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Construction des infrastructures sociales pour les Bakola/ Bagyelli et incidence sur la coexistence avec les Bantou: contribution à  une ethno- anthropologie du conflit

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par Bernard Aristide BITOUGA
Université de Yaoundé I Cameroun - Master en anthropologie 2011
  

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IV-2- ANALYSE DES CONFLITS

Pour identifier les causes des conflits, on peut, comme certains des acteurs qui y vivent et qui y prennent part, mobiliser la notion d'arène qui est au sens oü nous l'entendons, un lieu de confrontations concrètes d'acteurs sociaux en interaction autour d'enjeux communs. La construction des infrastructures sociales pour les Bakola/Bagyelli est une arène. Nous voulons, dans le cadre de notre analyse, mettre l'accent sur l'intérêt heuristique de l'étude des conflits en prenant comme rampe de lancement le conflit, sans toutefois omettre son lien étroit avec les rapports de cohabitation intercommunautaire. L'argument que nous voulons avancer pour soutenir notre posture consiste à dire qu'il existe « une vie de conflits ». Des personnes ou des groupes peuvent un jour coopérer mieux ou le contraire, les communautés peuvent entrer en conflit après une période de coopération importante. Il existe plusieurs situations, que l'on rencontre habituellement dans le déclenchement des conflits et qui peuvent servir comme cadre de référence pour analyser les conflits qui ont été identifiés à Bidjouka et à Ngoyang entre Bantou et Bakola/Bagyelli.

En effet, au regard de données collectées sur le terrain nous avons constaté que les conflits identifiés à Bidjouka et Ngoyang ont trois causes principales: l'occupation des terres appartenant aux Bantou, les schèmes culturels et l'action unidirectionnelle des partenaires au développement dans la prise en charge des Bakola/Bagyelli. Toutefois, précisons que les trois causes qui constituent le point d'ancrage de notre analyse sur les conflits dans ces deux villages ne sont pas les seules qui peuvent intervenir dans le déclenchement des rivalités.

IV-2-1- La prise en charge unilatérale des Bakola/Bagyelli par des partenaires au développement

Les situations où un acteur, un groupe, une communauté se trouve en forte dépendance vis-à-vis d'autres acteurs ou d'un système, sont des situations promptes à générer des conflits ; ceux qui les subissent peuvent adopter des attitudes agressives pour essayer de réduire cette dépendance. Crozier tente de nous donner une explication en ces termes :

En effet, agir sur autrui, c'est entrer en relation avec lui ; et c'est dans cette relation que se développe le pouvoir d'une personne A sur une personne B. Le pouvoir est donc une relation, et non pas un attribut des acteurs. Il ne peut se manifester-et donc devenir contraignant pour l'une des parties en présence-que par sa mise en oeuvre dans une relation qui met aux prises deux ou plusieurs acteurs dépendant les uns des

54 O, MENARD ; Le conflit, op.cit

autres dans l'accomplissement d'un objectif qui conditionne leurs objectifs personnels55.

Les Bantou ont toujours développé à l'endroit des Bakola une sorte de paternalisme avilissant; qui semble aujourd'hui ne plus s'accorder avec l'évolution et l'émancipation de leurs « sujets » d'hier. Tout acte d'émancipation ou de démarcation d'un Pygmée est médiatisé. Ainsi, il leur est interdit de prendre contact avec d'autres personnes sans passer par leurs « possesseurs » qui jouent, non seulement un rôle d'interprètes mais surtout de censeurs. Ils vivent donc étroitement liés aux « Grands Noirs » qui sont chargés de « défendre leurs intérêts » sur les plans socioéconomique et judiciaire. Cette situation accentue leur dépendance et instaure entre eux et les tribus bantoues voisines une relation dégradante. En fait, les Bakola sont considérés comme un héritage que les Bantou transmettent à leurs descendants. Ainsi à sa mort, un homme peut léguer à son fils un « cheptel » de 15 à 20 Pygmées qu'il a lui-même reçus de son père. Aussi n'est-il pas rare de voir les habitants d'un village se disputer un Pygmée, chacun le réclamant être de son clan. Au cours d'un entretien réalisé à Bidjouka auprès des populations bantoues, un Ngoumba nous a déclaré parlant du projet de l'oléoduc pipeline Tchad-Cameroun si les Bakola avaient été aussi dédommagés au même titre que eux nous a répondu :

Oui, nous avons nos Bagyelli ici. Mon « troupeau » de Bagyelli vit dans mes forêts derrière ma maison. C'est mon père qui me les a donnés~J'ai reçu une compensation pour les dommages causés à mes terres et mes récoltes, pas celles de Bagyelli. Ils pratiquent l'agriculture et la chasse sur mes terres.

Les Bantou pensent que les Pygmées ne peuvent pas vivre sans eux. A ce sujet, une Ngoumba interrogée à Ngoyang dira à propos :

Ce sont nos enfants qui encouragent les enfants pygmées pour qu'ils puissent fréquenter. Sans eux, ils ne peuvent rien faire. Ce sont les enfants des Bantou qui forcent pour que les enfants Pygmées puissent aller à l'école. S'il n'y a pas les Bantou, il n'y a rien pour les Pygmées. C'est comme ça ! Et c'est cela que le Gouvernement avec les ONG oublient. Il faut un Bantou à côté d'un Pygmée pour l'encourager à faire quelque chose. Les gens qui vivent à côté des Pygmées doivent être ensemble avec eux. Sinon ça ne peut pas marcher.

Le Pygmée connait quoi ? Il va dire quoi ? Donc, il regarde d'abord le Bantou pour voir ce que le Bantou va faire ou dire. Les parents, autrefois, avaient les Pygmées chez eux ; mais ce n'était pas comme d'autres disent que c'était l'esclavage. Ce qui se passait c'est que chaque tribu bantoue avait ses Pygmées. Donc quand un Pygmée veut faire quelque chose, il vient d'abord voir le Bantou pour lui demander conseil pour voir ce qu'il doit faire. C'est le Bantou qui lui donne des idées pour lui dire de faire comme ceci ou comme cela. Mais quand vous venez ici, vous ne regardez pas les

55 Crozier M &Friedberg E, L'acteur et le système, Paris.

Bantou. Les Pygmées ne vont rien faire même si c'est après cent ans. Même si on fait quoi ! Il faut d'abord passer par les gens du village pour avoir les Pygmées56.

Les Bakola, bien que de façon timide, se sont ouverts à la modernité et ceci a eu comme incidence leur détachement progressif de le leurs « maîtres » d'autrefois. Ces situations d'indépendance et d'affranchissement des Pygmées sont très mal perçues par les Bantou qui voient filer entre leurs doigts ceux-là mêmes qui leur permettaient encore de se considérer comme les « Seigneurs de la forêt ». Les Bantou tentent donc par tous les moyens de restaurer cette relation de dépendance des Bakola vis-à-vis d'eux, mais sans succès. La scolarisation des Bakola, l'intervention de quelques ONG (FONDAF, RAPID, CBCS, FEDEC, SAILD) dans les campements ont fortement contribué à l'autonomisation des Bakola qui, de nos jours, veulent faire entendre leur voix et s'affirmer en tant que citoyens camerounais à part entière. La photographie ci-dessous, montre un Ngyelli du campement de Maschouer-Maschouer(Bidjouka) venu se plaindre d'avoir été abusé par un Ngoumba.

Photo 20: Ngyelli du campement de Maschouer-Maschouer venu se plaindre d'avoir été abusé par un Bantou de Bidjouka

Source : Aristide Bitouga, (Bidjouka 2010)

Une telle image ne pouvait pas être enregistrée il y a quelques années par le passé. La preuve, s'il en fallait une, qui montre que les Pygmées sont entrain de rompre d'avec cette dépendance séculaire avec les Bantou. Comme réponse des Bantou à cette rupture soudaine d'avec leurs anciens « serviteurs », ces derniers n'hésitent pas à saboter le travail des ONG sur le terrain en accusant celles-ci d'être responsables des conflits qui naissent de plus en plus entre les Bantou et les Bakola. A Ngoyang, par exemple, les Ewondo sont allés jusqu'à accuser le SAILD de monter les Bakola contre eux pour leur arracher leurs terres. A Bidjouka,

56 NGUIONGZA. M ; op.cit

les Bagyelli nous ont fait état du fait que les Ngoumba avaient porté un coup de frein au projet de construction des maisons qui avait été initié par le GRPS et les Petites Soeurs de Jésus.

Au regard de ce qui vient d'être dit, on peut comprendre pourquoi la prise en charge des Bakola/Bagyelli par des partenaires au développement est une des causes des conflits qui sévissent à Bidjouka et à Ngoyang. En effet, les Bantou voient d'un mauvais oeil l'action des ONG sur le terrain. Cette réticence est motivée par le fait que les Ngoumba et les Ewondo pensent que les Pygmées ne vivent pas seuls dans les villages où ils sont installés. Les Bakola/Bagyelli ne sont pas les seuls nécessiteux ou les seuls qui soient indigents. Autant les Pygmées ont des besoins ou sont démunis, autant les Bantou avec lesquels ils partagent le même espace territorial en ont également.

Dès lors, ceux-ci pensent que les ONG doivent agir sur le terrain ou mener des activités en faveur de l'amélioration des conditions de vie des Pygmées, en tenant compte des populations bantoues qui vivent avec eux. En voulant s'intéresser uniquement aux Bakola/Bagyelli, les partenaires au développement, font naître à travers leur approche d'autres problèmes qui sont des leviers sur lesquels les Bantou s'appuient pour pressuriser les Pygmées. L'approche unidirectionnelle des ONG, crée des jalousies, du mécontentement et de la frustration chez les Bantou. Cette démarche, il faut le reconnaître, est de nature à exacerber les tensions qui existent dans la cohabitation entre ces communautés voisines. Il est très difficile pour les « Grands Noirs » de voir que les « esclaves » d'hier soient aujourd'hui logés à une meilleure enseigne que leur supposé « maître ». Comment comprendre qu'un Nkola habite une maison moderne alors que le Ngoumba ou l'Ewondo qui se croit supérieur vit dans une case en terre battue avec une toiture en paille ?

Tous ces facteurs peuvent expliquer le fait qu'aujourd'hui les Bantou voient dans ces changements sociaux une modification de l'architecture sociale de leurs villages et qui induisent forcément un regard différent des Bakola à leur endroit. La photographie ci-dessous montre une maison appartenant à un Nkola qui a été construite grace à l'appui technique et financier d'un partenaire au développement.

Photo 21: Maison appartenant à NGUIAMBA Moïse, un Nkola à Ngoyang Source : Aristide Bitouga, (Ngoyang 2009)

A contrario, la photographie ci-dessous montre une case appartenant à un Ngoumba dans le même village.

Photo 22: Maison appartenant à MABARI Désiré, un Bantou à Ngoyang Source : Aristide Bitouga, (Ngoyang 2009)

Pour l'étranger qui séjourne dans cette localité, il est clair que l'image qu'on avait jusqu'alors véhiculée sur les Pygmées mérite d'être remise en cause pour s'interroger désormais sur qui tient dorénavant les commandes. Cette presqu'égalité sociale entre les Bantou et les Bakola crée forcément des jalousies et de la concurrence entre ces différentes communautés. Chaque communauté s'efforçant d'affirmer au quotidien sa notoriété. Une situation qui ne plaît pas du tout aux Bantou qui conçoivent très mal le fait que les Pygmées qu'ils ont toujours considérés comme des « moins que rien », des « sous hommes », soient aujourd'hui au même pied d'égalité qu'eux. Dans la localité de Ngoyang, nous avons rencontré une jeune fille Nkola, qui est conseillère municipale à la commune de Lolodorf ; tandis qu'à Bidjouka, une autre est infirmière au dispensaire catholique de Ngovayang. Deux exemples qui montrent à suffisance la difficulté que les Bantou ont dans ces deux villages à

confiner les Bakola/Bagyelli dans leur petite forêt comme cela était encore le cas il ya quelques années.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire