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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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2) Le Mbumba Iyanô

Le Mbumba Iyanô est une initiation qui est propre à la région de la côte du Gabon. Avec les échanges interethniques, cette initiation s'est diffusée dans de nombreuses régions du Gabon. C'est donc une initiation qui à la particularité d'être pratiquée, à son origine, par l'ethnie Mwiénè plus précisément les Orungus, les Mpongwés. Mais il y a aussi une ethnie vivant vers la côte des villes de Gamba et de Mayumba les Ivilis qui pratique ce rite initiatique. La particularité de cette initiation est d'être en rapport avec un génie de race blanche. En effet, ce génie est généralement blanc ou blanche. Si nous faisons un appel à l'histoire on comprend pourquoi cette initiation est proche de l'ethnie Mpongwé. Nous ne devons pas oublier que c'est l'une des premières ethnies à avoir eu un contact avec les blancs quand il s'agit des grandes conquêtes des voyages maritimes du 18ème siècle.

Nous nous sommes rapprochés de deux femmes qui initient au Mbumba Iyanô. La première est Mpongwé et réside à Agondjé, tandis que la seconde est d'ethnie Ipounou et réside en face de la cité de la démocratie à Libreville. La première s'appelle Mme Jeannette161 et voici ce qu'elle pense du Sida :

Enoncé n°3 :

« Le Mbumba Iyanô c'est le géni qui est une sirène. Si c'est une femme qui est malade alors le Mbumba Iyanô est un homme. Si c'est l'homme qui est malade, c'est que le géni est une femme. En fait, le génie du Mbumba Iyanô c'est notre contraire. C'est notre autre sexe qui est dans nous (sic). Dieu a fait l'homme moitié moitié [c'est-à-dire un côté femme et un côté homme]. Donc l'homme doit savoir que le génie lui donne le bonheur s'il se comporte bien avec lui. C'est comme le génie, le Mbumba Iyanô choisi l'homme ou la femme qui doit être avec toi. Si il n'aime pas la personne, il fait tout pour casser le mariage. Il peut venir se mettre dans le même lit que toi et chasser la personne du lit. Parfois tu rêves que tu as des rapports avec une femme ou un homme. C'est le Mbumba Iyanô. Parfois tu rêve que tu es dans l'eau avec des blancs, c'est le Mbumba Iyanô. Les gens parlent que c'est Onyambé (fantômes) ou Onômé Yoguéra (homme de nuit). Non c'est le Mbumba Iyanô, mon fils ! Quand c'est comme ça il faut arranger le génie. Il arrive même que lorsque le géni est beaucoup fâché, il peut faire sortir les abcès, les gros boutons, ou les taches comme la dartre sur le corps. Il peut même te faire maigrir. Il faut pas que les gens te regarder. Personne ne doit te vouloir [personne ne doit te désirer]. (...) Ca ressemble au Sida mais ce n'est pas le Sida. Parfois les gens pensent que c'est le Sida alors que c'est le Mbumba qui embête la personne. Il peut même faire en sorte que les machines du blanc montrent que tu as le Sida pour que les gens fuient à côté de toi. Parce que il veut rester seul. Comme ça là, il faut se faire initié au Mbumba pour que ton géni soit arrangé. Le Mbumba Iyanô est trop fort. Il peut même bloquer les enfants [il peut empêcher de procréer]. ( ...) Le Mbumba Iyanô rend malade les gens qui ne veut pas les arranger. C'est comme quelqu'un qui est initié ne doit pas

161 Mme Jeannette, féminin, niveau d'étude primaire, traditionnaliste, technicienne de surface dans une administration, Mpongwé.

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casser les interdits sinon le Mbumba Iyanô peut même le tuer. Il peut faire en sorte que quand on te regarde on te voit comme un onyambé ; comme quelqu'un qui a la maladie là. Faut pas jouer ?! Quand tu l'arranges on peut même dire que tu as le Sida, que les trucs des blancs on vu çà [les machines qui permettent de détecter la sérologie d'un individu], tout ca là sa disparaît. Sauf si c'est la maladie de Dieu et que c'est Dieu qui a envoyé ».

La seconde s'appelle Maman Mado162 et voici ce qu'elle nous dit au sujet du Sida et de son rapport au Mbumba Iyanô.

Enoncé n°4 :

« On m'a amené une fille il y a deux ans qui s'appelait Inès M ... Elle avait beaucoup maigri. Elle avait les abcès, les boutons les petites brulures sur la peau avec des taches noires sur tout le corps comme la veste. Ses parents m'ont dit qu'elle avait la maladie qu'on appelle Sidé (Sida c'est comme ça qu'elle le prononce). Je ne dormais pas. Rien à faire. La fille là pleurait toute la nuit. C'est comme ça que quand je dormais un jour, j'ai vue une sirène qui est venue me parler que ho « si je fait souffrir la fille là c'est parce que elle ne me donne pas à manger, elle fait ( s'accouple) avec des hommes sales. Et puis elle fait ça n'importe comment. Elle est venue me prendre là où j'étais c'est pour me mettre dans la saleté ? Il faut qu'elle m'arrange sinon je la tue». C'est comme ça là qu'elle m'a montré des feuilles, et des bois pour la laver, et pour manger et boire. Elle m'a montré un endroit au cap que je n'avais jamais vu et que je ne connaissais pas. Elle m'a dit qu'elle allé me guider avec des signes qu'elle avait mis. Le jour là mon petit mari, c'était fort !!! On est arrivé sur la route y avait un gros cailloux blancs qui était là. C'était le premier signe. Elle avait dit que dès qu'on voyait ça il fallait qu'on débrousse et on faisait tout droit. On a fait ça durant une heure les hommes était fatigué. Ici là il fallait soulevé la fille, là-bas les choses.. Non c'était fort ! Moimême je doutais. Les parents parlaient déjà que ce que je fais là c'est faux. Après on a écouté un grand cri qui nous a fait mal aux oreilles. J'ai pris les crises. Je ne sais plus mes j'ai marché dans la foret les gens me suivaient jusqu'à ce que on est arrivé où il y avait le sable blanc. Y avait l'eau autour et au milieu y avait le sable blanc comme le sable de la mer mais en pleine forêt. Mais le sable là était trop blanc. Y avait aussi un arbre du Mbumba Iyanô qui était la au milieu du sable. (...) J'ai mis la fille là dans l'ifulu163. Je n'avais pas vu les mouches comme ça ! Y avait les mouches AHHH !! On dirait qu'elles suivaient quelques de chose de pourrie. Dès que j'ai mis la fille là à l'eau pour la laver avec les feuilles et les écorces qu'on m'a montré, voici la pluie en pleine saison sèche. Une forte pluie avec les tonnerres. Ca là c'est le signe du Mbumba Iyanô : la sirène. L'eau était devenue tout blanc comme si on avait mis du lait dedans. Dès que j'ai fini de la laver elle était encore dans l'eau voici que elle a vu quelque chose brillait dans l'eau. Quand elle a mis la main elle a senti comme une main qui l'a tirée. Elle est rentrée dans l'eau. On a commencé à la chercher. Une minute après elle est sortit devant (à 50 mètres du lieu). Elle tremblait, elle ne parlait pas !

162 Maman Mado, féminin, pas de niveau d'étude mais femme d'un instituteur a la retraite, traditionnaliste, sans profession, Ipounou

163 C'est une purification par fumigation et sudation. Lire a ce sujet Julien BONHOME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 34.

Elle a ouvert la main elle avait des cories et une petite pierre en or. Je lui demandais que c'est comment elle ne m'a pas répondu elle n'arrivait pas à parler. Après ça la pluie s'est calmée. On est rentré ! Arrivé à la maison elle a dit qu'elle a vu deux sirènes qui lui ont remis des cories et puis l'or. Mon chéri ! Laisse. La fille en deux semaines elle était guérit. On a fait les cérémonies elle est partie en France. J'ai appris qu'elle est morte en début d'année. Elle avait épousé un blanc. »

Nous avons posé la question de savoir de quoi elle est morte. Et elle nous a répondu qu'elle est morte de l'hépatite B. Et elle a ajouté :

Enoncé n°5 :

« Je lui avais dit que faut plus qu'elle fasse les choses n'importe comment. Il faut qu'elle respecte les interdits. Faut plus qu'elle mange le [pénis, les fesses du partenaire ou de se faire sodomiser164]. Mais rien ! Ce que le génie lui a interdit c'est ce qu'elle est partie faire ». La fille de Maman Mado m'avouera autour d'un verre que la fille n'est pas morte seulement de l'hépatite B mais qu'elle avait aussi le Sida.

Ce que nous retenons de ces deux discours, parfois relevant du fantastique nous l'accordons, c'est que le Mbumba Iyanô est dans l'idéologie de la société médicale indigène très relié au Sida. Les symptômes qui sont amaigrissement, boutons envahissant toutes la surface du corps, détérioration de la peau par la présence de plaques de muqueuses, sont autant de similitudes entre la maladie du Sida et l'initiation indigène dénommé Mbumba Iyanô.

L'idéologie médicinale indigène impute au Mbumba Iyanô des phénomènes sociaux assez répandus dans la société gabonaise. Notamment, les hommes ou femmes de nuit et le problème de procréation. Mais surtout que le Sida n'est pas une maladie biomédicale, mais bien maladie des esprits, des génies. Le Sida est la conséquence de la possession par la présence de génie jaloux, un génie maniaque de la propreté, de génie frigide ou pudique. Le Sida est alors détaché de son sens de syndrome pour être rattaché à un sens purement imaginaire. Quelques correspondances suffisent pour faire un rapport entre une maladie et une superstition, une idéologie.

Ce que nous pouvons observer dans le dernier discours c'est que le malade finit par mourir d'une IST. Les soins que prodiguent les deux mères initiatrices du Mbumba Iyanô sont, certes, efficaces pour réduire la progression des symptômes de la maladie du Sida. Mais ils ne soignent pas la maladie du Sida. Et ce n'est pas les esprits qui soignent, mais bien évidemment la vertu thérapeutique des plantes, des écorces de bois. Malheureusement, elles ont refusé à chaque fois de nous donner le nom des feuilles ou des bois qu'elles utilisent pour soigner ou réduire les symptômes de la maladie.

Le Mbumba Iyanô nous permet de dresser une, des nombreuses, explication des hommes ou des femmes de nuit. Se serait donc la présence du génie qui est jaloux ou qui

164 C'est nous qui avons changé les expressions. Car les mots qu'elle a utilisé étaient trop vulgaires.

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refuse la présence d'une compagne ou d'un compagnon. Mais, il faut retenir que dans certaines idéologies initiatiques indigènes souffrir du Sida, (et surtout avoir les symptômes tels que des boutons, des muqueuses ou un amaigrissement du corps) c'est être posséder par le génie jaloux du Mbumba Iyanô. Mais quelque fois, nous nous retrouvons en plein discours commerciale. Chacun veut montrer la puissance d'un génie, la puissance d'un esprit qu'eux seul ont la capacité de voire, d'entendre. Ou tout simplement, « l'effet recherché par qui raconte son expérience est alors la fascination ou la peur : On ne parlerait pas si l'on espérait fasciner165».

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984