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Construction des infrastructures sociales pour les Bakola/ Bagyelli et incidence sur la coexistence avec les Bantou: contribution à  une ethno- anthropologie du conflit

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par Bernard Aristide BITOUGA
Université de Yaoundé I Cameroun - Master en anthropologie 2011
  

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CONCLUSION

Notre travail de recherche portait sur : Construction des infrastructures sociales pour les Bakola/Bagyelli et incidence sur la coexistence avec les Bantou : contribution à une ethno-anthropologie du conflit. Le problème soulevé était celui de l'accentuation des conflits entre Bantous et Bagyelli/Bakola liée à la construction des infrastructures sociales (foyer, maisons) par des partenaires au développement (GRPS, SAILD/APE, CBCS). En effet, les conflits avaient toujours existé entre ces deux communautés, mais ont toujours ou presque été larvés. Avec la construction des logements sus cités, les conflits sont devenus ouverts. Ce qui a eu comme conséquences :

Querelles et altercations fréquentes entre ces différentes communautés ;

Descentes répétées des autorités administratives des localités de Bipindi et de Lolodorf pour ramener les protagonistes à la table de négociation et au calme ;

Saccage et pillage du foyer scolaire (2007) qui avait été construit pour les enfants Bakola à la suite d'un affrontement entre les Pygmées et les Ewondo ;

Importance des cas de blessés graves survenus à la suite des affrontements permanents entre Ngoumba et Bagyelli signalés au niveau du dispensaire de Ngovayang; Instauration d'un climat de défiance et d'insécurité entre les concernés dans lesdits villages.

Notre préoccupation tout au long de cette étude a consisté à répondre à la question principale de recherche : Pourquoi et comment la construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli influe-t-elle sur les rapports de coexistence entre Bantou et Pygmées à Ngoyang et Bidjouka ? A ce questionnement nous avons proposé comme réponse provisoire (hypothèse) : La construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli sonne le glas de la supériorité des Bantou sur les Pygmées à Bidjouka et Ngoyang. L'aspect méthodologique a pris en compte le choix des sites de recherche, la méthode, les techniques et les outils de collecte. La répartition de notre mémoire s'est faite en quatre chapitres : le premier portait sur la description du cadre physique et humain des différents sites de recherche. Le deuxième chapitre mettait en exergue la définition des concepts, la revue de la littérature et les théories explicatives. Le troisième chapitre porte sur la construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli et son influence sur leur mode de vie. Le dernier, s'intéressait à une analyse ethno-anthropologique des conflits survenus à Ngoyang et à Bidjouka.

Notre cadre théorique a convoqué deux théories que sont : l'ethnométhodologie et la théorie du conflit. Nous avons eu recours aux notions de membres, d'ethnométhodes, de

groupes stratégiques, d'arène et de conflit pour analyser les données que nous avons collectées sur le terrain. Les résultats auxquels nous sommes parvenu au terme de notre travail de recherche sont les suivants :

La construction des infrastructures sociales aux Bakola influe sur la cohabitation entre les Bantous et les Bakola à Ngoyang et à Bidjouka. En effet, la construction de ce hameau à Bidjouka a contribué à perturber l'establishment qui avait jusqu'alors prévalu dans ce village. Les Ngoumba se considèrent comme les « Grands Patrons » et à ce titre s'estiment être audessus des Pygmées en tout point de vue. Ce qui n'est plus très évident quand on peut remarquer que certains Pygmées sont mieux logés que leurs maîtres. La réaction des Ngoumba, dès lors, consiste à pousser les Bagyelli à abandonner leurs maisons pour pouvoir s'en approprier et s'y installer. Face à ces menaces dont ils sont victimes, les Pygmées résistent à toute forme d'agression orchestrée par les Bantous. Dès lors, s'installe un climat de défiance qui, plus tard, finit par dégénérer en un conflit ouvert mettant « dos à dos » les Bantou et les Pygmées.

La sédentarisation des Bakola qui passe par l'occupation des terres appartenant aux Bantou constitue une source de conflit à Bidjouka et Ngoyang. Il est apparu au terme de nos travaux sur le terrain que les Bantou voient d'un très mauvais oeil l'occupation leurs terres par les Bakola. En effet, d'après les Ewondo ou les Ngoumba, les terres leur appartiennent prioritairement. L'hostilité des Bantou vis-à-vis de l'occupation de leur espace par les Pygmées trouve est justifiée par les premiers par le fait qu'ils se considèrent être déjà euxmémes à l'étroit et que s'il faut encore venir ajouter d'autres populations, cela ne va que contribuer à exacerber les tensions foncières déjà existantes entre les populations présentes sur le site. Or, le fait que les Pygmées viennent occuper aujourd'hui leurs terres est perçu par ceux-ci comme une intrusion de ces derniers dans un territoire qui n'est pas le leur. Pour les Bantous ce terres sont leurs et ne devraient être pas occupées par n'importe qui et n'importe comment. Les populations bantoues proposent comme alternative à la sédentarisation des Pygmées que cela se fasse dans leur environnement forestier. S'il faut développer les Pygmées, que cela se fasse dans la forêt, en ce moment ils ne pourront pas se mêler des affaires des Pygmées. Mais si c'est dans leur village, que ces actions de développement sont menées, ils devront toujours s'intéresser à tout ce qui sera fait.

Les cultures bantoues et bakola regorgent en leur sein des éléments qui sous-tendent les conflits. Dans notre argumentaire, nous avons montré comment les Bantou usaient de la force, du chantage, de l'usurpation et des menaces à l'endroit des Pygmées pour pouvoir

bénéficier de ce qui était destiné aux Pygmées. En effet, il est ressorti de cette recherche que les Bantou (Ngoumba et Ewondo) appartenant à des sociétés de type égalitaire ont du mal à voir les Pygmées bénéficier d'un certain nombre de privilèges dont ils ne pouvaient pas en profiter. Dès cet instant, il faut tout mettre en oeuvre pour que la situation soit équilibrée. Les Bakola vivent leur dépendance vis-à-vis des Bantou comme quelque chose de normatif. Ils sont résignés et se reconnaissent comme des personnes inférieures aux Bantou. Pour ces derniers, toute tentative allant dans le sens de s'affranchir de ce pouvoir tutélaire de « leurs maîtres », est considérée comme vouée à l'échec. Cette manière de penser ou de se comporter des Bagyelli trouve une explication à l'intérieur de la culture pygmée. En effet, le Bakola/Bagyelli voit le Bantou comme son protecteur, celui sans qui sa survie est menacée. Aussi avons-nous noté que, lorsqu'un Pygmée veut s'affranchir du Bantou, au bout d'un certain temps il revient et se remet au service de son maître.

La prise en charge unilatérale des Bakola/Bagyelli par des partenaires au développement explique le climat conflictuel qui prévaut à Bidjouka et à Ngoyang. En effet, la prise en charge des Pygmées par les ONG crée chez les Bantous de l'animosité et de la jalousie. Cette animosité est d'autant plus grande que les populations séculaires se plaignent de ne pas être prises en compte par ces ONG lorsque celles-ci viennent pour améliorer les conditions de vie des Pygmées. A titre illustratif, les parents bantous se plaignent que leurs enfants sont lésés pendant la distribution des fournitures scolaires aux enfants Bakola. Ils pensent que cette façon de faire contribue à développer chez les enfants bantous un complexe de supériorité vis-à-vis des enfants Pygmées. Car, d'après les Bantous comment expliquer que des enfants qui fréquentent la même école et quelque fois sont tous démunis, pendant que d'autres bénéficient de certains avantages, d'autres soient délaissés.

Pour ce qui est des perspectives, nous avons préféré nous attarder sur un certain nombre de points. Les recherches qui ont été menées dans les localités de Ngoyang et de Lolodorf ont difficilement débouché sur des solutions concrètes, puisque les Pygmées ont toujours été très peu associés dans l'identification et la réalisation des projets qui les concernent au premier chef. En les écartant dans la mise en oeuvre des projets dont ils sont au coeur du dispositif, c'est les maintenir dans la domination. Nous pensons donc que la réorientation des projets dans le sens de la recherche-action aboutira à des solutions pratiques et à l'atténuation des conflits dans ces différentes localités.

Si le conflit est naturellement le jardin du juriste, le conflit touche toutes les sciences parce qu'il est humain, tant par la difficulté de l'adéquation de l'âme et du corps que par celle de l'homme et des autres lui-même. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu, à partir de notre posture d'anthropologue, essayer de comprendre la logique qui sous-tend les conflits observés à Ngoyang et à Bidjouka, entre Bantou et Bakola/Bagyelli. Il devient donc impératif pour mieux cerner la notion de conflit, de recourir à la multidisciplinarité qui, nous pensons, est la condition sine qua non pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la difficile cohabitation entre des peuples qui ont en commun de nombreuses affinités.

L'étude des conflits doit faire appel à d'autres champs de connaissances tels que la sociologie, le droit, la psychologie sociale, les sciences de l'éducation, etc., pour parvenir à une approche globale. La notion de conflit est complexe, voire holistique et sa compréhension devrait se faire autour d'une étude pluridisciplinaire. C'est la raison pour laquelle, nous voulons, à partir de la posture anthropologique, envisager des nouvelles approches que, nous pensons, contribueront à mieux cerner, mieux maîtriser les différents conflits qui subsistent dans les rapports de cohabitation entre les Bantou et les Bakola/Bagyelli.

Nous envisageons que des études futures soient conduites dans ces localités par des spécialistes dans la résolution des conflits dont les travaux pourront déboucher sur la mise en place d'une cellule de prévention et de gestion des conflits entre Bantou et Bakola/Bagyelli. En effet, l'idée qui sous-tend notre propos se fonde sur le fait que le conflit perturbe les équilibres tout en permettant, par sa survenance, d'y trouver des solutions. Qu'il exclue ou qu'il intègre, le conflit, déstructurant et structurant à la fois, apparaît comme nécessaire, puisque par sa réalisation, il permet d'en éviter ou d'en résoudre d'autres, méme s'il semble avoir réinventé le mouvement perpétuel. Il n'est donc dès lors envisageable de parler d'une cohabitation entre Bantou et Pygmées qui soit possible sans la manifestation des conflits. Mais, ce qui importe dans le conflit, c'est la capacité pour les individus à pouvoir le circonscrire, afin de le résoudre, afin d'éviter qu'il ne débouche sur des actes qui remettront en cause la cohabitation entre ces différentes communautés.

Dans les domaines d'intervention des ONG, il est important que des anthropologues soient associés pour pouvoir opérationnaliser la mise en oeuvre des projets de développement dans les communautés. Le rôle des anthropologues sera grandement profitable à ces populations ; car par le principe de la recherche-action, des études préalables seront menées avec les communautés bénéficiaires pour pouvoir les assister dans l'identification de leurs besoins réels. Cette démarche aura comme avantage qu'elle évitera qu'on aboutisse à des projets qui ne rencontreront pas le désir des communautés et qui sera mal vécu par ces

dernières qui voient généralement dans de telles initiatives une épine qu'on leur met dans le pied.

Des études sociologiques, psychologiques, voire dans le domaine des sciences de l'éducation, devront être menées sur le terrain pour comprendre le phénomène des désertions scolaires chez les enfants Bakola/Bagyelli et leur faible intégration scolaire. Nos observations sur le terrain nous ont permis de relever que la caractéristique fondamentale de l'éducation chez les Pygmées en général et chez les Bakola/Bagyelli en particulier est la préparation de l'individu à assurer sa propre subsistance, unique préoccupation de la vie. L'enfant est donc formé pour être capable de réaliser toutes les activités qui permettent l'acquisition des biens de consommation et de perpétuer le patrimoine culturel. Ce processus de socialisation a des incidences sur l'intégration scolaire des enfants pygmées et contribue de ce fait à leur sous scolarisation.

En définitive, nous pouvons dire que la somme des expériences tentées au Cameroun si riche qu'elle apparaisse, laisse entrevoir des handicaps dont l'analyse implique la mise en place de politiques cohérentes d'émancipation des Pygmées. Le développement est un fait social total : politique, social, économique et culturel. L'intégration des Pygmées dans la société nationale ne peut ignorer ces dimensions du développement. A l'heure oü l'on parle de lutte contre la pauvreté, de l'action humanitaire, de la promotion des droits de l'homme et de l'intégration économique sous-régionale, le Gouvernement camerounais doit s'efforcer de reconnaître aux Pygmées leur dignité humaine et s'employer activement à les conduire au développement. Le problème des Pygmées est très compliqué. Il est intrinsèquement lié à d'autres : la politique, la nature de la société, la loi, les droits de l'homme, la religion, la culture, l'identité du peuple, l'économie et l'état de l'environnement naturel. En conséquence, une approche d'ensemble doit être adoptée pour résoudre ce problème en prenant en compte les intérêts de toutes les parties impliquées plutôt que ceux d'une seule. C'est pour tout ce qui précède que nous préconisons une politique de bénéfice mutuel : l'approche de la voie médiane.

Ce travail de recherche, nous aura permis d'interroger le concept de développement et de parvenir à montrer que ce dernier, lorsqu'il est mal maîtrisé, devient plutôt source de conflit et non source d'émancipation de l'homme et de son semblable. Nous en sommes arrivé à admettre que toute société peut être vue sous deux aspects en apparence semblables. En effet, selon que l'on considère ses invariants, ses facteurs de maintien, sa continuité ou, à l'inverse, ses forces de transformation, ses changements structurels, il est possible d'en construire des images fort différentes. Cette manière d'envisager la réalité sociale conduit, à considérer

principalement les processus qui déterminent sa modification et provoquent, à terme, une mutation. Toutes les sociétés, même celles qui prétendent être les plus ouvertes aux changements rapides et cumulés, manifestent une certaine continuité ; tout ne change pas et ce qui change ne se modifie pas en «bloc».

Malgré la contradiction flagrante des informations ethnographiques et malgré l'impuissance analytique du concept (« les Pygmées sont un peuple de chasseurs-cueilleurs »), on continue à parler de société de chasseurs-cueilleurs, lorsqu'il s'agit de les classer. L'obsession est telle qu'on arrive à croire qu'il est des chasseurs-cueilleurs comme de l'hystérie et de la pensée sauvage. Des choses honnies et menaçantes qu'il serait préférable de tenir éloignées. Il faudrait retracer l'histoire de l'expansion coloniale pour mieux comprendre que les Pygmées ont souvent fait problème et combien les colonisateurs européens se sont partout plaint des difficultés propres à la saisie et à la domination de peuples nomades qui leur semblaient toujours n'avoir rien à perdre. Les Pygmées paraissent menaçants aussi parce que, si on venait à démontrer que l'écart qui nous sépare n'est qu'une illusion, on en arriverait bientôt à se convaincre aussi qu'il est possible de bien vivre sans trop travailler, que la propriété peut être ni privée ni publique mais non existante. Ce sont là des idées qui paraissent évidemment dangereuses et absurdes à l'idéologie des personnes dites « civilisées » que sont les Bantou. Il faut donc repousser le plus loin possible tous ces Pygmées et s'en servir comme contraste. C'est ce qui peut expliquer toutes les menaces, toutes les agressions, tous les abus et la marginalisation dont ils sont victimes dans nos villages et dans nos forêts.

Puisse ce travail de recherche contribuer non seulement à une meilleure connaissance des Pygmées, mais aussi rappeler que toute société possède une culture, des savoirs, des savoir-faire et un savoir-être dont d'autres sociétés peuvent tirer profit ;que le « développement » est peut-être un leurre, que les plus « primitifs » ne sont pas ceux qu'on pense.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard