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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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SECTION 2 : , le Nzatsi, le Kôhng

A l'instar du Mwiri, du Mbumba Iyanô et du Mbumba, la section que nous introduisons est au fait des questions de la relation entre une maladie biomédicale (le Sida) et les représentations sociales de la médecine ésotérique indigène. Ces représentations ne sont que des métaphores qui décrivent, en même temps, des pratiques initiatiques et/ou sorcellaires et la maladie du Sida. Nous ouvrons cette section afin de présenter comment les pratiques de la médecine ésotérique indigène se représentent une maladie biomédicale. La maladie est un fait social et culturel.

1) Le Nzatsi ou le fusil nocturne

Le Nzatsi est une expression vernaculaire de l'ethnie Pouvé. Lors de notre enquête nous avons discuté avec un bwitiste qui se nomme M Nicolas186. Il nous a dit que le Nzatsi peut donner le Sida ou pour être plus précis, que le Sida est une forme de Nzatsi. Voici l'extrait d'une partie de ces propos :

Enoncé n°9 :

« Est-ce que tu sais que par le nzatsi une personne peut avoir le Sida ? Le fusil nocturne peut donner le Sida. Quand la personne qui tape le nzatsi tamise les articles, les supports qu'il utilise peuvent donner le Sida. Parmi les articles du fusil nocturne il y a des éléments du corps de l'homme qu'il faut mettre. Bon généralement on prend le tibia,ou l'avant bras pour que sa touche l'avant bras, le tibia ou le pied de la personne à qui on veut damer ça. Bon maintenant si l'os qu'on utilise appartenait à quelqu'un qui avait la maladie, il peut attraper çà. L'autre chose c'est que lorsque on tape le nzatsi, il y a plusieurs sortes de nzatsi : y a le nzatsi simple qu'on nomme le 25, il y a celui qu'on appelle le 220 volts et y a celui qu'on appelle le 10 000 volts ou la foudre. Bon y a celui qu'on appelle « debout, assis,

186 M. Nicolas, masculin, niveau d'étude secondaire, bwitiste, élève, Pounou.

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couché » c'est-à-dire que tu passe 5 à 10 minutes debout, 5 à 10 minutes assis et 5 à 10 minutes couché. Y en a beaucoup, je ne peux pas tout te citer. Mais les spécialistes de ce domaine se sont les Mvoungou. Eux ils ne jouent pas avec ça. Quand quelqu'un te dit qu'il est Mvoungou faut te méfier ils sont dangereux. Bon, quand je dis que le Sida c'est le nzatsi c'est parce que il y a des fusils nocturnes simples. C'est-à dire ce qui sont frappés simplement sans des tournures pour compliquer celui qui va traiter le malade. Il y a le fusil nocturne qu'on te frappe avec le fantôme et celui qu'on frappe avec le fantôme et le serpent (mbumba). C'est celui là qui donne le Sida. Car non seulement le pied ou le bras va pourrir, mais il aura le corps qui va maigrir ou s'enfler, la peau qui va pourrir, l'apparition de boutons, la paralysie les vomissements, les diarrhées, les fièvres. Quand le poison du nzatsi arrive au niveau du coeur c'est la mort. Les gens disent que c'est le diabète qui fait en sorte qu'on coupe le pied à quelqu'un alors que c'est Nzatsi. C'est comme quand quelqu'un est malade du Sida et qu'il a une blessure au pied, il faut vérifier : c'est le fusil nocturne. »

Une description plus adapté pour décrire le nzatsi nous a été proposé par Julien BONHOMME. « Le fusil nocturne (bota-a-pitsi, littéralement « fusil nocturne ») est un mal physique bien localisé : il se manifeste par une intense douleur qui commence dans le pied, remonte dans la jambe et peut aller jusqu'à la nécrose et la paralysie. Cette affliction est la conséquence d'un coup de fusil invisible tiré par un sorcier, ou bien d'un piège de chasse invisible que la victime a déclenché à son insu. Les ngangas disent d'ailleurs souvent trouver dans les plaies cheveux, ongles ou tessons, preuve du caractère sorcellaire du mal187». Une autre définition peut-être retenu. « On appelle fusil nocturne une arme mystique, donc « invisible », dont les effets se manifestent par une affection soudaine et une mort brutale de la victime dans des circonstances inexpliquées. Au Gabon, le fusil nocturne est fait d'un os de tibia humain peint d'un côté en rouge et de l'autre en blanc. Selon l'usage que l'on veut en faire, il sert comme arme offensive ou défensive188.» Mais une contextualisation du fusil nocturne a été proposé par joseph TONDA. Pour lui, « le fusil nocturne, qui se dit tel quel en français au Gabon, est la réponse à l'énigme humaine de la violence de la traite et par la suite, de la colonisation et de l'ère postcoloniale. Le fusil nocturne dit l'inhumanité de la civilisation, sa part trop nocturne, justement, celle-là qui a fait que des hommes jeunes, forts, vigoureux aient été nuitamment enlevés par des inconnus, ou pistés, rattrapés, fusillés pour l'exemple, parce qu'ils étaient fondamentalement rétifs à la nuit qui tombait sur leur vie et que le bruit de tonnerre du fusil de traite accomplissait. Plus tard, les vaincus de ces fusils, leur fils ou arrières petit-fils ont actualisé le vocabulaire de la violence nocturne des fusils : les missiles, les avions, les camions nocturnes sont venus enrichir ce monde des ténèbres né de la rencontre et qui appartient à l'univers des sorciers189».

La présente métaphore du nzatsi est une introduction au registre de la chasse. « Dans ce sens, le champ des médecines hors secteur biomédical apparaît comme un champ dominé

187 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 100.

188 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 36.

189 Joseph TONDA, « mots-objets, mots-sujets, mots-esprits », Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p 139.

par la violence de l'imaginaire, qui est toujours une violence matérielle, physique. Un champ où des histoires de vie racontent des expériences de corps ravagés, en permanence, par le conflit, par la guerre contre laquelle on se blinde pour renvoyer le missile à qui vous l'a envoyé à votre insu, pour renvoyer le cpt à qui vous l'a envoyé190». A des fins purement mystiques et sorcellaires, le fusil nocturne devient le fusil pour donner le Sida. Le sida devient le piège, le filet, le guet-apens lancé par un fusil nocturne afin de tuer à des fins cannibales mystiques. A chaque fois, le rapport à la maladie du Sida et aux métaphores, dans la médecine ésotérique indigène, est conditionné par la présence de la sorcellerie.

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