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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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Chapitre IV: Les représentations du Sida dans la postcolonie de Libreville

Le propre des maladies épidémiques est qu'à un certain moment, il y a une forte propension à les considérées comme des états passionnels. Susan SONTAG pense en effet que « la ressemblance extrêmement frappante qui se dégage des mythes attachés à la tuberculose et au cancer [mais aussi au Sida] tient au fait que ces (...) maladies sont, ou étaient considérées comme des états passionnels.261» Nous pouvons comprendre cette logique lorsqu'on renvoi à une métaphore du Sida qui s'énonce comme syndrome inventé pour décourager les amoureux. C'est un mal qui stresse les rapports sociaux et bien entendu les rapports sexuels. Or, en postcolonie, les états passionnels, plus précisément les états sexuels, sont le propre de l'activité sociale. Nous l'illustreront dans ce propos par le propos de Joseph TONDA dans le Souverain moderne au sujet du corps-sexe. Dans les sociétés postcoloniales, le corps, et par extension l'amour, souffre d'une exploitation aussi bien économique que symbolique ou imaginaire. Le corps est socialement construit. Et sociologiquement « la définition méme de ce qu'est le corps et de ce qu'il représente est un enjeu dans les rapports sociaux262.» Lorsque la société de la scène et du spectacle présente une métaphore du Sida comme maladie d'amour ou d'infidélité, comment pouvons-nous lui adresser un regard du point de vue de la théorie de la postcolonialité ? Mais encore comment peut - on contextualiser les métaphores du sida de la médecine traditionnelle indigène dans l'analyse des sociétés postcoloniales ?

SECTION 1 : Le sida, le sexe, le sang, la sorcellerie et Dieu : l'imaginaire de la postcolonie

Le premier axe de cette étude retient quatre expressions qui peuvent permettre une approche sociologique des métaphores du Sida dans la postcolonie. Le sexe, le sang, la sorcellerie et Dieu sont les métaphores constantes qui analogiquement renvoi à la maladie du sida. C'est en identifiant ce groupe de métaphores que nous parvenons à construire un postulat de trois piliers des métaphores de la maladie du sida dans les sociétés postcoloniales. Dans le cas de la ville de Libreville , les métaphores identifiées permettent de dresser un cadre « conceptuel » qui peut orienter les raisons de l'utilisation compulsive des métaphores du Sida.

1) Le Sida maladie d'amour et maladie d'infidélité dans la postcolonie

Ce que nous présente le corpus de notre recherche c'est que le Sida est une métaphore qui intègre l'espace hétérotopique de la musique. Dans cet espace, la maladie du sida est une maladie d'amour et une maladie de l'infidélité. En effet, Hilarion NGUEMA dans sa chanson

261 Susan SONTAG, La maladie comme métaphore, le Sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, coll « Titre 101 », 1993, p 33.

262 Didier FASSIN et Dominique MEMMI, « Le gouvernement de la vie, mode d'emploi », Le gouvernement des corps, Paris, EHESS, coll « Cas de figure », 2004, p 17.

sur le Sida, dit que le médecin lui a dit que < le sida est une maladie du sexe, maladie du sang, maladie du siècle, maladie d'amour ». L'artiste Mackjo's regarde quand à lui dans une autre direction pour lui le Sida est une maladie de l'infidélité. Nous avons eu un entretien avec lui dont voici le contenu.

Énoncé n°17 :

« Quand j'écrivais ce texte j'ai pris la peine de chercher les différents modes de contamination du Sida. Mais il fallait rendre original ce texte pour le changer de ce que maman Dédé avait dit. Puis un jour, j'ai écouté la conversation d'une de mes belle-soeur avec sa copine. Elle disait que son mari avait changé de comportement depuis qu'il avait vu son ami avec qui il faisait les coups fourrés mourir du Sida. Il rentrait tôt à la maison, il avait repris à faire la cuisine les week-ends et il lui faisait l'amour convenablement. Elle disait que toutes ces choses ne lui était pas arrivées depuis longtemps. A' partir de là, j'ai eu mon inspiration et j'ai ajouté la touche personnel. Ce que je chante n'est donc pas une idée venue comme ça. J'ai écouté et j'ai amélioré avec le message du PNLS et ca fait un tube. »

Au regard de ce corpus que nous avons transcrit, nous voyons apparaître les métaphores de l'amour et de l'infidélité. Le sida dans ces corpus est une maladie des passions. <Le symptôme de la maladie était une activité amoureuse (...) et toute maladie était de l'amour métamorphosé263» comme le dit SONTAG. Dans les propos des artistes, nous retrouvons in extenso le discours de la prévention du Sida au Gabon. Les auteurs n'hésitent pas à dire clairement que leur source et leurs textes sont des propos de préventions. Ces textes sont des discours < biomédicaux ». Et si certains ont le chic d'être quelques fois hilarants, il n'en demeure pas moins que les textes restent inspirés de la biomédecine.

Le Sida est une maladie d'amour car effectivement elle est une maladie du libéralisme. C'est-à-dire qu'elle est cette maladie de l'échange ; lequel échange se fait comme les produits à la seul différence qu'il s'agit du sexe. C'est par le sexe, les sentiments, l'amour que le Sida se diffuse dans le monde. Métaphoriquement, le premier symptôme du Sida c'est l'amour. Car c'est par l'amour ou par le fait qu'on se sente attiré sexuellement, ou peut-être sentimentalement qu'on va se faire contaminer par le virus du Sida. Nous ne mettons pas en exergue le préservatif car les partenaires peuvent aussi contracter la maladie malgré le préservatif. C'est dire que même le sang est aussi un moyen de contamination et que l'amour n'est pas la seule voie par laquelle on peut contracter le virus du Sida. Donc, c'est par le fait que le Sida soit une maladie du libéralisme parce que le sexe s'échange comme l'information, que nous arrivons, parfois, impuissant, vers une conséquence logique : l'infidélité. L'infidélité ou la polygamie permet d'une certaine manière à ce que le Sida respecte cette notion du libéralisme. La multiplicité des partenaires est une forme d'échange sexuel, un échange (on peut dire aussi économique) qui respecte les lois de la société capitaliste postcoloniale. C'est-à-dire des sociétés oü le sexe, l'information et l'argent s'échangent. En Afrique centrale le corps est un corps sexuel. Le corps renvoi à la notion de sexe. Car < le

263 Susan SONTAG, Op cit, P34

94

sexe de l'homme et celui de la femme sont nommés, dans certaines d'Afrique centrale, par le mot de corps264

Être malade du Sida en Afrique centrale, c'est avoir le mauvais sang, le mauvais corps, le corps malade. C'est donc avoir ce corps-sexe, ce corps sexuel malade. D'ailleurs jusque dans les années 1998, la population gabonaise pensait que le Sida ne s'attrapait que par voie sexuelle. Nous avons eu cette confirmation quand nous étions allé rendre visite à une amie qui venait d'accouchait. Elle cohabitait avec une fille qui avait le Sida et qui, elle aussi, venait d'accoucher. Mon amie me confia que cette dernière disait que ses parents pensent qu'elle a eu le Sida à cause des rapports sexuels non-protégés, cependant le père de l'enfant est séronégatif. Ceci confirme une idée que le Sida ne se contracte pas que par le sexe, l'amour. En outre, les sociétés postcoloniales africaines sont des sociétés du « bas ventre ». On cherche à avoir de l'argent car c'est le pouvoir. C'est le pouvoir car on peut acheter tout ce que le sexe féminin, « le corps de la femme » désire. La pensée populaire transcrit ce propos en disant que plus on a de l'argent plus on a de femmes. Et plus on a de femmes plus on a de la considération, du pouvoir. C'est par amour qu'on consomme le corps-sexe de la femme. Et c'est par ce méme amour qu'on s'échange infidèlement la « chose du pouvoir » : le sexe. Et c'est cet amour-sexe avec son corollaire d'infidélité qui affecte le corps-sexe, qui est, ce que nos enquêtés entendent par maladie d'amour, maladie d'infidélité.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon