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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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c) Position du débat chez les africanistes

Le point de vue introductif que nous proposent Florence BERNAULT et Joseph TONDA dans la revue politique africaine118 peut servir aussi de point inaugural à la discussion du débat avec les africanistes dans ce texte. En effet, l'introduction au thème du « pouvoirs sorciers » permet de donner un aperçu du débat. Pour les deux auteurs, « la sorcellerie est affaire de pouvoir, mais un pouvoir déstructuré, en constant changement, accaparé ou rêvé, ici et là, par toute gamme des acteurs sociaux119». Lorsque nous regardons les données d'enquête, nous remarquons que de nombreuses expressions ou de nombreux mots sont reliés, plus moins, au thème de la sorcellerie. Pour eux la sorcellerie, « c'est aujourd'hui un langage fluctuant autant qu'un nombre de techniques sans cesse changeantes, offertes à tout venant. Mais ce langage, ces pratiques obéissent sans doute à une préoccupation centrale : ordonner

115 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste, Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie, septembre. 2004.

116 Max Alexandre NGOUA, Op cit, p 25.

117 Max Alexandre NGOUA, Op cit, p 91.

118 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique africaine », n° 79 octobre 2000.

119 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 7.

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les rapports de forces dans le concret ou dans l'imaginaire120». La sorcellerie semble être un système d'ordre sociétal des conflits visibles ou invisibles. Les expressions, les métaphores et les métonymies qui représentent alors le Sida sont des miroirs sur lesquels ce mirent les rapports de forces réels ou irréels. Mais le plus pertinent est à venir. En effet, les auteurs pensent que, « parce que les ébranlements, les déchirures, les décompositions et les instabilités de la sphère domestique de la parenté, comme ceux du domaine de l'économie et de la sphère publique de l'Etat, sont de plus en plus catastrophiques, les écarts, les vides et les béances qu'ils produisent dans le systèmes des positions de force constituent autant d'espaces oü peut s'investir et se démultiplier violemment la puissance implosive de la sorcellerie [ de l'imaginaire et du sens]121». Donc, les métaphores et les métonymies du Sida justifient leur présence par un vide de politique étatique sanitaire. C'est parce que le secteur de la santé est « handicapé » au Gabon, que les représentations sociales s'imposent comme suppléant d'une biomédecine absente ou réservée à une ville, elle-même en conflit avec la modernité. Lorsque nous disons en conflit avec la modernité, nous entendons un lieu où les fantômes hantent les bureaux de médecins, de cadres, d'enseignants d'université. Une ville traversée de part en part par la puissance du stade métaphysique Comtien. Encore que « la modernité, au nord et au sud, est fort peu synonyme de désenchantement du monde122». A tout le moins nous devons retenir que les métaphores et les métonymies du Sida ont un lien avéré avec la sorcellerie et que dans notre analyse nous devons en tenir compte.

Il nous faut tout aussi tenir compte de l'analyse que nous propose MOUKALA NDOUMOU dans la revue Palabres actuelles123. Pour lui, « l'une des caractéristiques générales des modèles étiologiques dans la société dites traditionnelles est la fréquence des interprétations persécutrices dont la sorcellerie est l'archétype124». Ce qui justifie, une fois encore, la présence dans le langage gabonais du Mbumba, du Kôhng, du fusil nocturne comme origine du Sida. Car dans le cas des MHSB, « le nganga fait ainsi de toute infortune une pathologie relationnelle, le plus souvent liée à des tensions lignagères. Le patient, dans cette optique, est souvent habité par ces représentations et explications subjectives de la maladie 125 ». La maladie, et plus particulièrement la maladie du Sida, est une forme d'infortune qui doit trouver ses causes dans la réussite d'un parent, dans la jalousie d'un parent. « La maladie est donc toujours liée à l'action d'un sorcier jaloux dont les agissements sont dévoilés à tout moment126». Ceci permet de comprendre les différentes figures de styles utilisées pour décrire la maladie quelle qu'elle soit. En fait, « le corps se présente comme un théâtre de forces et d'enjeux opposés, voire contradictoires, auxquels on doit livrer bataille. On peut comprendre que la maladie, ainsi envisagée, devient rapidement la métaphore d'un conflit et que le processus thérapeutique consistera à repousser l'« ennemi » envahisseur au-

120 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », Op cit, p 7.

121 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 8.

122 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 5.

123 MOUKALA NDOUMOU, « Pathologies, superstitions et santé publique au Gabon », Palabres actuelles, Libreville, Editions Raponda-Walker, n° 2- Vol. A. 2008.

124 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 131.

125 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 128.

126 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 132.

delà des frontières corporelles127». Ce qui soulève le point de vue des métaphores comme des métaphores de guerre, de la maladie comme lieu de conflits, lieu de chasse.

Au sujet de la chasse, nous énoncions plus haut128, Joseph TONDA129 nous propose une analyse de son rapport avec la métaphore sur le Mbumba, les sirènes, les hommes politiques qui se transforment en bête féroce. Il commence le débat sur des généralités que Grégoire CHAMAYOU présentent notamment sur le pouvoir pastoral. Mais nous apprécions particulièrement la contextualisation, ou l'analogie faite part TONDA sur le pouvoir pastoral et le pouvoir du nganga. Le nganga différemment du pasteur est un chasseur. Il chasse les sorciers, les mauvais esprits. Mais ce qui nous intéresse dans la lecture de la chasse dans la société des MHSB par Joseph TONDA, c'est l'utilisation des métaphores du Mbumba (serpent), des sirènes et des bêtes féroces. En fait pour lui, le pouvoir sort de la forêt. Les représentations sociales gravitent généralement autour de la forêt, de la chasse. Quand on est malade c'est généralement un serpent mystique (Mbumba), une sirène (Mbumba Iyanô) détenu par un individu, qui nous attaque. C'est toujours une bête féroce de la forêt qui nous attaque et seul le nganga (ou le pasteur) a le pouvoir de le chasser. A cet effet, les métaphores ou les métonymies de la maladie du Sida, -car selon lui- c'est les métonymies qui représentent mieux le phénomène de la chasse, sont utilisées pour manifester un pouvoir de chasse qui sort des villages ; un pouvoir qui lutte contre les esprits de la forêt et dont le détenteur est le nganga, le pasteur. Ce qui justifie le fait que le Sida soit un Mbumba ou toutes expressions utilisées dans les MHSB et dans les églises. Car la maladie est une maladie donnée par un homme qui possède les bêtes féroces de la forêt, par un prédateur qui chasse par la maladie les individus, les proies de sa famille. Toutes les métonymies et métaphores du Sida tournent autour de cette problématique de la chasse, de la guerre.

Mais nous pensons que Le Souverain moderne de Joseph TONDA130 mérite que nous nous y intéressions afin de lire cette problématique des métonymies et des métaphores de la maladie. Les premières lignes introductives du Souverain moderne semblent à elles seules vouloir résumer tout ce dont nous parlons dans ce mémoire. Il écrit qu' «une puissance hégémonique unique instruit et administre le rapport aux corps, aux choses et au pouvoir en Afrique centrale : le Souverain moderne. Elle est constituée à la fois par les fantasmes et les réalités, les esprits et les choses, les imaginaires et les matérialités constitutifs des puissances contemporaines en interaction du capitalisme, de l'Etat, du christianisme, du corps, de la science, de la technique, du livre et de la sorcellerie. Son principe est la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme. Cette violence qui s'exerce sur les corps et les imaginations au moyen d'images (icônes, symboles, indices), de gestes corporels, de mots, doit son efficience aux consentements révoltés et aux connivences paradoxales de ces corps et

127 Ernest Fabert MENSAH NGOMA, « Les images de l'évènement maladie », Palabres actuelles, Libreville, Editions Raponda-Walker, n° 2- Vol. A. 2008, p 232.

128 Plus précisément à la page 24.

129 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu, Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011, Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines, Département de littérature africaine, 2011.

130 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Paris, Karthala, 2005.

imaginations131». Ce qui sous-entend que les représentations sociales en Afrique centrale, tel qu'au Gabon, sont gouvernées par la violence de l'imaginaire. Or, les métaphores et les métonymies sont des représentations ce qui signifie qu'elles sont elles aussi gouvernés par cette violence de l'imaginaire. Mais il faut interroger le rapport social. Ce rapport s'établit entre la métaphore et la métonymie par le fait qu'il y ait une des deux (notamment la métonymie) qui permet de rendre réel l'irréel. Et ceci se fait par la puissance du consentement que nous appelons la violence du sens. Nous entendons par violence du sens, la coercition que le sens des expressions, des mots et des images exercent sur les individus par laquelle ils arrivent à créer une fabulation du sociale. D'aucuns penseront que c'est la méme chose que la violence de l'imaginaire. Mais en fait il y a une différence. L'on peut dire que la violence de l'imaginaire c'est la fin du processus de la fabulation du sociale. C'est l'outil qui permet de transformer, de façonner, de construire un social. C'est en quelque sorte la main qui modèle. Or, la violence du sens c'est l'origine, l'amont qui donne vie à l'imaginaire. On peut penser à tout mais si ce à quoi on pense n'a aucun sens, les images que nous concevons restent inertes, froides, sans pouvoir. C'est l'explication que l'on va donner, ce que nous appelons, nous, violence du sens, qui va activer la violence de l'imaginaire. Le sens est une forme d'accord, une forme de connivence et de consentement. C'est une convention qui légitime les actions et les moyens. La violence du sens est le départ de l'imaginaire. C'est parce qu'on s'accorde sur des choses pour se représenter certaines situations, et surtout de leur définition (donc de leur sens), qu'on aura une puissance qui sera investi pour les faires s`imposer et agir sur le social en l'occurrence la violence de l'imaginaire.

Donc cette discussion nous aide en deux points. Le premier c'est qu'il nous permet de comprendre l'origine des métaphores et des métonymies. Entre autre que l'Etat à travers le Souverain moderne commandite ou plutôt reste impassible face à des images et représentations qui vont faire en sorte que le social soit mystifié et possédé par des esprits fantasmagoriques. Ces images ont pour fonction première d'élever le Souverain chasseur et prédateur au-dessus des masses populaires car étant le plus puissant des prédateurs. Le second point, nous permet de mieux édifier ce que nous entendons par la notion de violence du sens. Entre autre, une force ou une puissance qui possède les expressions, les mots en les exacerbant et qui travaille sur le regard et l'ouïe de l'individu en lui faisant voire, entendre des choses d'un monde extérieur imaginaire et inexistant. En fait l'individu qui utilise ou qui est possédé par les représentations sociales de l'imaginaire et la violence du sens, est en fait un individu portant des lunettes de soleil en pleine nuit et qui porte des écouteurs qui diffusent un programme de conditionnement en boucle. Il écoute ce qu'il veut et/ou doit écouter, entend ce qu'il veut et/ou doit entendre, et voit ce qu'il veut et/ou doit voir. En bref, il vit ailleurs.

131 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit , p 7.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote