ou « pièces détachées » dans la capitale gabonaise. En somme, la croyance en la sorcellerie atteste bien que le fétichisme n'est pas illusoire, mais bien réel ; ce qui explique en dernier ressort que les hommes du pouvoir ont recours à cette pratique.

Il faut d'abord rappeler que le concept de « fétichisme politique » apparaît sous la plume de Pierre BOURDIEU10.Il s'agit de « la délégation par laquelle une personne donne pouvoir, comme on dit, à une autre personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant autorise un mandataire à signer à sa place, lui donne une procuration, c'est-à-dire, la plena potencia agendi ; le plein pouvoir d'agir pour lui, est un acte complexe qui mérite d'être réfléchi. Le plénipotentiaire, ministre, mandataire, délégué, porte-parole, député, parlementaire, est une personne qui a un mandat, une commission ou une procuration pour représenter - mot extraordinairement polysémique -, c'est-à-dire pour faire voir et faire valoir les intérêts d'une personne ou d'un groupe ».11

Par ailleurs, Pierre BOURDIEU approfondit sa réflexion en mettant l'accent sur le fait « qu'il y a une sorte d'antinomie inhérente au politique qui tient au fait que les individus - et d'autant plus qu'ils sont plus démunis - ne peuvent se constituer (ou être constitués) en tant que groupe c'est-à-dire en tant que force capable de se faire entendre et de parler et d'être écoutée, qu'en se dépossédant au profit d'un porte-parole.

9 Le quotidien national L'union du 29 février 2008 et du 10 mars 2008 en annexe, qui ont fait état de 12 crimes rituels enregistrés pour le mois de février 2008 à Libreville. Tous ces corps ont donc été mutilés de leurs parties génitales, des oreilles, langues, yeux etc.

10 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.

11 Ibid., p.185.

Il faut toujours risquer l'aliénation pour échapper à l'aliénation politique ».12 Partant du concept de BOURDIEU selon lequel le député ou mandataire est un fétiche pour le peuple, de la même manière le crâne, qui est réel n'a de sens que pour celui qui l'utilise, donc il est fétiche pour ce dernier. Pour le profanateur, ce crâne ne lui dit rien.

Pour Pierre BOURDIEU, « les fétiches politiques sont des gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent leur propre créature. L'idolâtrie politique réside précisément dans le fait que la valeur qui est dans le personnage politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît comme une mystérieuse propriété objective de la personne, un charme, un charisme ; le ministerium apparaît comme mysterium ».13 A ce propos, la notion de charisme attire notre attention car il s'agit de voir l'entrepreneur politique ou fétiche politique doté du charisme, « cette sorte de pouvoir qui semble être à lui-même son propre principe »14 ; notion que nous retrouvons explicitée chez WEBER. « Le charisme, c'est le charme ou la grâce qui s'attache à certains personnages sur lesquels se sont posés le regard et le choix de Dieu. De tels personnages sont investis d'un pouvoir, d'une forme évidemment très différente de celle du pouvoir dont est revêtu le bureaucrate rationnel-légal ou le monarque traditionnel désigné par primogéniture. Le pouvoir charismatique se désigne par son caractère « extraordinaire, surhumain, surnaturel ». Celui qui en est pourvu est un « envoyé de Dieu », un héros- un « guerrier furieux » - ou un chef (Führer). Ce qui caractérise le chef charismatique, c'est moins le contenu de sa tâche que la manière dont il l'exécute- son style ».15 Ainsi, le pouvoir charismatique est donc un pouvoir personnel et extraordinaire.

Le rapport qu'on peut établir avec BOURDIEU et le fétichisme politique, réside dans le fait que le mandataire (le député par exemple) est un fétiche et que la collecte de ses « pièces détachées » va permettre à ce dernier d'assurer sa régénération et son succès aux élections politiques.

12 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, ibid., p.186.

13 Ibid., p.187.

14 Ibid., p.187.

15 Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, Dictionnaire critique de Sociologie, Paris, Quadrige/Puf, 2006, p.77.

Le crâne dont il est question dans le fétichisme politique, c'est celui d'une personne morte, quelque soit sa position sociale, ce qui importe c'est de rapporter un crâne déterré.

Le fétichisme politique dont nous rendons compte se décline ainsi sous deux dimensions : dans la première, il s'agit d'abord de ces restes humains ou « pièces détachées » collectées par les profanateurs des tombes ou de cadavres, qui serviront dans les pratiques fétichistes. Dans la seconde dimension, ces « pièces détachées » collectées vont permettre à l'entrepreneur politique, grâce à la nécromancie et autres pratiques sorcellaires ; d'acquérir, voire de conserver ou de consolider le pouvoir (économique, politique et social). Pour WEBER, « il s'agit là d'une action intentionnelle, qui obéit implicitement à une rationalité de type instrumental ou utilitaire : dans la situation qui est la sienne au moment d'agir, l'acteur engage ses moyens pour atteindre la fin dont il pense qu'elle lui apportera la plus grande satisfaction ».16

Dans le même ordre d'idée Joseph TONDA définit le fétichisme politique, « entendu dans le contexte africain comme usage ou commerce des/ou avec les "pièces détachées" réalisé par les hommes politiques ; il y a apparemment une distance avec le concept bourdieusien. En fait, les usages politico-criminels des pièces détachées servent ici à réaliser la transfiguration du rapport politique qui est au principe de la production des mandataires comme fétiches ».17

Puisse que nous parlions du recours à la pratique de la sorcellerie, EVANS-PRITCHARD nous apporte un éclaircissement à ce sujet. Pour lui, la sorcellerie revêt deux dimensions ou explications : pratique et mystique et que nous estimons complémentaires. Sur ce point, « un des apports d'EVANS-PRITCHARD est d'avoir montré la nature de la magie, qui peut se pratiquer sans aucun intermédiaire instrumental et rien que par une volonté et un pouvoir maléfique, et détenu par certains individus. Cette magie maléfique prend le nom anglais de "witchcraft", s'opposant ainsi à

16 Raymond BOUDON et Renaud FILLIEULE, Les méthodes en sociologie, 12ème édition, Paris, Puf, (coll. « Que sais-je ? »), n°1334, 2004, p.54.

17 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.5.

la sorcellerie instrumentale (rites, potions, objets ensorcelés) ou "sorcery"».18

En résumé, chez EVANS-PRITCHARD, la sorcellerie a deux dimensions : la witchcraft", qui est spirituelle et correspond au Gabon aux vocables de L'évus, le dikundu, l'inyèmba et qui serait a priori héréditairement transmissible et la "sorcery" ; entendu ici comme les techniques magiques ou actes fétichistes que l'on peut voir : rites, potions, profanations des tombes, objets ensorcelés, calebasses déposées sur les carrefours à Libreville. Nous partageons ce point de vue.

Joseph TONDA19 aborde aussi ce point de vue de la croyance en la sorcellerie, surtout en tant que technique magique, servant les parents à bloquer les jeunes. Dans un contexte de déstructuration sociale au Congo et au Gabon ; et où les rapports sociaux entre vieux et jeunes sont basés sur le soupçon, et où « le droit d'aînesse n'est plus respecté ».20 Ce recours systématique à la sorcellerie dans n'importe quelle circonstance conduit ceux qui la pratiquent à toute sorte de pratiques. En ce qui concerne le Congo, les jeunes débrouillards, qui tiennent des petits fonds de commerce se plaignent des agissements des vieux qui, selon eux, les « vieux sont insatisfaits. Ils veulent avoir de l'argent pour obtenir de petites filles de 2 à 25 ans. Et pour avoir cet argent, les vieux utilisent des animaux invisibles qui vont subtiliser le produit des ventes des jeunes propriétaires des kiosques, ils sont connus, les propriétaires de ces animaux invisibles ».21

Enfin, même dans les cas de décès de jeunes, « ce sont des groupes de vieux, et même les vieilles femmes qui sont accusés ».22

Somme toute, nous rejoignons aussi ce point de vue de l'auteur car les cas de sorcellerie tels qu'ils sont évoqués au Congo, sont fréquents au

18 Jacques LOMBARD, Introduction à l'ethnologie, 2ème édition, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus Sociologie »), 1998, p.131.

19 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon). Préface d'André MARY, Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2002, 243 p.

20 Ibid., p.143.

21 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), ibid., p.143.

22 Ibid., p.143.

Gabon et se présentent de la même manière. Au Gabon, toute mort n'est pas "naturelle" plutôt d'ordre mystique, attribuée à quelqu'un.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote